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Je suis Charlie

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Charlies-Country-5

Je suis Charlie, Soi Charlie, Houm Charlie

Le vendredi 9 de ce mois j’étais au Lido de Limoges, et juste au-dessus de la caissière était aposée l’affichette « Je suis Charlie », sur laquelle je n’épiloguerai pas sur ce blog, sinon pour dire que la formule a été traduite par le Réseau Langues & Cultures de France dans les diverses langues de France, sans doute pour rappeler combien Charlie Hebdoétait sensible aux revendications linguistiques et culturelles (cette remarque ironique et amère n’enlève rien à l’opportunité de ces traductions et d’ailleurs de l’ensemble des manifestations de ces derniers jours, à la hauteur de la sidération produite par ces immondes tueries – pardonnez le pléonasme). Mais c’était Charlie’s Country : Le pays de Charlie que je venais voir, film du réalisateur australien Rolf de Heer, avec dans le rôle du dénommé Charlie, David Gulpilil, un acteur aborigène très connu dans son pays. Il joua en effet dès sa jeunesse, dans les années 70, en maints films, le rôle de l’aborigène de service. Pour ce film, il a reçu le prix du meilleur acteur dans la sélection Un Certain Regard au festival de Canne 2014.

          Les deux précédents films de Rolf de Heer, que je n’ai pas vu, Dix canoës, cent cinquante lances et trois épouses (2006) et The Tracker (2002) étaient consacrés l’un à la vie des aborigène avant l’arrivée des européens et l’autre aux relations entre colons et « noirs » (blacks est le terme très significativement utilisé pour désigner les aborigènes en Australie) au XIXe siècle. Gulpilil y était déjà présent par l’image (The Tracker) et par la voix (Dix canoës).  Ce dernier film porte sur la condition contemporaine des aborigènes, à travers la figure de Charlie, une sorte d’alter ego de Gulpilil qui a d’ailleurs coécrit le film. Comme Gulpilil, Charlie fut chasseur et danseur de cérémonie, comme lui, il rencontre sur son parcours l’alcoolisme, la prison et l’errance. Sous bien des aspects ce très beau film traite de thématiques que l’on trouvait déjà dans l’admirable Samson and Delilah (2010) de Warwick Thornton dont j’ai rendu compte en son temps ici (Parlez vous warlpiri ?). Il en retrouve en effet bien des thématiques : la déshérence des aborigènes d'aujourd'hui, leur statut de parias, la misère du bush et celle, pire encore de la ville, mais aussi la résistance à la contrainte coloniale, par la peinture dans le premier film, ici par la danse, et dans les deux films, par la langue, même si le Thornton avait tourné en d’autres lieux et en une autre langue. Car ce nouveau film est presque entièrement tourné dans un dialecte non précisé de l’ensemble linguistique rassemblé sous le nom de yolngu matha (langue yolngu) parlé au Nord du pays en terre d’Arnhem[1]. Cette information, dont je regrette qu’elle soit incomplète, est absente de tout ce que l’on peut trouver sur ce film en français où il n’est d’ailleurs jamais dit (il doit bien y avoir quelques exceptions mais je ne les ai pas trouvées) qu’il n’est pas dans langue de son titre. La question ne semble en effet pas avoir effleuré la grande majorité des critiques francophones, qui ne voient pas combien elle est centrale, car le rapport de domination et la résistance à celle-ci passent entièrement dans le film par la diglossie anglais / yolngu. Ainsi, pour savoir quelle langue parlait Charlie et les siens ai-je dû chercher sur le web du côté de l’Australie. Dans cette cécité ou indifférence, évidemment, se rejoue chez les journalistes francophones ou anglophones, la relation coloniale.

            Charlie, la soixantaine athlétique, vit une vie de semi-clochard, subsistant grâces aux maigres subsides publics dans un abri de fortune, à la lisière d’un village aborigène surveillé de près par un poste de police flambant neuf. Il a quitté sa famille et il n’est pas question pour l’État de lui octroyer un nouvel appartement ; ainsi passe-t-il son temps à fumer de l’herbe et, le cas échéant, à braconner avec l’un de ses vieux amis. Mais la police veille, confisque leurs armes et le buffle qu’ils ont illégalement abattu, puis jusqu’à la lance que Charlie s’est confectionnée pour repartir à la chasse. Ainsi lui faut-il, comme les autres, faire la queue dans une supérette miteuse qui vend aux autochtones la pire des nourritures (« pire qu’en prison », dit Charlie après une longue incarcération), alors que, comme lui dit son ami, la forêt est pourtant un fantastique supermarché. Toute l’histoire de Charlie, dans les relations imposées par les autorités blanches, est faite d’humiliation incessante, de mépris et de condescendance, contre lesquels l’ironie aiguë de son personnage est réduite à l’impuissance. De guerre lasse et sur un coup de tête (après avoir piqué une voiture de police pour se venger), Charlie décide de partir vivre dans la forêt, où il sait encore se mouvoir et trouver sa subsistance (ces choses là ne s'oublient pas), mais tous les lieux de vie ancestraux ont disparu, il est désormais le plus seul des hommes et surtout, la malbouffe et les excès divers ont trop altéré sa santé… Voilà comment démarre un périple qui le ramènera au village qu’il fuyait, après avoir connu l’hôpital aseptisé de Darwin, une errance alcoolique urbaine et enfin la prison. Une photographie énigmatique le suit partout, qui représente un groupe de danseurs aborigènes inaugurant le célèbre opéra de Sydney en 1973. Cette image est la clé d’une rédemption culturelle possible et d’une dignité retrouvée.

            Par delà la situation spécifique des aborigènes australiens, je n’ai pu m’empêcher de penser à d’autres groupes, ici en Europe, qui présentent évidemment des différences radicales, mais aussi des similitudes troublantes. D’abord, je voyais à travers Charlie, certains membres de la communauté manouche que je fréquente : le statut de paria, de justiciable désigné, la dépendance envers les maigres subsides de l’État, une connaissance incroyable de la nature (des traces d’animaux, des techniques de chasse et de pêche, de cueillettes, l'art du feu, etc.) mais une alimentation à laquelle les pauvres sont, de fait, contraints, certaines maladies récurrentes, secrétées par ces conditions de vie imposées, le mépris et la condescendance affichéà leur égard par les flics, les surveillants et (souvent) les caissières mêmes, mais aussi un sentiment d’identité et même de fierté très fort qui passe par (ce qu’il reste) de la langue. Mais j’ai pensé aussi, dans une similitude plus lointaine, à tous nos vieux ruraux qui, surtout lorsqu’ils ne peuvent plus tenir leur terre et leur potager, sont eux-mêmes astreints à la fréquentation assidue des supermarchés discounts de la ville la plus proche, où bien sûr ils passent pour de pauvres ploucs, et pis encore lorsqu’ils laissent glisser quelques mots de patois ou un accent trop fort, puis vont finir dans ces hospices et hôpitaux qui sont la négation, l’anéantissement de tout ce qu’ils ont été. Mais aussi, oui, j’ai pensé que chacun de nous, engagé dans une lutte impossible, perdue d’avance, contre la culture et la langue dominantes, était aussi Charlie à sa façon. Bref les raisons de s’identifier à Charlie, me semblent-ils, sont multiples.

       D’ailleurs pour finir je vais citer Charlie, l’autre, Charlie Hebdo, le numéro du 7 octobre 1998, une époque où il était question de ratifier la Charte Européenne des langues régionales ou minoritaires, mais on ne le fit pas, grâce au courant d’opinion dominant sur ces question dont le journal était la fidèle expression. Quel rapport ? Ben, vous allez voir, comment dans la citation qui suit, rigoureusement fidèle de l'oncle Bernard, le grand saut des aborigènes aux ploucs d’ici est déjà accompli et nous n’avons donc plus qu’à en inverser le sens. « Les aborigènes vont pouvoir parler leur patois, pardon, leur langue, sans se faire rire au nez. Et peut-être même garder leur accent c'est-à-dire leur béret et leurs sabots. Lionel Jospin a raison. Maintenant que le bulldozer jacobin a laminé et éradiqué les pagnolades et les bécassinades, on peut élever les trois douzaines de couillons qui parlent encore leur pataquès (pardon : langue) au rang de patrimoine national et leur apposer un label fermier. » Bon, cela n’empêche pas d’acheter bien sûr le numéro de Charlie publié ce jour même, certes pas, mais il est aussi urgent, tant qu’il passe, car il ne restera guère, d’aller voir Charlie’s country.

Jean-Pierre Cavaillé

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[1] Les notices wikipedia en français et en anglais étant squelettiques, voir Robert M. W. Dixon, Australian Languages: Their Nature and Development, Cambridge University Press, 2002  (partiellement accessible sur google.books).

 


Sèm e sèm pas Charlie

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Article paregut en linha sul Jornalet, dijòus 29 de Genièr passat

 

Sèm e sèm pas Charlie

 

Charlie

 

Aprèp lo chaple a cò de Charlie Hebdo e de Super Casher, puèi la seria d’eveniments, totjorn doberta, que se seguisson un aprèp l’autre – los milions de caminaires « Soi Charlie », la publicacion del numerò novel de Charlie, las grandas manifestacions de Musulmans çò ditz contra « la blasfèmia » d’aquesta publicacion dins una tièra de païses… – es pas aisit de prendre de se retirar un pauc e de rasonar un a testa freja.

Sus totis aquestes eveniments, se pòt evidentament pas rasonar d’en defòra, del punt de vist de Saturni, qu’aquò auriá de tot biais cap de sens : an de sens, perqué i sèm, d’un biais o d’un  autre implicats. Se pòt rasonar solament en partent de la situacion del rasonaire, es a dire, aquí ièu, non pas tant coma individú– sèm totis unics e singulars – mas coma membre d’un nos informal, d’un grop amb lo qual partajam de tròces comuns d’una mèma istòria e d’una mèma cultura. Dins aquesta situacion, çò me sembla, sèm preses dins una tension, si que non de contradiccion, entre una identitat faita de tot çò que nos pòrta sens relambi dempuèi l’enfància la cultura nacionala – de causas fòrças diferentas : tant Charlie Hebdo coma las cadenas de television ; tant çò qu’avèm pres de la cultura çò ditz alternativa coma çò que nos ensenhèt l’escòla – e una identitat minoritaria, la de l’occitan e de l’occitanisme, ela tanben diversificada mas forçadament mens evidenta, mens visibla, transmesa per la familia e/o per l’escòla, e quasiment totjorn en contrabanda (dins la talvera !), mas de tot biais totjorn contrariada e portada en avant per una volontat personala. Evidentament existisson d’autras sorgas de cultura e de materias per rasonar e viure nòstra vida que nos venon d’un pauc pertot dins lo grand monde, mai que mai d’America, mas pas solament, e lo mai sovent filtrat per la cultura nacionala. Mas podèm, se volèm, ficar lo nas en defòra solets, e zo fasèm jamai pron, perqué aquò nos balha mai de fòrça per defugir lo facia a facia mortal del  lop e de l’anhel e desplaçar, senon jusmontar la tension identitaria entre èsser franceses de fait e occitans de còr (e a mai benlèu, occitans de fait e franceses de còr).

Alara bon, zo podèm dire, d’un punt de vist occitan, Charlieèra pas lo « must » :

totjorn centrat sus son embonil parisenc e franchimand, fièr d’èsser ont cal èsser e de costejar lo bel monde que criticavan, a mai, finalament, de’n faire part e d’aderir a una identitat benlèu constestatària mas d’una contestacion al cent del cent franchimanda, sens cap d’escart, de critica o de dobte de se. Al contrari, lo mespres manifestat pel pèterroses de « provincia »èra gaire escondut, e encara mai fòrt en cò de los que venian de provincia. Es pas aisit de doblidar la dobla ironia de Bernard Maris (lo paure puta, coma sabèm, assassinat amb los autres) qu’escampèt en 1998 sos sarcasmes a l’encòp sus l’Estat jacobin (qu’aprèp aver tuat los pateses se disiá prèp a signar la Charta europenca de las lengas regionalas e minoritarias) e suls patejaires, qu’avian la piòta pretencion de faire reconeisser lor pateses coma lengas[1]. Aital los contestaris oficials podian èsser e son estats mai d’un còp del costat del margue e sovent, çò me sembla, sens mèma zo saber, d’un biais espontanèu (çò qu’es encara pièjer). Aquòèra plan lo cas dins lo biais de tractar (o de tractar pas, e lo mai sovent de faire coma se existissiá pas) la « provincia » (mai que mai los Còrses, los Bretons e los Bascs). Fasian pr’aquò fòrça mai atencion al biais de parlar dels imigrats, en se volent d’anti-racistes sens concession ; aquò los empachava pas – ne cal parlar que dintrèm dins lo còr d’aquesta actualitat tragica  – de tombar dreit dins la trapèla dels estereotipes grafics ereditats del colonialisme : mas cossí, en effiech, i escapar en manejant de figuras que tornan prene los traches de las vielhas caricaturas  que confondan en un sol imatge l’araba e lo musulmans ? S’es vertat, coma zo ditz Bergson, qu’un se rise totjorn amb los de sa parròquia, se pòt almens comprene perqué los interessats rison gaire de se véser aital tractats.

Mas dins nòstra parròquia, vertat, èra plan diferent. Charlie e, abans Charlie, Hara-Kiri, foguèron per nos autres l’expression festiva, gaujosa, « bestia e missanta » de tota una cultura alternativa e rebella que se reconeissiá dins l’antimilitarisme, l’anticlericalisme, la critica e la satira de la França reaccionaria e racista, tant la dels cuòls benesets que la dels sindicalistas chovinistas (lo primièr Bof de Cabu e amai lo segond foguèron, vertat, plan trobats !). Èra un buf, un grand buf d’insoléncia e de libertat. La cultura Charlie participèt dins la annadas 70 e 80, sens cap de dobte, a nos fargar pas solament una ideologia mas subretot una relacion critica al monde social e politic. Es per aquò qu’avèm pogut legitimament sentir qu’una part de nosautres foguèt assassinada lo 7 de genièr passat. Evidentament parli pas aquí de totis los que se son ditz Charlie mas que l’avian pas mai legit. Se son ditz Charlie per identificacion emotiva a las victimas del terrorisme islamic e tanben benlèu per mimetisme, per faire coma los autres ; de còps que i a d’alhors, en ficant lo nas dins lo numerò de dimercès passat, los dels subreviscuts (lo 1178), an deja cambiada lor idea.

Vaquí, la tension que disiái, e formulada aital me sembla pas forçadament una contradiccion. Se podriá aisidament imatginar un Charlie occitan, e es plan domatge que n’i aguèsse pas un. Diriái mai : dempuèi las annadas 70, i a una part de l’esperit Charlie, per lo melhor e amai pel pièger, dins lo quite occitanisme.

Vist que Charlie nos aimava gaire, e que grand part dels militants de la libra pensada, encartats o pas, fan encara e totjorn l’amalgama entre curats e patejaires e confondon la separacion de la Gleisa e de l’Estat – es a dire la laïcitat – amb lo dògme de la lenga unenca, e ben, en reaccion, o per conviccion, de militants de las lengas e culturas de França an uèi la tentacion, dins l’aprèp 7 de genièr, d’associar la defensa de la diversitat linguïstica a la condamnacion de la satira antireligiosa, e d’apelar tot aquò defensa de la diversitat culturala, es a dire an la tentacion de se botan del costat de totis los que volon restrénher encara mai la libertat d’expression, deja de fait plan limitada (e subretot fòrça autòlimitada).

N’ai trobat un exemple espectaclós dins un article del Breton Jean-Pierre Le Mat (Le Blasphème un impératif laïque ?) que cal legir per se rendre compte, çò me sembla, del dangièr. Le Meut se’n pren a l’arrogància  dels libres pensaires, lor manca de respecte escandalos per la religion e utiliza sens trantalhar lo mòt de « blasfèmia » a prepaus de las caricaturas de Charlie. Per el benlèu que i a blasfèmia mas non pas per ièu, perqué, coma zo diguèt Rushdie, ont i a pas de credença i a pas de blasfèmia : la blasfèmia existís pas de per se, la blasfèmia es çò que ven denonciat per aqueste mot. Es plan per aquò que los que defendon « lo dreit de blasfèmia » (dins un país puèi, ont lo dreit justament desconéis lo mot de blasfèmia !) balhan lo baston per se faire bastre. Agachatz per exemple la una de Charlie que fa tant d’escandal dins lo monde musulman : lo profèt se plore en disent, el tanben, « Je suis Charlie ». Ont es aquí l’orribla insulta ? Vist que plore sul chaple de Charlie, lo profèt, es un òme bon, vòl pas que la sang siá versada en son nom. Pr’aquò es una blasfèmia, perque es estat decidit aital, al nom de l’interdit de representacion de Mahomet, del fait qu’es una caricatura, que lo dessenhaire es un « infidel », considerat a priori coma un blasfemaire que que faga, etc. Ièu, la blasfèmia, la vesi pas, perqué reconeissi pas la legitimitat, coma soi pas un cresent musulman, de l’interdit de representacion del profèt, de l’interdit de se trufar d’el, de lo critica, a mai de l’insultar. E vòli poder continuar a zo dire, que soi pas cresent e me rire de la triada dels tres vielhs impostors, sens èsser, ièu tanben, acusat de blasfèmia !

Mas es deja tròp tard, amai la lei siá pas cambiada : tròp de monde coma Le Meut zo dison e aquò a deja un efeit desastros sus la libertat d’expression, perqué aquò fòrça lo monde a l’autocensura. S’aviai lo temps poiriái demostrar cossí Charlie en testa pratica de fait, cap a l’islam, e dempuèi un briu, l’autocensura, per exemple en fasent plan atencion de dire e tornar dire que vira pas en derision los musulmans moderats mas solament los extremistes, distinccion jamai faita pels catolics (perqué demora encara possible e espèri per longtemps, de desparlar dels catolics e del catolicisme sens faire la tria entre los bons moderats e los missants extremistes). Geti pas la peira sus Charlie, l’istòria a mostrat cossí aquesta paur foguèsse justificada e aquesta estrategia prudenciala insufisenta. La limitacion de la libertat d’expression, de fait, es deja activa ; un jorn la lei aura pas qu’a venir ratificar la situacion sociala en parlant – non pas de blasfèmia qu’aquò seriá un retorn en darrèr, a « l’atge mejan », çò dison – mas de « discors d’òdi » o de nafradura del « sentiment religios ». Es aquò que volèm ? Ièu, enfant de l’esperit Charlie, clarament non, me pensi que lo dreit a la satira e a la critica de las religions es quicòm de fondamental e voli pas i renonciar perqué los Libres Pensaires encartats son piòts o de mala fé, o puslèu defendon un’autra fé, tant intoleranta que l’autra. Perqué sus aqueste punt son d’accòrdi amb le Meut : la lei antiblasfèmia, l’avèm en França, amb la benediccion dels çò ditz Libres Pensaires : es la lei que defend la sacralitat del drapel e de l’imne nacional. D’un biais, lo dògme d’unitat e indivisibilitat de la republica es tanben un quicòm de prigondament religios, tant coma l’unicitat sanctificada de la lenga francesa… Dins l’ideologia de la nacion inscrita dins la lei, en França, coma endacomai, de religion ne’n manca pas, vertat. Mas aquò es pas una rason per reclamar, en mai d’aquò, una lei per limitar la libertat de critica e de satira de la religion. Deuriáèsser possible de se mocar de tot e de criticar publicament tot : las religions, la Gleisa e la Mosquea, la Bibla e lo Coran, amai la Republica, evidentament totas las ideologias amai la nòstra ! Bernard Maris se fotiá de la gula dels patejaires, mas demandava pas brica de los tuar o de los botar en prison ! Los jorn ont aurèm una lei per defendre a degun de mancar de respecte per las lengas e culturas minoritarias es pas encara vengut, mas se foguesse lo cas, seriá de marcar, el tanben, d’una peira nègra.

 

Joan-Pèire Cavalièr



[1]« Les aborigènes vont pouvoir parler leur patois, pardon, leur langue, sans se faire rire au nez. Et peut-être même garder leur accent c'est-à-dire leur béret et leurs sabots. [...] Lou Jospinou a raison. Maintenant que le bulldozer jacobin a laminé et éradiqué les pagnolades et les bécassinades, on peut élever les trois douzaines de couillons qui parlent encore leur pataquès (pardon : langue) au rang de patrimoine national et leur apposer un label fermier. »

Eric Fraj : rectification d’une lecture tendancieuse

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Eric Fraj me fait parvenir ce communiqué de presse en réaction à la publication d’un compte rendu de son livre dans l’Express. C’est ainsi : la moindre discussion interne à l’occitanisme est immédiatement interprétée comme un déni du mouvement lui-même. Cela est de bonne ou plutôt de mauvaise guerre. La difficulté, cependant pour nous, une fois de plus, est de faire entendre nos rectifications et, plus largement, notre voix, car, sur le plan de la communication, nous ne jouons pas à armes égales.

J.-P. C.

PS) Vous trouverez sur ce blog le texte de base de ce livre et tout un ensemble d'interventions le discutant et commentant

(version occitane)

 

M. Feltin-Palas, journaliste à l’Express, a mis en ligne sur le site du journal, le 27 janvier 2015, un compte-rendu de mon libre Quin occitan per deman ?, paru en décembre 2013 chez Reclams (pour la première édition). Je le remercie de l’avoir fait : ils ne sont pas si nombreux les journalistes qui, depuis Paris, s’intéressent aux langues dites « régionales ». Cela étant, je ne peux pas me satisfaire du contenu de cet article, présentant trop d’erreurs et de généralisations abusives. En effet :

-  quand il évoque « la violence dont ce milieu est capable », de quoi parle-t-il ? Il y a là un procédé de dramatisation qui déforme la réalité : les occitanistes débattent, parfois vivement, mais la violence, même verbale, y est rare. Donc, rien que de très banal, rien qui n’existe aussi ailleurs…

- quand il affirme que je dénonce « les erreurs de stratégie du mouvement occitaniste » (légende de la photographie), il pratique une globalisation contraire à ce que mon libre fait. Pour moi, il y a plusieurs occitanismes, donc il existe des stratégies différentes selon ce qui est visé et aussi selon le domaine concerné : le politique, l’éducatif, l’artistique, etc., et chacun de ces domaines peut à son tour être divisé en sous-ensembles spécifiques. Mon livre parle donc d’erreurs commises dans certaines pratiques pédagogiques et dans certaines visions de ce qu’est ou doit être la langue et le combat nécessaire à sa resocialisation. Il ne remet pas en cause une « stratégie du mouvement occitaniste » qui, de mon point de vue, n’est qu’un fantasme, dont le rôle est peut-être ici d’effrayer celles et ceux qui n’ont pas connaissance de la réalité effective. Fausse globalisation aussi pour ce qui est du sous-titre (« Le piètre niveau des enseignants ») : une fois encore il oublie les nuances de mon écrit, ce qui donne au lecteur une image globalement négative de l’enseignement de l’occitan et une image bien éloignée de la réalité contrastée qui est la nôtre. Il faut attendre la fin du paragraphe pour avoir un « certains professeurs » plus fidèle à mon propos, mais trop tard, le mal est fait. Quant à l’accent, le lexique ou la syntaxe des nouveaux locuteurs, ma critique porte surtout sur le fait qu’ils sont parfois trop distants de la manière populaire de parler, ce qui peut éloigner l’occitanophone non-occitaniste de l’occitaniste. Il ne s’agit donc pas de dénoncer leur caractère « typiquement français » (au contraire, je revendique la légitimité de bien des francismes – qui permettent la communication avec le peuple – face à un vocabulaire trop littéraire ou archaïque, quand il n’est pas inventé). Mon livre plaide surtout pour l’intelligence de situation : savoir adapter son discours au lieu et à l’interlocuteur. Et de cette obsession mienne, essentielle, centrale, M. Feltin-Palas ne dit explicitement rien…

- le plus grave : le cœur de l’article laisse supposer que, pour moi, l’unicité de la langue d’Oc serait un « mythe fondateur ». Je récuse totalement cette insinuation. Mon livre – il suffit de le lire objectivement – est on ne peut plus clair sur ce sujet : à propos de ma critique de la notion de dialecte, j’y affirme que l’occitan n’est pas autre chose que le languedocien, le gascon, le limousin, le provençal, l’auvergnat, le vivaro-alpin ; l’occitan ne se tient pas en dehors ni au dessus de ces principales modalités, l’occitan EST ces modalités et rien d’autre. Et même l’occitan standard, dont certains font la promotion, ne se dessine pas ailleurs qu’au sein du languedocien, il en est une modalité. L’occitan existe, ce n’est pas un mythe, il est unique (c’est un inter-système différent des inter-systèmes castillan, catalan, italien, portugais, français, etc.) mais pas homogène. L’univocité de ma position semble échapper complètement à M. Feltin-Palas qui s’exprime allusivement, sans définir les termes importants qu’il juxtapose, ce qui fait qu’on ne sait pas trop si la « norme déconnectée du réel »évoquée est l’occitan proprement dit ou un des « deux niveaux de langue » auxquels il fait référence juste après sans autre précision, ce qui fait qu’il confond ma critique de la croyance réaliste au dialecte avec ma critique du mépris que certains manifestent à l’égard du « niveau » de langue dit « populaire ». Confusion involontaire ou volonté cachée de légitimer, en se servant habilement d’un écrit occitaniste, l’idée qu’il n’y a que des langues d’Oc ? Je n’en sais rien, mais l’impression d’instrumentalisation est forte. Pour moi, l’évidence scientifique et existentielle est celle-ci : il n’y a qu’une langue d’0c, une et multiple à la fois, comme l’est d’ailleurs toute langue vivante. Une évidence que partagent aussi l’I. E. O., la FELCO, le Pen Club de langue d’Oc, le CPLO, et bien d’autres institutions et personnes, entre autres la grande majorité des linguistes ; c’est pourtant une évidence que certains ont encore visiblement beaucoup de mal à comprendre …

- ainsi, quand il parle, en général, de « l’enseignement d’une languehors-sol », M. Feltin-Palas fait comme si ma critique touchait l’ensemble de l’enseignement de l’occitan alors qu’elle ne concerne qu’un aspect éventuel, non-systématique, sans caractère massif. L’amalgame et la généralisation abusive continuent quand l’auteur me fait dire que tous les militants occitanistes sont inefficaces (« le manque d’efficacité des militants occitanistes ») ou pris par l’idéologie de la pureté (« (…) ceux-ci vivent dans le mythe de la pureté »). Où je déplore des tentations, des tendances encore minoritaires, des choix individuels, l’article suggère des pratiques généralisées, hégémoniques. Où j’instaure un questionnement (cf. la question ouverte qui donne son titre à mon livre), où je ne fais que prolonger un débat entre égales et égaux déjà entamé par d’autres (Josiane Ubaud sur son blog, la FELCO dans ses textes officiels, et tant d’autres personnes en public ou en privé), la tentation est grande de ne voir, hélas, que le combat inégal d’un donneur de leçons dressé seul contre tous, d’un héroïque Galilée en butte à la bêtise d’une nouvelle Sainte Inquisition. Je ne suis pas sûr que M. Feltin-Palas ait évité cette tentation, ni qu’il ait compris que ma parole, solidaire de la recherche difficile des occitanistes et qui y a sa part, ne fait que cristalliser, qu’expliciter, des considérations, des angoisses et des questions qui étaient déjà dans l’air de notre moment historique…

pour toutes les raisons données ci-dessus, parce qu’il me fait dire des choses que je ne dis pas, j’affirme donc par ce communiqué :

1°) que le compte-rendu de M. Feltin-Palas ne m’apparaît pas véritablement fidèle au propos de mon livre ;

2°) que je regrette l’occasion manquée…

3°) que mon livre dit bien par lui-même de quoi il retourne exactement.

 

                                        Eric Fraj – Carbonne, le 5 février 2015.

Eric Fraj : rectificacion d’una lectura tendenciosa

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Eric Fraj m’a mandat aqueste comunicat de pressa en reaccion a la publicacion d’un compte rendut de son libre dins l’Express. Es coma quò ! La mai cortesa e argumentada discussion interna a l’occitanisme es interpretada sul pic coma una denegacion del quite moviment. Aquò rai, es de bona, amai de marrida guèrra. La dificultat pr’aquò, per nosautres, un còp de mai, es de faire entendre nòstras rectificacions e, mai largament, nòstra votz, que per çò qu'es de la comunicacion, clarament, sèm pas a armas egalas.

J.-P. C.

PS) traparetz sus aqueste blog lo tèxte de basa del libre e mai d'una discussion a son prepaus

(version française)

M. Feltin-Palas, jornalista a l’Express, metèt en linha sul siti del jornal, le 27 de genièr de 2015, un compte-rendut de mon libreQuin occitan per deman ?, paregut en decembre 2013 en çò de Reclams (per la primièra edicion). Le mercèji de l’aver fèit : son pas tan nombroses les jornalistas que, de París estant, s’interèssan a las lengas ditas « regionalas ». Aquò dit, me pòdi pas satisfèr del contengut d’aquel article, tròp plen d’errors e de generalizacions abusivas. D’efièit :

-  quand evòca « la violence dont ce milieu est capable », de qué parla ? Aicí i a un procediment de dramatizacion que revèrta pas la realitat : les occitanistas debaten, de còps vivament, mes la violéncia, quitament verbala, i es rara. Doncas, res que siá pas comun e se conesca pas tanben endacòm mès…

- quand afirma que denóncii « les erreurs de stratégie du mouvement occitaniste » (legenda de la fotografia), fa una globalizacion contrària a çò que mon libre ditz. Per ieu, i a mès d’un occitanisme, doncas existissen d’estrategias diferentas segon çò qu’es visat e tanben segon le domeni concernit : çò politic, çò educatiu, çò artistic, etc., e cadun d’aquelis domenis se pòt al sieu torn devesir en sosensembles especifics. Mon libre parla doncas d’errors dins certanas practicas pedagogicas e dins certanas visions de çò qu’es e deu èsser la lenga e le combat necessari a la sia resocializacion. Somet pas a critica una « stratégie du mouvement occitaniste » que, a mon vejaire, es pas qu’un fantasme que son ròtle es benlèu d’espaurugar le monde que son pas assabentats de la realitat efectiva. Globalizacion falsa tanben per çò qu’es del sostítol : « Le piètre niveau des enseignants » : un autre còp s’oblidan las nuanças de mon escrit, çò que balha al legeire un imatge globalament negatiu de l’ensenhament de l’occitan e un imatge plan alunhat de la realitat contrastada qu’es la nòstra. Cal esperar la fin del paragrafe per aver un « certains professeurs » mès fidèl a mon prepaus, mes tròp tard, le mal es fèit. Quant a l’accent, le lexic o la sintaxi dels locutors novèls, ma critica pòrta sustot sul fèit que son de còps tròp distants del biais popular de parlar, çò que pòt alunhar l’occitanofòne non-occitanista de l’occitanista. S’agís doncas pas de denonciar lor caractèr « typiquement français » (al contrari, reivindiqui la legitimitat de plan de francismes – que permeten la comunicacion ambe’l pòble – fàcia a un vocabulari tròp literari o arcaïc, quand es pas inventat). Mon libre plaideja sustot per l’intelligéncia de situacion : saber adaptar son discors al lòc e a l’interlocutor. E d’aquela obsession mia, essenciala, centrala, M. Feltin-Palas ne ditz pas explicitament res…

- çò pus grave : le còr de l’article deissa supausar que, per ieu, l’unicitat de la lenga d’Òc seriá un « mythe fondateur ». Engeti totalament aquela insinuacion. Mon libre – sufís de le legir amb d’uèlhs objectius – es  mès que clar sus aquel subjècte : a prepaus de ma critica de la nocion de dialècte, i afortissi que l’occitan es pas quicòm mès que le lengadocian, le gascon, le lemosin, le provençal, l’auvernhat, le vivaroalpenc ; l’occitan es pas en defòra ni al dessús d’aquelas modalitats principalas, l’occitan ES aquelas modalitats e res mès. E le quiti occitan standard, que d’unis ne fan la promocion, se dessenha al dintre del lengadocian, n’es una modalitat. L’occitan existís, es pas un mite, es unic (es un intersistèma diferent dels intersistèmas castelhan, catalan, italian, portugués, francés, etc.) mes pas omogenèu. L’univocitat de ma posicion sembla escapar completament a M. Feltin-Palas que s’exprimís allusivament, sens definir les tèrmes importants que juxtapausa, çò que fa qu’òm sap pas tròp si la « norme déconnectée du réel » evocada es l’occitan pròpiament dit o un dels « deux niveaux de langue » qu’i fa referéncia just après sens mès de precision, çò que fa que confond ma critica de la cresença realista al dialècte ambe ma critica del mesprètz que d’unis mòstran pel « nivèl » de lenga dit « popular ». Confusion involontària o volontat amagada de legitimar, en se servissent biaissudament d’un escrit occitanista, l’idèia que i a sonque de lengas d’Òc ? Sabi pas, mes l’impression d’instrumentalizacion es fòrta. Per ieu l’evidéncia scientifica e existenciala es aicesta : i a pas qu’una lenga d’Òc, es una e multipla a l’encòp, coma n’es tota lenga viva. Una evidéncia que partejan tanben l’I. E. O., la FELCO, le Pen Club de lenga d’Òc, le CPLO, e plan d’autras institucions e personas, entre elas la maja part dels lingüistas ; es pasmens una evidéncia que – per d’unis – sembla encara de mal comprene …

- atal encara, quand parla, en general, de « l’enseignement d’une langue hors-sol », M. Feltin-Palas fa coma si ma critica pertocava l’ensemble de l’ensenhament de l’occitan mentre que ne concernís qu’un aspècte eventual, pas sistematic, sens caractèr massiu. L’amalgama e la generalizacion abusiva perseguissen quand l’autor me fa dire que totis les militants occitanistas son ineficaces (« le manque d’efficacité des militants occitanistes ») o tocats per l’ideologia de la puretat (« (…) ceux-ci vivent dans le mythe de la pureté »). Ont deplori tentacions, tendéncias encara minoritàrias, causidas individualas, l’article suggerís practicas generalizadas, egemonicas. Ont instauri un questionament (véser la question dubèrta qu’entitola mon libre), ont fau pas que prolongar un debat entre egalas e egals ja entemenat per d’autris (Josiana Ubaud sul sieu blògue, la FELCO dins sos tèxtes oficials, e tant d’autras personas en public o en privat), la tentacion es granda d’i véser pas, ailàs, que le combat inegal d’un aleçonaire quilhat sol contra totis, d’un eroïc Galilèu expausat a la bestiesa d’una novèla Santa Inquisicion. Som pas segur que M. Feltin-Palas l’aja defugida aquela tentacion, ni qu’aja comprés que ma paraula, solidària de la cèrca malaisida dels occitanistas e que ne pren sa part, fa pas que cristallizar, qu’explicitar, consideracions, angoissas e questions que ja circulavan per l’aire del nòstre moment istoric…

-  per totas las rasons donadas çai-sús, perque me fa dire causas que disi pas, afirmi doncas per aqueste comunicat :

1°) que le compte-rendut de M. Feltin-Palas m’apareis pas vertadièrament fidèl al prepaus de mon libre ;

2°) que regrèti l’escasença mancada…

3°) que mon libre ditz plan de per se de qué ne vira exactament.

                                          Eric Fraj  - Carbona, le dijaus 5 de febrièr de 2015.

Lo compte de los que son pas de compte

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Lo compte de los que son pas de compte

Digression populista

 

(publicat dins lo Jornalet, lo 15 de fébrièr passat)

 

Èri dins lo metrò mondin, i a quinze jorns, e un jovent, un estudiant d’un vintenat d’annadas qu’aviá presa la rama al Miralh, se trufava de la votz occitana e de l’occitan: “sembla de portugués desformat!” çò disiá a un amic. Sèm dintrats dins una discussion de las vivas : ieu mesclavi l’occitan al francès per li mostrar per l’accion que çò que pretendiá—es a dire que l’occitan èra pas mai parlat per degun— èra fals, vist que de locutor, en facia, n’i aviá almens un ! Mas lo tipe contunhava d’afortir en se risent que tot aquò aparteniá a un passat despassat e que la lenga èra mòrta e entèrrada dempuèi longtemps. Li respondèri, meitat en òc, meitat en francés que non, perdon, qu’èri pas encara mòrt, qu’èri pas un mòrt-viu, un zombi vengut trevar las armas dels vius en lor parlant patès dins lo metrò, mas un ciutadan que li agradava d’ausir sa lenga, la lenga del luòc, amai malauta e moribonda e que s’aquò emmerdava de monde coma el, me fasiá un plaser doble !

Aqueste episodi m’a balhada l’enveja d’esboçar una reflexion sus la dominacion culturala que, evidentament, trespassa completament la question de l’intolerància a l’occitan. Aquesta intolerància, si sovent manifestada dins lo metrò tolosenc, es l’expression d’una dominacion simbolica (e plan segur reala) : daissar una plaça dins l’espaci public (èra d’alhors tanben un argument de mon jove disputaire) a çò que devriá pas i èsser, perqué considerat dins e per lo discors dominant, minor, ringard, despassat, risible, mespresable… ambe la consciéncia difusa que, lo sol fait de concedir a-n-aquò, a-n-aquel rebut, a-n-aquel descal, a-n-aquela mèrda lo mendre bocin d’espaci public, en li balhant aital una reconeissença per minima e minimala que siá, sufís a menaçar tot l’òrdre simbolic establit. Vòli dire, quora un jove —o un vielh— colhon ausís de patés pel campestre se contenta de rire francament, amb benlèu una mena d’afeccion compatissanta e condescendenta, mas a pena l’ausís dins lo metrò son rire ven jaune, se mescla d’indignacion, de còps que i a de colèra, perqué l’òrdre —en aqueste cas diglossic—, son òrdre rotinièr acceptat, integrat, interiorizat es bolegat, destorbat, mes en causa. Me zo diguèt: “Coma ciutadan francés, ieu ai lo dreit d’ausir pas que de francés dins lo metrò”…

Lo problema de l’impausicion a tota la populacion d’un modèl cultural o puslèu de modèles (perque fin finala n’i a mai d’un, que se fan concuréncia e tanben s’afortisson l’un l’autre : lo de l’escòla e lo dels mèdias per exemple, e cadun a sas variantas, lo model unic existís pas, e me pensi a pas jamai vertadièrament existit) amb plan segur, lo consent tacit o actiu d’una granda partida d’aquesta populacion —los modèls son acceptats e interiorisats coma modèls, amai sián de còps que i a contradictoris— es evidentament un problema politic, un problema de democracia. Perqué aquestes modèles, dins totas lors variantas, son al servici de los que ne son los promotors a totis los nivels de la societat, los qu’an de poder, pichon o grand, e en primièr lo poder de difusar e de balhar una legitimacion, una autoritat, de far reconeisser lor modèl coma un modèl que forabandís o —pel melhor— desvalua, minora, minimisa, abassa totas las praticas alternativas dominadas, coma praticas despassadas, has been, pas mai de mòda, obscurantistas, reaccionarias o alara desviantas, perilhosas, dissidentas, secessionistas, selvajas, etc. e per aquò de forabandir al nom de la modèrnitat, de la “bona” modèrnitat o de la modèrnitat “necessària” (aquí tanpauc i a pas de consensus, i a los que son per la pilula sucrada e d’autres pel supositòri pimentat). Perque evidentament, demoram totjorn, dins l’encastre d’una ideologia dominanta resolument modernista, a mai se se parla totjorn de critica de la modèrnitat e del progrés, mas es quasiment totjorn per de rire, es solament lo mot de modernitat qu’es pas mai de mòda, mas la causa demòra, la valorizacion del triomf del present sul passat. Mas atencion pas de tot lo present, solament del present de los qu’an lo poder de destriar, es a dire de decretar çò qu’es present e çò qu’es passat. Perque aquí, cal faire atencion e pas se daissar prene dins la trapèla d’aquesta ideologia presentista e futurista: una causa es pas modèrna per esséncia, pòt èsser novèla, de còps que i a, (e d’un biais, tot es totjorn novel, tot çò que viu se renovela, òm se banha jamais dins lo mème flum), mas es modèrn çò que los qu’an lo poder de zo far decidisson a lor profiech de considerar coma modèrn.

En França demora modèrn de mespresar los pateses, l’acordeon, la petanca, tot çò que sentís a pacan e a proletari, mas tanben de se rire de praticas alternativas mai recentas, las de tot lo monde alternatiù, fin finala, considerats coma seissantahuèitards atardats, babas cool qu’an daissat passar lo trèn etc. (a mai e subretot se son de jovents !), e puèi encara de se trufar dels migrants dels paieses paures, la mai granda partida de lors biaisses de parlar e de viure, de se vestir, de praticar una religion. D’autres traches d’aquèlas culturas —musica, coisina, jòias, leteratura, vestits—, podon èsser integrats dins la mòda e venir modèrnes, entrar dins la dança se pòdi dire, venir de produches de consumacion d’un prètz elevats, almens per un temps, puèi en sortir e tornar tant vulgars e risibles —o quasiment— que non pas abans.

Es aital que, diriái, la partida non pas mendre mas benlèu mèger de las praticas culturalas, al sens lo mai larg, son mespresadas, sovent pel quite monde que las fan viure, perque judicadas fòra mòda, fòra jòc, pas (mai) dins lo còp, passeïstas, folcloricas, marginalas, inferioras, etc. A ! Se se fasiá lo compte de los que son pas de compte, se se contava lor conte !

Me passegi per Lemòtges e vau aital, sens quitament zo voler, de lòcs en lòcs ont se debanon de praticas passeïstas e gentiment o malament risiblas: a la Librariá Occitana, plan segur, los vielhs que fan lor òrt sus la broa de Vinhana, los que jogan a las bolas, que bevon lor veire de blanc o de roge sus la terrassa de l’UP, los pescaires a l’anciana, que se son pas encara botats al street fishing, los que manjan la testa de vedèu al mercat cobert… Camini que camini, encontri d’amics, de coneissenças que son militants a la CGT (mai ringard qu’aquò ?), anarchistas (un sègle de retard !), comunistas (quin mòt grossièr !). De Portugueses se tornan trobar dins un local per far de musica e de danças folcloricas de lor region (an pas res mai de far ?); pas lenh, los aficionados de musica punk (n’i a encara ?) organizan un concèrt amb un vielh grope britanic de las annadas ueitantas (son pas mòrts ?). L’Ateneo republicano convida son monde per parlar —encara un còp— de la Republica espanhòla (vielhas lunas !). Al Cercle Gramsci fan una serada sus l’istòria de las cooperativas (nostalgia obrierista !). A Baubreuil, sul prat dabant los ostalasses, una femna turca, vestida a la turca, a sortit per los espolsar totis los tapisses de l’apartament. Sus l’airal del Palais, al fons del bòsc, contra lo camin de fèr, ont son relegats (i a pas d’autres nom) la “gent del viatge”, mos amics los barancoens fan de panièrs, s’en van chinar de ferralha, e pièger encara, cantan a plen de cap Loís Mariano. E dins lo campestre alentorn, ne’n parlèm pas ! L’un va a la caça al singlar, l’autre al “thè dansant”, un tresen a beure un còp dins un bistròt adobat d’imatges porcassièrs, de godemichets de tota matièras e de testas de singlars empalhadas, un bistròt ont l’interdiccion sanitària de la cigaretta es pas jamai estada respectada… Aquí n’ai vist de totas las colors : un que ven bèure en bòtas amb lo tractor, un(a) autre/a travestit(a) sul model de la Gàbia a las Fòlas (1978 !) —e pas per de rire— sietat entre dos caçaires regaudits. Pas luènh, una familha viu sens electricitat dins una iorta (vos rendetz compte, a l’edad de pèira, amb d’enfants!). Discretament un crestian dobtós se’n va del costat de la bona font amb sa botelha de plastic e ne fa tres còps lo torn en marmotejant una preguièra…

Vòli dire subretot, qu’aquò, tot aquò son de realitats presentas, actualas, vivas e non pas passadas. Es la retorica modèrna dels modèrnes que fan e desfan la modernitat qu’afortís que son despassadas e trespassadas. Perque vòli evidentament pas sostener que la vida èra mai polida un còp èra, soi pas aquí a cultivar la nostalgia d’una realitat desapareguda, come zo pretendon los modèrnes autoproclamats, parli de çò qu’existís ara, aquí, que se tolèra (o pas !) a la sola condicion de pas pretendre a la reconeissença publica coma praticas tant dignas que non pas d’autras, acceptadas (o pas) a condicion de se sosmetre a la tirania de la dominacion simbolica dels modèles legitimes, es a dire legitimats pels medias e las institucions. Vos parli doncas d’una umanitat, que ne fau grandament partida, objectivament alienada, negada, minorada e minorizada que pr’aquò es benlèu la mai nombrosa e la mai poissanta. Es per aquò que volèm pas mai demorar dins nòstres traucs, volèm èsser reconeguts per çò que sèm, o puslèu per çò que fasèm : sèm çò que fasèm e fasèm maitas causas, de causas estonantas, que los paures modèrnes dins lo còp, còs e arma aderents als models dominants, prisonièrs de lors pròpis imatges, n’an quitament pas l’idea… Avèm l’avenir davant nosautres, sèm l’avenir del passat !

Joan Pèire Cavalièr

Le compte des laissés-pour-compte

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(publié en occitan dans Lo Jornalet , le 15 février 2015 et ici même, le 22 du même mois. Je ne pensais pas en présenter une version française, mais Baptiste Chrétien, l'ayant traduit pour le donner à lire à un ami non occitanophone, m'a fait l'amitié de me l'envoyer. Je l'en remercie vivement)

 

Le compte des laissés-pour-compte

Digression populiste

 

 

J'étais dans le métro toulousain, il y a quinze jours, et un jeune, un étudiant d'une vingtaine d'années qui avait pris la rame au Mirail, se moquait de la voix occitane et de l'occitan : « Ça ressemble à du portugais déformé !», disait-il à un ami. Nous sommes rentrés dans une discussion très vive : je mêlais de l'occitan au français pour lui montrer par l'action que ce qu'il prétendait – que l'occitan n'était plus parlé par personne – était faux, vu qu'il avait face à lui au moins un locuteur ! Mais le type continuait d'affirmer en rigolant que tout ça appartenait à un passé dépassé et que la langue était morte et enterrée depuis longtemps. Je lui répondis, moitié en oc, moitié en français, que non, pardon, mais que je n'étais pas encore mort, que je n'étais pas un mort-vivant, un zombi venu hanter les âmes des vivants en leur parlant patois dans le métro, mais un citoyen qui aimait entendre sa langue, la langue de cet endroit, aussi malade et moribonde fut-elle, et que si ça emmerdait les gens comme lui, mon plaisir n'en était que redoublé !

Cet épisode m'a donné l'envie d'ébaucher une réflexion sur la domination culturelle qui, évidemment, dépasse complètement la question de l'intolérance à l'occitan.

Cette intolérance, si souvent manifestée dans le métro toulousain, est l'expression d'une domination symbolique (et bien sûr réelle) : laisser une place dans l'espace public (c'était d'ailleurs un argument de mon jeune contradicteur) à ce qui ne devrait pas y être, parce que considéré dans et par le discours dominant comme mineur, ringard, dépassé, risible, méprisable... avec la conscience diffuse que le seul fait de lui concéder, à ce rebut, à ce déchet, à cette merde, le moindre morceau d'espace public, lui donnant ainsi une reconnaissance si minime et minimale soit-elle, suffit à menacer tout l'ordre symbolique établi. Ce que je veux dire, c'est que quand un jeune – ou un vieux – couillon entend du patois à la campagne, il se contente de rire franchement, avec peut-être une pointe d'affection compatissante et condescendante, mais à peine entend-il ce même patois dans le métro que son rire devient jaune, se mêle d'indignation, parfois de colère, parce que l'ordre – dans ce cas diglossique –, son ordre routinier accepté, intégré, intériorisé est remué, dérangé, remis en cause. Il m'a bien dit : « En tant que citoyen français, j'ai le droit de n'entendre que du français dans le métro »...

Le problème de l'imposition à toute la population d'un modèle culturel ou plutôt de modèles (car finalement il y en a plusieurs, qui se concurrencent et se renforcent : celui de l'école et celui des médias par exemple, et chacun a ses variantes, le modèle unique n'existe pas, et je pense qu'il n'a jamais véritablement existé) avec, bien sûr, le consentement tacite ou actif d'une grande partie de cette population – les modèles sont acceptés et intériorisés comme modèles, fussent-ils parfois contradictoires – est évidemment un problème politique, un problème de démocratie. Parce que ces modèles, dans toutes leurs variantes, sont au service de ceux qui en sont les promoteurs à tous les niveaux de la société, ceux qui ont un pouvoir, petit ou grand, et en premier lieu le pouvoir de diffuser et de donner une légitimation, une autorité, de faire reconnaître le modèle comme un modèle excluant ou – au mieux – dévaluant, minorant, minimisant, rabaissant toutes les pratiques alternatives dominées comme des pratiques dépassées, has been, passées de mode, obscurantistes, réactionnaires ou alors déviantes, dangereuses, dissidentes, sécessionnistes, sauvages, etc. et qu'il faut, pour cette raison, rejeter au nom de la modernité, de la « bonne » modernité ou de la modernité« nécessaire » (là non plus il n'y a pas de consensus, il y a ceux qui sont pour la pilule sucrée et les autres pour le suppositoire pimenté). Car, évidemment, on reste toujours dans le cadre d'une idéologie dominante résolument moderniste, même si l'on parle tout le temps de critique de la modernité et du progrès, mais c'est quasiment toujours pour rire, c'est seulement le mot de « modernité » qui n'est plus à la mode, mais la cause demeure, la valorisation du triomphe du présent sur le passé. Mais attention, pas de tout le présent, seulement du présent de ceux qui ont le pouvoir de faire le tri, c'est à dire de décréter ce qui appartient au présent et ce qui appartient au passé. Car ici, il faut faire attention de ne pas se laisser prendre au piège de cette idéologie présentiste et futuriste : une chose n'est pas moderne par essence, elle peut certes être nouvelle, parfois (et d'une certaine manière tout est toujours nouveau, tout ce qui vit se renouvelle, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve), mais ce qui est moderne, c'est ce que ceux qui ont le pouvoir d'en décider ont choisi, à leur profit, de considérer comme moderne.

En France, cela reste moderne de mépriser les patois, l'accordéon, la pétanque, tout ce qui sent le paysan et le prolétaire, mais aussi de se rire de pratiques alternatives plus récentes, celles de tout le monde alternatif, finalement, considérés comme des soixante-huitards attardés, des babas-cool qui ont laissé passer le train, etc. (et aussi, et même davantage, si ce sont des jeunes !), et puis aussi se moquer des migrants des pays pauvres, surtout de leur façon de parler et de vivre, de s'habiller, de pratiquer une religion. D'autres aspects de ces cultures – musique, cuisine, bijoux, littérature, vêtements – peuvent être intégrés à la mode et devenir modernes, entrer dans la danse si je puis dire, devenir des produits de consommation coûtant cher, au moins pour un temps, puis en sortir et redevenir aussi vulgaires et risibles – ou presque – qu'auparavant.

C'est ainsi que, je dirais, la partie non pas moindre mais plutôt majeure des pratiques culturelles, au sens le plus large, sont méprisées, souvent même par les gens qui les font vivre, parce que jugées hors-mode, hors-jeu, pas (ou plus) dans le coup, passéistes, folkloriques, marginales, inférieures, etc. Ah, si on faisait le compte des laissés-pour-compte, si on contait leur conte !

Je me promène dans Limoges et vais ainsi, sans y penser, de lieux en lieux où se déroulent des pratiques passéistes et gentiment (ou méchamment) risibles : la Librairie occitane bien sûr, pleine de livres en patois, les vieux qui font leur potager sur les bords de Vienne, ceux qui jouent aux boules, ceux qui boivent leur verre de blanc ou de rouge à la terrasse de l'Université Populaire, les pêcheurs à l'ancienne, qui ne se sont pas encore mis au street fishing, ceux qui mangent la tête de veau au marché couvert... Chemin faisant, je rencontre des amis, des connaissances qui sont militants à la C.G.T. (quoi de plus ringard que ça ?), d'autres anarchistes (un siècle de retard !), d'autres communistes (quel mot grossier !). Des Portugais se retrouvent dans un local pour faire de la musique et des danses folkloriques de leur région (n'ont-ils rien d'autre à faire ?). Non loin de là, les aficionados de musique punk (il en reste ?) organisent un concert avec un vieux groupe britannique des années 1980 (pas encore morts ?). L'Ateneo republicano invite son monde à parler – une fois de plus – de la République espagnole (vieilles lunes !). Au Cercle Gramsci, ils font une soirée sur l'histoire des coopératives (nostalgie ouvriériste !). À Beaubreuil, sur la pelouse devant les immeubles, une femme turque habillée à la turque a sorti tous les tapis de l'appartement pour les épousseter. Sur le terrain du Palais-sur-Vienne, au fond d'un bois, contre le chemin de fer, là où sont relégués (il n'y a pas d'autre mot) les « gens du voyage », mes amis les manouches tressent des paniers, s'en vont chiner de la ferraille et, pire encore, chantent du Luis Mariano à tue-tête.

Et dans les campagnes alentour, n'en parlons pas ! L'un va à la chasse au sanglier, l'autre au « thé dansant », un troisième boit un coup dans un bistrot décoré d'images pornographiques, de godemichés de toutes les matières et de têtes de sangliers empaillées, un bistrot où l'interdiction sanitaire de la cigarette n'a jamais été respectée... Ici j'en ai vu de toutes les couleurs : l'un qui vient boire en bottes avec son tracteur, un (une) autre travesti(e) sur le modèle de La cage aux folles (1978 !) – et pas pour de rire – assis entre deux chasseurs émoustillés ou désabusés (ou les deux?). Non loin de là, une famille vit sans électricité dans une yourte (vous vous rendez compte ? À l'âge de pierre, et avec des enfants !). Discrètement, un chrétien douteux s'en va du côté de la bonne fontaine avec sa bouteille en plastique et en fait trois fois le tour en marmonnant une prière...

Je veux dire surtout que cela, tout cela sont des réalités présentes, actuelles, vives et non pas passées. C'est la rhétorique moderne des modernes qui font et défont la modernité, qui assure que ces pratiques sont dépassées et trépassées. Parce que je ne veux évidemment pas défendre ici cette idée que la vie était mieux autrefois, je ne suis pas làà cultiver la nostalgie d'une réalité disparue, comme le prétendent les modernes autoproclamés, mais je parle de ce qui existe aujourd'hui, ici, de pratiques que l'on tolère (ou pas !) à la seule condition qu'elles ne prétendent pas à une reconnaissance publique, àêtre reconnues comme pratiques aussi dignes que d'autres, qui donnent le ton. Ces pratiques sont acceptées (ou non !) à condition de se soumettre à la tyrannie de la domination symbolique des modèles légitimes, c'est-à-dire légitimés par les médias et les institutions. Je vous parle donc d'une humanité, dont je fais grandement partie, objectivement aliénée, niée, minorée et minorisée et qui pourtant est peut-être la plus nombreuse et la plus puissante. C'est pour cela que nous ne voulons plus rester dans nos terriers, nous voulons être reconnus pour ce que nous sommes, ou plutôt pour ce que nous faisons : nous sommes ce que nous faisons et nous faisons beaucoup de choses, des choses étonnantes, dont les pauvres modernes, corps et âme adhérents aux modèles dominants, prisonniers de leurs propres images, n'ont même pas idée... Nous avons l'avenir devant nous, nous sommes l'avenir du passé !

Jean-Pierre Cavaillé

Risttuules, La croisée des vents. Découverte de l’estonien

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Risttuules, La croisée des vents. Découverte de l’estonien

 

Le cinéma en VO est un excellent moyen de rentrer en contact avec la musique d’une langue inconnue. Jamais je n’avais entendu d’estonien avant l’aller voir Crosswind : la croisée des vents[1]. En estonien cela se dit : Risttuules.

Risttuules est un film à nul autre pareil, d’une force et d’une beautéà couper le souffle. Le très jeune réalisateur Martti Helde y évoque l’une des pages les plus sombres de l’histoire de son pays : son invasion par les armées russes de Staline le 22 juin 1941 et la déportation massive des élites estoniennes en Sibérie (9000 personnes), dans des conditions terribles. Les hommes sont souvent fusillés, les femmes et les enfants condamnés à la famine et aux travaux forcés dans les « kolkhozes » sibériens. La détention ou semi-détention des survivants se poursuivra jusqu’après la mort du petit père des peuples, en 1953.

Pour donner à voir cette histoire effroyable, qui est restée un tabou jusqu’à la fin de la période soviétique, Helde crée un dispositif filmique unique et inédit : il compose en noir et blanc une suite de tableaux vivants mettant en scène de nombreux acteurs et figurants. Les corps sont arrêtés dans leur mouvement, figés, saisis dans les instants éternels de la séparation, de la souffrance et de la vie exilée et c’est la caméra qui se déplace entre et autour d’eux, scrute les visages et les gestes suspendus, explore l’espace intérieur de ce qui pourrait n’être qu’une photographie, une fresque ou plutôt un groupe statuaire, ne fût-ce les étoffes agitées par l’air printanier d’Estonie ou le vent glacial de Sibérie. Ce dispositif d’une grande beauté dit le temps arrêté, pétrifié, figé de l’arrachement, de la déportation et de la détention à ciel ouvert dans l’immensité sibérienne dont on ne s’échappe pas, sinon en s’accrochant au souvenir des siens, de son mari perdu, du foyer détruit et du pommier qui, sans doute, fleurit encore. Car Helde filme ce drame collectif en suivant le destin d’une femme, Erna, à travers les lettres lues en voix off qu’elle persiste àécrire à son mari, alors qu’elle ne sait s’il est mort ou vivant, ailleurs en Sibérie ou au pays...

C’est cette lecture des lettres, pour la plupart d’entre elles réellement écrites par des déporté(e)s, qui nappe le film d’estonien, dont la musique contraste fortement avec le russe, la langue des bourreaux, réservée à la radio ou aux discours des maîtres du camp/kolkhoze. L’estonien en effet est une langue entièrement différente, non indo-européenne, du groupe que l’on nomme langues ouraliennes, proche du finnois.

J’ai voulu du coup en savoir plus et parcouru un peu de documentation. J’y ai appris que la survie de l’estonien fut longtemps compromise. Au XIXe siècle, la très large alphabétisation du pays (déjà 90 % de la population) se faisait en allemand (du fait de la domination d’une aristocratie foncière germano-balte), germanisation à laquelle succéda une période d’intense russification sous la domination tsariste, avec un système scolaire entièrement dispensé dans la langue des envahisseurs. Cependant, les décennies de la fin du siècle furent décisives par la constitution d’un dense réseau de sociétés qui promouvaient la langue et la culture estonienne. Par exemple, lorsque le folkloriste Jacob Hurt lança une campagne de collectage dans les années 1888, il put compter sur pas moins de 1400 collaborateurs dans tout le protectorat russe de Livonie (aujourd’hui Estonie et Lettonie). Chaque maison ou presque, dit-on, fut visitée et Hurt parvint à rassembler plus de 120 000 pages de documentation et 250 000 pièces de folklore rassemblées. Immense réalisation, lorsqu’on pense que, par ailleurs, les premières œuvres de littérature écrites et publiées en estonien datent des années 1810-1820. On cite surtout le nom de Kristjan Jaak Peterson, dont l’anniversaire, chaque 14 mars, est l’occasion de fêter la langue nationale[2].

Un standard de la langue, qui s’est imposé de manière exclusive, fut établi sur une base dialectale septentrionale (la capitale, Tallin, est au nord !), aux dépens des dialectes du sud (tartu, mulgi, seto et võro, lequel possédait déjà une forme écrite, voir infra).

Un premier établissement d’enseignement privé estonien fut ouvert en 1880, mais il fallut attendre 1920 et l’indépendance nationale durement défendue par les armes (contre l’Allemagne d’abord et l’armée rouge russe ensuite), pour que l’estonien soit largement enseignéà tous les niveaux de la scolarité et officiellement reconnu comme langue nationale.

L’invasion et l’occupation stalinienne en partir de 1941 ne purent remettre en cause cette prééminence de l’estonien, malgré l’installation de nombreux russophones et la promotion du russe au statut de langue nationale. Mais, là comme ailleurs, Staline appliquait le principe de « la culture nationale dans la forme et socialiste dans le contenu », qu’il envisageait comme une transition nécessaire vers la langue mondiale qui pourrait être imposée partout « après la victoire du socialisme ». Le russe, présenté, ou plutôt imposé comme « la langue de l’amitié entre les nations » (!), bénéficia d’un très large enseignement, nombre de russophones n’apprenant pas l’estonien, jugé inutile.

 Tout changea après l’indépendance en 1991, où l’estonien fut décrété seule langue nationale, avec l’adoption d’une politique d’obligation de le maîtriser pour accéder à de nombreux emplois, créant un vent de panique chez les russophones, dont beaucoup sont rentrés depuis dans la mère patrie.

Sur le front des dialectes minoritaires (certains parlent de langues, mais on lit partout que l’intercompréhension entre toutes les variétés est plus ou moins spontanée), le mieux placé est le võro, dans le sud, dont il y aurait 70 000 locuteurs. Il existe une production littéraire contemporaine en võro, un journal bimensuel (Uma Leht) et ce dialecte fait l’objet d’un enseignement optionnel en certains établissements scolaires. Le võro est considéré comme une langue gravement menacée et le gouvernement central (du nord) semble peu enclin à lui accorder une réelle reconnaissance.

Jean-Pierre Cavaillé



[1] Vous aurez noté qu’il n’est désormais plus possible de voir un film classé art et essai tourné en n’importe quel lieu du monde qui ne reçoive un titre anglais. Il y aurait ici matière à un post, car le phénomène est devenu général, envahissant, tout le cinéma du monde nous arrive désormais intitulé en anglais et souvent ces titres sont vraiment inintelligibles pour les non anglophones (et même d’ailleurs pour les anglophones eux-mêmes). J’aimerais savoir quels sont les crétins (publicistes, distributeurs ?) qui ont pensé et décidé pour tous les autres que ces films seraient plus sexys et mieux vus avec des titres anglais. En tout cas le comble du ridicule est atteint lorsque par souci de rendre ledit titre intelligible on le traduit en plus en français, comme ici. Je n’ai rien contre l’anglais, une fois de plus, mais « Croisée des vents » est très bien. D’ailleurs dans ses versions anglaises le titre est l’équivalent du français  In the crosswind, et non Crosswind tout court, mais l’important est la seule présence d’un mot anglais et non son bon usage. Si l’on veut redoubler le titre – et vu que le film est sous-titré cela se justifierait parfaitement , qu’on le donne donc aussi en langue originale !

[2] Quatre vers de lui sur la langue sont partout cités :

Kas siis selle maa keel

Laulutuules ei või

Taevani tõustes üles

Igavikku omale otsida?

Que je traduis à l’aveugle à partir d’une version anglaise : « Ce peut-il que la langue de ce pays/ dans le vent de l’incantation/ s’élevant jusqu’au ciel/ ne vise pas l’éternité ? »

Béarnais, gascon, occitan : la guerre des noms et des graphies

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L’écrivain Sergi Javaloyès m’a demandé de lui faire une petite préface pour l’essai bilingue qu’il va publier incessamment (si ce n’est déjà fait !) : Au nom de lenga ; Au nom de la langue. J’espère que ces lignes vous donnerons envie de vous le procurer.

 

carnaval

 

Béarnais, gascon, occitan : la guerre des noms et des graphies

 

Dans cet essai informé, réfléchi et pondéré sur le sujet on ne peut plus polémique de la façon de nommer et d’écrire la langue historique du Béarn et, au-delà, de l’ensemble de la Gascogne, l’écrivain Sergi Javaloyès pose deux questions essentielles, qui excèdent de loin la seule situation béarnaise et gasconne[1].

La première concerne la relation entre le nom que l’on donne à une langue – et d’abord le fait qu’on la nomme langue ou non – et sa pratique, c’est-à-dire sa vie, car la vie d’une langue est toute dans sa pratique et dans ses usages.

On s’accordera aisément à reconnaître que la pratique linguistique première, majeure et décisive est celle de l’oralité. Une langue vivante est d’abord une langue parlée. Aucun linguiste, quelle que soit son obédience, ne saurait en effet souscrire à l’ineptie de ces définitions confusionnistes qui font de l’existence d’une littérature le critère d’identification d’une « vraie » langue. L’écriture est bien sûr seconde et une langue n’est pas moins langue qu’une autre parce qu’elle n’est pas écrite, parce qu’elle n’a pas de littérature au sens strict (on parle certes de littérature orale mais ce concept est, littéralement, oxymorique). Tel n’est certes pas le cas de ce que l’on nomme béarnais, gascon, occitan (ces mots entretenant, selon qui les prononce, des relations d’inclusion et d’exclusion, voir infra), qui s’écrit depuis le Moyen-âge et possède une belle littérature. Mais il ne faut jamais oublier que la plus grande partie des langues parlées aujourd’hui encore dans le monde ne sont pas écrites par leurs locuteurs, et que ce fut aussi le cas de la totalité des langues humaines avant l’invention de l’écriture.

Ainsi naît une autre question et un étonnement légitime : pourquoi la plupart des querelles autour des langues sans État, dans les cultures où règne l’écriture, se polarisent-elles si souvent sur des questions de graphie ? Cela est encore plus aigu pour les langues historiques de France, et tout particulièrement pour ce que j’appelle l’occitan (voir infra), dans toutes ses variantes : alors que la langue parlée est dans la situation la plus critique qui soit, pourquoi faire de la graphie une question de vie ou de mort ? Ce qui revient à se demander – et c’est là justement la deuxième question que pose Javaloyès dans son essai –, ce que cache la graphie, de quoi l’obsession graphique est-elle le signe ou le symptôme ?

 

            Envisageons d’abord le conflit des noms qui repose sur une conception foncièrement cratyliste selon laquelle le nom exprimerait l’essence d’une réalité, elle-même une et identique dans la durée, une identité essentielle que le nom révèlerait et contiendrait. Le fétichisme et l’essentialisme du nom sont inséparables du mythe de l’origine, selon lequel depuis « toujours », le nom a nommé une chose elle-même immuable, derrière ses apparences changeantes. Inversement, un nom manquant d’ancienneté trahirait la nouveauté de la chose, qui ne commencerait à exister qu’au moment où le nom apparaîtrait, mais il s’agirait alors d’un aveu de moindre existence, voire d’inexistence pure et simple de la chose, puisque pour cette représentation platonicienne des noms et des choses, n’existe que ce qui a toujours été et toujours sera.

Ainsi oppose-t-on le nom de « béarnais », associé– souvent du bout des lèvres – à celui de gascon, qui dirait la langue dans sa vérité et pureté originelle, au nom, honni par les béarnistes, « d’occitan ». L’occitan, comme ce nom seul suffirait à le prouver, désignerait une « autre » langue, venue du dehors – du Languedoc voisin – artificielle et récente, et cherchant à se substituer au béarnais. L’occitan est un étranger, un imposteur venant chasser le béarnais de son propre lit. Le problème, en Béarn – mais le même schéma se reproduit dans presque tous les lieux où il se trouve des locuteurs pour utiliser le mot d’occitan – c’est que le béarniste et l’occitaniste du Béarn parlent bien la même langue, du moins à l’oreille cela ne fait-il nulle différence. Mais dans les têtes, c’est autre chose !

Qu’il s’agisse de la même langue, est en tout cas ce qu’affirme l’occitaniste du Béarn et d’ailleurs, car le béarniste invoque généralement, comme preuve qu’il n’en est rien, la graphie dite classique de l’occitan, entièrement différente de la sienne, mise au point par l’Escole Gastoû Febus, reposant sur le code d’écriture phonétique du français (Javaloyès retrace avec précision cette histoire des graphies du béarnais dans son essai). La graphie classique de l’occitan est une modernisation et une rationalisation de la graphie médiévale des troubadours qui s’adapte aux différences dialectales et sous-dialectales. Les dialectes et sous-dialectes, parmi lesquelles le gascon et donc le béarnais, sous dialecte peu et mal défini du gascon[2], constituent en effet, pour les occitans, la langue occitane.

Affirmer que la langue n’est pas la même parce que la graphie diffère est évidemment irrecevable si l’on prend comme référence la langue parlée, qui fait loi. Il est par contre légitime de critiquer cette graphie, d’affirmer qu’elle est mauvaise, moins bien adaptée à son objet que la graphie à la française, ou qu’elle est plus malaisée à enseigner, etc. À condition, bien sûr, d’en produire la démonstration…

            Je reviendrai sur cette obsession graphique qui est en fait partagée par les deux partis, et il faudra essayer de comprendre pourquoi. Pour l’instant, je me contenterai de souligner qu’en l’occurrence, le fond de l’affaire (mais il se pourrait qu’il s’agisse d’un double fond !) est l’affirmation par les béarnistes, que leur langue est différente des autres « langues d’oc ». C’est le pluriel qui importe ici, là où les occitans parlent au singulier, mais un singulier (une langue, l’occitan) qui enferme une pluralité (des dialectes occitans). Pour les béarnistes, leur langue – étendue non sans réticence à l’ensemble gascon – serait une langue à part entière, à côté des autres langues d’oc : le provençal, le languedocien, le limousin, l’auvergnat…

Chacune de ses langues possèderait son nom naturel, c’est-à-dire celui du territoire où elle est parlée, et l’occitan n’existerait donc pas. Le nom exprimerait le lien intrinsèque unissant la langue et le territoire. Comme l’Occitanie est un territoire non appelé ainsi par la plus grande majorité de ses habitants, un territoire qui n’a aucune existence juridico-politique, parler d’occitan n’aurait aucun sens. Par contre, l’invocation d’un nom de territoire, surtout s’il est établi de longue date, s’il dénomme ce qui a pu être une entité politique, comme celui de Béarn, suffit à légitimer l’idée qu’il existerait une langue consubstantielle à ce territoire. Javaloyès montre combien la promotion par le Félibrige des notions de « terre » (une « terre » qui parle vrai et dont le nom dit la « vérité »), de « pays » et de « petite patrie » a pu influer sur ceux qui, aujourd’hui chargent l’occitan de tous les maux, le percevant comme une langue métisse, impure et étrangère.

Or, il va de soi que ces représentations, si importantes pour la sociolinguistique, n’ont aucune pertinence linguistique. Elles montrent par contre, au-delà de la rhétorique du sang, de la souche, des racines et du terroir, combien les découpages et dénominations territoriales, jusqu’à celles des départements, pourtant créés pour détruire les découpages régionaux plus anciens et jusqu’à toute idée d’identité politique et culturelle des territoires régionaux ainsi émiettés sous l’autorité directe de l’État par ses préfets, influent sur la dénomination et même la perception que les populations se font de leur langue : ainsi entendrons-nous « langue limousine », « limousin », ou patois (au singulier !) du Limousin, ou même patois de la Haute-Vienne, voire patois du canton de Nantiat ou du canton de Bellac. Une fois le département aboli, pourra-t-on encore parler du patois du Tarn ou de l’Ariège ? Certainement, du moins autant de temps que ces mots renverront dans les représentations à des unités territoriales de référence, fussent-elles abolies.

L’occitan, lui ne peut se revendiquer que d’un territoire virtuel, l’Occitanie, qu’aucune institution politique ne reconnaît. Si l’Occitanie venait à exister un jour, il deviendrait évidemment « normal », « naturel », de parler d’occitan, autant que de parler de français (comme on le faisait bien avant que la langue ne soit unifiée), et pourtant cela ne ferait aucunement de l’unité du territoire un critère linguistique pertinent de l’unité de la langue ! Les arguments décisifs pour considérer que tous les parlers d’oc forment une seule langue – quel nom qu’on lui donne (mais il n’en existe pas d’autre sur le marché, hormis Langue d’oc, trop facile à confondre avec languedocien) – ne manquent pas. Le critère décisif, pour moi, est l’intercompréhension spontanée, retenue souvent comme critère majeur, et pourtant fragile (puisque soumis à la subjectivité des locuteurs) de la définition d’une langue. Or, celle-ci est indéniable et chacun peut en faire l’expérience.

Lorsque, venant d’Albi et de Toulouse, je suis arrivé en Limousin il y a une dizaine d’année, d’entrée de jeu, les différences phonétiques, lexicales et syntaxiques considérables ne m’ont pas empêché de comprendre immédiatement la quasi totalité de ce qui se disait. A l’Estivada de Rodez, dans les manifs unitaires ou au téléphone, les échanges avec les Gascons, les Provençaux, les Auvergnats et même (bien que moins aisément) avec les Catalans[3] sont spontanés, chacun parlant en son idiome propre … Il y a deux semaines, à Nantiat, dans le Nord Limousin, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière linguistique avec le pays marchois, alors que je présentais un film documentaire tourné dans la langue du cru, un ancien marchand de bestiaux prit la parole pour raconter ses expériences linguistiques : partout, raconta-t-il, dans les régions du « sud », « jusqu’aux Pyrénées » ; pour attirer la sympathie et par plaisir, il avait sa vie durant, selon ses propres termes, « patoisé » et s’était toujours fait comprendre. Cette intercompréhension spontanée, qui repose évidemment sur un fort ensemble de traits morphologiques, syntaxiques et phonologiques communs, à elle seule, est tout de même un critère sérieux pour considérer que nous avons affaire à ce que l’on peut appeler une langue, certes irréductiblement et complètement contenue dans ses différenciations dialectales et sous-dialectales. C’est du reste ce dont conviennent aujourd’hui la plus grande part des linguistes.

Mais sur ces questions, il n’y a pas, il ne saurait y avoir de consensus, car les considérations linguistiques sont toujours prises dans des engagements idéologiques, d’autant plus violents qu’ils ne s’énoncent pas directement.

Ces engagements concernent d’abord, mais certes pas seulement, ce que l’on veut faire de la langue. Si je me reconnais dans le nom d’occitan, c’est que je pense que ce que j’appelle ainsi mérite un avenir, vaut la peine d’être transmis et promu par tous les moyens : l’école, les médias, la famille aussi bien sûr. Si je dis occitan, c’est aussi que je tiens à l’enrichissement mutuel de tous ses dialectes constitutifs, par leurs confrontations et leurs rencontres et non par leur séparation. Je le dis d’ailleurs d’emblée, les seuls – mais immenses – intérêts que je vois à la graphie dite classique est qu’elle est un moyen de communication interdialectale, un moyen d’échange panoccitan, et qu’elle est aussi un outil d’enseignement efficace, à la fois du dialecte parlé autour de soi et de tous les autres. Dire occitan, c’est donc exprimer une forte curiosité pour l’ensemble des parlers d’oc, qui ne préjuge en rien de l’intérêt et de l’amour que l’on peut avoir pour le sien propre. Dire occitan, c’est aussi donner une chance d’avenir aux parlers qui le constituent, affirmer l’existence d’un patrimoine linguistique commun, riche, varié et possédant une dignité linguistique à part entière.

Car ce n’est pas un hasard, me semble-t-il, si l’on oppose toujours à l’unité et à la noblesse auto-revendiquées de l’occitan, considérées comme artificielle, fallacieuse et pleine de ridicule et vaine arrogance, la multitude, disparité et modestie (et bien souvent l’insignifiance) des « patois ». La négation de l’existence de l’occitan se fait en effet toujours ou presque au nom des patois, aujourd’hui encore. J’en ai glané quelques exemples récents sur internet, que chacun pourra retrouver : que l’on en juge ! « L’occitan est une invention née après la Seconde Guerre mondiale pour tenter d’unifier les nombreux patois locaux parlés dans le Sud de la France. Mais c’est une sorte d’espéranto qui ne repose sur aucune base linguistique avérée. En fait, l’occitan n’existe pas ! » ; « Je considère que l’occitan est une invention du XIXe siècle, tentative pour fédérer une myriade de patois locaux sous une bannière de droite conservatrice » ; « l'occitan est une invention récente de la mitterrandie, une sorte d’agrégat des patois de la Charente à la Provence » ; « L’occitan n'a jamais existé. C’est une création moderne, une sorte de pot-pourri des patois du Sud-Ouest » ; « Non, l’occitan n'a jamais existé sous la forme unifiée que veulent nous imposer les occitanistes. Il n’a jamais existé qu’une mosaïque de patois oraux servant à une communication de base au sein de communautés restreintes »[4].

Toutes ces déclaration disent quasiment la même chose dans les mêmes mots : il n’existe que des micro-parlers ultra-localisés et purement oraux (toute existence d’une littérature millénaire se trouve ainsi par la même occasion niée), qui ne sauraient, d’aucune façon, faire langue. C’est évidemment qu’ils sont d’abord victimes d’une représentation typiquement française de la langue, selon laquelle on ne peut vraiment parler de langue que si elle est unifiée et standardisée de longue date sous le contrôle d’institutions nationales. L’occitan n’existerait pas, car il serait une fabrication récente (dans une temporalité qui court du XIXe siècle à la « Mitterandie » d’après 1981 !), un esperanto que personne ne parlerait en dehors des occitanistes. C’est aussi ce qu’affirment tous ceux qui, comme les béarnistes, disent que les patois forment naturellement non une langue, mais des langues distinctes en des territoires séparés. Ainsi existe-t-il une alliance objective et profonde entre ceux qui soutiennent qu’il n’y a rien d’autre qu’une myriade de patois locaux et les tenants des langues d’oc, qui généralement d’ailleurs trouvent entièrement légitime l’usage populaire du terme de patois, alors que la plupart des occitanistes voient dans ce terme la marque de la plus grande aliénation linguistique.

Pour ma part, et je ne suis pas isolé, je suis beaucoup plus mesuré car il n’y a aucune raison de déligitimer la manière dont les locuteurs nomment ce qu’ils parlent, parce que, justement ils le parlent en quelque sorte avec et même dans ce nom qu’ils lui donnent. Il est donc normal de parler de patois avec les locuteurs qui utilisent le terme, souvent sans aucune dépréciation, du moins consciente d’elle-même. Par contre il va de soi que désigner la langue par ce mot dans les relations avec le public et les autorités revient ipso facto àôter toute légitimitéà un aide publique et à toute forme d’enseignement (« le patois ne s’apprend pas, il se sait ! »). Je note d’ailleurs que les mouvements anti-occitanistes convergent pour la plupart dans une position vis-à-vis de l’enseignement scolaire, qui oscille entre le scepticisme et la franche hostilité[5]. Javaloyès, vice président de la confédération des écoles Calandretas en sait quelque chose et ce n’est pas seulement ce système particulier qu’ils rejettent – associatif et laïque sous contrat – mais implicitement toute autre forme de transmission conséquente de la langue aux enfants, puisqu’ils ne proposent aucune alternative. Or, pour ma part, je constate que seul l’enseignement par immersion – outre évidemment la transmission directe familiale ou de voisinage – est susceptible de créer des locuteurs qui, certes, s’étiolent vite lorsqu’ils sont soustraits de toute pratique hors de l’espace scolaire. Pourtant, l’occitan est accusé– il faut bien un bouc émissaire, lorsqu’on estime que la grande patrie ne saurait d’aucune façon avoir contribuéà diminuer les petites – d’être l’assassin et le fossoyeur de la langue parlée, parce qu’il trahirait celle-ci en lui imposant un mode de transmission illégitime (l’école) et surtout les atteintes atroces d’une graphie barbare, hispanisante (dit-on !), mauresque, apatride qui aliènerait à tous jamais la langue maternelle, la langue de la terre, du pays et du sang.

Car, nous l’avons déjà dit, la preuve du mensonge occitan, la preuve de son imposture, du fait qu’il serait autre chose que ce qui est véritablement parlé par les locuteurs (l’idée que l’occitan se construirait en dehors des patois et contre eux a largement pénétré les esprits), résiderait, comme on l’a dit, dans l’usage d’une graphie commune à l’ensemble occitan, qui ne change pourtant nullement les façons de parler, puisqu’elle est au contraire sensée s’adapter à une diversité intrinsèque et irréductible.

Il nous faut donc revenir sur cette question, mais en précisant que le rejet de la graphie classique, à laquelle il est reproché, entre autres choses, son archaïsme médiévalisant, est inséparable de la dénonciation du déficit d’ancienneté et du nom et donc, selon le paralogisme déjà décrit, de la chose elle-même. L’occitan dissimulerait ainsi sa nouveauté derrière une fausse apparence d’antiquité.

Or il est évident que l’occitanisme lui-même tombe largement dans le piège de l’origine. Il est à la recherche de la reconnaissance et de la légitimité niée de l’occitan à travers les démonstrations récurrentes d’un être et d’une unité pérennes et originaires. Comment pourrait-il d’ailleurs en aller autrement, sur ce terrain, où seul celui qui rend crédible sa participation mythique à l’origine est légitime ? Ainsi de la supposition erronée, reposant sur l’existence de la koinèécrite des troubadours, d’une langue unique médiévale qui se serait diversifiée au fils des temps du fait de la perte d’autonomie culturelle et politique (ce qui est une grossièreté historique et linguistique). Ainsi des efforts pathétiques pour démontrer que le nom présente lui-même tous les caractères d’antiquité (Occitania, Occitanus, occitanica, etc.), avec bien sûr une référence obligée et appuyée aux troubadours. Et il va de soi que l’adoption de la graphie classique, en effet délibérément archaïsante et étymologisante, est étroitement liée à cette quête de légitimité par l’origine et l’antiquité. Le fait qu’elle soit indiscutablement plus simple et plus rationnelle que la graphie calquée sur le français, et qu’elle soit facile à enseigner et à acquérir, n’y change rien.

Ici, il me semble pour ma part qu’il ne faut pas traiter à la légère l’injonction des félibres gascons « d’ana au pòble », reprise par certains membres de l’Escola Gaston Fébus contre la graphie classique (« un soul tesic : ana au pòble e ha-s coumpréne d’et », André Serrail), pour justifier l’option d’une graphie fondée sur le français. On peut toujours, et l’on doit se demander, comme le fait Javaloyès, qui est ce peuple anonyme et, par définition, muet, vers lequel il faut aller, pour l’éclairer de ses lumièred et lui faire lire, sinon écrire, sa propre langue ? Mais il n’en demeure pas moins, que la question de l’accès immédiat au code de lecture, pour des locuteurs dont la seule langue écrite est le français, se posait et se pose en fait toujours, dès lors que l’école de la République se refuse à enseigner aux enfants (exception faite des rares classes òc-bi et cours d’initiation tardifs) les rudiments du code alternatif, à mon sens en effet plus cohérent, proposé par la graphie classique. Quel crève-cœur d’entendre prononcer rigoureusement à la française les panneaux bilingues ou le mot calandreta, parfois de la bouche même des parents de calandrons, ou celui d’occitan, ou d’Occitania ! C’est pourquoi je comprends la tentation d’opter pour des graphies à la française, aisément accessibles et utilisées spontanément par les gens pour baptiser leurs maisons, vanter des spécialités culinaires et autres produits marchands. Je trouve en outre tout à fait légitime de republier les textes écrits dans des graphies basées sur le code français sans les traduire systématiquement en graphie classique, ne serait-ce que par respects pour les personnes qui les ont lues dans leur jeunesse sous cette forme.

Pourtant je suis convaincu qu’il faut continuer à promouvoir la graphie classique qui, je l’ai dit, présente le mérite insigne de se plier aux différences dialectales, et s’est de toute façon largement imposé dans le monde de l’enseignement, de la recherche, des médias occitanes (ils sont rares, mais il y en a !) ; de sorte qu’elle s’impose naturellement à moi, dès lors que je recherche la communication la plus large possible. Ceux qui la critiquent tant ne trouvent rien à redire au français, qu’ils prennent comme base de leur graphie, alors qu’il souffre de l’une des pires orthographes du monde ! Mais c’est que s’agissant de la langue nationale encadrée par l’Académie la question de la légitimité de la graphie française ne se pose pas ; elle est imposée par le haut à tous, et ceux que le médiévalisme de la graphie occitane classique hérisse, bichonnent sans sourciller d’absurdes accents circonflexes à valeur purement étymologiques (ci git un « s » !), et un tas d’autres idioties graphiques que j’applique, parce que l’on ne saurait se soustraire aux règles communes de la communication écrites sans renoncer à la communication elle-même. C’est pour la même raison que j’utilise, sans état d’âme, la graphie alibertine quand j’écris en occitan. Son intérêt majeur est qu’elle permet la communication écrite interdialectale : grâce à elle, il existe une littérature, une presse papier, des journaux et blogs en ligne à la fois dialectale et panoccitane.

On pourrait, on devrait évidemment penser que la graphie n’étant qu’une façon d’écrire et non de parler, est, comme on l’a dit en commençant, une question tout à fait secondaire par rapport à l’urgence absolue de transmettre la langue parlée. On pourrait se dire « la graphie, aquò rai ! » : rien de plus facile que de reconnaître également deux systèmes, comme le font les jurys d’examens et de concours d’enseignement autorisant à composer en graphie classique et en graphie mistralienne. Il en va de même pour le nom : ils peuvent aisément s’articuler : rien n’est plus courant ici d’entendre dire, sans problème majeur (nous n’avons pas de limousinistes !), langue limousine, occitan limousin, occitan et même patois limousin ; rien n’est plus simple que de marteler que ces mots désignent la même réalité linguistique, même si l’on préfère pour de bonnes ou mauvaise raisons l’une ou l’autre de ces appellations.

Mais il n’en va pas ainsi, car la graphie est toujours plus qu’elle-même, elle est toujours associée, non certes par essence, la non plus (à la façon des idiots qui disent que la graphie alibertine est fasciste puisque Alibert s’est compromis pendant la guerre – mais que faisait à la même époque les membres de l’Académie française ?), mais conjoncturellement à des représentations de la langue, à des façons de la concevoir, de l’identifier, en relation avec des valeurs. La graphie est toujours le vecteur d’idéologies linguistiques et politiques en même temps. C’est le cas même lorsqu’on ne la discute qu’à l’extrême marge, comme pour le français (enlever les circonflexes, pour certains revient à martyriser, tuer le français !). Cela est beaucoup plus évident lorsqu’il y a concurrence et conflit des graphies. Javaloyès, dans son essai, montre ainsi les enjeux du conflit, non seulement concernant les représentations de la langue, de son statut, de son passé et de son avenir, mais aussi des valeurs qui lui sont immanquablement associées, car une langue ne saurait être un simple instrument, un simple outil technique de communication ; elle engage nécessairement l’ensemble des règles et des valeurs sociales dans lesquelles se reconnaissent les locuteurs et qui ne font jamais l’objet d’un consensus, mais sont toujours en discussion. Au lecteur de se retrouver plutôt dans les valeurs promues par les béarnistes ou dans celles défendues par les occitanistes.

            Il est une question cependant que Javaloyès ne fait qu’effleurer et que nous ne pouvons évidemment instruire ici : elle est celle des raisons pour lesquelles la résistance à l’occitan en Béarn est si forte. Ces raisons me semblent relever de l’histoire politique et culturelle du Béarn, ou plutôt de la représentation multiséculaire que s’en font de nombreux habitants de la région : elles tiennent à la très forte conscience historique de l’identité béarnaise en particulier et gasconne en général, appréhendée dans une relation intrinsèque immédiate, sans médiation aucune, avec l’identité française. Il faudrait ici convoquer l’histoire du règne de Navarre, qui a fourni à la France un roi et une dynastie qui ont introduit l’absolutisme et le centralisme. Il faudrait aussi évoquer le mythe et la réalité des cadets de Gascogne versant leur sang pour les rois de France, faisant fortune ou rencontrant l’infortune à la ville et à la cour, c’est-à-dire au lieu même du pouvoir central. Il faudrait enfin décrire et analyser l’exaltation récurrente, inséparable de cette représentation guerrière et royale, du gascon « des montagnes » dont Montaigne est l’un des premiers artisans : un langage « beau, sec, bref, signifiant, et à la verité un langage masle et militaire, plus qu'aucun autre », parmi une multitude d’autres « langages » du sud du royaume, « brodes » (efféminés), « traînants » et « esfoirés »[6]. Ainsi, l’articulation de la petite patrie à la grande est-elle spontanément appréhendée comme une espèce d’union mystique entre le Béarn et la nation française, monarchique ou républicaine, qu’aucune altérité ne saurait venir troubler. L’occitan vient rompre cette union sacrée, ce lien consubstantiel. Il s’interpose entre la petite et la grande patrie ; aussi est-il perçu comme l’instrument à la fois du parti de l’étranger et de l’ennemi intérieur.

Tout cela n’est, une fois encore, qu’une question de nom, mais le nom est et sera toujours le vecteur de toutes les dissensions et de tous les conflits. Heureusement que les mots et les noms ne cessent de changer de sens, tout comme les configurations culturelles et sociales auxquelles ils appartiennent et dont ils sont les étendards. A nous de les transformer.

 

Jean-Pierre Cavaillé



[1] Javaloyès a reçu le prix Joan Bodon pour son roman L’Ora de partir, en 1998 et le prix Jaufre Rudèl pour Tranga & Tempèstas en 2006. Outre une œuvre romanesque, il a aussi à son actif de la poésie (par exemple son épopée du gave de Pau Sarrom Borrom) et des essais.

[2]« On voit par exemple qu'on oppose traditionnellement béarnais et gascon, alors que celui-ci n'est qu'un sous-dialecte, assez mal caractérisé, de celui-ci. Il est évident que c'est le cadre historico-géographique du Béarn qui a imposé cette vision erronée des faits », Pierre Bec dans La langue occitane, Paris, P.U.F., p. 33-34, n. 1.

[3]Évidamment, cette intercompréhension avec le catalan met en cause la légitimité de la séparation de l’occitan et du catalan, comme s’il s’agissait de deux langues entièrement distinctes et du même coup met en évidence une limite de la notion même d’occitan.

[4] Respectivement, André Joly cité sur le site de l’IBG ; internaute signant Boralion (site Dépêche du Midi, 9/11/2014) ; autre internaute signant Conophobe (site Dépêche du Midi, 16/06/2011) ; Geneviève Monteilhet (de Garlin, 64, site Sud-Ouest, 04/02/2012) ; internaute signant Jean Aimarre (site Dépêche du Midi, 24/10/2009). Les italiques sont de moi.

[5] Pour Jean Lafitte par exemple, l’apprentissage de la langue, limitéà des chansons et à des textes, vient après et comme en complément de l’histoire régionale : « Pour le gascon d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées, comme pour toutes les langues historiques des autres régions de France, le réalisme me conduit à préconiser avant tout un enseignement aussi vivant que possible de l’histoire du pays, en relation avec les lieux et les monuments ; il devrait être assorti d’une initiation à la langue par les chansons et l’étude de textes des diverses époques, et notamment, pour le gascon et sa variante béarnaise, des œuvres si belles que nous ont laissées les Félibres », « À l’école : enseigner les langues ou l’histoire des régions ? », blog de l’auteur pourtant intitulé : Autour du gascon. Lettres à mes élèves.

[6] Essais, II, 17, De la presumption.


François Bon, ermite du Mont-Anis et son « Occitagnie » mystique

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puyenvelay

 

François Bon, ermite du Mont-Anis et son « Occitagnie » mystique

 

Voici un texte qui va plaire à tout le monde : aux occitanistes, car il montre qu’en 1837 on pouvait considérer que le Puy-en-Velay était en « Occitanie », et il va plaire aussi aux anti-occitanistes, car il est écrit par un auteur, François Bon, dit Michée ou l’Ermite du Mont-Anis, catalogué parmi les fous littéraires et donc assez peu crédible.

François Bon est un auteur à redécouvrir, sans nul doute, car sa prose est fascinante, comme les extraits suivants le montrent et je conseille tous les lecteurs de mettre le nez dans l’ouvrage dont ils sont tirés. On le trouve aisément sur Google Books et le site Gallica. Le titre en est le suivant :  Histoire de la vérité sortie du fond du puy, écrite par elle-même, ou le pauvre Michée, l’hermite [sic] du Mont-Anis, interprète des oracles, mystères, visions et prophéties, tant de l’ancien que du nouveau Testament, qui doivent servir, par leur accomplissement, à prouver la divinité de la révélation et de la religion chrétienne, afin d’éclairer les hommes à la fin des temps. Un ouvrage d’apologétique chrétienne donc, mais vraiment très, très spécial, largement fondé sur des visions et révélations personnelles et des spéculations cabalistiques sur les lettres et les nombres. Notamment, nous le verrons, la lettre G se trouve érigée en symbole majeur de la divinité en relation directe avec la manière dont Dieu se dit en son Velay natal (Gieaou dans sa graphie toute symboliste).

François Bon se présente lui-même comme un «prophète » et un « illuminé » annonçant en particulier la création au Puy-en-Velay d’une nouvelle Jérusalem terrestre, la Jérusalem occidentale faisant pendant à la Jérusalem orientale. Monarchiste forcené, Napoléon est pour lui, littéralement, l’antéchrist annoncé par l'apocalypse de Jean.

L’un des textes de son ouvrage est autobiographique : il y raconte sa vie « antémystique ». Né au Puy en 1761, il fut longtemps, comme son père, négociant en tissus, dans le nord de la France, avant de s’installer à Paris en 1801, s’y faisant discrètement connaître par un journal produisant des recettes infaillibles pour gagner à la loterie. Il se maria deux fois, connut diverses banques-routes et fit plusieurs métiers (représentant de commerce, caissier…), jusqu’à la nuit du 28 septembre 1820, celle de la naissance du Comte de Chambord, où toujours résidant à Paris, il prétend que l’archange Saint-Michel lui apparut pour lui révéler, par un très complexe calcul, qu’en 1821 « le grand consolateur » reviendrait pour mettre fin aux « malheurs de la terre ». D’autres visions suivront, comme celle de la « vérité mythologique », sous la forme d’une « femme presque nue »… Il revint vivre au Puy, et creusa lui-même une petite grotte d’ermite à trois kilomètre du Puy, sur la route de Clermont-Ferrand, au col de la Paille, débitant aux passants, « de la bière, du vin, de l’eau-de-vie et autres rafraîchissements »…

Pour ma part, je n’ai aucune affection pour la catégorie de « fou littéraire », dans lequel on a fourré l’ermite du Mont-Anis. Une lettre que lui adresse le préfet de la Haute-Loire, qu’il ne cesse de solliciter, montre bien qu’il n’était pas considéré par les autorités seulement comme un simple fou ou un doux rêveur, mais comme répandant des idées nouvelles, dangereuses pour lui et pour les simples ; aussi l’autorité préfectorale lui demande-t-elle de se laisser dorénavant guider par le clergé et de renoncer à publier ses fantaisies. François Bon, du reste, ne cherche pas à faire œuvre littéraire, mais à remplir la mission prophétique dont il se sent investi. Son style en tout cas et ses vaticinations cabalistiques méritent que l’on prenne le temps de le lire.

 

 

Extraits de L’Histoire de la vérité sortie du fond du puy, écrite par elle-même

 

Aussitôt je me retournai pour voir de qui était la voix qui me parlait et m’étant tourné, je vis le juste qui crie ; au moment que je l’aperçus je tombai comme mort à ses pieds, mais il mit sur moi sa main droite et me dit, ne craignez point, je suis L’alpha et L’oméga, le premier et le dernier, je suis le coq et l’oiseau jeai. Souva de l’aigueo, ieaou sei l’ieaou de gieaou, d’aquei d’aqui es espelly la coulombo dei Saint-Esprit. Ce qui veut dire :

            Sauvé de l’eau, je suis l’œuf de Dieu, de celui-là est éclos la Colombe du St-Esprit.

[…]

            Voicy le mystère des sept Etoiles que vous voyez dans ma main droite. Ces sept Etoiles qui se croient plus brillantes que le soleil et qui prétendent éclairer tout l’univers, sont les sept Anes de sept moulins qui ont enlevéà Occitagnus, la lettre mystérieuse G, pour se l’approprier, s’ils sont Anges, ils ne le sont que de ténèbres, d’erreurs et de mensonge… (p. 162).

… Quelques jours après étant allé visiter le lac du Boucher, dit en patois du pays, lou lac de l’ieaou, la mer d’airain, auprès de Cayre, dans la haute Egypte occidentale, je trouvai un morceau de basalte ou lave de volcan, tout jaspé de particules d’émeraudes, de saphirs, de rubis, de hyacinthes, de topases, d’améthyste et autres pierres précieuses que j’ai apporté avec moi comme un échantillon des pierres qui doivent servir à bâtir la Jérusalem occidentale, parallèle de la Jérusalem orientale, lesquelles deux villes doivent former les deux angles inférieurs du grand delta dont le supérieur doit être la Jérusalem céleste. (p. 196)

Cependant G est véritablement l’initiale du nom du grand architecte, et je vais vous le faire connaître comme St Jean me l’a enseigné en me révélant les mystères de l’étoile flamboyante.

            Le vrai nom de Dieu est composé des cinq sons vocals, c. a. d. des cinq voyelles AEIOU, précédées de la lettre mystérieuse G qui ne doit jamais s’employer ni se prononcer que comme gue, par un mouvement guttural et non comme J par un mouvement maxillaire, comme dans géométrie que l’on doit écrire jéométrie, ange que l’on doit écrire anje, etc. etc. Voyez le delta, page 205 ; partant du G à droite vous trouvez GIEAOU [voir triangle infra].

            Mais ce n’es pas là tout le mystérieux de la lettre G, elle est aussi l’initiale de Gallus qui signifie Coq et Français, le français est un peuple et une langue : cette langue doit être la première comme le peuple le premier, car elle est la langue du Coq, d’où dérive Languedoc, par inversion sens-dessus-dessous du d en q et transposition du C qui de dernier de la syllabe devient premier, toujours pour le jeu de la cabale….. Languedoc se dit en latin occitania et Languedocien occitanus diminutif par élision du g d’occitagnus ou d’ociscus agnus qui est l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, qui doit ouvrir le libre et rompre les sept sceaux.

            Enfin, la lettre G est aussi l’initiale de gloire, mot brillant, mais bien environné de nuages ou de ténèbre, auquel tant de gens aspirent et qui cependant, n’est du qu’à Dieu seul.

Le Courrier des spectacles du 5 juillet 1822, disait de la

Gloire

Je porte avec six pieds un héros jusqu’aux Cieux,

Pourtant à dire vrai, je ne suis que fumée,

Mon chef à bas, je n’ai plus d’envieux,

Et je suis tout-à-coup en fleuve transformée.

            Ce qui explique la fin du 2me verset du 1er chapitre de la genèse qui dit : et l’esprit de Dieu était porté sur les eaux….. Quel est l’esprit de Dieu, si ce n’est la gloire ? Si ce n’est la gloire, c’est donc son nom ? Je le trouve aussi sur les eaux dans AIGUEO qui composé des mêmes lettres que GIEAOU signifient en patois Vellavien, Dieu et eau….. L’esprit étant dans la tête, je vois avec admiration la grandeur future de ce fleuve qui prend sa source près du Puy, dans les hautes montagnes de l’occitanie ; lorsque les brouillards seront dissipés on verra le G le coq en tête de la Loire, faire changer son nom contre celui de gloire si exalté dans la Bible, et le Puy devenir le siége du département de la Haute-Gloire, comme il sera un jour le siège de la Chrétienneté. (p. 198-199)

Ci contre le grand delta renfermant le nom de Dieu et des Montag[n]es saintes en hébreux, en français et en patois Languedocien, en y ajoutant le Tau le T qui fait SOINT SAINT.

books(p. 204-205)

Pour prouver que c’est au Puy, à la sion d’Anis latinisée par anicium, à la Jérusalem de l’occitanie, de l’occisi agni, que ces paroles doivent s’accomplir en esprit et en vérité, je puis citer bien des autorités…. (p. 242-3)

Nascuda dròlla femna sei. Lo recuelh de Cecila Chapduelh

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Simeonin

gravadura de Jan Marc Simeonin per Chara o Crotz

 

Nascuda dròlla femna sei. Lo recuelh de Cecila Chapduelh

 

Es un excellent recuelh de poesia que ven de pareisse en occitan lemosin acompanhat d’una traduccion francesa : A Chara o crotz (Lo Chamin de sent Jaume, 2015). Es escrich per una joventa escrivana : Cecila Chapduelh, digna filha d’un paire fòrça conegut dins lo monde de las letras occitanas. Lo libre es illustrat per de polidas gravaduras de l’inagotable Jan-Marc Simeonin. Per ièu es una descoberta de las bèlas. Cecila nos balha una poesia musicala, que fa cantar la lenga en vers comptats e rimats : alexandrins, decasillabas, octosillabas, etc.

Desmodada serai de far rimar mos vers,

Cherchar la ricancoina e comptar mos pès.

A Melhau, l’editor (lo devem mercejar un còp de mai per son trabalh remirable), que s’estona (un pauc bestiament çò me sembla), qu’una filha d’uèi, totjorn a pocejar son telefonet e a palpejar la mirga de l’ordinador, pòsca aital rimar coma se fasiá un còp èra, ela respond, dins una tenson entre los dos que clau lo libre, que « los pes son per pesar » e remanda a un autre poèta de sa generacion, Esteve Salendres, grand rimaire el tanben.

De tot biais, i a res aquí d’afectat, de vielhòt ni de passit ; tot al contrari, es una poesia del jorn d’uèi e per uèi, jova, fresca, sovent leugièra, vesada, risolièra e, benlèu subretot, sensuala, amai, de còps que i a, erotica e cruda (dos exemples per dintrar còp sec dins aquesta materia poe(ro)tica : « Se, prenguet bonjauvir, a plena bira,/ Dins de las femnas a plen braçats/ Au nom de l’amor que li portava » o aquel d’aquí finament observat : « De l’odor de ton fotre/ Fina flor de chastanh/ Au pè dau quau me vòle pausar »). Totas aquestas qualitats se declinan al feminin (« Nascuda dròlla, femna sei ») ; poesia feminina e, d’un biais, feminista. L’« egalitat »– es lo titre d’un poèma – reivindicada aquí es en premièr de poder cantar l’amor, e donca lo sèxe, pels òmes al feminin. Es la poesia d’una joventa que, entre d’autras causas (mas aquesta causa es pas quina que siá !), li agradan los òmes e zo sap dire. Aital per parlar de la beutat dels mascles, pr’aquò pas tant « gentes » que las femnas, mas bels d’un tot autre biais :

Quala beutat lo deser me balha

De ninar a l’entorn de sa talha

Per trobar un balanç perpetuau

Me far genta delai tot naturau.

Per balhar un’idea mai completa d’aqueste art erotic, vaquí una pèça corteta entièra, mas fòrça suggestiva :

A prestir

Ses pestor

Tas mans me fan

Sus mon còrs

Terren de juec

 Saborós per l’amor

De sas milantas possibilitats

Un pauc mai que sus lo teu, benleu

De ton còrs d’òme

Alaidonc me laisse

Fai-me femna

Fai-me

Cecila reviscola lo respectable genre de la tenson (lo duel poetic dels trobadors) en tornant prene una vielha question, totjorn d’actualitat : « Qué me balhará jòia d’aimar mielhs ?/ Jòune fringaire o fier òme vielh ? ». L’escambi fictiu entre tres « trobairitz » es plan esperdigalhat : na Beatritz balha aqueste conselh a na Cecila :

… chasque moment a son avantage :

Dau jòune de sa fòrça jauvirás,

Dau mai vielh, sa caressa gostarás.

La conclusion agradarà pas benlèu als geloses ni mai als renioses :

Jòune marit per ensemble vielhir ;

Emb d’autres galants au dever falhir

Chausidas inavoablas que sián

Per tot eime oralament crestian

Mas totas las dròllas d’entau pensar

Quand l’atge lor ven de se maridar.

La libertat de las costumas e las vertuts de l’inconstància, de còps que i a, prenan la forma del provèrbi e de la dicha : « D’un amor que vira redond, disen la gent, remuda-te donc » ; « Entau d’aqueu tròp amorós ; chaba per portar desgost ». Mas lo galant poirà pas se plànhe, es avisat :

Mas pren-te garda de ne’n jugar

Que si ’quilhs potons prenián sabor de tristum

Los partejariá emb quauqu’autres paubres amants

Quilhs potons que garde mas per tu.

            Qualqu’un penserà benlèu qu’amb aqueste modern marivaudatge, sèm talhat de tot subjèct serios, a començar per lo que nos tafura tant ; lo del país e de la lenga. Zo ditz clarament :

Ma chançon será pas per me desesperar ;

Dau país que vòu viure n’avem ben pro dich.

Aquò l’empacha pas de confidar dins una autra pèça :

Mas lo mai grand deser que tenga

Seriá d’auvir un jorn pasmens

Los òmes naturalament

M’apostrofar dedins ma lenga.

 

            Ai seguida aquí solament una tematica, vertat dominanta, mas n’i a plan d’autras dins lo libre : lo jòc amb lo monde del conte (La maujauventa ; Dins ta biaça ; Dins los contes…), l’expression de sentiments mai doloroses, coma l’angoissa, l’empacha (Noseus, poèma subrebel), lo res (Ai res a dire), la tèrra, lo vielhum e la mòrt :

Quand aurai passat tempora d’estre presa dins daus braç

’Nirai d’amants a terra, per que me tòrne envolopar

Entau de sa fidelitat, e entau de mas amors.

           Coma ai dich a la debuta, tot es revirat en francés. Aquesta traduccion es una ajuda mai qu’una vertadièra version poetica, amai amb de causas un pauc estranhas (perqué revirar « concupiscéncia » per « angoisse » ? A pas res a veire !).

              De tot biais, aquò es segondari : la bona novèla es qu’una crana poetessa de mai es nascuda en Lemosin.

 

Joan Pèire Cavalièr

 

Rolland Berland, Pas Aisada, La Vita !

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Orador

Oradour-sur-Glanes

 

Rolland Berland, Pas Aisada, La Vita !

 

La vida es pas aisida, non, e i a dos biaises almens per zo mostrar : lo comic e lo tragic. Rolland Berland, dins un recuelh de cortas novèlas publicadas dins las doas lengas francés e occitan lemosin, es excellent dins l’un e l’autre genre.

La primièra partida conta, dins una seria de pichons tablèus que son aitant de nhiòrlas plan capitadas, las malaventuras de Liunard, celibatari rural endurcit, confrontat al monde estranh e complicat de la modernitat : lo CHU de Lemotges, las « piuces », que s’escondon dins tota aquesta electronica del diable, l’installacion de la television e del numeric, la mòrt de son « petaron » e la compra d’una « tre tre » (veitura sens permes), batejada Comtessa… E vaquí tota una tièra de cranas istòrias, de còps a se pissar de rire : Lo Liunard e la telé ; Lo Liunard a passat au numeric ; Lo Liunard se fai de la bila ; Lo Liunard e las radicacions ; Lo Liunard e sa tre-tre… Liunard es lo vertadièr fals « einucent » de la tradicion lemosina que totjorn comença sas remarcas de bon sens per un « sei benleu pas tant fin coma d’autres ». Perqué es el que parla, que conta son istòria dins un fuòc d’artifici d’expressions chucosas. Podèm dire que son de las nhòrlas en primièra persona, sul model del Liunasson a l’exposicion de Lemòtges del 1886 (Lionossou a l’Erposici de Limogei), tèxte en vers del famos Lingamiau (Édouard Chaulet) que Berland, justadament, a legit e revirat sul site Chanson-Limoinse.net. De notar tanben que podetz legir e subretot escotar quasiment totas aquelas istòrias, e d’autres del Liunard que son pas dins aqueste recuelh, dichas per lo quite Berland sul même site.

Per demostrar la virtuositat linguistica de Berland, se podriá raportar un fum de passatges. Citarai lo raconte de la cachavielha de Liunard trabalhat per las piuses, que li dison lo monde, n’i a de’n pertot : « raibava[1] de machinas emb de las tiretas plenas de piuses que volavan pertot, de las nibles negras de piuses… N’ien aviá plein lo ciau, sus los aubres, per terra, ’las sautavan sus me, se conhavan dins ma saurelhas, dins mon nas, dins ma gòrja ; las sentiá dins mon ertomac que se pifravan d emon sang, que me suçavan los fetges, que fermijavan dins mas colhas que ne’n pissava negre a plena baciá… »

Vaquí tanben la descripcion de l’ascensor del CHU de Lemòtges : « aviá mai de botons, defòra mai dedins, que l’acordeon dau pair Lanharga ; e lo monde ne’n jugavan, mas quò fasiá mas tin-ton de temps en temps. Eram cabonhats coma ’na gorretada dins ’na borreta ! »

 

La segonda partida, es diferenta, fòrça plan diferenta. La primièra novèla presenta un personatge que podriá en fach èsser Linuard, mas la cara trista, lo costat negre de Liunard (Un Long jorn d’estiu). Dins son vilatge arroïnat, espera la visita de sos enfants que venon pas, que venon pas mai. Aqueste còp an quitament doblidat de se destornar de la rota de las vacanças que los pòrta a la mar. Alara se ramenta del fusil de cassa escondut dins lo granièr… « Lo chen alevat la testa, remuda la coá, visa, visa bien, se dreça, comença de s’eslunhar, doçament, la coá entre las chambas. Lo vielh lo creda coma eu lo creda per li balhar sa sopa. La béstia vira la testa, comença a marchar redde, a córrer, a fugir. Eu a virat darreir lo bastits esblohats ». Puèi Berland seguís una jornada d’escòla d’un dròlle cap a la fin de la segonda guèrra : a doblidat de far son problèma, aquò lo tafura… Acompanha un conse de vilatge que dèu presidar la cerimònia del onze de novembre davant lo monument als mòrts… e vaquí que los mòrts li respondan « present »… Un pelut de 14 enfin que l’orror del bombardament mena facia al conselh de guèrra … Dins aquels quatre racontes, que cadun es un vertadièr còp de punh pel nas, Berland demostra d’èsser un remirable estilista e narrator. I trapèm lo tèxte lo mai fòrt e polit benlèu jamai escrich sus la tragedia d’Orador (Lo Problema e la ròsa). L’istòria que se debana dins las trencadas (La man, e quina man !) es aitant remarcable : auriá pogut èsser un capitol de Los Jorns Telhòu (1995, n’en faguèri aquí lo compte rendut), tarrible e subrebèl roman de Berland, qu’auriá meritat milanta còps d’èsser tornat publicat e celebrat per 2014, annada anniversari, coma una òbra maja sus la Granda Guèrra. Perqué trantalhi pas a dire que Berland es l’un dels nòstres melhors escrivans, si que non lo melhor, d’expression lemosina. Se son òbra foguèsse en francés, gaudiriá d’una fòrta reconeissença : los Lemosins serián fièrs d’el. Mas los legisson pas, son quite nom es desconegut de totis. Vos balhi l’escasença de lo descobrir sul pic. Veiretz, seretz pas decebuts !

 Joan Pèire Cavalièr

Pas Aisada la Vita !, Éditions de l’Esperluette, 2014, 13 euros.

Ai publicat d'aqueste article una version en francés mai corta dins La Lettre du Limousin (février 2015)

 



[1] De pas doblidar que se tracha en lemosin de la primièra persona del singulièr.

Faulas, contes e legendas piemontesas

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Faulas, contes e legendas piemontesas

 

L’ivèrn passat soi estat qualques jorns a Turin. Ai plan escotat, mas de piemontés n’ai pas brica ausit. Es un pauc coma cercar d’ausir d’occitan a Tolosa per las carrièras. La diferéncia amb la vila mondina es que, en mai d’aquò, la lenga i es fòrça mens visibla. Ai trobada pr’aquò una libraria, pas lenh del musèu del Sant Suari (que, entre parentèsas, val la pena d’èsser vist per sa museografia pseudo-scientifica) que vendiá de libres e de disques en piemontés. Ai demandat las noveltats en materia de libres e foguèri bravament decebut. I aviá pas grand causa, e per tot dire quasiment res coma creacion. Serà benlèu que la libraria es pas plan achalandada, mas pensi pas, perqué sa vocacion prumièra es plan la difusion de la cultura piemontesa.

Ai degut m’acontentat d’un recuelh de provèrbis de Michele Bonavero (plan fach e fòrça ric[1]) e un autre de faulas, contes e legendas (Camillo Brero e Barba Guido, Fàule, conte e legende dla tradission popolar piemontèisa, soagnà da Michele Bonavero, traduzione italiana a fronte, Torino, editrice Il Punto, 2012) un libròt qu’es, en realtat, s’ai plan compres, una reedicion d’istòrias publicadas en 1974 e 1977 per aquestes dos autors : Camillo Brero (Milo Bré) e Leonardo Guido Musso (barba Guido), plan coneguts dins lo pichon monde de la letteratura piemontesa. Camillo Brero es l’autor entre autres d’un diccionari, de libres sus la sintaxa e la gramatica del piemontés[2], de reviradas biblicas, de recuelhs de poesia, etc.

            Lo libre es presentat per Michel dij Bonavé (Michele Bonavero), l’autor del recuelh de proverbis que disiái, el tanben un vièlh de la vièlha dels estudis piemonteses. Se cita a el meteis, quora introdusiá l’edicion de 1977. Dins aquel temps, ont d’en pertot en Euròpa se luchava per reviscolar las lengas e las culturas minoritarias, aviá escrich (reviri de l’italian) : « Un buf de vida novèla es a se levar dins l’arma de nòstre monde e lo Piemont es a tornar trobar lentament son entitat espirituala. Las valors culturalas son de nòu a l’onor e acuelhidas amb entosiasme, dins l’exacta tonalitat de la lenga piemontesa tornada descoberta e presada. E se la consciéncia del piemontés-lenga es a redimencionar la falsas paurs nacionalistas, los prejudicis absurdes sul dialecte, elis tanben, venon mens pesucs »[3]. Çò que m’estona es que Bonavero se contenta de se citar entre virguletas sens prene la pèna de tornar sus la desillusion que seguissèt auquelas annadas un pauc d’empertot, amb, en Italia, lo problema majer de la recuperacion de la question de las lengas minorizadas per la Lega, partit xenòfòbe e anti-sud.

Enfin… Mai interessant, lo Bonavero ramenta la longa tradicion de la faula versificada en Piemont, dempuèi las Fàule moraj (Faulas moralas) d’Edoardo Ignazio Calvo (1773-1804), grand artista del piemontés, un temps jacobin, qu’escriguèt de faulas remirablas (se trapan sul site de liberliber) ont domina la satira politica e sociala (l’obratge foguèt censurat sul pic e son autor recercat), que puèi serviron de referéncia a d’autres[4]. Cita tanben l’obra famosa de Nino Autelli,Pan d'coa. Leggende e racconti popolari piemontesi (1931, lo pan d’coa es l’equivalent del « pan negre » de Clancier, lo pan que manjavan los paísans), en prosa, pr’aquò fòrça poetica, libre aquel d’aquí prigondament ancorat dins la cultura populara piemontesa. Es puslèu aquesta dralha que seguisson aquí lo autors, subretot Camillo Brero, dins la primèra partida de l’obratge, amb de faulas plan polidas per la lenga, mas a mon gost, tròp moralizatriças e curetièras, amai se lor fond populari es interessant, coma per exemple l’istòria del merle qu’engolís lo verin qu’Eròda aviá mesclat al lach del pichon Jésus (es dempuèi aqueste temps qu’as trapat un bèc jaune), o l’apropriacion piemontsa de la naissença del Christ, vertadièra grèpia de Nadal, o encara, mai atractiu, lo personatge del « setmin », es a dire del septen (nascu a sept meses o septen de la familha), que tracionalament es cargat de poders contra los masques, e enfin vòli pas doblidar la figura de Santa Miseria que, de còps que i a, pòt portar fortuna als paures. L’istòria en particulièr de la creacion dels Piemonteses es a legir, que conta cossi lo bon Dieu, desgostat de veire que totas « las raças » umanas se carpinhavan e se fasian la guèrra creèt los Piemonteses per trabalhar per elis e los autres, amai per comandar los autres, d’òmes amb la « testa sël còl ». Malurosament doblidèt de lor balhar lo baston per menar lo monde ! conclusion : « Ël mal a l’é che coj che l’han la testa sle spale a l’han seguità a ten-e e mné‘l baston sla schin-a dle ciole che a l’han la testa sël còl » : « Lo problema es que los qu’an lo cpa sus las espatlas an continuat a tene e a menar lo baston sus l’esquina dels paures bogres qu’an lo cap sul còl »… Cadun se consola coma pòt…

Los tèxtes de Guido Musso, dins una seconda partida, son per ièu los mai polits e interessants perqué directament preses de collectage, amb cada còp lo nom de la persona e sa varietat de lenga. Dins fòrça cas sèm pas dins lo conte moral, mas anèm a l’encontre del subrenatural, e donca a la limita del conte fatanstic mas dins una cultura que demora progondament orala. N’en balharai aquí un exemple, revirat en occitan. Veiretz aital, los cosinatge d’aquesta lenga galo-italica amb l’occitan, lo franco-povençal e lo francés (sens parlar de l’italian)

La grafia dels autors es ara mai o mens consensuala. Es estada adobada per Pinin Pacòt (Giuseppe Pacotto) dins las annadas 1930. es fòrça regulara (mai que la de nòstre occitan) mas pas tant evidenta qu’aquò, perqué mescla un fond de codificacion italiana a de manlèus al còde francés (« eu » et « u » per exemple), amai de l’occitan (« o » per la « u » italiana o la francesa « ou » [u] / « ò » per la vocala [o]) e per acabar del quite alemand : ö per [ə]. Per s’i trobar, anatz veire lo wikipedia piemontés, o lo site Piemonteis.it.

 

La Ronza

            Na vòta a-i era ’n cartoné che a vivìa da le part ëd Carù, a l’avìa ’n gran bon caval e ’l surtiment ëd carton, tombarel, caëtta e trincabale e për sòn a l’era a l’autëssa ’d dé’n bon servissi a coj che a l’avìo da manca’d sò travaj.

            Na bela matin a l’era alvasse prest përchè a l’avìa da ’ndé a Faijan a fé na caria. Ciadlà’l caval a l’avìa peui tacalo al carton e a l’era partì. Coma ch’a fasìa sempre a l’era setasse con le gambe a pendojon e a l’era viscasse la sigala e tranquil as fasìa la fumà matinera antramentre che ’l caval a ’ndasìa, ma tut ant un moment ël caval a l’era fërmasse, a bogiava pì. Alora chiel a l’avìa crijaje ’l comand d’andé, ma’ l caval gnente, sempre ferm. Calà giù a l’avìa ciapalo për la cavëssa për felo’ndé anans, ma gnente da fé, gnanca parèj a partìa nen. A cola mira lì a l’era montaje la flin-a : « A sì, it veusto nen andé anas con le bon-e ? Provoma con le grame ! » e ciapà‘l foèt a l’avìa piantaje doe foëttà decise, ma la bestia a l’era pa merasse d’un centim ! A bogiava pròpi pì, a smijava ’ntampà !

            Chiel a savìa pa pì còs disne, a l’era mai capitaje n’afé përparèj da quand a l’avìa torna ciapà la cavëssa e a l’avìa col caval lì. A l’avìa torna ciapà la cavëssa e la l’avìa provà a felo arculé, arculé a’rculava, ma anans a’ndasìa nen. Gnanca a parlene. Costa a l’era pròpi gaja ! A l’avìa beicà anans sla via për vëdde se për cas a fussa staje quàich bestia ch’a sbaruvava ’l caval, ma a l’avìa pas vist gnente, a-i era mach na ronza’d travers a la stra, un pòch pì anans.

Alora, vist ch’a-i era pas nen da fé, a l’avìa virà’l caval e a l’era artornà a ca ’ndoa a l’avìa peui contaje a la fomma lòn ch’a l’ara capitaje e chila a l’avìa dije : « Lassa fé da mi, it vëgaras che a rangio tut, vira pura la bestia ch’i andoma ».

            Sòòm a l’avìa sotala, a l’avìa virà’l caval e chila a l’era’ndàita a pijesse’l mëssoirèt e a j’ero partì.

            Rivà an sël pòst ël caval a l’era torna piantasse, chila a l’era calà dal carton e con ël mëssoirèt a l’avìa tajà la ronza, peui a l’avìa dije a l’òm : « Ora va pura ! », chiel a l’avìa comandà’l caval che a l’era partì andasend a fé sò travaj ; chila a l’era tornà a ca, ma quand ch’a l’era rivà a l’avìa trovà la mare madòna con un brass tajà.

Contà da Lena Bòsio ’d Carù

Lo Romèc

            Un còp i aviá un carretièr que viviá del costat de Carrù, aviá un bel e bon caval e un assortiment de carrèta, tombarel, carreton e carri, e per aquòèra a la nautor de balhar un bon servici a los qu’avián mestièr de son trabalh.

            Un bel matin s’èra levat d’ora perqué deviá anar far un cargament a Farignano. Un còp aprestat lo caval, l’aviá estacat a la carrèta e èra partit. Coma a l’acostumat, s’èra sietat las cambas a pendolon e s’èra alucat lo cigara e suau fasía sa fumason matinièra pendent que lo caval anava son camin, mas tot d’un còp lo caval s’èra arrestat, bolegava pas mai. Alavetz li gridèt lo comandament d’anar, mas lo caval voliá pas entendre res, totjorn arrestat. Èra debalat e l’aviá trapat pel cabestre per lo far avançar, mas pas res a far, aquò tanpauc lo faguèt pas bolegar. A-n-aquel punt, la colèra lo prenguèt : « A òc, vòls pas avançar amb las bonas manièras ? Ensajam amb las marridas ! » e trapat lo foet, li aviá fotut dos còps plan sentits, mas la bestia s’èra pas bolegada d’un centimètre ! Bolegava pas mai e semblava plantada !

            El, sabiá pas mai que ne dire, un afar aital li èra pas jamai capitat dempuèi qu’avía aqueste caval. Un còp de mai, aviá pres lo cabestre e aviá ensajat de lo far recular ; per recular, reculava, mas en davant anava pas. Èra pas la pèna de’n parlar. Aquòèra quicòm de plasent ! Aviá agachat en davant sus la rota per veire se per en cas i aviá pas qualqua bestia qu’espaurugava lo caval, mas avía pas res vist, solament un romèc que traversava la rota, un pauc mai en davant.

            Alavetz, vist que i aviá pas res a far, aviá virat lo caval e se'n èra tornat a l’ostal ont aviá contat a la femna çò que s’èra passat e ela li aviá dich : « Daissa me far, veiras que adobarai tot, vira donca la bestia que i anam ».

            Son òme l’aviá escotada, avía virat lo caval, ela s’èra anada prendre lo volam e èran partits.

            Arrivats sus plaça, lo caval s’èra tornat plantar, la femna èra devalada de la carreta e amb lo volam aviá talhat lo romec, puèi aviá dich a l’òme : « Ara podes anar ! », el aviá comandat lo caval qu’èra partit far son trabalh ; ela èra tornada a l’ostal, mas quora i arrivèt aviá trobada la bela maire amb un braç talhat.

Contat per Lena Bosio de Carù (província de Còni)


[1] Michele Bonavero, Proverbi Piemontesi. Il Fascino della Sagezza Popolare, Torino, editrice Il Punto, 2011.

[2]Sintassi dla lenga piemontèisa, Torino, Piemont/Europa, 1994.

[3]« Un soffio di vita nuova sta lievitando nell’anima della nostra gente ed il Piemonte sta ritrovando lentamente la sua entità spirituale. I valori culturali vengono riproposti e sono accolti con entusiasmo nella esatta tonalità della lingua piemontese riscoperta e riapprezzata. E se la coscienza del piemontese-lingua sta ridimensionando i falsi timori nazionalistici, vengono meno, anche, i preconcetti assurdi sul dialetto… »

[4] Giusep Arnàud, 16 fàule moraj ;Vissent-Andrea Peyron, Fàule Piemontèise poétiche, crìtiche, leterarie e moraj, etc.

Fables, contes et légendes piémontaises

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a call in the night

Viginia Lee, A Call in the night

 

Fables, contes et légendes piémontaises

(pour accéder à la première version en occitan)

L’hiver dernier j’ai passé quelques jours à Turin. J’ai bien tendu l’oreille, mais je n’ai pas entendu parler piémontais. Il m’a semblé que c’était un peu comme de chercher à entendre de l’occitan dans les rues de Toulouse. La différence pourtant c’est que, là-bas, la langue y est beaucoup moins visible. J’ai découvert cependant une librairie, peu éloignée du musée du Saint-Suaire (lequel d’ailleurs, entre parenthèses, vaut la peine d’être visité pour sa muséographie pseudo-scientifique vintage), qui vendait des livres et des disques en piémontais. J’ai demandé les nouveautés en matière de livres et je fus sacrément déçu. Vraiment, le libraire ne m’offrait pas grand-chose à me mettre sous la dent, et en tout cas aucune création littéraire digne de ce nom. Peut-être la librairie n’était-elle pas bien achalandée, mais je ne crois pas, vu que sa vocation première était bien la diffusion de la culture piémontaise.

J’ai dû me contenter d’un recueil de proverbes de Michele Bonavero, d’ailleurs bien fait et très riche[1], et un autre de fables, contes et légendes (Camillo Brero et Barba Guido, Fàule, conte e legende dla tradission popolar piemontèisa, soagnà da Michele Bonavero, traduzione italiana a fronte, Torino, editrice Il Punto, 2012), un petit livre qui est en réalité, si j’ai bien compris, une réédition d’histoires publiées en 1974 et 1977 par les deux auteurs que sont Camillo Brero (Milo Bré) et Leonardo Guido Musso (barba Guido), bien connus dan le petit monde de la littérature piémontaise. Camillo Brero est l’auteur, entre autres, d’un dictionnaire, de livres sur la syntaxe et la grammaire du piémontais[2], de traductions bibliques et de recueils de poésie en piémontais, etc.

Le livre est présenté par Michel dij Bonavé (Michele Bonavero), l’auteur du recueil de proverbes que j’ai évoqué. Il est lui aussi un vieux de la vieille des études piémontaises. Il se cite lui-même, lorsqu’il introduisait l’édition de 1977. En ce temps là, où un peu partout en Europe on luttait ferme pour régénérer les langues et les cultures minoritaires, il avait en effet écrit (je traduis de l’italien) : « Le souffle d’une vie nouvelle est en train de se lever dans l’âme de nos gens et le Piémont récupère lentement son identité spirituelle. Les valeurs culturelles sont à nouveau à l’honneur et accueillies avec enthousiasme, dans l’exacte tonalité de la langue piémontaise à nouveau découverte et appréciée. Et si la conscience du piémontais comme langue conduit à réviser les fausses craintes nationalistes, les préjugés absurdes sur le dialecte, eux aussi, pèsent désormais moins lourd »[3]. Il est étonnant que Bonavero se contente de se citer lui-même entre guillemets sans prendre la peine de revenir sur la désillusion qui, un peu partout, suivit ces quelques années où tout semblait redevenir possible et sur le délicat problème constitué par le fait qu’en Italie, la retombée a débouché sur la récupération de la question des langues minorées par la Ligue Nord, parti xénophobe et anti-sud.

Enfin… Plus intéressant, Bonavero évoque la longue tradition de la fable versifiée en Piémont, depuis les Fàule moraj (Faulas moralas) d’Edoardo Ignazio Calvo (1773-1804), grand artiste du piémontais, un temps fervent jacobin, qui écrivit des fables magnifiques (on les trouve sur le site de liberliber) où domine la satire politique et sociale (l’ouvrage fut censuré immédiatement et son auteur recherché), qui servirent ensuite de modèle et de référence à d’autres[4]. Il cite aussi, dans un tout autre genre, l’œuvre fameuse de Nino Autelli, Pan d'coa. Leggende e racconti popolari piemontesi (1931, le pan d’coa est l’équivalent du « pain noir » de Clancier, le pain que mangeaient autrefois les paysans), en prose, mais d’une prose très poétique, œuvre profondément ancrée dans la culture piémontaise.

C’est plutôt cette voie que suivent ici les auteurs, surtout Camillo Brero, dans la première partie de l’ouvrage, avec des fables très belles pour la langue mais, à mon goût, trop moralisatrices et trop confites en dévotion, même si leur fond populaire reste intéressant, comme par exemple dans l’histoire du merle qui avale le venin qu’Érode avait versé dans le lait du petit Jésus (c’est depuis ce temps-là que le bec du merle est jaune !), ou l’appropriation piémontaise de la naissance du Christ, véritable crèche de Noël en prose, ou encore, plus attractif, la mise en scène du personnage du « setmin », c’est-à-dire du septième (naît à sept mois ou septième enfant), qui est traditionnellement chargé de pouvoirs contre les sorciers. Je ne veux pas enfin oublier la figure de Sainte Misère qui, parfois, peut porter chance (et fortune !) aux pauvres. Il faut lire aussi l’histoire de la création des Piémontais, qui raconte comment le bon Dieu, écœuré de voir que toutes « les races » humaines se cherchaient noise et se faisaient la guerre, créa les Piémontais, hommes avec la « testa sël còl », la tête sur le cou, faits pour travailler « pour eux et pour les autres » mais aussi… pour commander. Malheureusement, Dieu oublia de leur donner le bâton pour conduire et corriger les autres nations ! Conclusion : « Ël mal a l’é che coj che l’han la testa sle spale a l’han seguità a ten-e e mné‘l baston sla schin-a dle ciole che a l’han la testa sël còl » : « Le problème est que ceux qui ont la tête sur les épaules ont continuéà tenir le bâton et à en donner des coups sur le dos des pauvres bougres qui ont la tête sur le cou »… Chacun se console comme il peut…

Les contes de Guido Musso, dans la seconde partie du livre, sont à mon avis les plus beaux et les plus intéressants parce que directement issus de collectages et chaque fois est signalé le nom de la personne e sa variété de langue. Dans la plupart des cas, il ne s’agit pas de contes moraux, mais nous allons plutôt à la rencontre du surnaturel et à la limite du conte fantastique, mais dans une culture qui reste profondément orale. J’en donnerai ici un exemple, traduit en français. Chacun pourra ainsi constater le cousinage de cette langue gallo-italique avec l’occitan, le franco-provençal et le français (sans parler de l’italien standard).

La graphie utilisée par les auteurs est aujourd’hui plus ou moins consensuelle. C’est celle qui fut mise au point par Pinin Pacòt (Giuseppe Pacotto) dans les années 1930. Elle est très régulière (beaucoup plus que notre occitan) mas pas si évidente que ça au premier abord parce qu’elle associe un fond de codification italienne à des emprunts aux codes du français (« eu » et « u » par exemple), de l’occitan (« o » pour le « u » italien ou le français « ou » [u] / « ò » pour la voyelle [o]) et enfin de l’allemand : ö per [ə]. Pour s’y retrouver, aller voir le wikipedia piémontais, ou le site Piemonteis.it.

 

La Ronza

 Na vòta a-i era ’n cartoné che a vivìa da le part ëd Carù, a l’avìa ’n gran bon caval e ’l surtiment ëd carton, tombarel, caëtta e trincabale e për sòn a l’era a l’autëssa ’d dé’n bon servissi a coj che a l’avìo da manca’d sò travaj.

Na bela matin a l’era alvasse prest përchè a l’avìa da ’ndé a Faijan a fé na caria. Ciadlà’l caval a l’avìa peui tacalo al carton e a l’era partì. Coma ch’a fasìa sempre a l’era setasse con le gambe a pendojon e a l’era viscasse la sigala e tranquil as fasìa la fumà matinera antramentre che ’l caval a ’ndasìa, ma tut ant un moment ël caval a l’era fërmasse, a bogiava pì. Alora chiel a l’avìa crijaje ’l comand d’andé, ma’ l caval gnente, sempre ferm. Calà giù a l’avìa ciapalo për la cavëssa për felo’ndé anans, ma gnente da fé, gnanca parèj a partìa nen. A cola mira lì a l’era montaje la flin-a : « A sì, it veusto nen andé anas con le bon-e ? Provoma con le grame ! » e ciapà‘l foèt a l’avìa piantaje doe foëttà decise, ma la bestia a l’era pa merasse d’un centim ! A bogiava pròpi pì, a smijava ’ntampà !

Chiel a savìa pa pì còs disne, a l’era mai capitaje n’afé përparèj da quand a l’avìa torna ciapà la cavëssa e a l’avìa col caval lì. A l’avìa torna ciapà la cavëssa e la l’avìa provà a felo arculé, arculé a’rculava, ma anans a’ndasìa nen. Gnanca a parlene. Costa a l’era pròpi gaja ! A l’avìa beicà anans sla via për vëdde se për cas a fussa staje quàich bestia ch’a sbaruvava ’l caval, ma a l’avìa pas vist gnente, a-i era mach na ronza’d travers a la stra, un pòch pì anans.

Alora, vist ch’a-i era pas nen da fé, a l’avìa virà’l caval e a l’era artornà a ca ’ndoa a l’avìa peui contaje a la fomma lòn ch’a l’ara capitaje e chila a l’avìa dije : « Lassa fé da mi, it vëgaras che a rangio tut, vira pura la bestia ch’i andoma ».

Sòòm a l’avìa sotala, a l’avìa virà’l caval e chila a l’era’ndàita a pijesse’l mëssoirèt e a j’ero partì.

Rivà an sël pòst ël caval a l’era torna piantasse, chila a l’era calà dal carton e con ël mëssoirèt a l’avìa tajà la ronza, peui a l’avìa dije a l’òm : « Ora va pura ! », chiel a l’avìa comandà’l caval che a l’era partì andasend a fé sò travaj ; chila a l’era tornà a ca, ma quand ch’a l’era rivà a l’avìa trovà la mare madòna con un brass tajà.

Contà da Lena Bòsio ’d Carù

La Ronce

Il était une fois un charretier qui vivait du côté de Carrù. Il avait un beau et bon cheval et un assortiment de charrette, tombereau, charreton et char, grâce à quoi il était en mesure de satisfaire ceux qui avaient recours à ses services.

Un beau matin il s’était levé de bonne heure parce qu’il devait aller faire un chargement à Farignano. Une fois le cheval harnaché, il l’avait attachéà la charrette et il était parti. Comme il le faisait toujours, il s’était assis les jambes pendantes, avait allumé son cigare et tranquillement prenait sa fumée du matin, pendant que le cheval allait son chemin, mais tout à coup le cheval s’était arrêté et ne bougeait plus. Il lui donna alors l’ordre d’aller, mais le cheval ne voulait rien entendre, pas un mouvement. Il était descendu et l’avait attrapé par le licol pour le faire avancer, mais rien à faire, cela non plus ne le faisait pas bouger. A ce point, il se mit en colère : « Ah oui, tu ne veux pas avancer par les bons procédés ? Essayons donc les mauvais ! » et prenant son fouet, il lui en avait flanqué deux coups bien ajustés, mais la bête ne s’était pas déplacée d’un centimètre ! Elle ne bougeait vraiment plus et semblait planté là !

Lui, ne savait plus quoi penser, une chose pareille ne lui était jamais arrivée depuis qu’il avait ce cheval. Encore un coup, il avait pris le licol et essayé de le faire reculer ; pour reculer, il reculait, mais il n’allait pas de l’avant. Il ne fallait pas y songer. C’était quelque chose de fort ! Il avait regardé au devant de la route pour voir si par hasard il n’y avait pas quelque bête qui effrayait le cheval, mais il n’avait rien vu, mis à part une ronce qui traversait la route, un peu plus loin.

Alors, vu qu’il n’y avait rien à faire, il avait tourné le cheval et s’en était revenu chez lui, où il avait racontéà sa femme ce qui s’était passé et elle lui avait dit : « Laisse-moi faire, tu verras que je règlerai tout ça, tourne donc la bête, nous y allons ».

Son mari l’avait écouté, avait tourné le cheval, elle était allé prendre sa faucille et ils étaient partis.

Arrivés sur place le cheval avait à nouveau pilé, la femme était descendue de la charrette et avec la faucille avait taillé la ronce, puis elle avait dit à l’homme : « Maintenant, tu peux y aller ! », il donna l’ordre au cheval qui était parti faire son travail ; elle s’en était retournée à la maison, mais quand elle arriva, elle avait trouvé sa belle-mère avec un bras taillé.

Raconté par Lena Bosio de Carù (province de Coni)



[1] Michele Bonavero, Proverbi Piemontesi. Il Fascino della Sagezza Popolare, Torino, editrice Il Punto, 2011.

[2]Sintassi dla lenga piemontèisa, Torino, Piemont/Europa, 1994.

[3]« Un soffio di vita nuova sta lievitando nell’anima della nostra gente ed il Piemonte sta ritrovando lentamente la sua entità spirituale. I valori culturali vengono riproposti e sono accolti con entusiasmo nella esatta tonalità della lingua piemontese riscoperta e riapprezzata. E se la coscienza del piemontese-lingua sta ridimensionando i falsi timori nazionalistici, vengono meno, anche, i preconcetti assurdi sul dialetto… »

[4] Giusep Arnàud, 16 fàule moraj ; Vissent-Andrea Peyron, Fàule Piemontèise poétiche, crìtiche, leterarie e moraj, etc.

Limousins non francophones au XVIe siècle

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Limousins non francophones au XVIe siècle

En parcourant un ouvrage en son temps assez fameux, les Diverses leçons de Loys Guyon, sieur de la Nauche (Lyon, C. Morillon, 1603), je suis tombé sur deux passages qui attestent – ce qui n’est certes pas un scoop – que grande partie des couches populaire en Limousin, au XVIe siècle, ne connaissait pas ou fort peu le français.

Louis Guyon (vers 1527-1617), originaire de Dôle, ne fut pas en Limousin un voyageur de passage. Conseiller du roi élu à Brives, il vécut en effet à Uzerche, où il exerça la médecine, et s’y maria, devenant sieur de la Nauche à Vigeois. Ses ouvrages de médecine et ses Diverses Leçons, un recueil de textes courts sur les sujets les plus disparates, où l’érudition se mêle aux anecdotes rapportées ou vécus, sont emplis d’informations de toutes sortes sur la vie en Limousin à la fin du XVIe siècle. Par contre, dans ce que j’ai pu lire, il semble se désintéresser tout à fait de la langue du pays qu’il devait cependant comprendre, ne serait-ce que pour exercer la médecine, et peut-être la parlait-il. Cependant deux anecdotes, indirectement, disent en fait assez long du maigre niveau de francophonie.

La première est fort courte, qui est intitulée (je modernise l’orthographe) : Histoire de la femme limousine qui parla français pendant trois jours alors qu’elle ne l’a jamais appris : « J’ai vu, dit-il, une femme de village, en ce pays de Lymosin [je conserve ici à dessein la graphie originale pour ce mot], qui en une fièvre ardente parla trois jours entiers bon er disert Français, et après qu’elle fut guérie, ne se souvenait d’aucune chose qu’elle eût dite, ni faite : néanmoins on n’a jamais su qu’auparavant elle eût usé de ce langage, et moins encore appris, et depuis ne l’a su parler » (p. 664). La question des malades et « frénétiques » qui parlent des langues qu’ils ne connaissent pas est un thème de discussion très important à l’époque, dont les enjeux sont considérables, car il mettait en question par des arguments médicaux l’une des preuves traditionnelles de la possession diabolique : le fait de parler, justement, des langues que l’on n’avait pas apprises. Mais c’est un tout autre sujet, d’ailleurs en soi, tout à fait passionnant. Il apparaît en tout cas que l’on pouvait ne jamais s’exprimer en français, peut-être ne pas oser le faire par inhibition sociale, et l’avoir cependant suffisamment entendu pour se mettre à le parler dans un délire fiévreux.

Le second passage est encore plus intéressant. Il relate une anecdote, peut-être toute ou partie fictive, où un maçon limousin[1] ayant séjourné en Espagne (plus exactement en Catalogne) est dans l’incapacité de s’exprimer en français devant Henri II à Fontainebleau[2] et il est tourné en dérision par la cour et le roi, en droite ligne de » l’escolier lymosin » de Rabelais (Pantagruel, 1532) et avant le Pourceaugnac de Molière, les sous-hommes de Sartre ou le Texas français de Libération. Évidemment, il est notable que dans cette histoire, comme on va voir, le maçon limousin parle au roi, qu’il a du mal à comprendre (selon qui rapporete l'historiette évidemment), un mélange d’espagnol (ou de catalan ?) et de limousin. Aussi, peut-on se demander si dans les migrations précoces des maçons limousins vers la Catalogne, le paramètre linguistique n’entrait pas en ligne de compte.

La voici en entier, car elle contient des détails intéressants sur les ouvriers itinérants, qui prenaient femme dans les pays où ils travaillaient (une réalité aujourd’hui bien connue des historiens, mais dont ce texte donne un bel exemple).

« … un jour un Mareschal de France, dit de Saint André[3], sachant que le Roi Henri second de ce nom, n’avait pu trouver à son gré, aucun Architecte pour lui faire un modèle de deux corps de logis, qu’il voulait faire bâtir à Fontainebleau, lui amena un homme de Lymosin, maçon de son métier, ignorant : et l’ayant fait habiller honnêtement, fit accroire au Roi que c’était un grand Architecte, et bien expérimenté en cet art, et que c’était lui qui avait projeté les bâtiments que Charles Quint, et Roi des Espagnes avait fait faire. Et de vrai, ce pauvre homme s’en était allé en Espagne en son jeune âge, pour y gagner quelque chose, car sa pratique ne l’eût su nourrir en son pays : puis ayant gagné en Espagne en six ou sept ans quelques cinquante reals d’argent, pensant être le plus riche de son pays, s’en revint : et ayant despendu [dépenser] une bonne partie de son argent, s’étant mariéà une seconde femme, car tous Lymosins ou autres, usant d’arts mécaniques, qui vont en Espagne pour le lucre, s’y marient presque tous [en marge : « bigame »], à femmes le plus souvent qui se prêtent, et s’en retournant par deçà en reprennent d’autres.

Or ce pauvre maçon s’en venait à Orléans, ayant presque consommé ses reals, et mangé le dot de sa femme, qui pouvait être de vingt livres, ayant entendu d’aucuns autres maçons, qu’ils gagnaient par jour sept ou huit sols, et en son pays que deux sols ou six blancs. Ledit sieur Maréchal, ayant rencontré ce maçon de cas fortuit, allant par les champs, avec lequel, pour passetemps, il devisa, et reconnut qu’il avait une grande présomption de soi, de ce qu’il avait aidéà bâtir le couvent neuf de notre Dame de Montserrat, fournissant de mortier aux maçons, et qu’il se tenait pour le premier architecte de son temps, combien qu’il n’y entendit rien, et qu’à grand peine savait bien bâtir, ni poser de droit fil les pierres à une muraille.

Le Roi croyant aux paroles dudit sieur Maréchal, parla à ce maçon longtemps, en bon Français, et néanmoins n’entendait presque rien de ce qu’il lui disait, se tenant couvert, ni ne faisait aucune révérence à sa Majesté, non plus que si c’eut été son compagnon : appelant monsieur, ou seignor le Roi, parlant ores Lymosin, ores quelque mot d’Espagnol, de quoi le Roi ne s’apercevait point : Mais parlant toujours d’une véhémence à ce maçon, pour lui donner à entendre ces desseins : enfin, le roi apercevant que tous les assistants riaient, et sur touts ledit sieur Maréchal, voulut savoir la cause de ce rire : qui lui fut alors déclarée, dont lui-même le premier se prit à rire, de ce qu’il ne s’était pris garde du langage, contenance fadarde, et ignorance de ce pauvre maçon. Tant s’en faut que le Roi se fâcha de cette bourde, qu’au contraire il en sut bon gré audit sieur Maréchal » (p. 196-197).

 J. P. Cavaillé



[1] Sur la figure du maçon limousin migrant, voir Jean Tricard, Les campagnes limousines du XIVe au XVIe siècle: originalité et limites d'une reconstruction rurale, Publications de la Sorbonne, 1996.

[2] Donc l’anecdote se serait déroulée entre 1547 et 1659. Henri II cependant disposait des services de Philibert Delorme dès la mort de François Ier et n'avait guère besoin des services d'un Limousin de passage...

[3] Jacques d’Albon de Saint-André (1505-1562).

 

Servitude volontaire et langues dominées

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statue de La Boétie à Sarlat

La Boétie en kabyle, arabe dialectal, basque et catalan

            Je ne présenterai pas ici le Discours de la Servitude Volontaire (ou plus simplement La Servitude Volontaire), sinon pour dire qu’il est un texte majeur de l’histoire de la pensée politique et sociale, et à la fois un texte hors catégorie, subversif, aporétique, bref et sidérant une météorite. Il fut écrit vers 1549 en première personne par un jeune magistrat, néà Sarlat, Étienne de La Boétie. Je me contenterai de deux citations : « je ne voudrais sinon entendre comme il se peut faire que tant d’hommes, tant de villages, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois tout un tyran seul, qui n’a puissance que celle qu’ils lui donnent. Un tyran qui n’a de pouvoir de leur nuire, qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils n’aiment mieux le supporter que s’opposer à lui. »[1] Tel est le scandale, incompréhensible, contre nature et pourtant bien réel de la servitude volontaire. D’autant plus que la solution est toujours à disposition immédiate des peuples : « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres ! Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez, mais seulement que vous ne le souteniez plus. Vous le verrez alors comme un grand colosse à qui l’on a dérobé la base, s’écrouler sous son propre poids et se rompre ».

Ces quelques lignes suffisent à comprendre pourquoi ce texte peut être mobilisé dans toutes les situations non seulement de tyrannie ou de dictature, mais aussi de domination, quelle qu’elle soit. Il n’est donc pas étonnant que ce texte soit particulièrement choyé des groupes luttant pour l’affranchissement de la domination culturelle et linguistique.

            D’autant plus qu’il contient un passage, sans doute rajouté par l’auteur après avoir écrit une première version[2], présenté souvent comme un éloge inconditionnel de Ronsard et des poètes de la Pléiade qui portent le français, alors langue encore nouvelle pour l’expression de la culture savante, au même niveau que le latin et le grec. Or ce long passage est indiscutablement en partie ironique et critique, puisqu’il souligne le rôle des poètes pour soutenir les symboles et mythes fondateurs par lesquels les rois de France se donne une légitimitéà bon compte (« les nôtres semèrent je ne sais quoi du même genre : des crapauds, des fleurs de Lys, l’Ampoule et l’oriflamme ») et justifient – comprend-on malgré la prudence de l’auteur – leur tyrannie sur leurs peuples. En ce sens le travail des poètes de la Pléiade et l’avancement de la langue française sont inséparables d’une volonté politique visant à maintenir leurs peuples en servitudes, les poètes eux-mêmes participant ainsi, et au premier rang, à la servitude volontaire[3]. C’est évidemment à un usage contraire que, pour sa part, il fait servir la langue française, puisqu’il montre l’inanité des mythes monarchiques et dénonce en fait sa fonction dans la servitude volontaire des populations (et en particulier des intellectuels qui se prêtent à ce travail de légitimation idéologique).

C’est une édition récente de ce texte, polyglotte et savante à la fois qui me donne l’occasion d’en parler, une édition surprenante, parmi tant d’autres, d’Alain Mahé[4]. L’ouvrage contient non seulement une version du texte original avec en regard une version en français moderne annotée, mais aussi une traduction en « kabyle » (par Ameziane Kezzar), une autre en arabe algérien par Hakima Berrada (faite à partir d’une version en dialectal marocain) et enfin en arabe classique par Moustapha Safouan. L’entreprise s’explique lorsque l’on sait que Mahé est un anthropologue spécialiste des communautés rurales du Maghreb et en particulier de l’Algérie. Là où la plupart des chercheurs placent le principe de structuration de ces communautés dans une économie de la violence (un système vindicatoire, répondant à une organisation dite « segmentaire »), Mahé donne une place centrale, dans les sociétés rurales maghrébines, à la notion d’amitié, d’où la rencontre avec La Boétie, non pour ce que Montaigne écria de leur amitié, mais pour son opposition, dans la Servitude volontaire, de la société des amis à celle des comploteurs[5] et sa théorie de l’« entr’connoissance »[6].

Évidemment le choix de ces langues de traduction n’est pas étranger aux mouvements d’émancipation politique, sociale et culturelle dans les pays du Maghreb et plus largement dans le monde musulman, comme en témoigne le fait d’avoir voulu donner, non seulement une version kabyle, mais aussi en arabe vernaculaire, àégalité avec l’arabe classique. Du reste l’auteur donne une bibliographie des éditions existantes du texte de La Boétie dans le monde musulman, en arabe, en persan, en turc et en hébreu, certaines clandestines ou le traducteur se protégeant derrière un pseudonyme. Les trois traductions, associées au français, sont ici évidemment d’abord destinées à un lectorat algérien.

            Mahé rappelle dans son introduction que ce n’est qu’en 1995 que l’État algérien à fini par accepter le principe d’un enseignement de la langue berbère, je dis bien le principe, puisqu’en réalité cet enseignement reste le plus souvent largement virtuel. En outre, dit-il, « l’enseignement du berbère souffre toujours de la rareté d’œuvres littéraires et, plus généralement, d’outils pédagogiques » et l’ouvrage présente ainsi la première traduction en berbère d’un texte philosophique.

Dans son introduction à la traduction, Mohand Lounaci évoque les difficultés notamment lexicale d’une telle entreprise ; il est nécessaire de forger des néologismes et il se refuse à utiliser des néologismes sur la base « d’une supposé langue pan-berbère dont l’existence est de plus en plus remise en cause ». Il est d’ailleurs dommage qu’il ne donne pas de références bibliographiques à ces discussions, afin que l’on puisse se faire une idée par nous-mêmes. En tout cas, il est pour sa part en faveur de la construction des vocables manquant à partir du grec et du latin, plutôt que du français ou de l’arabe, suivant en cela ce qu’il présente comme une ancienne tradition d’intégration de mots empruntés aux langues des humanités.

 

            Cette parution est l’occasion pour moi de mentionner deux autres traductions de la Servitude volontaire. L’une en basque, parue à Bilbao en 2011 : Borondatezko morrontzari buruzko mintzaldia, à laquelle je vois qu’a participé Pedro Lomba, spécialiste de la philosophie hétérodoxe des XVIe et XVIIe siècles enseignant à Madrid[7]. L’autre en catalan, La Servitud voluntaria, parue en 2001 (mais comme personne de ce côté des Pyrénées n’en a évidemment rendu ni tenu compte, il n’est pas trop tard d’en parler) de Jordi Bayod, un spécialiste de Montaigne, qui a retraduit intégralement, avec une grande sensibilité littéraire et érudition, les Essais en castillan. Son édition de la Servitude Volontaire est très bien faite précédée d’une étude historique et critique, qui insiste sur l’inspiration républicaine (et non pas libertaire ante litteram) du texte, scrupuleusement annotée et survie d’une traduction de la lettre de Montaigne sur la Mort de la Boétie et son essai sur l’amitié[8]. Je connais Bayod et il me paraît évident qu’il y a pour lui, même si dans son édition il s’en tient à une analyse scrupuleusement philologique et historique, un lien entre ce travail et ses convictions indépendantistes, lesquelles aujourd’hui n’ont plus rien d’ailleurs d’exceptionnel ni même de minoritaire en Catalogne. Mais surtout, il sait que l’institutionnalisation du catalan, sa reconnaissance comme langue à part entière de communication et d’écriture académique, passe aussi par la composition et la traduction de textes non seulement de fiction, mais aussi de théorie et donc de philosophie. De ce côté-là, nous, occitanophones, sommes complètement déficitaires. Si les œuvres de fiction en occitan sont innombrables (surtout d’ailleurs des œuvres de création, les traductions sont plus rares), il n’existe pas à ma connaissance de traduction ni de composition d’œuvres de philosophie. Pourtant ce travail, a priori, poserait moins de difficultés lexicales qu’en kabyle et il serait tout à fait bienvenu et chargé de sens de traduire enfin en occitan l’œuvre du sarladais. Du reste, j’y songe depuis longtemps, mais même si le texte n’est pas très long, l’entreprise n’a rien de simple ni d’évident, car il n’aurait pas grand sens s’il n’était accompagné de notes et d’une présentation.

            En attendant, on lira opportunément la traduction catalane, qui nous est immédiatement accessible : «  Per ara només vull entendre com pot ser que tants homes, tantes viles, tantes ciutats i tantes nacions suportin, algunes vegades, un tirà sol que no té altre poder que el que ells mateixos li donen, que treu tota la seva capacitat de danyar-los de la voluntat que tenen ells de sofrir-lo, que tan sols els pot fer mal quan s’estimen més suportar-lo que contradir-lo ». « Decidiu-vos a no servir més i sereu lliures ! No vull que l’empenyeu o que el batzegueu. Deixeu tan sols de sostenir-lo : veureu que es desploma pel seu propi pes i es trenca, com un gran colós a qui haguessin furtat la base »[9].

Jean-Pierre Cavaillé 



[1] J’use ici de la traduction nouvelle d’Alain Mahé (réf. suit), ainsi que pour la citation suivante.

[2]Copie anonyme 1605, Bibliothèque de Bordeaux ms 2199, découverte en 2007.

[3] Ma lecture ne saurait donc être plus éloignée de celle de Jean Balsamo, « La Servitude Volontaire. Une défense et illustration de la langue française ». Voici le texte (je préfère donner ici la version originale modernisée de l’édition Bossard (1922) en libre accès sur internet) : « Les nôtres semèrent en France je ne sais quoi de tel, des crapauds, des fleurs de lis, l’ampoule et l’oriflamme. Ce que de ma part, comment qu’il en soit, je ne veux pas mécroire, puisque nous ni nos ancêtres n’avons eu jusqu’ici aucune occasion de l’avoir mécru, ayant toujours eu des rois si bons en la paix et si vaillants en la guerre, qu’encore qu’ils naissent rois, il semble qu’ils ont été non pas faits comme les autres par la nature, mais choisis par le Dieu tout-puissant, avant que naître, pour le gouvernement et la conservation de ce royaume ; et encore, quand cela n’y serait pas, si ne voudrais-je pas pour cela entrer en lice pour débattre la vérité de nos histoires, ni les éplucher si privément, pour ne tollir ce bel ébat, où se pourra fort escrimer notre poésie française, maintenant non pas accoutrée, mais, comme il semble, faite toute à neuf par notre Ronsard, notre Baïf, notre du Bellay, qui en cela avancent bien tant notre langue, que j’ose espérer que bientôt les Grecs ni les Latins n’auront guère, pour ce regard, devant nous, sinon, possible, le droit d’aînesse. Et certes je ferais grand tort à notre rime, car j’use volontiers de ce mot, et il ne me déplaît point pour ce qu’encore que plusieurs l’eussent rendue mécanique, toutefois je vois assez de gens qui sont à même pour la rennoblir et lui rendre son premier honneur ; mais je lui ferais, dis-je, grand tort de lui ôter maintenant ces beaux contes du roi Clovis, auxquels déjà je vois, ce me semble, combien plaisamment, combien à son aise s’y égayera la veine de notre Ronsard, en sa Franciade. J’entends la portée, je connais l’esprit aigu, je sais la grâce de l’homme : il fera ses besognes de l’oriflamb aussi bien que les Romains de leurs ancilles

et les boucliers du ciel en bas jettés,

ce dit Virgile ; il ménagera notre ampoule aussi bien que les Athéniens le panier d’Erichtone ; il fera parler de nos armes aussi bien qu’eux de leur olive qu’ils maintiennent être encore en la tour de Minerve. Certes je serais outrageux de vouloir démentir nos livres et de courir ainsi sur les erres de nos poètes. » 

[4]Étienne de la Boétie, De la servitude volontaire. Texte du XVIe siècle établi, traduit en français contemporain, annoté et commenté par Alain Mahé. Traduit en kabyle par Ameziane Kezzar et présenté par Mohand Louanaci. Traduit en arabe algérien par Hakima Berrada, Moustapha Naoui et Abdelhafid Hamdi-Chérif. Traduit en arabe classique par Moustapha Safouan et présenté par Afif Osman, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2015.

[5]« … entre les méchants, quand ils s’assemblent, c’est un complot, non pas une compagnie ».

[6]« la nature nous a tous faits de même forme, et comme il semble à même moule, afin de nous entreconnaître pour compagnon ou plutôt comme frère ».

[7]Étienne de la Boétie, Pedro Lomba; Juan Kruz Igerabide; Esteban Antxustegi Igartua Borondatezko morrontzari buruzko mintzaldia, Euskal Herriko Unibertsitatea, 2011.

[8] Etienne de La Boétie, La Servitud Voluntària ; Michel de Montaigne, Carta Sobre la mort de La Boétie i « L’amistat », traducció i estudi preliminar de Jordi Bayod, Barcelona, Quaderns Crema, 2001.

[9] Voir le français, supra, au début du texte.


Quinquanela lemosina

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gloriadela mort

Jan Marc Simonin, illustracion per Melhau, Petit e Simeonin, Glòria de la mòrt, Plein Chant, 2002

 

Corta istòria d’una tentativa mancada per reviscolar la reivindicacion occitanista en Lemosin (septembre de 2013-julhet de 2014)

           De còps que i a, sens censura particulara, d’iniciativas collectivas qu’an fach quinquanèla s’escafan de la memòria talament regde regde que los quites actors se podon demandar se quicòm es estat vertadièrament, o s’èra pas un sòmi.

           Es mon impression estranha, un an aprèp los darrièrs subresauts de la Plata Forma Lemosina per la Lenga e de la Coordinacion occitana dau Lemosin, dins lo silenci absolut de tota reivindicacion occitanista collectiva dins la (futura ex) region. Aqueste silenci s’es pogut mesurar ongan al moment de la cauma de la fam a Bordèu de David Grosclaude (27 de mai- 3 de junh de 2015) per la creacion de l’ofici public de la lenga occitana, sus lo pauc de plaça per l’ensenhament de la lenga dins la reforma del colegi (i ajèt pr’aquò una accion importanta a Periguèrs lo 6 de juhn passat), o encara, quora s’aprenguèt que la manifestacion panoccitana se farà ongan a Montpelièr, es a dire al pus lenh del Lemosin, aparentament d’ara endavant escafat de la carta. Mas podèm quitament pas cridar, un còp de mai, a la prepoténcia lengadociana[1], perqué es plan d’autoescafament que se tracha.

           Me sembla qu’aqueste consent per pas balhar de seguida e quitament pas se sovenir de çò qu’es estat (tròp) sovent viscut per la manada d’actors implicats coma la darrièra, l’ultima escasença de l’occitanisme lemosin, fa part d’aquesta tentacion letala d’autoavaliment. Sabi plan que sufís pas de dire ni mai d’escriure que quicòm s’es passat que benlèu valdriá la pèna de s’en sovenir, per far tornar la memòria e lo vam de l’accion, ma me sentissi tot parièr lo deber de balhar aquí una corta istòria d’aqueste moviment crebat dins l’uòu l’an passat. Aprèp tot, podriá servir a d’autres, aquí o endacòm mai.

             Evidentament es mon vejaire d’actor implicat e non pas una istòria objectiva e distanciada, mas vòli ensajar de demorar a pus prèp del faches e de pas me daissar prene dins la pèga dels sentiments e de las passions. De tot biais cadun poirà rectificar e discutir mon vejaire. Zo fai en occitan, entre nòstres, perqué, zo confessi, me fariá vergonha de zo far en francés : auriái tròp l’impression de balhar de que rire e de rasons en mai de nos mespresar a nòstres adversaris, que ne’n mancam pas.

            L’idèia de partença, qu’avèm aguda, lo Tiston (Batista Crestian) e ièu, èra plan simpla, amai simplòta[2] : ramusar a l’entorn d’una taula lo mai possible d’actors de l’occitanisme, foguesson membres d’associacions (idealament de totas la associacions concernidas) o pas, per veire se se podiá fargar una plata forma de reivindicacion comuna. La rason èra ela tanben fòrça simpla : lo silenci s’èra deja installat dins la region, un silenci pesuc, mortifèr, glaçant. La darrièra accion importanta remontava a 2006, es a dire a las Assisas per la Lenga que l’IEO organizèt a la facultat de dreit de Limòtge. Malgrat tot lo trabalh fach per aquesta associacion an’aquesta escasença, los nombroses convits oficials (mas dejà maites institucions joguèron la politica de la cadièra vuèja), res s’èra pas fach entre temps e, tot al contrari, fòrça s’èra perdut : l’ensenhament veniá vertadièrament un desert a totis los nivels d’estudis (lo quite cors a l’universitat èra estat suprimit) ; res en lenga dins los mèdias publics e privats escrits e audiovisuals ; pas de politica publica per la lenga en defòra de qualquas magras subvencions...

Mercés als organisators de la Quinzena occitana que festejava los quinze ans del Pargue Natural Regional Perigord-Lemosin, l’amassada se faguèt lo dissabte 14 de septembre 2013 a Aissa. Foguèt una polida capitada. Venguèron de monde actius per la lenga de mai d’una associacion e d’un pauc pertot en Lemosin. Se discutèt d’un biais constructiu, sens garolhar. Se creèt una entitat sonada Plata-fòrma Lemosina per la Lenga e se farguèt amassa lo borrolhon d’una « credada » comuna, articulada sus de reivindicacions legitimas, clarament formuladas, sens cap de fraselogia. La version finala se pòt encara legir en linha. Ailàs es totjorn d’actualitat, vist que quasiment res de çò que demandavem es estat obtengut.

            La « credada » foguèt josmessa a peticion : se sollicitava las signaturas de las personas e de las associacions : los partits politics podián nos balhar lor sosten mas pas signar. L’idèia èra de far signar en primièr los actors engajats dins la promocion de la lenga e de la cultura occitana lemosina, de demostrar aital nòstra legitimitat e nòstra coesion, tot en daissant a totis los que, en defòra del mitan lemosin, volián mostrar lor solidarietat, la possibilitat de signar. Es per aquò qu’avèm pas volgut far una peticion automatica en linha duberta al monde entièr. Aquò benlèu èra una error (qu’auriam agudas segurament fòrça mai de noms), amai se la peticion circulèt plan, e l’objectiu primièr foguèt largament agantat. Es a dire que çò me sembla, en Lemosin, totas las associacions directament concernidas per la lenga e totas las personalitats occitanistas e los militants mai o mens coneguts dins lo mitan an signat aqueste tèxte fòrça reivindicatiu (levats dos refuses : un perqué s’èra parlat de « lenga lemosina » a costat de l’expression « occitan lemosin », del segond la rason s’es pas encara compresa). D’actors « istòrics », coma Melhau o Lavalada, nos diguèron qu’aquesta accion serviriá a res de res (profecia autorealisatriça), mas signèron tot parièr. Aital, en pauc de temps (2 meses), gracia al trabalh de totis, associacions, grops de lectura e d’ensenhament, simples particulièrs que nos manderan de mails e sovent de fuelhas plenas de signaturas jos lo tèxte fotòcopiat amb de letras d’encoratjament, avèm pogut recampar las signaturas de mai de 700 personas (deus quaus 70 eligits) e mai de 40 associacions. En mai d’aquò 4 partits balhèron lor sostén (lor aviam pas demandar de signar per pas se far recuperar). Las tièras son encara visiblas sul malhum. L’unica causa que nos a mancat son las signaturas dels eligits occitanistas de’n defòra del Lemosin : Alirol, Grosclaude, Latrubesse, etc… Avèm pas jamai saput perqué (vertat qu’avèm quitament pas insistit per zo saber, e auriam degut zo far).

            Faguèrem una segonda amassada de la plata forma lo 16 de novembre dins lo locals de Calandreta a Lemòtges. Aquí tanben lo monde – maites qu’avián pas pogut èsser presents lo primièr còp – venguèron, amai de lenh. Se prenguèt la decision de crear una Coordinacion (Coordinacion occitana dau Lemosin), es a dire una còla de monde per rapresentar la plata forma e las associacions, consignar la Credada e tractar amb los elegits, las administracions, etc. Aquesta coordinacion èra formada de las personas seguentas : Jiròni Boulesteix, Jan-Mari Caunet, Batista Crestian, Jan-Cristoù Dordet, Joan-Glaudi Ducourtieux, Hubert Leray, Jan-Lois Ranc et ièu. Magali Urroz e Joan-Frances Vinhau, se junhèron puèi a la còla.

Una Conferéncia de premsa foguèt convocada a l’ostal de region, lo 10 de decembre de 2013 per publicar e mandar la credada als eligits, als responsables admnistratius, als patrons dels jornals, etc. Èran presents una jornalista de l’Écho du Centre, un de France Bleu Limousin e un de RCF. Dins los jorns seguents dos articles pareguèron : un dins lo Populaire du Centre (dijòus 12) e l’autre dins l’Écho (dimercres 11).

            La credada foguèt mandada, amb demandas personalas de rendètz-vos, als tres presidents dels conselhs generaus del Limosin, al president del conselh regional, al rector d’academia de Lemotges, a la presidenta de l’universitat de Lemòtges, a la directriça de la DRAC Lemosin, al president del comitat regional de torisme, als directors de l’Écho du Centre e del Populaire du Centre, de France 3 Lemosin, de France Bleu Creusa e de France Bleu Lemosin.

            Las responsas pr’aquò foguèron mai que magras : respondèron los conselhs generaus de Corèsa e de Nauta-Vinhana e las antènas de France Bleu Creusa e de France Bleu Lemosin. Venguèt puèi un convit del Conselh regional per un encontre. Per ièu aquesta indiferéncia e aqueste mesprès èran vertadièrament escandaloses. Caliá ensajar de far entendre nòstra propesta a tot prètz. D’autres membres de la coordinacion disián que « per lo Lemosin » (formula insuportabla que me calguèt suportar mai d’un còp) èra deja quicòm de positiu e que nos caliá nos contentar.

            Foguerèm reçauputs al Conselh General de Nauta Vinhana, lo 4 de febrièr de 2014, non pas pecaire pels eligits mas per Viviane Deville (rsponsable del « pòl ciutadanetat e torisme »). Èra benlèu lo primièr còp qu’aquesta institucion mostrava per l’occitan quicòm mai que l’indiferéncia o l’ostilitat. L’acuelh, al contrari, foguèt dels bons e se parlèt de las possibilitats d’ajuda a la difusion d’espectacles vius e de formacions a l’occitan dels personals d’EHPAD e d’oficicis de torisme. I aviá donca quicòm a tirar d’aqueste encontre mas, a ma coneisséncia i agèt pas cap, de lor costat nimai del nòstre, de seguida del dorsièr.

Lo 13 de mars lo president de region, Jean-Paul Denanot nos balhèt rendètz-vos a l’ostal de region, enrodat per son monde e acompanhat, entremièg d’autres, de David Buchet, director general en carga de l’amejament del territòri. Lo president se diguèt prèp a endralhar una enquesta sociolinguistica sus la situacion de la lenga occitana en Lemosin e sus las aspiracions dels Lemosins a son prepaus. Aquòèra l’una de las nòstras majoras reivindicacions. Aprèp còp, me disi qu’aquesta promessa èra pas cap seriosa. En efeit, lo sol geste concret que lo president èra prèp a far (e que a ma coneissença faguèt pas) èra en tot e per tot de reclutar un empleg jove (perque solucin la mai economica) per menar aqueste trabalh gròs, sens brica discutir del cossí se podiá menar un enquesta amb una sola persona sens experiéncia e sens competéncias especificas. Se parlèt tanben de la nominacion d’un encargat de mission per l’occitan, mas sens cap de proposicion concrèta e seriosa. Ièu, aviái pas l’abitudi d’encontrar un d’aquels gròs eligits e me semblèt un princilhon enrodat de sa cort, que te fasiá plan sentir qu’èra el e pas digus mai que copava e traçava. Aviái l’impression d’èsser un vilan recebut per son bon senher, debonari, mas plen d’una severitat contenguda e d’una superioritat segura de se.

         Lo 20 de mai de 2014, enfin, i agèt un encontre de quatre membres de la coordinacion amb lo monde de France Bleu Limousin. Ne’n sortiguèt quicòm de positiu : la creacion d’una emission quotidiana fòrça corteta de devinalhas en occitan (Qué quo qué queï ?), animada per J.-C. Dourdet et J.-F. Vignaud. Se faguèt un ensaj pendent l’estiu, l’emission agèt un grand succès, mas foguèt pas reconducha. Donca ne sèm totjorn al mème punt : cap d’occitan lemosin a la ràdio (en defòra de France Bleu Périgord), cap dins la premsa, quasiment res a la television. Disi quasiment perqué cal senhalar tot parièr la novèla emision sus França 3, Pajas Occitanas, cada dissabte (4 minutas), mas solament per las vacanças d’invern e d’estiu, amb un Jan Francés Vinhau mai que brave coma a l’acostumat e tanben, amb lo mème ustre e lo mème engenh, los subjèctes plan faches de TV Viennes Glanes. Mas aquestas polidas initiativas (per modestas que siagan dins la durada) an pas res a veire, çò me sembla, amb lo pichon rambalh del 2013-2014.

            Perqué, an aquesta epòca, ne’n demorèrem aquí pels rendètz-vos amb lo monde que comptan. Totis los autres (rectorat, universitat, jornals, etc.) jutgèron pas necessari de respondre a nòstras demandas d’encontres. Entre temps, e ben, entre temps, lo monde de la coordinacion, pauc a pauc desapareissián, tranquillament, un a un, sens bruch, sens rason aparenta si que non, segurament, qu’avián de causas mai importantas o agradablas de far. S’èra presa la decision de fargar un questionari per los candidats a las eleccions municipalas dels 23 e 30 mars. Gracia al trabalh de tres o quatre personas se poguèt realisar, mas foguèt mandat tròp tard e a pas grand monde, amai se per internet poguèrem tocar totas las comunas dels tres despartaments (mai de 700). La resulta pr’aquò foguèt quasiment nula, avèm quasiment pas agut de responsas.

        Lo vam e l’enveja de perseverar aviá visiblament quitat la majora part dels membres de la coordinacion, que se rescontravan de mens en mens. Dempuèi la debuta, i aviá pr’aquò un problema magèr que se deviá pagar : la majora part dels membres se disián pas « militants », mas puslèu d’associatius que fasián deja sovent dos trabalhs, lo per ganhar lor crosta e lo de las associacions e que devián, en mai d’aquò, trobar de temps per assigurar lo prefach de la coordinacion. Mas s’entendiá tanben tròp sovent dins la quita coordinacion un discors, vertat fòrça corent al jorn d’uèi, de depreciacion, amai de mesprès per l’accion militanta. « Militant » es vengut una mèna de mot pejoratiu, amai dins lo quite mitan occitanista ! Es çò qu’ai descobert, a mon grand estonament… ièu èri pas cap un militant acarnassit nimai experimentat, mas me semblava evident que s’implicar dins la coordinacion voliá dire, de tot, biais, militar.

            Quora nos sèm ramusar pel darrièr còp, lo 3 de juhn a la Libraria Occitana, carrièra Nauta-Vinhana a Lemòtges, demorava dins la coordinacion, en mai dels dos iniciators del projècte, pas que lo monde de l’IEO. Aqueste encontre se passèt mau. Ièu èri trucat per çò que me semblava la manca de motivacion e de determinacion de la còla. Me foguèt respondut que mon ton agre e mauplasent balhava gaire enveja de continuar a trabalhar aital. Ne prenguèri acte, comprenent mas un pauc tard, qu’èri pas fach per ocupar aquesta plaça d’iniciativa, d’organisacion e, cal gausar lo mot, d’autoritat. Un qu’a pas brica d’autoritat ni mai de carisme dèu segre los autres e evitar a tot prètz de se trobar dins una posicion de menaire. Aqueste jorn foguèt quitament pas possible de prepausar una data e un luòc per amassar de nòu la Plata forma per la lenga, unica mejan – me pensavi – per tornar crear una coordinacion activa e legitima.

D’aqueste jorn, de fach, la coordinacion èra defuntada, amai se capitèrem a escriure dins la setmana seguenta una letra de protesta comuna contra lo restacament del Lemosin a la region Centre e, mercés a Magali Urroz, que foguèt fòrça activa dusca a la fin, de’n far una peticion en linha que recuelhiguèt un pauc mens de 1000 signaturas en solament un mes de temps (vesètz sus aqueste site).

Lo còp de gracia, o puslèu la constatacion del fach que la coordinacion existissiá pas mai per degus, foguèt un recampament a l’ostal de region lo 11 de junh de 2014 per discutir de l’adesion de la region Lemosin a l’Ofici Public de la Lenga Occitana. Èri convidat amb un vintenat d’autras personas conegudas per lor accion occitanista en Lemosin. Cossí foguèt facha aquesta tièra d’eleits ? Per la region (Catherine Rolland, direccion del desvelopament cultural) que demandèt conselh al director de l’IEO. Almens es çò qu’ai compres. Aquesta còla, donca, causida pel poder regional amb l’ajuda d’una associacion, aviá pas cap de legitimitat ni mai d’unitat de reivindicacion. Es per se balhar aquesta legitimitat e aquesta unitat que s’èra fargada la coordinacion, mas de coordinacion, visiblament, degun ne voliá pas mai entendre.

Ai un òrre remembre d’aqueste encontre. Sèm estats recebuts pel conselhèr Jean Daniel que, vist qu’èra en carga de « l’agricultura, de la forèst e del monde rural »èra tanben responsable, çò disian (es quitament pas escrit dins l’organigrame de la region), de l’occitan, e partecipavan tanben Catherine Rolland (vesètz supra) e Joëlle Cartigny, conselhèra a la DRAC (patrimòni escrit, archivas e lengas de França). Lo Jean Daniel plastronava, esparacat sus sa cadièra de mèstre de cerimonia, visiblament completament estrangièr e indiferent a la lenga e a sa situacion de fin de vida. De tot biais, tot aqueste monde cercavan pas nòstres vejaires, se’n fotián plan, volián solament nos avisar que se lo Lemosin joscriviá a l’Ofici public de la lenga occitana e que i auriá pas mai, mas puslèu mens d’argent per l’occitan ; las decisions èran deja presas e aquòèra l’unic messatge que nos volián far passar. Evidentament faguèron finta de sollicitar nòstras opinins e Catherine Rolland nos demandèt de li mandar nòstras proposicions (a titre individual) al pus viste. Agèri la flaquèsa, l’ingenuitat o la colhardisa de zo far, tant me semblava important de pas perdre l’escasença almens d’ensajar d’aver l’enquesta sus la lenga. Va de far fotre ! Un an aprèp espèri totjorn la responsa amai l’acusat de recepcion. Una causa que podriai jamai doblidar es, aprèp la fin de la sesilha, ma tentativa, a titol personal de parlar a Joëlle Cartigny, vist qu’es en carga de las lengas de França, tanben de la question de la lenga sinti (la lenga parlda pels manoches) en Lemosin. Aviái davant ièu una paret d’incompreension e una sola responsa : « avèm pas d’argent ! ». Mas ièu parlavi pas d’argent, solament de la realtat d’una autra lenga en perdicion… Aviái l’impression d’un abséncia complèta e definitiva de possibilitat de comunicacion.

Mas cal dire, per èsser juste, que del costat dels convidats, vist un còp de mai que s’èran pas concertats e que cadun balhava son vejaire coma li veniá, foguèt una polida cacofonia. Qualqu’un diguèt que caliáèsser positius e arrestar de criticar los eligits e las administracions… I ajèt mème un ex membre de la coordinacion que trobèt a dire que lo rectorat (que nos a pas jamais respondut e que dempuèi d’annada seguís una politica d’eradicacion sistematica de l’ensenhament) èra pas en causa, e qu’èra al mitan associatiu a far dins cada canton de proposicions per entrar dins las escòlas, coma el zo fasiá. Me pecigavi per èsser segur de pas trevar…

Dins los jorns que seguèron, tres dels presents, cadun de son costat, mandèron de letras de protestas virulentas, mai fòrtas benlèu que non pas çò que disi aquí : Luc de Goustine, Olivier Peyrat e Jan dau Melhau. Aqueste encontre, çò disian, èra estat un indigne simulacre de dialòg, vist que tot èra deja clavat e plegat abans mème de començar, e d’una sola frasòta : « pas de moneda ! », qu’escondiá un non dich, mas espetant « nos en fotèm ». Aquestas tres letras disián, simplament, qu’aqueste monde nos avián preses per de colhons e far solament perdre nòstre temps. Avián plan rason. Mas i ajèt degun per dire que las causas serián estadas plan diferentas se i aviá pas agut d’un costat la poténcia convidanta e de l’autre de personas separadas e donca despoderadas, se i aviá agut, per lo dire d’un autre biais, coma endaquòm mai en occitania, una coordinacion amb de reivindicacions e de proposicions comunas.

            Vaquí l’istòria, que me caliá botar per escrich abans de tot doblidar, d’èsser pres ièu tanben per la demembrança, aquò deguèsse me far perdre dins lo mitan qualques amics en mai.

 

Joan-Pèire Cavalièr

15 de julhet de 2015



[1] Teni pr’aquò a dire que degun en Lemosin m’a encara reprochat mon estatut de lengadocian exiliat (e d’èsser per exemple lo fer de lança d’una cinquena colona lengadociana), tot al contrari, e aquò me rend admiratiu e plen de gratituda.

[2] Per èsser precis, la primièra idèia èra d’organizar una taula redonda amb un programa d’intervenents sus de subjèctes arestats de per abans. Aquò foguèt pas possible per manca de proposicions.

Alberto Cesa et son Chansonnier du Piémont

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L'héritage de Cantovivo

 

En passant par les Langhe, où j’ai entendu partout, dans la vie la plus quotidienne de presque toutes les générations (excepté, il faut le dire, les plus jeunes), parler le Piémontais, j’ai fait l’acquisition, dans la petite ville d’Alba, d’un livre de et, à la fois, dédiéà Alberto Cesa, paru en 2011 chez l’excellent éditeur frioulan Nota, qui publie des ouvrages souvent remarquables surtout dédiés à la musique et à la poésie frioulanes en frioulan comme dans les autres langues minorées de la péninsule, mais aussi du monde entier. Il est intitulé (je traduis de l’italien), Il Canzoniere del Piemonte. Canti e musiche tradizionali piemontesi, occitane, francoprovenzali : Le Chansonnier du Piémont, chants et musiques traditionnelles piémontais, occitanes, francoprovençales[1], et accompagné de deux CD qui reprennent de nombreux titres de chansons et de pièces, dont les notations musicales figurent dans l’ouvrage (il s’agit donc d’un livre très utile pour les musiciens trad), avec les paroles en piémontais, occitan etc. (assorties le plus souvent d’une traduction italienne) et de présentations en italien. Cesa, décédé en 2010, avant que ce livre déjà largement préparé ne paraisse, était un personnage de premier plan sur la scène italienne et internationale du folk et des musiques traditionnelles, grand chanteur et grand vielleux. Dans les années 70 il fut le représentant majeur, au moins pour Turin et sa région, de la rencontre entre répertoire protestataire et retour à la culture populaire paysanne dans les langues originales, réalisant lui-même de nombreux collectages et créant un groupe mythique, toujours existant : Cantovivo (littéralement « chant vivant »), qui parcourut le monde et mit au jour pas moins de 15 albums, dont le mythique Leva la gamba, grand prix international du disque de Montreux en 1979. Cesa publia d’ailleurs, l’année de son décès, chez le même éditeur, ses carnets de route de musiciens itinérants (Con la ghironda in spalla).

Il ne se contentait pas de porter la culture d’expression piémontaise, faisant toujours un place importante à l’occitan et au francoprovençal (autres langues du Piémont). Mais son répertoire excédait les limites de la région et n’avait rien de systématique, comme on le voit avec les pièces occitanes qu’il interprétait, souvent transalpines, provençales et même parfois languedociennes. A cela s’ajoutait la mise en musique de poètes piémontais, comme Angelo Brofferio (1802-1860) ou Antonio Bodredo (1921-1999, voir ici-même), la reprise des trésors contenus dans les recueils plus anciens (Costantina Nigra, Leone Sinigaglia, Alfredo Nicola) et surtout l’écriture de pièces originales, tout à fait remarquables, comme le fameux Barbagal, qui était un peu son morceau fétiche. Tout cela en fait à la fois un personnage exceptionnel et pourtant parfaitement représentatif du grand mouvement revitaliste folk des années 70-80 qui a impliqué toutes les cultures minorées d’Europe (et au-delà !) où en effet étaient indissociables lutte sociale, revendication culturelle, collectage direct, reprise des collectages plus anciens, modernisation et création musicales, de musiques amplifiées et acoustiques àécouter mais aussi et d’abord à danser, comme on l’a si bien vu par exemple en Bretagne ou encore dans les terres occitanes (qu’il suffise de citer l’œuvre musicale de Melhau et Combi ou, bien sûr, celui de la Talvera). C’est pourquoi il faut bien distinguer le collectage proprement dit (activitéà laquelle Cesa renvoie souvent, et avec précision, mais sans publier directement les sources) de ce que ces groupes donnent à entendre.

Le livre et les cd, qui constituent de fait une anthologie testamentaire de Cesa, reprennent toutes ces facettes de la production de Cantovivo (à l’exception des interprétations de chansons protestataires qui ont joué un rôle important dans la production du groupe). Chants de quête (mai, etc.), ballades, contrasti, berceuses, danses diverses (courantes, gigues, mazurka, valses…), etc. La richesse et la qualité du répertoire, mis à la disposition de tous, est vraiment impressionnante. J’ai une affection particulière pour l’interprétation originale de la terrible ballade fameuse entre toutes en Italie, Donna lombarda, chantée ici par Donata Pinti, grande chanteuse qui fut membre de Cantovivo : la version proposée n’est cependant pas en piémontais mais en mantouan qui est un dialecte émilien bien différent du piémontais… C’est cela d’ailleurs qui est drôle chez Cesa, cette désinvolture ouverte et créative, on trouve du mantouan et du languedocien dans un chansonnier piémontais, on y entend du dulcimer, instrument tout droit venu des Appalaches, etc. Je citerai au moins Il Curato galante, belle leçon d’ironique humilité« Veuli ’n pò che o dìa pare/ sor curà l’ha basà mare/ bala ridòn dòn déna/ bala ridòn dòn dòn// Còs’it veus-to mai ch’i fassa/ veus-to’d vòlte ch’i la massa// Le meisin-e a son care/ bastonà fan mal le spale » : « Vous voulez un peu que je vous dise père/ monsieur le curé a donné des baisers à ma mère/…/ Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ?/ Veux-tu par hasard que je la tue ?// Les remèdes son trop chers/ les coups de bâtons font mal aux épaules ».

Pour ce qui est des pièces en occitan (données en diverses graphies), on y trouve une très belle version d’Escriveta (ou Escrivòta) empruntée à Peire Maria Blajà, annoncée comme « provençale », mais en fait languedocienne (Guilhaume se marida Guilhaume tan polit/ La pren tan joveneta que se sap pas vestir, etc.), une version de La Mau Marideia (maridada) du Dauphiné, une autre de Diga Janeta, et surtout, pour le coup vraiment du Piémont, deux danses occitanes sans parole de la Val Varacha, Espouzin et la Giga di Sampeyre. On trouve aussi, bien présente sur l’un des CD, la mise en musique d’un magnifique poème d’Antonio bodrero Avìan jomai vegü[2]. Une curiosité enfin : la chanson à danser en provençal intitulée Lou calissoun d’la luno toute écrite par Alberto Cesa lui-même et Gabriella Brun en 1998 lors d’une tournée au Portugal !

Le chansonnier est en quelque sorte illustré et soutenu par tout un ensemble de textes plus ou moins courts en italien de Cesa (sur l’arbre de mai, le carnaval, la veillée, les instruments traditionnels), d’articles de presse, de photographies, d’un recensement de tout le répertoire discographique de Cantovivo… Un beau foutoir qui fait quand même un bel ensemble.

 

Le projet de Cesa, comme de tant d’autres groupes de l’époque, était de faire confluer, idéalement, « l’ancienne mémoire paysanne » et le « nouveau langage urbain et ouvrier ». C’est ainsi par exemple que Cesa voit dans le premier mai le renouvellement des arbres et fêtes de mai paysans. Il cite d’ailleurs la fameuse phrase de Gramsci : « Rien ne se perd dans la Tradition : dans le vieux tonneau, on verse un vin nouveau » (p. 26). C’est une façon de voir les choses, car le vieux tonneau souvent, pourrit dans son coin. L’idée d’une continuité entre le nouveau et l’ancien et d’une réutilisation permanente est tout à fait discutable : il est facile d’observer partout les pertes irrémédiables et les ruptures drastiques. D’ailleurs le revival folk montre combien la reprise et le ré-usage ne vont pas de soi, car cette attitude impliquait de rompre en fait radicalement avec la culture dans laquelle la plupart des ouvriers et des paysans se reconnaissaient dans les années 50- 60 et jusque dans les années 70 (ce que l’on appelle le « liscio » en Italie et le « musette » en France). Ces groupes se sont construit un public, certes, qui existe aujourd’hui encore, mais qui est resté, à quelques rares exceptions près, en marge et à contrecourant des cultures dominantes, aussi bien celle consommée par les classes populaires que celle des élites. Leur destin est ainsi, quelle attractivité que puisse exercer la musique et la danse, celui-là même de toutes les formes qui, jusqu’à nous, ont porté les langues et les cultures minorées.

 

Jean-Pierre Cavaillé



[1] Alberto Cesa, Il Canzoniere del Piemonte. Canti e musiche tradizionali piemontesi, occitane, francoprovenzali, Udine, Nota – Valter Colle, 2011.

[2]Avìan jomai vegü i’estéle sòutà/ belüe e valòsce se courìn apré// courìn i’estele e nous minà courìan/ per vèirle a toumbà darì dii crést// darìe de brounze e bàrs vihan i’estéle sòutà/ e i’stéle pouìn pà pouìn pà vèire nous// l’estralòrga avìa dit zé pà anca questa la dàrriéra nuèch/ dàrriéra nuèch

Nous n’avions jamais vu les étoiles danser/ étincelantes et rapides se courir après// les étoiles couraient et nous enfants nous courions/ pour les voir tomber derrière les crêtes// derrières les branches et les ravins, nous voyions les étoiles danser/ et les étoiles ne pouvaient nous voir// l’astrologue avait dit : « cette nuit n’est pas encore la dernière/ la dernière nuit ».

Sur Bodredo, voir ici même et là encore...

Leis Occitans pòdon defendre çò que li fai plaser: una reflexion sus la question de la lenga legitima en Occitània e alhors

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Publiqui aquí un tèxte de James Còsta refusat pel Jornalet, perqué sa redaccion a jutjat que Còsta, dins sos arguments fasiá de la reductio ad Hitlerum, banalizava lo nazisme, çò que me sembla simplament fals. En mai d’aquò lo publiqui amb grand interes perqué es, coma tot çò que ven de la pluma de Còsta, un tèxte plan assabentat e plan argumentat.

JP C

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Respònsa au tèxte de D. Sumien, “Leis occitans devèm pas defendre lo francés”

 

James Costa, 1 de setembre de 2015.

 

La redaccion de Jornalet decidiguèt d’escafar lei comentaris de la jornada dau diluns 21 d’avost 2015 en seguida de la publicacion de la cronica de D. Sumien d’aqueu jorn: “Leis occitans devèm pas defendre lo francés II”. Es son drech absolut. Lei cometaris constestavan fortament la posicion de Sumien sus la question dau liame que vesiá coma centrau entre lenga e territòri, que li permet d’escriure per exemple que

Lo francés a una legitimitat pauc evidenta dins lei país d’America amb de fòrtei populacions francofònas coma Quebèc, Acadia e Loïsiana. Car, dins aquelei país, lei lengas autoctònas vertadieras son de tipe amerindian o inuit. Quau s’enchau se lo francés o l’anglés tenon la primiera plaça en Quebèc quand de lengas mila còps pus enracinadas i son menaçadas coma lo mohawk, lo cri, lo micmac, l’ojibwa o l’inuit? La promocion dau francés en America seriá un pauc legitima, eventualament, dins lei regions ont es impossible d’esperar una reïmplantacion dei lengas amerindianas.

La redaccion de Jornalet  justifiquèt ansin sa decision:

La redaccion a decidit escafar totes los comentaris d'aqueste article davant una manca grèva de respècte. Dins los comentaris, los participants accèptan los principis de non-incitacion a la violéncia e de non-discriminacion per rason de sèxe, edat, religion, origina nacionala, andicap o orientacion sexuala. Se cal absténer tanben d’insultar o d’emplegar un lengatge ofensiu. La banalizacion del nazisme es pas acceptada.

Son d’accusacions a l’encòntre dei comentators que me li sembla indispensable de li respòndre, en particular perqué manteni qu’una part deis ideas d’aquela cronica son dangeirosas — dangeirosas mai que mai perqu’an una genealogia ideologica que lei legeires de Jornalet an drech de conóisser, dangeirosas mai que mai perqu’una persona sola a ges de drech de decidir de la legitimitat deis usatges lingüistics d’autrei personas, e encara mens au nom de la sciéncia. Dire que lei rasonaments d’aquel article son de sociolingüistica es tot simplament faus e se pòt dificilament acceptar que Jornalet reprodusèsse d’idèias faussas sus de tèmas tan importants. La posicion d’aquesta respònsa au tèxte de Sumien es qu’una lenga es pas, jamai, legitima per drech de natura sus qunte territòri que siegue, e que la legitimitat es totjorn una question de legitimitat dei personas a èstre e a agir dau biais que o fan. Afortissi que la legitimitat es una construccion sociala, resultat de rapòrts de poder, e que se decreta pas. Subretot pas despuei l’autre canton dau mond.

Siáu tan sociolingüista que Sumien. Cresi pas d’aver a me justificar sus aquò, mai coma la caça a la bòna e a la marrida sociolingüistica es duberta, e que Sumien m’acusèt per mon comentari (que repreni e desvolopi aquí) de me tenir en defòra de la sciéncia, o fau. A passat temps professor d’occitan dins lo secondari, puei cercaire a l’ENS de Lion e a l’Universitat d’Oslo, siáu a partir de uei mèstre de conferencias en sociolingüistica a l’universitat Sorbona-Novela a París. Ai publicat fòrça en sociolingüistica e antropologia lingüistica, e meti totei mei tèxtes publicats dins de revistas a comitat de lectura, emai aquelei que ne’n siáu gaire satisfach, a disposicion dau mond. Lei trobarètz totei en clicant aquí. O fau perqué d’una part pensi que, pagat per lo public, ai un dever de rendre çò que fau public, e d’autra part me sembla que sotmetre sei tèxtes a la critica generala es sanitós. Ai doncas ren d’escondre, e afortissi que ma critica dau tèxte de Sumien es legitima. La sociolingüistica que fau es de sociolingüistica critica, que s’apiela a l’encòp sus l’antropologia lingüistica nòrd americana en seguida dei trabalhs fondators de Dell Hymes, John Gumperz puei Susan Gal, Michael Silverstein, Jackie Urla etc, e de la sociologia critica europenca de Bourdieu, Lafont, Gardy, Boyer etc. per citar ren que lei occitanofòns o francofòns. Monica Heller (2011), sociolingüista a l’Universitat de Toronto au Canada definís la sociolingüistica critica ansin:

[d]oing critique means discovering how [processes of categorisation, selection and legitimisation] work in the specific sites and specific moments we attend to. It means getting underneath why people get excited about things in order to figure out what is at stake for them, and why (whether or not they are aware of it themselves). It means identifying what resources are circulating, what resources people are competing for, as well as the conditions that make them available and valuable; it means figuring out how their distribution is organized and how it works, and how people position themselves with respect to them; and it means figuring out what the consequences of those processes are, for whom, in terms of who gets to control access to resources and who gets to assign them value. (Heller, 2011, p. 39)

La lenga, en sociolingüistica, es una d’aquelei ressorça que ne’n parla Monica Heller.

La sociolingüistica, es una disciplina de terrenh. Una disciplina que ditz pas “tala causa es vertadiera, tala causa o es pas”, mai una disciplina, coma l’antropologia, interpretativa. Dona jamai que la posicion informada, justificada, mai istoricament e socialament situada, d’un individú. Per aquò es important d’indicar d’onte parlam, e cu siam.

Au còntre de çò qu’escriu Sumien, me placi pas en defòra de la sciéncia, argument qu’emplega sovent mai que demòstra jamai, e cresi qu’au contrari siáu en plen au dintre d’aquela reflexion. Apondi que siáu en ges de cas ligat a la defensa dau francés, que son avenir m’interessa gaire. Pasmens assaji de ne’n conóisser l’istòria, que dins l’establiment dei regimes sociolingüistics contemporanèus tèn un plaça centrala.

Es en ges de cas una ataca ad hominem: se siam jamai rescontrats, e au còntre ai puslèu d’estima per lo trabalh setmanier de Sumien. Seriáu pas capable de o faire. Tròbi sei cronicas lingüisticas tras qu’interessantas, son l’òbre d’un lingüista normativista qu’escond pas sei preferéncias teoricas. Sei cronicas dichas sociolingüisticas son en generau puslèu de cronicas d’opinion (una disciplina scientifica distribuís pas lei bons e lei marrits ponchs) qu’un trabalh de sociolingüista, bòrd que son apieladas ni sus de publicacion recentas dins la disciplina, ni sus un trabalh e terrenh (en tot cas presentan ni donadas ni observacions empiricas). Fishman, que cita sovent Sumien, es ara puslèu l’istòria de la disciplina que son present, encara mens son avenir.

Mai, basta, tot aquò es pas talament problematic, permet d’entretenir un debat entre d’occitanistas de sensibilitats differentas. Comença de venir problematic quand, au nom d’una disciplina scientifica, una persona se permet de decidir de la legitimitat d’una lenga — o ramenti, es jamai d’una lenga que s’agís dins aquelei cas, mai totjorn de personas. Una lenga a ges d’existéncia fòra sei usatges, e fòra seis locutors, coma o escriviá tras que ben JCD dins un messatge ara escafat. Dire que lo francés en America dau Nòrd o en Africa es pas legitim, es au mielhs un nonsens, au piéger la pròva d’un natualisme e d’un essencialisme dangeirós. Per essencialisme, entendi (aquì) l’idèa qu’una lenga seriá d’un biais consubstanciau ligada a un pòble et un territòri. Or l’un coma l’autre son de construccions socialas: existisson pas de drech divin, fan pas partida d’un òrdre naturau. I a pas de ‘pòble francés’ o de ‘pòble occitan’ per drech de natura, i a simplament de monde que decidisson de s’afiliar a aquele idea, istoricament e socialament situada, per agir dins lo monde e per lo transformar.

Una lenga a doncas pas de legitimitat en se. Una lenga a pas d’agentivitat nimai: pòt pas decidir de faire una causa o una autra. Es pas lo francés qu’es en lucha còntre l’occitan: lo conflict es entre d’usatges, que son la marca d’autrei conflicts de societat (de classa per exemple), e que participan a la construccion d’aquelei conflicts. Solament aquelei que la parlan an aqueu poder d’accion. Çò que fai la legitimitat d’una lenga, es la legitimitat sociala d’aquelei que la parlan. E aquela legitimitat existís unicament perqué, per de rasons istoricas que podèm condemnar, de mond an acceptat qu’aquelei personas aguèsson un prestigi tau que li dona una autoritat morala, culturala, economica, e lingüistica. Una lenga legitima, se decreta pas: es la consequéncia, jamai assegurada, de luchas per lo poder de dire çò qu’es verai o çò qu’o es pas, de dire ont se situís l’autoritat dins una societat. Mai dire “tala lenga es pas legitima en Africa”, es vuege de sens. Ten a l’encòp dau pseudo-analisi e de la volontat de faire advenir çò qu’enóncia. Dins lo premier cas, es tot simplament pas seriós, prqué vesèm justament que lo francés es, de fach, ultra-legitim en Africa — que nos agradèsse o non. Dins lo segond cas, per faire advenir quauqua ren, fau n’aver l’autoritat: Sumien pòt vouguer que lo francés siegue pas legitim en Africa (o que sei locutors siegon pas legitims), mai n’a pas lo poder. Degun entre nautrei l’a — aürosament.

La question de la legitimitat es centrala per nautrei coma occitanistas. Cresi pas que d’articles ansin adjudon en qué que siegue la compreneson de procés complèxes que fan qu’una varietat de lenga ven legitima o non. La question es jamai “quina lenga es legitima?”, mai “la lenga de cu es legitima?”, “cu a l’autoritat per estre cresegut de tau biais que son usatge lingüistic vengue legitim?”. Podèm totjorn fabregar leis aisinas lingüisticas mai perfiechas, leis estandards mai coërents, s’aquelei que cercan de leis impausar an pas l’autoritat per va faire, s’an pas la legitimitat coma actors sociaus dins lo camp (o dins la societat) onte cercan de leis impausar, tan vau mielhs qu’anèsson a la pesca.

Demòra la question de la filiacion ideologica dau tèxte de Sumien. Manteni absoludament tot çò qu’ai escrich. E se l’ai escrich, es pas per dire que lo tèxte es d’inspiracion nazi o que que siegue: o es pas. Es simplament per ramentar que leis ideas que ligan pòble, nacion e territòri son eissudas, sota la forma que li conoissèm actualament, de la modernitat istorica — en particular de la forma que prenguèt sota la pluma dau filosòf alemand Herder. E qu’aqueleis idèas son aquelei memas, sota una forma extrema, que serviguèrons a justificar lei atrocitats deis annadas 30 e 40 en Euròpa. Avèm en Euròpa una trista istòria quora s’agís de determinar cu es legitima a participar a una societat o non, e la definicion d’aquela legitimitat a ja, a aqueu moment, pres una forma lingüistica: o devèm gardar en tèsta.

Cò qu’escrivi, o inventi pas. Es estat recercat per d’istorians de la lingüistica tras que reconoissuts. Ai mençonat lo libre de Christopher Hutton (1999), o farai encara. Intitolat Linguistics and the Third Reich:Mother Tongue Fascism, Race and the Science of Language, son objectiu es d’analizar lei liames entre lo nazime e la teoria lingüistica. Son argument es que, mentre qu’en genarau aquela pensada es vista coma una òrra desfiguracion de la pensada europenca, de fach ne’n constituís una dei ramificacions logicas. Deborah Cameron, socilingüista escossesa, escriu dins son rendut-compte dau libre que l’ideologia raciala europenca auriá jamai pres la forma que prenguèt sensa la contribucion de la lingüistica. Escriu Hutton que lo nazisme es un tipe de moviment per de drechs lingüistics (p. 4) : “Nazism was an ideological coalition, and one of the fundamental elements in that coalition was the defence of mother-tongue rights: Nazism was a language-rights movement”. Escriu tanben, analizant la pensada nazi :

One of the key aspects of the ideology of the mother-tongue was its importance […] as an anti-semitic ideology. For Jews were held to lack a sense of loyalty to their mother.tonguer, and were therefore regarded to having an ‘unnatural’ relationship to language. Jews lived in many countries and spoke many tongues; they were rootless nomads […]. The separation of mother-tongue and race meant [for nazi theorists] that language for them was an instrument of communication only […].

Jews, given that their culture was based on a separation of the sacred and the vernacular, could maintain their identity across different cultures and language situations. In contrast, German identity was inextricably tied to the mother tongue. (Hutton, 1999, p. 5)

Coma lo resumís Deborah Cameron (1999, p. 55), quora defendèm lo drech dau pòble X a èstre ensenhat dins o a aparar la lenga X, partèm en partida dau principi que la fòrça morala d’aquel argument es que la lenga X es dau pòble X, que li aparten, e que lo pòble X la deuriá parlar perqué seis aujòus la parlavan. Partèm doncas encara un còp de l’idèa que lo pòble X parla pas coma deuriá, e basam una pensada politica sus un fantasme, aqueu dau liame essenciau entre un pòble, una lenga e un territòri. L’occitanisme es un corrent de pensada qu’a justament, a travèrs la pluma de Lafònt, combatut aqueleis idèas, e qu’a vougut a l’encòp metre lo subjèct, coma disiá Lafònt, o l’actor sociau, coma disiá Bourdieu, au centre de son accion — pas una lenga sacrada. A l’encòntre de la pensada de la mistica de la lenga, nombrós son leis escrivans d’Africa, d’Asia e d’alhor qu’an revendicat coma sieu lo francés o l’anglés, per transformar son estatut d’illegitim en legitimitat, per elei e per lo mond au nom de cu parlavan (o volián parlar).

Remandi directament au libre apassionnant de Hutton que nos mena a travèrs lei meandres de la lingüistica dau sègle 20en — tèni lo pdf a disposicion de cu lo vòugue. Mai mon messatge èra aqueu: se pòt pas, en ges de cas, au nom de qunta disciplina scientifica que siegue, decretar qu’una lenga es legitima o non. La lenga legitima es un subjèct tròp important per aquò. La pensada critica dèu mostrar en qué una lenga s’establís coma legitima, per quntei mecanismes, au nom de qunteis ideologias, e cu ne’n profiecha. Lo problema màger qu’avèm es bèn que l’occitan es pas legitim onte voudriam que o siegue — non pas per drech de natura, de pòble o de territòri, mai perqué cresèm qu’es important per la vida de millierats de gens. E resouvrèm pas aquela question en fasènt coma se lo francés èra illegitim en Occitània.

 

Referéncias

 

Cameron, D. (1999). (De)racialising Linguistics. Critical Quarterly, 41(4), 52–55.

Heller, M. (2011). Paths to Post-Nationalism: A Critical Ethnography of Language and Identity. Oxford: Oxford University Press.

Hutton, C. M. (1999). Linguistics and the Third Reich: Mother-tongue Fascism, Race and the Science of Language. Yiddish. London & New York: Routledge.

 

Le Front Populaire en gascon, comme si vous y étiez

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Les Lettres du militant Peyrot

 

Pierre Roumégous, Leutres à l’Henri. Chroniques politiques gasconnes du Travailleur landais (1936-1948), présentées par Micheline Roumégous et traduites par Guy Latry, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2014.

 

Je ne sais par où commencer pour vous convaincre de vous plonger, de vous immerger comme moi toute affaire cessante dans ce livre : par l’histoire ? la biographie ? la langue ? la culture de la grande Lande ?

 

Au vif de l’histoire du Front Populaire

L’histoire est celle du Front Populaire puis, en pointillé, des années de la Libération, avec le trou béant de la guerre entre les deux, l’histoire vue et vécue par un militant de base de la SFIO, Pierre Roumégous, alias Peyrot, participant à l’aventure éditoriale et politique de l’hebdomadaire socialiste LeTravailleur landais engagé aux côtés des métayers et ouvriers gemmeurs, une histoire au ras des événements politiques locaux et où ne cesse à la fois de s’imposer le contexte national et international. L’importance de ce journal départemental n’était certes pas négligeable (il déclare 1500 abonnés en décembre 1936, 3000 lecteurs encore en 1946), même si, aujourd’hui, les collections d’archives sont incomplètes.

Les articles gascons de Peyrot rassemblés ici sont l’expression directe d’abord de la satisfaction et des immenses espoirs des militants de gauche après la victoire acquise en 36, de leur engagement dans les luttes sociales en cours, mais aussi, très vite, du sentiment de trahison des urnes par les élus fossoyeurs du Front Populaire, avec la menace grandissante, obsédante de la guerre, et enfin, pour beaucoup, surtout pour tous ceux qui comme l’auteur rentraient de captivité, les terribles désillusions de l’après-guerre, l’impression que l’Epuration n’eut jamais vraiment lieu, la constatation que nombre de collabos enrichis par le marché-noir revenaient aux affaires. C’est donc une histoire de vaincus, mais des vaincus qui avaient connu aussi l’ivresse de victoires sociales sans précédent (les « pestiférés »étaient devenus une « foule » comme il le remarque), et avaient vu qu’ils pouvaient non seulement devenir acteurs d’une histoire qui semblait les exclure à tout jamais, mais surtout se payer le luxe de la réflexion, de l’acquisition d’une opinion informée et « libre », c’est-à-dire s’élevant au-dessus des intérêts immédiats et des réflexes idéologiques conditionnés[1].

On suivra ainsi les réactions à vif du militant, de semaine en semaine, et l’on fera opportunément des allers-retours avec la deuxième partie du livre, une imposante et remarquable monographie de la fille de l’auteur, Micheline, historienne et géographe, qui reconstitue très précisément le contexte de ces articles. En même temps, s’appuyant sur ce document extraordinaire, Micheline Roumégous a le courage de contredire une thèse récurrente dans les travaux des historiens consacrés à la période (Rémond, Winock, etc.), comme par hasard très gratifiante pour les Français selon laquelle le génie républicain aurait préservé la France d'avant guerre de la tentation fasciste. Elle remarque en effet que la menace de l’extrême droite en France même était une réalité concrète et non un simple fantasme, une erreur d’appréciation des militants de gauche confondant leur antifascisme (extérieur) avec « un hypothétique ennemi intérieur », qui n’aurait jamais sérieusement existé[2].

En effet l’enthousiasme de Peyrot et de ses amis,  devant les faits, fut de courte durée[3] : la trahison du Front Populaire par une partie des élus et la montée en puissance d’une droite lorgnant du côté des « dictatures ». Le saut brutal à la droite extrême, antirépublicaine, d’une partie des radicaux est un phénomène avéré qui ne saurait nous surprendre aujourd’hui, nous qui assistons, mutatis mutandis, à un phénomène tout à fait similaire de la part d’une partie de la gauche et de l’extrême gauche (au nom cette fois d’une république souverainiste). De même, elle met en question le procès sans cesse fait au pacifisme aveugle des instituteurs du Front Populaire : Peyrot est tout à fait représentatif d’un pacifisme maintenu comme idéal certes, mais résolument antifasciste (et certes pas munichois !) intégrant peu à peu et mal volontiers la nécessité de se préparer à l’inéluctabilité du conflit.

 

Un militant socialiste

Peyrot est d’abord un militant SFIO loyal et fidèle ; il déclare, reprenant les mots de son idole, l’élu charismatique du parti Lamarque-Cando : « Une révolution n’est qu’une évolution contrariée », ajoutant certes que « lou qui countrariera que paguera beléou et solide soun peucat » (« celui qui contrariera paiera rapidement et sûrement son péché »)[4]. Il se dit contre les « révolutions désordonnées », et c’est d’ailleurs ainsi qu’il qualifie en 1936 les événements d’Espagne. Pour autant, son rapport à l’action n’a rien à voir avec ce que nous voyons des socialistes d’aujourd’hui : « chaque cop qui boleum ha un pas eun aouan, qu’am besougn de ha grève » (« chaque fois que nous voulons faire un pas en avant, il nous faut faire grève ») dit-il en 1947[5]. Devant la montée des fascismes et les difficultés rencontrées par le Front Populaire, il affirme que les adversaires « sabeun que ne neus decheuram pas ha com lous piocs » (« savent que nous ne nous laisserons pas faire comme des poulets »)[6], envisageant clairement la possibilité d’un soulèvement de type révolutionnaire. Ses fins de lettre sont ponctuées d’appels urgents, vitaux, à l’action : « Adiou amic tén te beurt, cride, cride tu tabey, si se décheum ha qu’ém foututs » (« Adieu , ami, reste gaillard, crie, crie toi aussi, si nous nous laissons faire, nous sommes foutus ») ; « Adiou Henri et defén-te, sinou qu’ém foututs » (« Adieu Henri et défends-toi, sinon, nous sommes foutus »)[7]

C’est significativement l’action de terrain, même dure, qu’il exalte dans la figure du vieux syndicaliste gemmeur Duclos : « qu’aoué darè eut touts lous camarades, touts, et disciplinats ; heyts a leu grève, heyts à leus menaces, heyts à leu correctionnelle, heyts a leu garde mobile » (« il avait derrière lui tous les camarades, tous, et disciplinés, habitués à la grève, aux menaces, à la correctionnelle, à la garde mobile »)[8]. C’est cette forme d’action qui est pour lui le modèle pour le militant de base qu’il se vante d’être, décrivant avec un réel talent les événements collectifs qui réunissent les ouvriers et paysans engagés, dans une lettre par exemple, consacrée à la fête du 1er mai 1937 à Mimizan. Le matin son tribun préféré, Lamarque-Cando déchaîne les foules : « lou Cando qu’euspeulis aou barreuy d’un tounerre de bravos. Aqueut diable d’omme qu’eus peurtout, arreu ne l’arreste ; si parles d’un deusgourdit ! » (« Cando surgit dans un tonnerre d’applaudissements. Ce diable d’homme est partout, rien ne l’arrête ; tu parles d’un dégourdi ! »). L’après-midi un pique-nique géant est organisé en bord de mer : « Tout aqueut mounde que saoute sous vélos, drapéous rouyes daouan ; hommes, heumnes, gouyattes (hé ! hé ! qu’eun y a de leus broyes, biban !) que fileun dina à leu ma. Et sus leu garbaye, aqui pouleuts, aqui gounfits, aqui bouteuilles de bin, se bailléoueun de tout lous uns aous aouts » (« Tout ce monde saute sur les vélos, drapeaux rouges en tête ; hommes, femmes, jeunes filles (eh eh ! Il y en a de belles, bon sang !) filent déjeuner à la mer. Et sur les aiguilles de pin, ici du poulet, là du confit, des bouteilles de vin, on se donnait de tout les uns aux autres »)[9].

Même s’il rit de ceux qui disent que si tout va mal, « c’est la faute aux socialistes et aux moscoutaires ! »[10] (en français dans le texte) son rapport au communisme, au moins sur le plan idéologique, est très clair : « leu bolchevisatioun qu’eus lou countraire de leu démocratie […] qu’eus la négatioun de leu peunsade libre »[11]. Ainsi, de même, défend-il les petits propriétaires, et leur « liberté », aux côtés des métayers et des employés d’État, loin de tout projet collectiviste. Mais il ne met jamais en cause le compagnonnage. Pendant la captivité il fut, rappelle-t-il en 1946, « réglo avec les camarades », et il rappelle que sans le pays de la « dictature du prolétariat », il n’y aurait pas eu Stalingrad (26/01/1946).

Sa grande référence historique est la Révolution française, c’est vers elle qu’il se tourne lorsqu’il est tenté par la radicalisation (laquelle le rapproche évidemment des communistes). Ainsi, apprenant la mort de Salengro, il déclare : « Un cop de mé que me suy démandat si lous grans révolutionaires de 89 n’aouén pas reusoun de ha marcha le guillotine d’abiade sou col dous machans, sou col dous qui éren traites a leu patrie… » (« une fois de plus, je me suis demandé si les grands révolutionnaires de 89 n’avaient pas eu raison de faire marcher la guillotine sans arrêt sur le cou des méchants, de ceux qui étaient traîtres à la patrie… » 28/11/1936). C’est d’ailleurs au prisme de connaissances historiques (très françaises mais non négligeables) qu’il conduit ses analyses des situations présentes, par exemple en 1838 lorsque il continue à espérer que la guerre puisse être évitée : « Que caou ha lou possible peur évita lou malhure. Et aco leu réactioun quic beuyt et n’a pas l’airt de s’eun ha, car que counde, suy solide, sus l’appuy dous dictatures (coum lous émigrats de Coblentz coundéoueun sus leus armades dous Reuys), peu bieune a bout de nous atis » : « Il faut faire notre possible pour éviter le malheur. Et ça, la réaction le voit et n’a pas l’air de s’en faire, car elle compte, j’en suis sûr, sur l’appui des dictateurs (comme les émigrés de Coblence comptaient sur les armées des rois) pour venir à bout de nous »[12]. Tout cet article est d’ailleurs une tentative d’analyse de la situation présente à travers une comparaison avec les années révolutionnaires. Ailleurs, il se demande si l’Angleterre qui a vaincu Napoléon, ne serait pas à nouveau capable de mettre à bas les fascismes européen[13]. Quand il voit le Front Populaire trahi par ses élus, c’est vers la crise du 16 mai 1877 qu’il se tourne : « Est-ce que bam eusta euncouère coum lous aouts cops : eumbia majoritats à gaouche et aoueude goubernemeuns à dreute ? » : « Est-ce que nous allons faire encore comme les autres fois : envoyer des majorités à gauche et avoir des gouvernements de droite ? »[14], etc.

Il n’est évidemment jamais facile, dans le présent des événements, d’y voir clair et de proposer les bonnes anticipations, surtout sur les affaires internationales. En avril 1937, Peyrot croit apercevoir la fin des fascismes[15], et en décembre de la même année, il affirme que, contre vents et marées, le Front Populaire aura une longue vie[16]. Mais il est aussi parfaitement conscient des limites de la fiabilité de l’information à laquelle les gens du peuple comme lui ont accès par les journaux et la radio : « Sabramdounc un journ lou vrai mot de leu fin su lous évenemeuns d’Euspagne ? » (« Saura-t-on jamais le fin mot sur les événements d’Espagne ? »). Et il est en effet sidérant que, dans la même lettre, il puisse envisager sérieusement que le parti républicain espagnol, dont il déplore que l'on ne l’ait pas plus aidé, puisse participer au gouvernement de Franco[17].

En tout cas, la menace pressante et même, en 1939, l’inéluctabilité de la guerre sont pour lui une évidence. Dès décembre 36, il dit que « si lou Franco gagne ne say pas si ne pourram pas neus cira lou godillots » (« si Franco gagne, je ne sais pas s’il ne nous faudra pas cirer les godillots »)[18]. « Biban, Henri, qu’ém sus leu poudre seuque ! » (« Bon sang, Henri, nous sommes sur un tonneau de poudre ! ») s’écrie-t-il en mars 1938[19]. En janvier 39, il fait le point froidement : je sais, dit-il, « 1- que fournissi galette peur lous armemeuns […] 2- que tôt ou tard que pourrey fourni lou duxième truc lou vehicule peur lou n° 1 c’est adide ma pet » (« 1- que je fournis la galette pour les armements […] 2- que tôt ou tard, je pourrais fournir le deuxième truc, le véhicule pour le n° 1, c’est-à-dire ma peau »)[20].

Sur le plan de la politique intérieure, la grande affaire est pour lui le renoncement de fait des élus à porter le Front Populaire voulu pourtant par le peuple des électeurs. Il s’en prend d’abord aux divisions, au sein même de son propre parti, entre les courants, tendances et sous-groupes qui ne se découvrent en fait qu’une fois les élections passées : « A tan que soun aou pays que soun de dreute ou de gaouche ; mais lahore que direun que neus an oublidat » (« tant qu’ils sont au pays, ils sont de droite ou de gauche, mais là haut, on dirait qu’ils nous ont oubliés »)[21]. Pour autant, soit dit en passant, Peyrot n’a pas le moindre mot contre ce centralisme qui pousse ainsi les élus à« oublier » le pays et leurs électeurs, tellement il lui paraît dans la nature des choses. Sa question est bien différente : « te demandes coum se héy qu’aqueut Froun Populaire n’ay pas tinut tout une législature pusqu’aoué la majoritat ? […] N’y aoué pas Froun Populaire à le Crampe. Lou Froun Populaire n’existe pas sounque, vraimeun, heun lou puple » (« tu te demandes comment il se fait que ce Front Populaire n’ait pas tenu toute une législature puisqu’il avait la majorité ? […] il n’y avait pas de Front Populaire à la Chambre. Le Front Populaire n’existe vraiment que dans le peuple »)[22]. « Coum, qu’am votat Front Populaire et voila pas qu’ém tout d’un cop gouveurnats dap leus idéyes de dreute dap lou tchicoy Reynaud » (« Comment, nous avons voté Front Populaire et voilà-t-y pas que nous sommes tout d’un coup gouvernés avec des idées de droite par le petit Reynaud. »)[23] ;« Qu’ém plumats peur lous qui am noumat » (« nous sommes plumés par ceux que nous avons nommés »)[24].

 

Qui était Peyrot ?

Toutes ces considérations politiques nous apprennent beaucoup sur la manière qu’avait Peyrot de penser et de vivre son militantisme, tout en nous disant bien peu sur lui ; son identité, reste en retrait, délibérément cachée par le protocole d’écriture qu'il avait choisi. La biographie de l’auteur, qui signe invariablement ses textes Peyrot, diminutif de son prénom, est celle d’un instituteur, amateur de rugby (ce qui n’apparaît jamais d’ailleurs dans les lettres) engagé comme tant d’autres enseignants dans le socialisme. Il est si proche du monde des travailleurs agricoles qu’il peut jouer à en être un et être visiblement tout à fait crédible auprès de ces derniers, qui lisent ce journal. Il se présente en effet comme un homme de la campagne qui travaille de ses mains, « un oubré»[25]. Une autre fois, il se découvre quelque peu, puisqu’il appelle son ami à ne pas « oublida le classe d’oun sorteum » (« oublier la classe dont nous sortons »). Ailleurs il se dévoile plus encore, lorsqu’il rapporte les propos d’un « ami » instituteur expliquant qu’à force de côtoyer les enfants, les maîtres se laissent gagner par les exigences morales des petits (sens du mérite, de l’égalité, du respect du règlement placardé : drôle d’inversion projective ![26])... Il dit lui-même, quelques temps après avoir évoqué ce qui ressemble à un mystérieux attentat (ou accident ?), que le militantisme actif l’expose à certains risques. Il le paya cher au moment de la captivité où une libération précoce lui fut refusée au motif de sa soi-disant appartenance à un groupe communiste.

La biographie de Peyrot, telle que sa fille Micheline nous la présente, c’est aussi l’histoire d’un homme brisé, dans son élan et ses convictions militantes, non tant par la guerre qu’il passa dans une dure captivité en Silésie que par les années si décevantes et amères de la Libération. Un homme décédé en 1968 dont sa propre fille découvre incidemment qu’il avait rédigé des années durant des articles pour le Travailleur landais et qui plus est exclusivement ou presque en gascon, une langue qu’elle lui entendit à peine parler et qu’il ne lui avait donc transmise d’aucune façon.

Ces articles ont une forme épistolaire : Peyrot y écrit à l’Henri, qui était en fait l'un de ses cousins métayers, avec lequel il partageait les même convictions, mais ces lettres pour autant ne sont qu'un échange fictif.

 

La langue et la culture landaises

La langue donc, le gascon des Landes parsemé de mots et d’expression en français (une langue créolisée si l’on veut), une langue en tout cas que l’auteur manie avec grande aisance, dans un style oral, colloquial, coloré, parlant avec le même naturel, la même immédiateté de politique internationale et de chasse à la palombe. Qui a dit (j’en connais !) que la langue d’expression du militantisme et de la politique n’avait été et ne pouvait être que le français ? Ces billets en sont le démenti absolu où les sujets politiques les plus graves sont abordés sur le ton le plus sérieux ou avec l’ironie la plus fine, le cas échéant avec humour, mais sans jamais que le recours au « patois » n’entraîne le moindre renoncement à l’exigence d’analyse et d’argumentation. Par contre, ce choix linguistique permet à Peyrot d’associer le plus étroitement les considérations sur la vie quotidienne des paysans et ouvriers landais et les idées politiques qu’il discute, critique ou défend. La langue sert d’ancrage vécu à l’analyse politique, là où jamais le français, corseté par la norme scolaire telle que Peyrot lui-même l’enseignait, n’aurait sans doute pu le permettre. Qui plus est, il semble faire des émules, rapportant les lettres et les vers d’autres personnes cachées sous des pseudonymes[27]. Le choix de la forme colloquiale – il s’adresse en effet à son ami sur le ton de la conversation directe et privée, dans l’entre-soi du gascon partagé– possède aussi une grande force rhétorique ; il rend attractif les sujets politiques les plus rébarbatifs, interdisant de se complaire dans la langue de bois des déclarations officielles des partis. Mais il y a aussi le pur goût de la langue populaire. Comment résister par exemple, lorsque Peyrot écrit d’un candidat battu aux élections : « qu’eus maou coum un aougnoun, mé qu’un marmitoun qui se dèche pana lou roustit peur un can » (« Il est mauvais comme un oignon, plus qu’un marmiton qui se laisse voler le rôti par un chien ») ?[28] Par contre, on cherchera en vain la moindre réflexivité, la moindre explication sur cette utilisation du gascon dans un journal socialiste.

La langue sert aussi de véhicule naturel à la culture landaise ; une culture que n’aurait pas pu non plus exprimer, du moins de la même façon, le français que Pierre Roumégous enseignait à ses élèves : locutions proverbiales[29], récits de pratiques et coutumes vivantes (chasse à la palombe, cuisine[30]) ou déjà passées (le carnaval d’autrefois[31]), historiettes, anecdotes, vers, canulars, portraits satiriques, fables et histoires drôles (il y a un côté Panazo avant la lettre chez Peyrot) et parfois salaces (pourquoi les chattes en chaleur crient-elles si fort ? etc.[32]), saillies anticléricales[33], contes même parfois en bonne et due forme (en particulier l’histoire en plusieurs épisodes de la « bouhe de Hourchot » : la taupe de Fourchot[34]) ; c’est toute la culture populaire landaise d’avant-guerre qui est convoquée et partagée avec un lecteur complice. Je citerai juste ici le portrait au vitriol d’une propriétaire vieille fille réactionnaire, excellent au demeurant, même s’il est (bien sûr) chargé de préjugés de genre que l’on a commencé depuis à surmonter (ou à déplacer ?) : « si couneuchés le daoune, leu mamizélle Thérèse, l’eun arridereus broy : toute seuque et toute jaoune, meuntoun agut et pot prïm, uïlh de malice et came d’agace, qu’euspïye lous homes de traoués perce que nat ne l’y héyt risétte dempus qu’a l’adge de se marida et aco juste deumpus quarante ans » (« si tu connaissais la patronne, mademoiselle Thérèse, tu rirais bien : toute sèche et toute jaune, menton pointu et lèvre fine, œil en colère et jambe de pie, elle regarde les hommes de travers parce qu’aucun ne lui a fait risette depuis qu’elle a l’âge de se marier, c’est-à-dire depuis quarante ans »)[35]. Et encore, pour la route, un tout petit passage d’une très belle lettre sur la chasse à la palombe (décidément, il est difficile de rester dans le politiquement correct avec un Landais des années 30 !) : « Ah ! amic euntène heun leu cabane de brane lous mots de ‘paloumes daouan’, beude reuntra lous cassayres coum boulures eun se rasans juste à terre, euntène routcha leus ficelles sous boys et bira leus rouleutes dous appéous, mais qu’eus toute une joie ! » (« Ah mon ami, entendre dans la cabane de brande les mots « palombes devant ! », voir rentrer les chasseurs comme des voleurs en se baissant jusqu’à terre, entendre frotter les ficelles sur le bois et tourner les roulettes des appeaux, mais c’est tout une joie ! »)[36].

 

La seule difficulté du livre, au moins pour ceux qui comme moi n’ont pas le gascon dans l’oreille, est la graphie de Roumégous, parfois déroutante comme on l’a vu, assortie qui plus est de nombreuses coquilles dans l’original, mais toutes les lettres sont traduites en regard par Guy Latry et dument annotées (un travail de romain en vérité). Avec l’important commentaire de Micheline Roumégous, le lecteur dispose ainsi de tous les outils nécessaires et souhaitables, car bien des références et allusions sinon nous resteraient entièrement opaques[37]. Autrement dit, le livre offre de surcroît tout ce que l’on peut attendre d’une édition critique de qualité universitaire.

Jean-Pierre Cavaillé

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[1] Il faut lire la lettre magnifique du 15 mars 1938 : « Mais cheut de co, qu’eus milita ? sinou réfléchi sus ço que s’y passe à dreute, à gaouche, eustudia lou mounde, varsailla dap leus idéyes, leus bira de tout bort peur leus y trouva une balou, se ha une opinioun modeste, (faousse quouque cop, mais aoumeun personnelle) discuta dap l’un et l’aout franqueumen … » (« Mais à part ça, c’est quoi militer ? Sinon réfléchir sur ce qui se passe à droite, à gauche, étudier le monde, agiter les idées, les tourner en tous sens pour leur trouver une valeur, se faire une opinion modeste (fausse quelquefois, mais au moins personnelle), discuter avec l’un et avec l’autre franchement… »). 19/03/1938, p. 144-145.

[2] M. Roumégous cite entre autres un compte rendu édifiant paru dans le Travailleur Landais, d’un gala à l’initiative de l’Ordre national à Dax le 25 avril 1939 : « Film Le monde en folie rempli des soi-disant atrocités communistes, grèves, meurtres pillages, incendies… on hue Herriot, on siffle Blum, délire d’enthousiasme lorsqu’apparaît Franco, salle debout applaudissant. Conférence du commandant Navarre Aux portes de la guerre : discours haineux contre le Front Populaire et éloge dithyrambique du fascisme et de Franco. Ce n’est pas le patriotisme qui a été exalté mais la trahison ».

[3] La lettre du 23/10/1937 (p. 102) : « n’am pas mé réactionnaires ou que ta tchic deheuns lou pays. Adare, tout radicos, tout socialistes, tout communistes » est déjà tout à fait ironique. Peyrot prend en dérision ceux qui le croient tellement qu'ils ne se sont même pas dépalcés pour voter aux cantonales.

[4] 28/06/1937, p. 89.

[5] 07/06/1947, p. 272-273.

[6] 31/07/1937, p. 92.

[7] 04/12/1937, p ; 112-113 ; 26/11/1938 : p. 186-187.

[8] 06/03/1937, p. 64.

[9] 05/06/1937, p. 84-85.

[10] 22/01/1938, p. 126.

[11] 03/06/39, p. 224-225.

[12] 02/04/38, p. 150.

[13] 02/07/1938, p. 168.

[14] 16/04/1938, p. 154-155.

[15]« Tout aco, Henri, n’eus pas boun hum peur lous dictatures fascistes » : « tout cela, Henri, n’est pas de bon augure pour les dictatures fascistes » 24/04/1937, p. 74-75.

[16] 11/12/1937.

[17] 25/03/1939, p. 216-217

[18] 26/12/1936, p. 46.

[19] 26/03/1938, p. 148.

[20] 21/01/1939, p. 198-199.

[21] 29/01/1938, p. 128-129.

[22] 30/07/1938, p. 174-175.

[23] 03/12/38 p. 188-189.

[24] 24/12/38 p. 190-191.

[25] A propos des candidats socialistes aux cantonales : « aquits camarades soun oubrés coum tu et jou », 02/10/1937.

[26]« nous atis à force d’eusta dap lou petit mounde qu’arribeum à peunsa coum eut », 28/08/1937.

[27] Cependant, il me semble que l’on peut à juste titre suspecter que certaines de ces lettres sont de la main de Peyrot lui-même (en particulier celles de Seulot) ; leur forme étant étrangement proche de la sienne et il disposait là d’un subterfuge pour présenter des événements auxquels il n’avait pas directement participé.

[28] 30/10/1937, p. 104-105.

[29] Par exemple les propriétaires sont « coum lou can de Paillasse ! Ne boleun pas ha ni dicha ha ! » (« comme le chien de Paillasse ! ils ne veulent pas faire ni laisser faire »), que l’on trouve dans le recueil Arnaudin, Proverbes de la Grande-Lande, 1996, p. 188. Ou bien : « Dap leu pecs que peugueuyeun » : « Avec les fous, commet des folies », p. 223.

[30] Soit ce menu de carnaval : « bonne poule farcide, tripes d’agnet, pouleut à leu couquette, pastis » (« bonne poule farcie, tripes d’agneau, poulet à la coquelle, pastis ») 05/03/1938.

[31] Chacun, quel que soit son âge devait danser pour carnaval, « et tout aco que duréoueu toute leu neuyt et lou leundouman amic lou mé broy de tout, aoumeun peur lous couchailhs ! », 04/03/1939, p. 212

[32] Lire aussi un drôle de rêve raconté au lavoir, variation inattendue des histoires des relations entre curés et paroissiennes. 25/06/1938, p. 166.

[33] Lire la très bonne histoire du curé qui se venge de la paroissienne qui lui avait donné une fausse pièce à la quête, 14/01/1939, p. 196-197.

[34] Avril, mai 1947. C’est l’histoire de la taupe qui mine le champ de foire, si bien contée en limousin par Jean-François Vignaud.

[35] 20/0/1937, p. 68.

[36] 22/10/1938, p. 178-179.

[37] Je signale juste une expression « non élucidée » dans le texte de Roger Lapassade donné en annexe : « Georges éro partit ta débara t’a ana bèrsa ». Pourtant il me semble assez clair que Georges était descendu verser, c’est-à-dire pisser…

Le droit de pleurer ses morts

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Mathieu Pernot - La caravane

 

Autour des refus adressés à des détenus issus de la communauté« des gens du voyage » d’assister aux obsèques de leurs proches

 

            Permettez-moi, exceptionnellement, de sortir du sujet de ce blog consacré aux langues minorées, en abordant une question qui en semble très éloignée, mais qui ne l’est pas, car la situation d’une langue est indissociable des conditions sociales de ses locuteurs et de leurs spécificités culturelles. Et c’est parce que j’apprends le sinti et fréquente en Limousin les manouches (voir ici même Rencontre avec une langue invisible : le manouche et Louis Gouyon de Matignon et la langue des Manouches), que je me sens presque le devoir de dire deux mots de commentaire autour des événements qui dans la Somme (Roye, le 25 août de cette année) et dans l’Isère (Moirans et prison d’Aiton, le 20 octobre dernier) ont impliqué des membres de la (ou plutôt des) communauté(s) des « gens du voyage ».

            Si je le fais, c’est pour tenter de formuler ce que je n’ai entendu ni lu nulle part, dans le flot de communiqués cliniques et d’articles effarés, à l’exception cependant de l’interview de Marc Bordigoni dans Libération, le 21 octobre. Ce qui me frappe est l’ignorance absolue mais parfaitement assumée par la plupart des journalistes des profondes raisons culturelles de ces manifestations spectaculaires.

            A chaque fois, un groupe de personnes entretenant d’étroits liens familiaux (élément déterminant) se révolte contre le refus de permettre à un détenu d’assister aux funérailles de l’un de ses proches et cherche à faire pression sur les pouvoirs publics pour le respect de ce qu’ils estiment un droit, et qui l’est d’ailleurs, en principe, au regard de la loi.

            Ces actes paraissent sans doute au grand public des gadjé totalement disproportionnés, ou plutôt ne font-ils que confirmer l’assignation de ces familles et des « gens du voyage » en général à une identité délinquante. Le fait de ne pas même tenter d’expliquer les raisons profondes de ces révoltes, voire le fait de juger qu’il n’y a rien à expliquer, mais qu’il suffit de constater les infractions trahit la dépréciation et la discrimination. Oui, on peut accuser la plus grande partie des médias de discrimination active par indifférence délibérée aux différences culturelles qui, si elles étaient prises en compte, permettraient de donner sens aux événements que les journalistes ne rapportent que d’un point de vue apparemment factuel mais sans aucun sérieux souci de contextualisation, en se contentant de reprendre les faits tels qu’ils sont d’emblée construits par les pouvoirs répressifs (préfets de police, responsables politiques, administration pénitentiaire). L’image des « gens du voyage » qu’ils véhiculent dans leurs articles consacrés à ces incidents est uniquement celle des comportements délinquants, celle-là-même des déclarations publiques du premier ministre, des préfets et des élus.

            Les raisons profondes ne sont pourtant pas à chercher bien loin : elles résident dans l’immense importance des funérailles et du deuil dans ces communautés. Chez les Manouches, les familles se réunissent durant trois longues journées et trois longues nuits de veille, s’ils le peuvent autour de feu de camps, sans musique, sans véritable repas, sans repos. Pour ceux qui voyagent encore, bien souvent la caravane du défunt est détruite, ses photographies et ses effets personnels sont ou détruits ou taboués, ils acquièrent un statut spécial, pouvant être conservés en souvenir, mais non vendus ni donnés. Le nom du disparu, désormais, dans la famille proche, ne sera plus prononcé, ou bien à la rigueur dans certaines circonstances exceptionnelles et à voix basse. Ceux qui porteraient le même nom, dans l’entourage, sont rebaptisés.

            A travers ces pratiques, le défunt n’en sera que d’autant plus présent parmi les vivants. Il faut lire à ce sujet le magnifique livre de Patrick Williams, Nous, on n’en parle pas, les morts et les vivants chez les Manouches (1993). On peut aussi, bien sûr, parler directement avec les familles, si l’on veut bien passer sur ses propres préjugés et aborder ces sujets, très graves pour eux, avec respect et circonspection.

            Il est une chose qu’il faut comprendre : la présence des défunts est parmi ces communautés proprement centrale ; elle est le ciment, elle est ce qui fait exister la société, ce qui donne sens à la vie collective et individuelle à travers ou sans le prisme des religions dans lesquelles les individus se reconnaissent (en France, essentiellement le catholicisme et l’évangélisme pentecôtiste de Vie et Lumière). Les Tsiganes, ou comment qu’on les nomme, n’ont pas d’autre institution que la famille, avec ses vivants et ses morts ; leur société repose entièrement sur la famille et donc sur les défunts, sans lesquels aucune famille ne saurait exister. C’est pourquoi ils nous sont aussi très proches ; pour les comprendre, il nous suffit d’imaginer comment serait notre vie, si nous n’avions rien d’autre que la famille. Car il faut comprendre que les institutions des sociétés aux marges et à la fois au cœur desquelles ils vivent ne sont pas les leurs ; ils les connaissent, les subissent, en pâtissent, en bénéficient aussi parfois, mais ils ne s’y reconnaissent pas et elles ne les reconnaissent pas en retour ; les excluant la plupart du temps depuis toujours, les assignants au statut de citoyens de troisième zone, soumis aux carnets anthropométriques, au carnet de circulation, consignés de factoà ce qu’ils nomment eux-mêmes « places désignées », quand il y en a, et quand il n'y en a pas condamnés à l'infraction. Ainsi continue-t-on à les considérer comme des parias, dont la délinquance est héréditaire et l’inculture indécrottable. Bien sûr, on ne cesse de leur reprocher de ne pas jouer le jeu, alors qu’ils ne font généralement, pour continuer à exister, qu’esquiver, contourner, ruser avec ce qui les nie de fond en comble. Aussi la famille est-elle ce à quoi ils tiennent par-dessus tout, ce qui les tient, leur monde, leur vie.

            Refuser à un détenu d’assister aux funérailles de son frère ou de son père est un acte atroce en soi, pour tout être humain, un déni flagrant du droit fondamental défendu par Antigone, même si par certaines dispositions restrictives, ce n’est pas une chose, en France, illégale (voir à ce sujet l’article d’Aude Loriaux sur Slate). A l’égard d’un membre de ces communautés, c’est la pire des choses, la pire atteinte que l’on puisse faire subir à sa dignité et à son humanité. Ces décisions relèvent de la torture, du sadisme pur et simple, et même, en sous-main, confusément, d’une volonté d’anéantir toute une société en s’en prenant à ce qui la fait tenir, à ce qui lui permet de résister aux forces de dissolution internes et de désintégration externes. Et l’image médiatique produite à l’occasion de ces rébellions n’est pas la moindre de ces forces dissolvantes. C’est pourtant les médias que décident de mobiliser par leurs actes spectaculaires ces groupes de désespérés et ils en paient le prix fort, comme ils paieront, soyons en sûr, le prix de la répression policière. Il faudrait expliquer bien sûr pourquoi ce choix nouveau d’exhiber publiquement sa colère est aujourd’hui de plus en plus fréquent alors que jusqu’ici, ces communautés cherchaient avant tout, et quoi qu’il leur en coutait aussi, la discrétion et l’invisibilité en toute circonstance, là où tant d’autres groupes auraient manifesté leur indignation commune. Marc Bordigoni, dans son article cité plus haut, lance quelques pistes, en relation avec les difficultés de plus en plus grandes de stationnement, malgré la législation, non respectée par les mairies. Mais c’est un fait, même si cela déplaît à presque tout le monde, les « gens du voyage » désormais s’imposent et s’imposeront toujours plus comme des acteurs sociaux dans l’espace public. Le temps du silence est révolu. Et le public devra bien en prendre acte.

Jean-Pierre Cavaillé

 

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