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Còp de blues après le coup Bas au Sénat

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Charte aux oubliettes, cagade de Montpellier, Markowicz et Zemmour

 

Malgré la promesse de campagne du candidat Holland au sujet de la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, en attente depuis 1999, nous ne nous faisions aucune illusion. C’est que, durant tout ce temps, nous en avions déjà tant entendu, au Sénat surtout, mais aussi à l’Assemblée nationale, sur le charme obsolète de nos patois et la désagrégation qui attendait notre pays, si la France ratifiait, comme les 25 autres pays qui l’ont déjà fait (sans pour autant disparaître !), la charte ignominieuse (on verra ici quelques analyses faites en leur temps La grande régression. Discussion de la proposition de loi Navarro sur les langues régionales au Sénat, juillet 2011 ; Langues « régionales » : le sursaut républicain !, juillet 2008; Régions et patrimoine : les langues minorisées dans la constitution, mai 2008).

Certes le vote favorable de l’Assemblée (361 voix pour et 149 contre), le 28 janvier 2014 de la proposition de loi constitutionnelle présentée par Jean-Jacques Urvoas et Bruno Le Roux (PS) pour permettre la ratification, nous avait redonné quelque espoir. Mais la publicité faite aux idioties de la Serve Pensée (je ne reprendrai pas ce que j’ai si souvent dit ici La théorie du complot ethnique ; Libre pensée et monothéisme linguistique. Voir aussi les analyses de Philippe Martel, Langues régionales et front anti-républicain et surtout La Charte européenne pour les nuls (et par les nuls ?)) qui appelait solennellement les sénateurs à faire barrage au projet de loi scélérate était de fort mauvaise augure. Hé bien voilà, c’est fait, mardi dernier 27 octobre, le Sénat a enterrésine die le projet, avant même (et pour éviter toute) discussion, puisque c’est, à l'initiative du sénateur de la Moselle Philippe Bas, une motion de rejet du texte déposé par Taubira[1] qui a été votée, à une majorité confortable (179/155) par la droite et quelques radicaux de gauche. Affaire rondement menée : « circulez, il n’y a rien à discuter ». Et en effet, hormis les habituelles inepties (voir infra) ; le débat n’était pas à l’ordre du jour, ni au Sénat, ni dans les médias, lesquels sont restés tout à fait laconiques sur la question, voire mutiques.

Pour ne pas passer pour les fossoyeurs des langues régionales peu de temps avant les élections du même nom (quelle patalonade ces élections après le redécoupage géant à la discrétion du pouvoir sans consultation aucune des citoyens !), les sénateurs de droite présentent leur propre proposition de loi relative à la « promotion [sic !] des langues régionales ». On le trouve par exemple sur le Blog occitan de Benoît Roux. En fait, il s’agit d’un texte minimal, bâclé et insignifiant, soucieux avant toute chose, dans chacun des articles, de laisser ouverte la possibilité de sa non application.

Ainsi avons-nous perdu sur toute la ligne et pour longtemps. Au rythme de la disparition des locuteurs cela est évidemment une très mauvaise nouvelle. Nous n’avons même pas la consolation d’avoir réussi la mobilisation du samedi précédent à Montpellier (d’autres manifestations, certaines comparativement mieux suivis avaient eu lieu, notamment à Carhaix, à Strasbourg, à Bayonne et à Ajaccio, sans compter la manifestation provençale anti-occitane d’Arles organisée par le Collectif Prouvènço, en présence de Marion Maréchal-Le Pen (mais aussi, soyons justes, de Christophe Castaner –PS et de Christian Estrosi - LR).

Je n’ai pas pu me rendre à Montpellier, sinon j’y serai allé volontiers, bien que sans aucun enthousiasme ; le peu de littérature qui circulait à son sujet, en particulier celle produite par l’IEO, n’en donnait guère envie (Occitans, sa très mince revue sur papier glacée est devenue dans ses analyses politiques d’une vacuité en effet glaçante). Là aussi, en dehors d’entrefilets ici et là et de très modestes articles dans la presse locale, rien…

Que le mouvement en faveur de la démocratie linguistique n’ai jamais été foutu d’organiser une manif commune et de grande ampleur à Paris (voir ici, une vieillerie de 2009 : A Paris !), là où les sénateurs ont perpétré leur coup Bas, m’étonne, m’interpelle même. Que les occitanistes se soient si vite résignés aux processions rituelles en Languedoc (et nulle part ailleurs), gentillettes et bonne-enfants, alors que (ou parce que ?) nos langues sont à l’agonie, qu’ils ne soient pas capables d’inventer d’autres formes d’expression et de nouveaux modes de revendication symbolique, m’attriste profondément.

Ici, en Limousin, rien, apparemment ne bouge plus. Lors de notre tentative de création d’une coordination occitane en 2013-2014, nous avons été superbement ignorés par presque toutes les institutions auxquelles nous nous sommes adressés et humiliés par la Région qui s’était pourtant engagée à réaliser une enquête sur l’état de la langue et les aspirations des citoyens à leur sujet, sans donner une quelconque suite. Il est vrai aussi que nous avons cruellement manqué de détermination, de pugnacité et d’insistance (je me permets de renvoyer ici à mon bref historique en occitan d’août dernier : Quinquanèla lemosina).

Tout se passe comme dans ces rêves où l’on essaie en vain d’avancer, comme retenus dans l’effort par une main invisible, une inertie sourde et inexplicable. Il faut répéter et se répéter encore, réfuter pour la millième fois et en pure perte les asénades d’adversaires malveillants. C’est pourquoi d’ailleurs je renvoie aujourd’hui tant à d’autres billets publiés sur ce blog, pour botter en touche, éviter la compulsion répétitive dans laquelle nous entraîne le bégaiement des adversaires.

Je n’en donne ici qu’un exemple. La seule voix que j’ai entendu s’exprimer sur le brillant vote du Sénat à la radio, sur France-Culture, le 28 ocotbre, à l’émission de Caroline BrouéLa Grande table, a été celle du traducteur André Markowicz, forméà la bonne école de sa compagne Françoise Morvan à laquelle il n’a cessé de renvoyer comme à son autorité suprême.

Je me permets de citer in extenso ses propos incohérents, voire saugrenus : « la charte est une monstruosité et que c’est une grande chose que le Sénat ait enfin compris. C’est ce que Françoise [Morvan] dit depuis des années. C’est-à-dire, il y a un article, je ne sais plus lequel, je crois l’article 21, qui interdit toute réserve, quoi que disent tous les gouvernements et la Charte prévoit l’obligation… d’abord en France, par une aberration de Lionel Jospin, de Carcassonne et de cette vilainie [je ne suis pas sûr de ce dernier mot], il y a 70 langues qui sont admises, 70 ! – [Caroline Broué] Pourquoi c’est une aberration ? – [AM] Y a pas 70 langues en France. Je veux dire, est-ce que le Poitevin-Saintongeais, c’est une langue ? C’est un dialecte, à la rigueur. Et quelle importance ça peut avoir en France, là maintenant, de traduire la Déclaration des droits de l’homme et n’importe quel texte de loi en n’importe quelle langue ou dialecte de France ? Mais par contre ça ouvre… la question n’est pas de préserver les langues, c’est pas de ça qu’il s’agit, il s’agit par la préservation, par la mise dans une loi… il s’agit de la création de groupes, pas ethniques, mais de groupes particuliers à l’intérieur de la République, et c’est un grand danger. Sans parler du fait que, par exemple, on parle de la reconnaissance de l’arabe dialectal, comme langue française, mais de quel dialecte ? C’est absurde ! Mais par contre on parle de l’occitan, sans parler de… il y a pas d’occitan. Il existe un provençal, il existe du gascon, etc. Tout ça est absurde ».

Tout est confus et en effet absurde là-dedans : la charte ne concerne pas les langues issues de l’immigration (d’ailleurs on peut le regretter), Markowicz confond la liste des langues de France dressée par Cerquiglini (75 et non 70 !) avec celle des langues historiques qui seraient seules susceptibles d’être concernées par la Charte… Et puis, quel est cet article qui n’admet aucune réserve ? En quoi la charte institutionnalise-t-elle des « groupes particuliers » ? C'est quoi «un groupe particulier » ? C’est quoi un parler qui n'est « à la rigueur » qu’un dialecte ? Pourquoi le provençal existe-t-il et pas l’occitan ? Parce que le provençal, selon Markowicz serait une langue à part entière ? Et pas un semblant de dialecte (un dialecte « à la rigueur ») comme le poitevin ? Mais de quoi parle-t-on ? Pourquoi parle-t-on quand on ne sait pas de quoi l’on parle ? En la matière, le grand traducteur ne vole guère au dessus du grand journaliste Éric Zemmour qui a déclaré (sans rire !) que « Si cette Charte avait été ratifiée, on aurait donc pu imaginer que les employés des postes ou des impôts soient contraints de répondre à des administrés en breton à Rennes, en catalan à Perpignan, en mandarin dans le XIIIème arrondissement de Paris ou en arabe en Seine-Saint-Denis ».

         Il vient un moment où l’on ne se sent plus l’énergie, plus le courage, plus même l’envie de réfuter les plus grosses conneries qui, immanquablement renaîtront aussitôt. De toute façon réfuter pour quoi et pour qui ? Dès lors que l’espace d’expression médiatique est verrouillé, réservé aux idées si bien construites, articulées et pertinentes ( !) des Markowicz et des Zemmour ? Que pouvons-nous faire, sinon, hausser les épaules e sègre de parlar patès dins nòstre canton ; vaquí tot çò que podèm far. Mais cela très mauvais, nous dit-on, c’est du « communautarisme ! ». Alors puisque nous ne pouvons rien faire d'autre, de loin, de très loin, des recoins de nos trous de province, nous leur disons merde quand même, merde, mille fois merde, en toutes les langues, dialectes et quasi dialectes du monde. Le juron ne change rien bien sûr, mais soulage, libère un instant au moins celui qui le profère. C’est à peu près tout ce qu’il nous reste, le juron, l’injure, l’imprécation, pour autant qu’ils ne soient pas diffamatoires, quitte à transgresser les règles de savoir vivre et de correction éthique du « débat » dont nous sommes exclus.

Jean-Pierre Cavaillé



[1] Projet de loi constitutionnelle portant sur la ratification de la Charte prévoyant l’ajout d’un nouvel article 53-3 à la Constitution. « Art. 53-3. – La ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, complétée par la déclaration interprétative annoncée le 7 mai 1999 au moment de la signature, est autorisée. »


Le Saint-Esprit parle « bon français »

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La diglossie des prophètes cévenols

 

Au mois d’août dernier, j’avais cru intéressant de citer le cas, datant du tout début du XVIIe siècle, rapporté par le médecin Louis Guyon, d’une femme limousine qui, atteinte de forte fièvre, parla français durant trois jours, alors qu’elle était réputée l’ignorer, et l'oublia tout aussitôt.

Entre temps, j’ai eu l’occasion de recroiser l’affaire en fait très comparable des « prophètes » protestants qui à la fin du XVIIe siècle et au tout début du XVIIIe dans les Cévennes, le Vivarais, le Velay parlaient français uniquement lorsqu’ils étaient « inspirés par le Saint-Esprit ». Affaire comparable, mais très différente, car, comme on le sait bien, les huguenots avaient opté pour le français comme langue de culte en substitution au latin, langue haute dans laquelle étaient prononcés les cérémonies, les prières et les chants. Mais les foules rurales, pour autant, ne parlaient jamais français dans leur vie quotidienne, au point que l’expression en français pu passer pour le signe le plus sûr de l’inspiration du Saint-Esprit. En tout cas, entendaient-ils le français lors du culte et le comprenaient, car les nombreux témoignages ne confessent pas l’incompréhension du français des « inspirés », alors que certains de ceux-ci, comme Isabeau Vincent, dont je vais parler, se moquent des prières en latin « que vous n’entendriez pas quand vous les réciteriez vous-mêmes » ; ce qui, comme le remarque Philippe Joutard (Joutard, Les Camisards, 1976), prouve bien qu’il n’en allait pas de même pour le français, déjà installé dans les oreilles.

Le premier, ou du moins l’un des tous premiers de ces cas, fut celui d’Isabeau Vincent, jeune bergère de Saou près de Crest (aujourd’hui dans la Drôme), à partir de 1688, trois ans après la révocation de l’Édit de Nantes et le début de la grande répression. « Ne sachant ni lire, ni écrire », elle est dite avoir eu environ quinze ans, à l’époque de ses « inspirations », qui lui survenaient en dormant. Un témoin favorable, l’avocat Gerlan, rapporte ainsi les choses : « Elle parle les yeux fermés, sort les bras l’un après les autres, après quoi elle chante Lève le cœur ou quelque autre psaume jusqu’à la fin ; ensuite, elle expose des passages de l’Écriture sainte avec une voix forte, faisant ensuite son application sur les biens et les maux présents de l’Église, sur la repentance du pécheur qui est toujours le principal but de toutes ses exhortations. Elle parle fort bon français dans toutes ses exhortations, excepté que bien souvent lorsqu’elle se jette sur les abus de l’Église romaine, elle parle son langage naturel, mais s’étant éveillée [elle] ne se souvient pas d’avoir parlé et ne sait [pas] parler français » (cité par Joutard, Les Camisards, p. 61).

Le célèbre controversiste calviniste Jurieu écrit que « les cinq premières semaines, elle ne parla, durant son extase, que le langage de son pays, parce qu’elle n’avait pour auditeurs que les paysans de son village ; car de toutes les relations que nous avons vues, on peut recueillir qu’elle parle suivant les auditeurs qu’elle a. Après ces deux première semaines, le bruit de ces miracles s’étant répandu, il y vint des gens qui savaient parler et qui entendaient le français ; alors elle se mit à parler un français aussi exact et aussi correct que si elle avait étéélevée à Paris, dans les maisons où on parle le mieux ». Bien d’autres cas, cependant, montrent que les paysans eux-mêmes comprenaient correctement la langue.

Du moins est-ce de cette façon que sont rapportés les témoignages recueillis, entre 1706 et 1707 à Londres, auprès des réfugiés cévenols, par François-Maximilien Misson, dans son Théâtre sacré des Cévennes (1707). Mais il est à noter que Misson avoue lui-même avoir dû mettre toutes ces informations qu’il avait d’abord sollicitées par écrit, en bon français et en bon ordre, car le tout était rédigé dit-il dans « un fatras de mots gascons, français, forgés, défigurés, sans construction, sans clarté, sans choix, et par conséquent sans utilité ». Gascon, ici, est le nom générique donnéà l’ensemble des langues d’oc, comme tel était souvent le cas à l’époque. On ne peut donc savoir comment, en quels mots précis s’exprimaient les témoins sur la question.

Voici quelques uns de ces témoignages, dans la graphie modernisée de l’édition de 1847.

M. Caladon, d’Aulas, réfugiéà Dublin, écrit avoir vu un « grand nombre d’inspirés, de tout âge et des deux sexes […] tous des gens sans malice […] ils faisaient de fort belles exhortations, parlant français pendant la révélation. ». Et le témoin fait la réflexion suivante : « On doit remarquer qu’il n’est pas moins difficile à des paysans de ces quartiers-là de faire un discours en français, qu’à un Français qui ne ferait qu’arriver en Angleterre, de parler anglais » (p. 44).

Sara Dalgone de Vallon, près d’Uzès, parle d’une petite fille de 8 à 9 ans de son voisinage qui vers 1701 « parla toujours bon français, autant que j’en puis juger », ce qui semble indiquer qu’elle ne se reconnaît pas experte en la matière (n’oublions pas que ses propos sont eux-mêmes mis « en bon français » par Misson). Mais elle ajoute : « quoi qu’il en soit, je suis très assurée qu’il aurait été impossible de parler à l’ordinaire comme elle parlait dans l’inspiration, et il est même très-constant qu’elle ne se serait jamais avisée de s’exprimer autrement que dans le patois du pays ; car on ne parlait pas plus français dans notre petit bourg que si nous n’eussions pas été partie du royaume de France » (p. 131-132).

Dans la même proximité d’Uzès, Guillaume Brugier d’Aubessargues dit avoir vu prophétiser une petite fille de 4 à 5 ans, Suzanne Jonquet : « Elle parla haut et distinctement, en bon français, et je suis sûr que, hors de l’extase, elle n’aurait pas parlé ce langage… » (p. 159). Il évoque également son propre frère, qui « parlait toujours bon français dans ses inspirations, quoiqu’il fût absolument incapable de le faire ordinairement » (p. 160).

Mademoiselle M. P. dit avoir assistéà Anduze en 1702 à l’inspiration d’une « pauvre fille de quatorze à quinze ans » : « Elle dit plusieurs choses qui tendaient à solliciter les pécheurs à se repentir, s’exprimant en français, contre sa coutume sans doute, dans un lieu où les gens de cette sorte et particulièrement de cet âge ne parlent que le patois du pays, et ne sont pas même capables de parler autrement » (p. 178). Jean Cabanel, de la même ville d’Anduze, affirme avoir vu au moins quinze personnes inspirées  de l’un et l’autre sexe: « Ils parlaient tous français ; et je suis bien assuré que quelques-uns d’eux, que je connaissais particulièrement et qui ne savaient pas lire, n’auraient jamais pu s’exprimer en si bon français, étant hors de l’extase » (p. 142).

Mademoiselle Sybille de Brozet, du Vigan, en 1702 évoque deux filles que l’on fit passer pour de « pauvres idiotes » pour les faire libérer après qu’elles fussent arrêtées. Elles aussi, « parlaient français dans l’inspiration, et jamais dans un autre temps » (p. 161).

Jean Cavalier (cousin du chef homonyme), de Sauve, proche de Saint-Hippolyte-du-Fort dit d’un jeune garçon qui prophétisait : « … quelle merveille de voir un enfant timide et ignorant entreprendre d’enseigner un peuple ! Prêcher dans un langage qu’il n’était pas capable de parler dans un autre temps ! S’exprimer magnifiquement ! »

Jean Vernet originaire du Vivarais, raconte que sa propre mère : « ne parlait que français pendant l’inspiration ; ce qui me causa une grande surprise la première fois que je l’entendis ; car jamais elle n’avait essayé de dire un mot en ce langage, ni ne l’a jamais fait depuis, de ma connaissance ; et je suis assuré qu’elle ne l’aurait pu faire, quand elle l’aurait voulu ». Elle ajoute : « Je puis dire la même chose de mes sœurs ».

Isabeau Charras relate quant à elle les très nombreuses manifestations prophétiques auxquelles elle a assisté dans le Velay à partir de début de 1689 et ce jusqu’en 1696 chez des « personnes de tout âge et sexe » : « dans le temps de l’inspiration, ils [« les inspirés »] parlaient toujours français, encore qu’ils ne fussent pas capables de le faire dans un autre temps » (p. 168).

Ce qui apparaît, à travers tous ces récits, est l’existence d'une société où l’on ne parle en effet jamais ordinairement le français, bien qu’on le comprenne, plus ou moins bien. C’est ce caractère anormal, extraordinaire de la prise de parole en français qui explique qu’elle puisse ainsi être considérée par les protestants cévenols comme la langue par excellence du sacré, langue du culte persécuté, langue des prêches et des exhortations, langue de la prophétie et du Saint Esprit. Cela révèle, par contraste évidemment, l’entière reconnaissance par les locuteurs eux-mêmes du statut inférieur et subalterne du langage (ou patois) du pays.

Jean-Pierre Cavaillé

Daesh parle et chante (aussi) en français

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Les langues des rappeleurs djihadistes

 Une fois encore très loin et très près, comme vous le verrez, du sujet de ce blog, je propose une variation sur le fait trivial qu’une langue devient ce que l’on en fait, qu’elle n’est pas par essence, ceci ou cela, la voix des droits de l’homme ou celle du maréchal Pétain, mais qu’elle dit tout ce que les locuteurs peuvent et veulent lui faire dire, tout. Il en va ainsi de notre sublime français bien sûr, comme de nos patois rampants et misérables, dont on nous a si souvent dit qu’ils étaient l’expression naturelle de la réaction, des curés ou de la collaboration. On savait bien sûr, pour l’entendre tous les jours, qu’il y a un français le péniste, un français mélanchonien, un français hollandien, etc. ; il y a désormais un français Daesh, puisque Daesh parle aussi français, et même, on le découvre, « bon français ». Et n’en doutons pas Daesh parlerait breton ou occitan, comme il parle tchétchène et ouïghour, si ces langues représentaient pour les soldats du « califat » un quelconque intérêt propagandiste.

Si vous avez pris la peine d’auditionner en entier le communiqué de revendication des attentats par Daesh et la chanson a capella qui l’accompagne (Avance, avance), peut-être êtes-vous, comme moi, restés à la fois médusés et glacés, sans voix au terme de cette expérience d’altérité idéologique radicale et de familiarité linguistique, qui donne pourtant une consistance, une sorte d’existence palpable à une réalité dont les flots de paroles médiatiques ne produisent qu’une évocation abstraite et foncièrement autiste. Le communiqué d’abord, lu par cette belle voix d’homme jeune, avec ce phrasé qui tend vers la scansion rap, un texte extrêmement écrit, dans un français châtié, plein de préciosités et d’expressions métaphoriques recherchées : « Un groupe ayant divorcé la vie d’ici bas s'est avancé vers leur ennemi, cherchant la mort dans le sentier d’Allah… », « la capitale des abominations et de la perversion, celle qui porte la bannière de la croix… », « des centaines d’idolâtres dans une fête de perversité… », « Paris a tremblé sous leurs pieds et ses rues sont devenues étroites pour eux… ». Si ces formules ne renvoyaient pas aux abominables événements que l’on sait, on pourrait croire à une fiction d’heroic fantasy dans le décor d’un islam de pacotille, le genre de texte pompeux et ampoulé, qui accompagne ces jeux vidéo où guerres intersidérales et retraitement massif de références mythiques et religieuses éculées.

Cette impression est accentuée par les paroles de la chanson, quelque chose que je n’avais jamais entendu, une chanson répétitive et envoutante, et avec quelles paroles ! « Avance, Guerrier invaincu l’épée à la main, tue-les/ Tue les soldats du diable sans hésitation/ […] Bats-toi jusqu’à la rencontre du Tout-Puissant,/ En courant vers ta proie tel un lion rugissant/ […] … coupe les têtes de l’ignorance,/ Coupe les têtes des soldats de l’errance./ […] Tue les traitres, attaque-les par surprise,/ Égorge-les, fais-leur payer leur traitrise,/ Identifie l’hypocrite au cœur noir qui bat,/ Qui ne bat que pour les intérêts d’ici-bas. » Paroles belliqueuses, c’est bien le moins que l’on puisse dire, d’une violence extrême, oui, mais aussi, étrangement moralisatrices, usant des mots d’ « hypocrisie », de « vertu » et même, même, de « bonheur » ! Le bonheur promis au djihadiste mort au champs d’horreur (« n’aie peur de rien, fonce tout droit vers le bonheur,/ Le champ de la bataille et le champ des honneurs »). Des mots tellement clinquants, et quelque chose de tellement juvénile et maladroit, que, si la musique n’était pas si terriblement, tragiquement sérieuse, et sans la relation directe avec la réalité du massacre, on pourrait penser à une parodie, à l’exténuation ironique d’un mode d’expression hyperbolique.

Mais, au fond, on doit bien constater que ces caractéristiques se retrouvent dans tous les formes de propagande belliciste à travers les âges et le monde. Rien d’absolument nouveau de ce côté-là. Cela blessera sans doute ; mais en réponse à la barbarie de Daesh, je l’ai bien entendu partout, sur tous les médias, le couplet fameux chantéà tue-tête et en toute bonne conscience par des milliers (millions ?) de mes compatriotes : « Marchons, marchons/ Qu’un sang impur abreuve nos sillons ». On devrait bien sûr prendre le temps de remettre la Marseillaise en son contexte historique, insister sur les différences de rhétorique guerrière (la différence cruciale entre l’appel à un « nous », à une communauté nationale invoquée à la première personne du pluriel et le défi morbide qui s’adresse personnellement au djihadiste putatif, la dimension symbolique et mémorielle et non plus performative de la terrible mention de l’hymne), par-delà toutes ces distinctions nécessaires, reste l’appel à la marche en avant contre un ennemi, dévalué de toutes les manières, à anéantir.

Une chose surprenante, dans le communiqué et dans le chant, est l’absence de la présence de la langue arabe (à l’exception du nom d’Allah). Les deux extraits du Coran cités au début et à la fin de la revendication[1], le sont uniquement en français, ce qui n’est pas du tout orthodoxe et renvoie soit à un choix stratégique de destination et de prosélytisme, soit aux limites linguistiques de ces djihadistes francophones.

En lisant les journaux, en surfant sur le net (et en tombant d’ailleurs assez souvent sur des pages fermées et sur un communiqué du gouvernement français m’expliquant que pour mon plus grand bien, le site que je recherche n’est plus accessible), j’ai trouvé cependant quelques informations sur cet étrange objet. Le chant d’abord appartient à un genre en soi tout à fait respectable, les anāshīd (terme européanisé en nascheeds), poèmes religieux islamique a capella ou accompagnés de percussions (la musique instrumentale étant pour nombre d’autorités, en islam, au moins dans le cadre religieux, harām, illicite). Ces chants sont le plus souvent en arabe, mais Daesh en a fait un moyen de propagande à travers la production et diffusion en plusieurs langues (au moins anglais, français, allemand et ouïghour) d’anāshīd appelant au djihad et à rejoindre l’organisation. On entend bien, en écoutant Avance, avance (il y en a d’autres) des emprunts aux musiques populaires occidentales contemporaines de masse (variété, rap…). Cela est particulièrement sensible dans un autre chant du même « poète » et chanteur que l’on peut aujourd’hui encore trouver sur le web et qui s’intitule Saisis l’Anse la plus solide et qui daterait de 2008. Il est faux, comme je l’ai lu sur plusieurs sites, de dire qu’il s’agit d’un chant guerrier, mais bien plutôt d’un appel à une vraie et entière conversion, comme le dit bien le titre coranique et le début : « si tu la saisis, certes tu réussiras et le côté sombre de ta vie s’éclaircira […] Ya akhi [ô mon frère] il faut qu’on comprenne que beaucoup prennent/ La religion pour amusement/ Ya oukhti [ô ma sœur] il faut qu’on se reprenne et qu’on leur apprenne/ Qui sont les musulmans ». Rien qui ne puisse recevoir une interprétation charitable, à part peut-être quelques vers dont le sens est tout au plus ambigu et sans doute destiné aux initiés : « On ne peut plus leur permettre de profaner notre foi. Attention à la mort, elle vient n’importe quand. Il faut se préparer. Beaucoup de remords pour les non pratiquants qui se sont égarés ». Détail intéressant : lorsqu’on restitue le verset dont est tirée la métaphore qui donne son titre à la chanson, on obtient ceci :« Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s'est distingué de l'égarement.Donc, quiconque mécroit au Rebelle tandis qu'il croit en Allâh saisit l'Anse la plus solide, qui ne peut se briser. Et Allâh est Audient et Omniscient. » (Sourate 2, Verset 256). Faire de ces mots une interprétation favorable au terrorisme religieux semble bien difficile… C’est pour cela d’ailleurs que l’on aimerait accéder à« l’interview du groupe » dont le lien figure sur la page, mais – bien sûr – ce lien est désormais brisé.

Surtout on connaît maintenant l’identité des deux voix et auteurs du communiqué et de ces deux chants : Fabien (37 ans) et Jean-Michel Clain (35 ans), deux frères actuellement en Syrie, des convertis issus d’une famille réunionnaise, figures bien connues du djihadisme français, puisque Fabien, qui se fait appeler Omar, avait été condamné en 2009 à 5 ans de prison pour avoir organisé une filière de recrutement pour l’Irak (dite groupe d’Artigas, en Ariège), où il entretient, entre autres, des relations avec Mohamed Merah. Fabien et Jean-Michel (alias Abdelwali) sont nés à Alençon et ont séjourné avec leurs familles à la Réunion, de 1991 à 1995, pour retourner ensuite à Alençon, puis ils se sont installés à Toulouse, au Mirail, où, détail intéressant livré par une cousine réunionnaise, la famille se serait convertie à l’islam pour échapper à la délinquance et « rester dans le droit chemin ». Un profil lui était consacré dans Libération au mois d’août dernier.

Même s’il n’a pas suivi des filières d’études littéraires ou scientifiques et s’il n’a pas terminé son BEP de métallurgie, Fabien, on le voit, maîtrise parfaitement un français châtié et, de ce point de vue, l’école de la république n’a pas failli à sa mission (on peut supposer bien sûr qu’il est aussi, pour une grand part, autodidacte). Les noms des écoles et collèges d’Alençon par où il est passé portent le nom de grands auteurs français : Robert Desnos, Saint-Exupéry, Jean Racine (voir le site Outre-mer 1ère), mais il n'en fait guère usage. Son frère semble un peu moins à l’aise avec la langue de Racine et de Saint-Ex (encore que…) : « Quallah accord le bonheur aux sincères qui sont les flambeaux de la bonne direction par qui les ténèbres sont dissipés » (sic.) a-t-il écrit dans son profil sur le site Copains d’avant. Ce détail aussi, d’ailleurs, est notable : les deux frères (et la femme de Fabien, Mylène Foucré : ils étaient justement à l’école ensemble à Alençon), s’inscrivent sur ce site qui sert surtout à renouer des contacts avec d’anciens camarades de classe, alors qu’ils sont déjà radicalisés (au moment de son inscription, Jean-Michel y déclare résider au Caire, où les deux frères séjournent en 2004). Il ne s’agit guère ici de propagande (ils y disent aimer le rap et le basket…), mais plutôt, sans doute, ce sont les mêmes raisons que nous pouvons avoir vous et moi, de nostalgie de la sociabilitéécolière, qui les a poussés à s’inscrire.

Mais surtout, on trouve ceci dans un article de Doan Bui, le Nouvel Obs qui a eu accès à d’anciennes déclarations de Fabien aux policiers : « J’ai déjàécrit des poèmes en français et en créole » : « J’ai été rappeur avant d'être poète. Puis après ma conversion à l'islam j'ai tout arrêté » et encore : « Mon frère Jean-Michel et moi chantons ensemble, nous avons comme projet de former un groupe qui s'appellerait "rappeleur", des chants de rappel à l'islam, des nasheed ». Rappeleur, tel est le nom en effet du groupe, signalé comme rap / hip-hop sur Myspace, où l’on peut encore entendre le nasheed Saisis l’anse la plus solide.

Nous aurions donc pu avoir un poète créole et francophone, un rappeur – pourquoi pas ? – de talent, voire à la limite un « rappeleur » fervent pour un islam quiétiste, et nous avons devant nous le porte-parole de Daesh, la voix du terrorisme le plus abject qui chante un islam emphatique et mortifère. Nous pourrons sans doute un jour raccorder les fils qui permettront de décrire et raconter comment et en partie, en partie seulement, pourquoi, la famille Clain a basculé, non pas dans le banditisme, comme elle le craignait, mais dans le djihadisme le plus sanglant. L’arabe en tout cas, le français et le créole n’y sont pour rien…

 

J.-P. C.



[1]« … ils pensaient qu'en vérité leurs forteresses les défendraient contre Allah. Mais Allah est venu à eux par où ils ne s'attendaient point, et a lancé la terreur dans leurs cœurs. Ils démolissaient leurs maisons de leurs propres mains, autant que des mains des croyants. Tirez-en une leçon, vous qui êtes doués de clairvoyance », sourate 59, verset 2 ; « Allah est le plus grand./ Or c'est à Allah qu'est la puissance ainsi qu'à son messager et aux croyants. Mais les hypocrites ne le savent pas », sourate 63, verset 8.

Pro d’esser mespresats !

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Rectorat, région et langue(s) du Limousin

La conseillère régionale actuellement déléguée à la promotion et au développement de l’enseignement de la langue occitane (à la région Limousin qui vit ses derniers jours), Estela Parot-Urroz (Europe Écologie les Verts), a déposé le 1er décembre dernier un recours au tribunal administratif contre le rectorat de l’académie de Limoges.

A sa demande expresse de réunir enfin le conseil académique des langues régionales, le recteur Pierre-Yves Duwoye, en effet, venait de lui répondre qu’il n’avait aucune intention d’accéder à sa demande. Or, il faut savoir que ce conseil, qui a pour fonction d’élaborer un plan académique de développement de l’enseignement de la langue régionale, est une obligation légale (article D.312-33 du Code de l’Éducation), et ne dépend donc point du bon vouloir du prince recteur. Il se réunit deux fois par an dans les régions où existe un enseignement de la langue régionale. En Limousin, il ne s’est à ce jour jamais réuni. La coordination occitane du Limousin, qui rassemble les associations culturelles occitanes de la région, en avait fait l’une de ses priorités en 2014, mais le rectorat n’avait même pas pris la peine de répondre à ses demandes de rendez-vous. Le rectorat, depuis toujours dans notre région (les recteurs qui s’y succèdent sont d’une remarquable continuitéà ce sujet) a choisi la politique du mépris et de l’extinction programmée de toute possibilité d’enseigner la langue dans le secteur public. De fait, il n’existe aucun véritable enseignement de l’occitan dans la région, à l’exception de cours optionnels dans trois collèges (Seilhac, Tulle et Chalus). Presque plus aucune transmission de la langue par l’école publique et par l’école tout court n’existe donc car, à l’exception de l’école associative Calandreta de Limoges et de quelques cours dans de rares institutions privées, il n’y a aucun moyen pour les parents et les élèves qui le souhaitent de bénéficier ne fût-ce que d’une initiation à ce qui reste pourtant la langue historique de la région, toujours parlée par de très nombreux locuteurs. En l’absence de transmission familiale conséquente, l’œuvre d’éradication est donc maintenant presque terminée dans la région, et la victoire du jacobinisme le plus étroit, qui associe dans son infinie bêtise patois, ignorance et réaction, est désormais à peu près complète. Comme le disait un panneau des militants associatifs qui ont accompagné la conseillère pour le dépôt du recours, vraiment nous n’en pouvons plus d’être à ce point méprisés : Pro d’esser mespresats ! (tel était le slogan du conseiller régional d’Aquitaine David Groclaude, qui dut l’été dernier faire une grève de la faim pour que l’État daigne créer d’Office de la langue occitane pourtant votéà l’unanimité un an auparavant par les assemblées régionales d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées). Au point que les rares avancées légales en la matière ne sont même pas appliquées dans notre région.

Le recteur (s’il est l’auteur de ces lignes, ce dont on peut douter, en tout cas, il les a bien signées de son nom), dresse d’abord dans sa lettre l’état des lieux de cet enseignement, comme je viens de le faire (et en écrivant « Calendreta », mais il est bien connu que les patois n’ont pas d’orthographe !) et le juge satisfaisant ou du moins tout à fait suffisant et même, peut-on comprendre à la lecture du décompte des heures, exagéré. Puis il écrit ceci qui mérite d’être cité in extenso : « Depuis plusieurs années, notre académie est fortement engagée dans la mise en œuvre de nombreuses réformes qui visent à renforcer la réussite des élèves. Dans ce contexte en raison du faible poids de l’occitan sur notre territoire, la constitution d’un conseil régional des langues anciennes n’a pas été jugée prioritaire ». Vous avez bien lu : le recteur considère que le l’occitan est une « langue ancienne », à l’instar du grec et du latin, et par là même, méconnaît l’intitulé même du conseil qui aurait dû légalement être réuni déjà depuis tant de temps. A mon avis, il ne s’agit ni d’un lapsus ni d’un dérapage volontaire, mais plus probablement de l’effet d’une ignorance souveraine et satisfaite sur un sujet jugé absolument négligeable. Le texte laisse clairement entendre en effet qu’un enseignement de l’occitan ne saurait d’aucune façon contribuer à la réussite scolaire des élèves. Il suffit évidemment pour cela de faire reposer, comme on l’a d’ailleurs toujours fait, les critères de sélection et de réussite sur d’autres matières, de sorte que, après avoir considéré qu’il s’agit d’un enseignement marginal et négligeable, il n’est pas étonnant que la réussite scolaire soit jugée tout à fait indépendante de la connaissance du patois (ni d’ailleurs de quelque forme de bilinguisme que ce soit, nous sommes ici en France et parlons français, n’est-ce pas ?). Mais surtout, comment le recteur fait-il pour décréter que l’occitan, dans la région Limousin ne pèse que d’un faible poids, alors que sans conteste, il s’agit de l’une des régions occitanes où il reste sans doute le plus parlé ? Que veut donc dire l’expression de « faible poids ». Faible par rapport à quoi ? Il existe d’autres langues, en dehors du français, qui pèsent d’un plus grand poids en Limousin ? l’anglais ? l’arabe dialectal ? le turc ? le portugais ? le manouche ? Mais pour cela il faudrait donner des chiffres, établir des statistiques, se baser sur des données objectives. Or justement, la coordination occitane du Limousin avait instamment demandé une étude permettant d’évaluer ce « poids » et les aspirations des citoyens au sujet de la langue, comme cela c’et fait ailleurs, mais elle n’a pas été entendue. J’y reviendrai. En fait, il s’agit d’une décision absolument arbitraire : monsieur le recteur, du haut d’une science sans doute infuse (ou de ses préjugés), décrète que l’occitan, dans notre région pèse d’un faible poids et que donc (on pourrait évidemment conclure à l’inverse) il n’y a pas lieu de l’enseigner.

Oui vraiment, Pro d’esser mespresats

La coordination occitane, entre septembre 2013 et juillet 2014, dont j’étais membre (j’ai ai dressé un bref historique personnel, ici même, en oc), a tenté de lutter contre ce mépris de la langue et de ses locuteurs en Limousin, sur la base d’un appel signé par 700 personnes (dont 70 élus) et plus de 40 associations. Cet appel contenait une série de revendications minimales, comme on peut le voir, dont certaines d’ailleurs n’étaient qu’un simple rappel à la loi, comme c’est le cas pour l’exigence de réunion du conseil académique. Ces revendications restent d’entière actualité puisque aucune n’a étéà ce jour satisfaite, mis à part peut-être une très minimale introduction de quelques minutes d’occitan sur France bleu. Cette coordination qui luttait contre le mépris, fut elle-même totalement méprisée. Elle fut méprisée en ce sens d’abord que la presque totalité des élus et responsables auxquels elle s’adressa pour obtenir des rendez-vous et donner un avenir à la langue, ne se donnèrent même pas la peine de répondre. Outre le recteur d’académie, furent contactés les trois présidents des conseils généraux, le président du conseil régional, la présidente de l’université de Limoge, la directrice de la DRAC Limousin, le président du comité régional de tourisme, les directeurs de l’Écho du Centre et du Populaire du Centre, de France 3 Limousin, de France Bleu Creuse et de France Bleu Lemosin.

La coordination ne fut reçue que par les services (et non pas les élus) du conseil général de la Haute-Vienne (le 4 février 2014, en la personne de Viviane Deville, responsable du pôle citoyenneté et tourisme, aucun pôle évidemment n’étant prévu pour la langue[1]) et par le président du conseil régional, Jean-Paul Denanot (13 mars 2014). Il y eut, plus tard, la rencontre de quatre membres de la coordination avec les services de France Bleu Limousin. Le président de région s’engagea à mettre en œuvre une enquête sociolinguistique sur la situation de la langue occitane dans la région et sur les aspirations des Limousins à son sujet. Mais il ne donna à ma connaissance aucune suite et ne remplit donc d’aucune façon son engagement qui, du reste, ne pouvait l'être que très difficilement puisqu’il n’envisageait que le seul recrutement d’un emploi jeune (qui ne se fit pas…). Aussi, j’estime (cela bien sûr n’engage que moi, je ne m’exprime ici qu’en mon nom propre) que nous avons été aussi bernés et méprisés par la région.

D’autant plus qu’il m’a été donné d’assister également à une rencontre à l’hôtel de région, quelques mois plus tard, le 11 juin 2014, qui m’apparaît a posteriori comme une très pénible séance d’humiliation pour les défenseurs de la langue invités ce jour-là. Il s’agissait, officiellement, de discuter de l’adhésion de la région Limousin à l’Office public de la langue occitane. L’interlocuteur légitime aurait bien sûr étéà cette occasion la coordination, qui rassemblait les diverses associations, mais les maîtres de céans avaient invitéà leur bon plaisir une vingtaine de personnes, jugées (selon quels critères ?) particulièrement représentatives de l’occitanisme limousin. Nous recevait Jean Daniel (conseiller soi-disant responsable de l’occitan, mais qui dans l’organigramme n’est concerné que par « l’agriculture, la forêt et le monde rural » et nullement par des questions de culture), Catherine Rolland (direction du développement culturel) et Joëlle Cartigny, conseillère à la DRAC (patrimoine écrit, archives et langues de France).

Nous nous s’aperçûmes vite qu’il ne s’agissait pas de discuter et encore moins de négocier (comment d’ailleurs aurions-nous pu, puisque nous étions là invités à titre individuel ?). Il s’agissait seulement de nous informer que, même si l’adhésion formelle à l’office était prévue (bien qu’à ma connaissance, elle n’ait pas été actée), cela se ferait non pas avec une hausse, mais avec une baisse des budgets, déjà pourtant fort maigres. Nos hôtes ne semblaient nullement s’intéresser aux questions de développement, de contenus, à la possibilité de forger des projets collectifs et encore moins de satisfaire l’une ou l’autre des revendications de la coordination... Leur obsession était budgétaire, et l’intérêt manifesté pour la langue et la culture occitane, à peut près nul. Jean Daniel, en particulier, se montra d’une incompréhension, d’une indifférence et d’une suffisance qui en laissa plus d’un(e) pantois(e), parmi nous. Suite à cette réunion d’ailleurs, trois des invités, Luc de Goustine, Olivier Peyrat et Jan dau Melhau, firent parvenir à la région des lettres ouvertes remplies de colère et de déception, plus virulentes encore que je ne le suis ici.

Pour ma part, je me retins, quoi qu’il m’en coutât, tant je voulais laisser une chance à ce que je croyais encore être un projet qui devait et pouvait être enfin sérieusement envisagé (celui de l’enquête sociolinguistique, préalable nécessaire à toute action cohérente et ambitieuse). Catherine Rolland nous avait déclaré, en fin de réunion, qu’elle attendait de nous nos avis et suggestions pour l’avenir et je lui écrivis donc, comme d’autres sans doute, en ce sens. J’attends encore aujourd’hui, un an et demi après, sa réponse, ou ne fût-ce qu’un accusé de réception. Une fois encore nous avions été méprisés. Pro d’esser mespresats !

Car il faut bien souligner que nous ne devons l’action actuelle de recours contre le rectorat, qui aurait dûêtre engagé par la région depuis des années et des années, qu’à la seule action d’Estela Parot-Urroz, une opportunité inespérée, car elle ne fut nommée conseillère qu’en juin dernier seulement, afin de remplacer deux élus démissionnaires pour cause de cumuls de mandats.

Que pouvons-nous attendre, dans ces conditions de la nouvelle grande région ? Nous nous disons simplement que nos interlocuteurs ne pourront de toute façon pas être pires que les précédents, l’Aquitaine s’étant montrée par le passé autrement plus dynamique sur les questions linguistiques avec, entre autres, la création de l’Amassada (Conseil de développement pour la langue occitane en Aquitaine) et son implication dans le projet d’Office de la langue occitane. Mais cette demi-satisfaction est bien amère, alors que cette réunification des régions s’est décidée, une fois de plus, d’en haut, du centre et de la capitale, sans aucune consultation préalable des citoyens. Tout au plus ici et là, le fait une fois accompli, veut-on leur donner l’illusion de participer au choix du nom de la nouvelle entité territoriale… Nous ne choisissons pas notre maison, question trop grave pour être décidée par ses habitants, mais pouvons donner notre avis (qui ne sera pas écouté) sur la couleur des volets. Encore une fois nous sommes méprisés, archiméprisés. Le mépris, qui abaisse et avilit autrui, dans la vie sociale et politique, trahit toujours de profondes inégalités et un sérieux déficit de démocratie.

Pro d’esser mespresats !

 

Jean-Pierre Cavaillé

Vous trouverez sur ce blog d'autres articles sur la faible défense de l'occitan par la Région Limusin dans le passé et sur l'hostilitéà peine voilée des autres institutions limousines :
21 août 2015 : Quinquanèla lemosina

[1] C’est pourtant le cas en d’autres départements, en particulier de Midi-Pyrénées où certains d'entre eux sont très actifs, comme le Tarn, par exemple.

Comment le CNED traite les "gens du voyage"

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Scandale des évaluations diagnostiques des élèves itinérants

 

Ce billet est un coup de gueule. Il concerne un aspect des discriminations que ne cessent de rencontrer les « gens du voyage » et n’a que peu à voir avec le sujet de ce blog. Il a cependant tout à voir avec l’absence de prise en compte des altérités culturelles et linguistiques des populations concernées et surtout il est symptomatique de la relégation sociale de celles-ci. En ceci, il s'inscrit exactement à la suite d'un précédant (Le droit de pleurer ses morts).

Je fréquente, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, des familles manouches. J’apprends leur langue (le sinti), leur manière spécifique de parler le français (le français « voyageur ») et m’initie à leur culture et à leur mode de vie. J’y suis apprenant, mais aussi parfois mis à contribution pour quelques aides à la lecture et à l’écriture de documents administratifs. Je n’y exerce aucune activité suivie d’enseignant, d’où peut-être ma stupéfaction devant une situation qui doit être bien et même trop connue des professionnels.

Une famille, sur une aire d’accueil, reçoit deux enveloppes du CNED pour deux de ses enfants jeunes adolescents poursuivant leur scolarité par correspondance (13 ans et 15 ans). Elles contiennent toutes deux le même fascicule photocopié en noir et blanc (très important pour la suite), Évaluations diagnostiques [quelle terminologie !] parcours personnalisé en français et en mathématiques. Les résultats vont décider du contenu des cours et des devoirs qui seront envoyés aux élèves. C’est écrit au tout début du fascicule de tests : « Voici une série d’exercices auxquels nous te demandons de répondre seul(e) afin que nous puissions mieux te connaître et que nous t’envoyions les cours qui correspondent le mieux à tes besoins ».

Les parents, qui ne savent pas lire, me demandent de quoi il s’agit et d’expliquer aux enfants comment ils doivent s’y prendre. Pourtant les fascicules sont au nom des enfants et aucun médiateur n’est, en l’occurrence, prévu. Or, il est rigoureusement impossible de faire correctement une bonne partie de ces exercices sans l’aide, car ils requièrent la lecture et l’usage des « consignes de passation » (encore une belle expression limpide) qui se trouvent en fin du fascicule. Des enfants d’une autre famille s’y sont essayés, ils ont vu qu’en face d’une série d’exercices figure l’icône d’un casque audio et ces exercices commencent par la consigne « Écoute »… Ils n’ont donc pu les faire et, en toute bonne foi, ont écrit, comme je l’aurais fait moi-même : « on n’a pas reçu le CD ». En fait sur la première page, il est écrit, en face du dessin des écouteurs : « Ce symbole indique que tu as besoin de l’aide d’un lecteur pour réaliser l’exercice ». Mais le symbole en question ne symbolise pas du tout la lecture ni un lecteur mais une écoute audio. Et puis rien n’indique que le lecteur, si l’enfant parvient néanmoins à comprendre ce qu'on lui demande et à trouver un bon lecteur dans son entourage (souvent cela est exclu), ou s’il arrive àêtre à lui-même son propre lecteur, comprenne qu’il lui faut aller chercher ses informations dans les « consignes de passation », titre dont le sens reste profondément sibyllin pour l’ensemble des mortels étrangers au monde du pédagogisme (j’ai trouvé ces consignes, non sans mal, sur internet, les voici). Mais ce n’est pas tout. Je jette un coup d’œil aux exercices et je tombe sur le suivant : « Chaque carte jaune est associée à une carte bleue ». Je vous ai dit que le cahier est en noir et blanc (enfin plutôt en grisâtre)… J’ai fini par trouver en ligne l’original, évidemment en couleur, avec de nombreux effets de colorisation pour aider à la compréhension, y compris dans l’écriture de certains mots dont chaque syllabe est colorée différemment (le tout devenant un dégradé gris-noir presque illisible sur les photocopies).

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            Bref ces cahiers de test, quel que soit le niveau réel de l’élève, sont, dans les conditions de leur réception (connu de l’envoyeur puisque les enveloppes sont directement adressées aux élèves), rigoureusement infaisables. Pourtant elles vont décider du niveau du cours que l’on choisira pour lui… Je vous laisse le soin de trouver les bons adjectifs pour qualifier cette négligence, cet abandon en fait, sous couvert d’une apparence de suivi, un simulacre de suivi auquel cependant les parents doivent s’astreindre, sous peine de perdre leurs allocations, voire la garde des enfants.

            J’ai noté autre chose : l’univers iconique et culturel des questions est largement étranger à celui de leurs destinataires. Je prends un exemple : un exercice présente des images renvoyant toutes au thème de la mer, sauf un (une rose), qu’il faut entourer. Le gamin entoure l’image du phare. Je lui demande pourquoi ? Il me répond : « l’église n’a rien à voir avec la mer »… Et en effet, le phare pour lui est un clocher, il n’a probablement jamais vu la mer, car son itinérance très relative ne l’éloigne jamais vraiment de sa région au centre des terres. Par contre la rose, pourrait être le tatouage d’un marin… Voilà comment un enfant tout à fait capable, du fait de ses conditions sociales, risque bien d’être considéré comme déficient par l’école de la République.

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            Je ne peux m’empêcher de rapprocher cette affaire du cahier d’évaluation infaisable aux histoires, j’en connais toute une série, de tous ces manouches qui ont pourtant usés leurs fonds de culottes dans toutes les écoles de la région, et ne savent pas lire, pas du tout. Je n’ai aucune raison de mettre leur parole en doute, lorsqu’ils me disent que dans les écoles où ils passaient (et où ils ne pouvaient rester, du fait de la règle des 48 heures), on les mettait au fond avec une feuille et des crayons de couleur. J’ai même entendu l’histoire d’un instituteur de village, dans les années 50, qui employait le petit gitan de passage à la réalisation de menus travaux pendant les heures de classe. Je ne jurerai pas qu’elle soit vraie, mais ce qui est sûr, est que ceux qui m’ont raconté leurs histoires de classe – ils en ont d’ailleurs souvent une certaine nostalgie attendrie, car ils se faisaient de nombreux ami(e)s gadjé, qu’ils retrouvaient à chaque passage, et avec lesquels ils ont parfois gardé contact toute leur vie – hé bien ne savent toujours pas lire. Ou alors, cela arrive, ils ont appris seuls, par eux-mêmes. Soixante ans plus tard, malgré le CNED et autres dispositifs, les choses n’ont guère changé. J’ai juste l’impression que la relégation s’est accrue.

 

Jean-Pierre Cavaillé

’Na pèira dins lo vargier de la Lison

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Dominique Malabry, Les trois vieilles

 

Vielha lenga de vielha e leteratura occitana d’auèi

 

Dins un article o compte rendut paregut dins la Setmana, Sèrgi Viaule fa una estrana critica del libre de Monica Sarrasin, La Lison dau Peirat, sortit al Chamin de Sent Jaume i a ben ara… detz ans ! Entre temps Monica agèt lo temps de publicar La Setmana de la Lison, en 2007 (parlèri aquí d’aqueste grand plaser de lectura) e pujar a l’universitat de Montpelièr cap al master ! E la colleccion, Nòstre monde, que Viaule presenta coma novèla, conten a l’ora d’ara almens 7 libres. Es dire l’interes puslèu distanciat per las produccions lemosinas de Viaule e tanben de la Setmana. Mas aquí botam tanben lo det sus lo deficit de critica literaria en occitan, dins la Setmana e endacòm mai.

La de Viaule es una critica estrana, perqué nos explica, per resumir, que lo contengut del libre val pas res, mas que lo contenent es formidable ; lo subjècte es sens cap d’interes, mas lo stile crane e bèl. Es pas tant aquesta distinccion que m’interessa, perqué me sembla pas cap pertinenta per la literatura, ont lo contenent estilistic es totjorn part del contengut e lo contengut, çò que se’n parla, es tant pres dins l’estile que plan brave lo que pòt desseparar los dos nivels. La critica m’interessa per lo problema que nos pòrta a afrontar, un problema vertadièr e prigond de la literatura occitana d’auèi.

Çò que nos conta Monica Sarrasin, dins aquestes dos libres (que son pas de tròces de biografia e encara mens d’autobiografia, coma zo ditz Viaule), es la vida vidanta de la Lison, presentada coma la vielha tantina de l’autora (o puslèu de la narratriça), a la lenga plan penjada, dins un canton de borg Lemosin. E lo fa, justadament, dins la lenga de son personatge, una lenga orala, una lenga de borg, una lenga de vielhs, per exprimir, dire, faire viure aqueste monde, qu’existís encara, mas qu’a ben l’atge de la Lison, un monde donca que viu sas totas darrièras annadas. Es aquò qu’agrada pas a Viaule, aqueste vielhum, aquestas vielhariás que se serran del cimenteri (« avèm la marrida impression de legir un manual de subrevida a l’usatge de las personas de mai de ueitanta ans », çò ditz) e ne fa una critica generala : « los autors que se lançan dins aquesta gasanha agachan tròp luènh en darrièr ». Pr’aquò, Sarrasin agacha pas tant qu’aquò en darrièr. La realtat a l’encòp umana e linguïstica que descriu e imagina es a desapareisser, òc, mas es ben encara presenta. Una causa es utilizar la lenga per parlar d’un còp èra, una autra per parlar de çò que viu encara. Confondre las doas causas me sembla pro grèu, foguèsse solament al nivel etic.

Bon, mas pr’aquò avèm compresa la critica, e Viaule trantalha pas a balhar d’exemples de çò que podriá e deuriá far la literatura occitana d’auèi : « perqué pas la vida vidanta en Lemosin al jorn d’auèi ! Perqué pas lo cadajorn d’un pilòt d’ensag que seriá davalat a Tolosa trabalhar a cò d'Airbus-Industria ? Perqué pas las aventuras amorosas d'un monopatinista lemotjòl ? O alara l’autobiografia d’un jogaire professional del club de basquet de Lemòtges ? ». En fach, perqué pas ? Ièu soi d’aquelis que pensan qu’una lenga pòt tot dire, tot exprimir, totas la situacions… Mas alara, es clar, aquò vòl dire revirar en occitan de situacions viscudas en francés e tanben dins de lengas de l’imigracion o del monde entièr (vesètz per exemple las nacionalitats o originas dels jogaires del CSP, lo pilòt d’ensaj parlerà probablament tanben anglés dins son mestièr, etc.), mas pas mai en lemosin. Aquel trabalh de transliteracion linguïstica, zo cal joslinhar, s’es totjorn fach en literatura : los Trojans parlavan pas lo grèc d’Omèra ni mai lo latin de Virgila. Gaireben tota la ficcion occitana contemporanèa, per la fòrça de las causas, es òbra de transliteracion, vist la desocialisacion avançada de la lenga. Mas alara cada autor dèu se fargar una lenga que pòsca pegar al monde social imaginat e/ o descrit. Es pas tant aisit qu’aquò, mas daissa tanben una granda libertat creativa. Aital pr’aquò vesèm plan que la lenga e l’estile utilizats per la Lison serián absolument impossibles per parlar de la vida d’un pilòt d’airbus o d’un basquetaire, perqué aquesta lenga, coma avèm dich es completament aderenta al personatge e al monde de la Lison. Un còp de mai vesèm plan que se pòt pas separar lo contenent e lo contengut, la forma e lo fons. Cada situacion reala o fictiva demanda una recerca estilistica a biais e cada estile balha son especificitat, son unicitat al monde contat. Se lo monde de la Lison es despassat e trespassat, la lenga tanben, que lo far èsser çò qu’es per la magia de l’escritura. Mas a pas cap de sens de rasonar aital. Pr’aquò debèm gausar dire, perqué es nòstra vertat, la trista vertat de la lenga nòstra, qu’amb de libres coma la Lison dau Peirat, un usatge de la lenga en adequacion naturala, se podèm dire, amb la realtat descrita e transfigurada per l’escritura, es a s’acabar. E aquò, almens per ièu, lo rend encara mai precios.

 

Joan Pèire Cavalièr

Ce que la « population » attend de l’occitanisme

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J’ai reçu ces jours ci, comme d’autres, un entretien de Claude Sicre, depuis longtemps acteur majeur de la culture occitane, donné en français à la revue de l’IEO Midi-Pyrénnées, Lo Diari. Depuis que j’ai formulé les quelques notes critiques (mais avant de les publier) que l’on trouvera plus bas, le texte a été finalisé (ce qui explique quelques petites différences entre les passages que je cite dans ma critique et ceux que l’on peut lire ici) et traduit en occitan par Pèire Molin et Sèrgi Carles pour être présenté dans le numéro à venir (n° 29). C’est pourquoi je le donne ici dans son français d’origine.       JP C

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Un entretien de Claude Sicre pour Lo Diari

1. Selon vous, quelles évolutions ont eu lieu au sein du milieu culturel et associatif occitan depuis l’époque où vous avez commencéà vous engager pour cette langue ?

Si « engagé » je me suis, c’est d’abord pour transformer la vie de la culture en France (cinéma, littérature, musique populaire) pour plus de démocratie, moins de Paris tout-puissant et bloqué, plus d’invention et d’imagination créatrice. Après les USA, où j’étais parti pour vendre des scénarios (et où j’ai découvert qu’il était très facile de faire son chemin, mais où j’ai compris que je ne m’affronterais à plus fort qu’en œuvrant chez moi), après Paris (où j’ai compris que le plus dur — donc le plus intéressant — serait d’œuvrer encore plus chez moi), je suis tombé sur l’affaire "occitane" (c’est à Paris, chez Gallimard, à la Série noire, que le patron m’a parlé de ça, dont je n’avais pas la moindre idée). Découverte absolue. Qui me faisait comprendre bien des choses que je n’avais qu’intuitées.

À l’époque où je l’ai connu (1976), le mouvement oc était — et il est toujours — plein de gens généreux, désintéressés, vibrants d’espoir. Mais les débats tournaient autour de ce qui me semblait de vieilles lunes : régionalisme gauchiste ou socialiste, nationalisme sur le modèle tiers-mondiste (tout y passait : le FLN algérien, le Vietnam, Guevara, le maoïsme...), engouements culturels à la traîne de toutes les modes internationales. Avec, comme armes, le catéchisme de l’âge d’or médiéval assassiné par la Croisade et la théorie du colonialisme intérieur. Avec, comme objectif, « la désaliénation » du peuple. Je l’y ai vu aussi, ce peuple : une armée de braves gens pleins de bon sens, tout à fait prêts à faire quelque chose pour la langue et la culture mais qui ne se reconnaissaient que très mal dans ces discours. Après quelques années d’enthousiasme véritablement populaire, les braves gens ont pris du recul. La chanson occitane — qui avait porté le mouvement quelque temps — s’effondre dans les années 1978-1980 (donc avant 1981, et juste après l’effondrement des élans romantiques adossés à la crise viticole). Puis il y a eu 1981, le dépérissement progressif du gauchisme, une pénétration grandissante de l’idée occitane dans le grand public, principalement grâce aux initiatives d’associations plus pragmatiques qu’idéologues, au premier rang desquelles il faut citer les Calandretas. Des réussites locales, l’action de quelques groupes de musique décomplexés, un soutien de l’État puis des régions ont aidéà la professionnalisation de nombre d’acteurs dans la vie artistique, l’enseignement, l’animation et la diffusion. Chez beaucoup de militants s’installe alors, peu à peu, un néo-régionalisme dont les fondements restent nationalitaires, mais qui se présente comme plus soft pour bénéficier des retombées de la régionalisation. Néo-régionalisme qui se croit plus réaliste que l’ancien (on admire plutôt la Catalogne que les nationalismes du tiers-monde) et qui se mobilise plutôt pour faire pression sur les institutions que pour bâtir un mouvement culturel en lien avec la population et à son service.

C’est à peu près le tableau d’aujourd’hui. Mais, aujourd’hui comme hier, une majorité de dirigeants refuse toujours d’écouter la population, puisque ils la croient toujours « aliénée » par l’idéologie dite jacobine. Population qui pourtant dit clairement ce qu’elle veut : elle ne s’intéresse pas au discours des partis politiques occitans (il n’y a qu’à voir les résultats des élections quand ces partis se présentent seuls, et cet échec dure depuis 40 ans), elle se dit attachée à la langue et à la culture occitanes, mais elle ne se bouge pas collectivement pour les mots d’ordre revendicatifs du mouvement culturel : elle attend, des artistes, intellectuels, enseignants, animateurs et organisateurs occitanistes, une offre qui l’intéresse, où elle vient participer de bon gré quand, oubliant les rengaines victimaires, ces occitanistes œuvrent pour elle en inventant de nouvelles solidarités et de nouvelles façons de voir le monde. Écoutons-la : elle se sent et se veut française — tous les discours anti-France la font fuir —, mais elle pense — plus intelligente en cela que toutes les élites, occitanistes ou centralistes — que la langue et la culture occitanes font partie du patrimoine français, qu’il faut les faire vivre, et qu’on le peut aujourd’hui très bien dans le cadre national. Elle le dit dans les sondages, elle sait le faire savoir aux élus, localement (c’est pour ça qu’ils donnent des subventions). Et plus le mouvement culturel occitan lui proposera des œuvres où elle se retrouve et se réinvente, plus elle bottera le cul des élus. Et elle le fera mieux que nous et que tous les aspirants lobbyistes. C’est simple, en fait.

2. Fusion des régions MP et LR, mise en place de l’Office pour la langue occitane, une chance pour l’occitan ?

Je ne sais pas ce que donnera la fusion, on verra à l’œuvre...

Quant à l’office, je ne connais pas bien le sujet, mais des gens en qui j’ai une certaine confiance m’ont dit que la méthode suivie pour sa mise en place n’avait pas été très, disons… pluraliste. Et puis séparer langue et culture, dans le cas occitan, me semble mal venu (lire Castan et Meschonnic).

3. Dans le même temps, le 27 octobre dernier, le Sénat a rejeté la proposition du projet de loi visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Qu’est-ce qui motive ce refus selon vous ?

Les élites françaises, dans leur grande majorité (y compris beaucoup de ceux qui font mine de vouloir les protéger), ne voient pas grand intérêt au réveil des langues-cultures autochtones de France (en décalage avec les deux tiers des Français qui les voient comme des atouts pour l’avenir). La Charte a donné au scepticisme des uns et à l’hostilité des autres de bonnes raisons de temporiser ou de s’opposer (nous avons bien vu que le gouvernement avait attendu que le Sénat soit à droite pour proposer le texte au vote).

Ceux qui s’y sont opposés le plus, comme d’autres opposants plus modérés, ont vu dans cette charte des risques de divisions pour le pays. N’ont-ils pas eu quelque raison de penser ainsi ? N’y a-t’il pas, dans nos rangs, des gens qui ont clamé qu’il fallait prendre la France en étau entre l’Europe et les régions jusqu’à la réduire à n’être plus qu’une pièce de musée ? Devons-nous penser qu’il n’y a parmi ces opposants que des nationalistes chauvins et retardataires ? Nous gagnerons nombre d’entre eux à notre cause si nous changeons d’objectifs et de stratégie : il faut leur démontrer que le fossé entre les élites et le peuple, c’est le centralisme et l’unitarisme qui le créent, et que nous ne le comblerons pas sans l’apport de nos langues et cultures, dont les altérités irréductibles pluraliseront de fait le débat national, mobiliseront les opinions les plus excentrées et renforceront ainsi l’unité nationale.

Mais notre meilleure alliée, face à toutes les oppositions, c’est la population. C’est elle qui aura le dernier mot et qui fera plier les dites élites. De loin (parce qu’elle a des soucis plus urgents), elle assiste au match entre nous et les unitaristes, avec un faible pour David contre Goliath. Elle aimerait bien nous voir prouver que nous avons raison, elle nous appuie quand nous lui en donnons l’occasion, mais elle ne jouera pas le match à notre place. Parce que la question occitane n’est pas d’ordre nationalitaire (quand la solution à tous les problèmes est subordonnée à l’obtention de la souveraineté politique : dans ces cas-là, c’est le peuple qui pousse). Elle est d’ordre culturel. Et là, c’est aux gens de culture de tirer en avant, et vers le haut.

Ces gens de culture, c’est nous ! Sans maîtres à penser. Toujours obligés d’inventer et de combattre. Sans aucun modèle à suivre : la position occitane est unique, parce que la France républicaine a réussi l’exploit unique de marier l’unitarisme linguistique et culturel à l’égalité citoyenne. C’est cette France, championne du monde dans sa discipline, que nous devons contribuer à transformer pour la porter sur le podium plus élevé de l’égalité dans la pluralité. Et, en passant, par nos œuvres, nous prouverons aux sceptiques que nos langues-cultures sont autant de nouvelles frontières à explorer pour repousser les limites de l’intelligence. Défi qui a de quoi enthousiasmer ceux qui rêvent de grandes, belles et véritables aventures (rendez-vous à Laguépie !).

1.12.2015

 

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Ce que la « population » attend de l’occitanisme

 

Cet entretien mérite d’être présenté et discuté, parce que Sicre y expose, de manière provocante et hélas souvent trop elliptique, sa propre position dans le monde occitaniste, qui n’est certes pas dénuée d’intérêt et ses propositions sont toujours stimulantes, même si, pour ma part, spontanément, je ne peux m’empêcher de trouver sa manière, son biais, de conduire la polémique ou de présenter les questions et de les argumenter à la fois énervant et trop souvent superficiel. D’ailleurs, j’en suis venu à penser qu’au-delà des désaccords idéologiques (et peut-être à leur source), réside une profonde incompatibilité d’humeur intellectuelle. C’est sans doute ce qui explique que, par le passé, aucun échange n’ait pu avoir lieu, du moins par écrit, Claude, dont je comprends qu’il a bien mieux à faire, n’ayant jamais daigné répondre à mes précédentes notes critiques (voir mes tentatives dès 2006 : discussion de Claude Sicre : Identité et civilité. 42 thèses sur le jeu de l’Occitanie ; La Linha Imaginòt una bona revista occitanista… sens occitan ; 2007 : Una lectura del tract : Reivindicam pas res ; 2009 : L’occitan « langue ethnique » selon Claude Sicre).

Ce qui m’a énervé d’entrée de jeu est la façon dont Claude nous raconte que, lorsqu’en 1976, il découvrit l’occitanisme, il vit combien celui-ci était sous l’emprise de ce qui lui apparaissait déjà comme de « vieilles lunes » : « régionalisme gauchiste ou socialiste, nationalisme sur le modèle tiers-mondiste (tout y passait : le FLN algérien, le Vietnam, Guevara, le maoïsme...), nationalisme, théories culturelles à la traîne de toutes les modes internationales ». Vraiment « à la traîne ? ». Peut-être… en tout cas, était-ce l’atmosphère idéologique générale de l’activisme politique, occitaniste ou pas, de cette époque. C’était l'athmosphère qui prévalait par exemple lors des rassemblements du Larzac (où« les occitans »étaient présents mais minoritaires), celle dont se faisait écho le Teatre de la Carrièra, la chanson engagée de l’époque, occitane ou pas, etc. Les questions de la « décolonisation » et de la « désaliénation »étaient partout agitées. Elles avaient en effet modelé les luttes occitanes dès les années soixante, dès les grèves de Decazeville (1961). Ainsi de la notion de « colonialisme intérieur » (appliquée aussi bien à l’économie qu’à la culture et à la langue des régions méridionales, bretonnes, corses), en faveur de laquelle Robert Lafont donna de très forts arguments, largement repris, y compris par des économistes de l’époque et un certain Michel Rocard. Toutes ces questions, associées à celles des revendications d’autonomie régionale, et pour certains, de velléités nationalistes ou plutôt d’ailleurs crypto-nationalistes (sur ce point je me permets de renvoyer à un article récent : « La question nationale chez Robert Lafont, Yves Rouquette et Joan Larzac (1967-1969) »), à distance des quarante ans passées, méritent mieux que le persiflage. L’histoire sans concession, non mythifiée, de ce mouvement complexe et diversifié, sans lequel nous ne serions pas là (ni moi, ni Claude !), reste largement à faire, et la pire des choses est bien de l’envoyer aux oubliettes d’un revers de main méprisant. Il est tellement facile d’humilier les vaincus…

            Et il est tout aussi facile, mais selon moi tout à fait erroné de décrire le grand affaiblissement du mouvement à la fin des années 70 en disant qu’« une armée de braves gens » qui avaient d’abord adhéré au mouvement, prirent ensuite « leur distance », gavés qu’ils étaient par les lubies des militants. Ce qui est erroné, c’est de mettre d’un côté des militants gauchistes possédés par leurs démons et, de l’autre, des « braves gens » attirés, puis déçus, par ces sirènes idéologiques ; ce partage du monde est une idée convenue certes (j’y reviendrai), mais qui ne correspond pas à la réalité. Lorsque le mouvement périclita, très vite, surtout après l’élection de Mitterrand en 1981, cette désaffection toucha tout le monde, y compris des militants parmi les plus engagés qui, tout à coup, passèrent à tout autre chose. Il est sûr que l’effondrement fut d’abord celui des idéologies qui avaient accompagné les luttes sociales et culturelles des années 60-70, mais aussi l’immense déception de l’aire mitterrandienne, le dépit, le sentiment aigu d’une situation politique et institutionnelle bloquée.

Ce qui a émergé, avec Calandreta, mais aussi avec l’ensemble des nouveaux modes d’action associatifs est un occitanisme plus sociétal et plus culturel, dont Claude, me semble-t-il, fait pleinement partie. Il n’est pas faux d’affirmer, comme il le dit, qu’il y a eu, au moins en certains endroits, « une pénétration grandissante de l’idée occitane dans la population », quoique – ajouterai-je – toujours beaucoup trop hésitante et discrète pour vraiment faire changer les choses. Quant au « soutien de l’État puis des régions qui a abouti à la création de postes dans lesquels certains militants se sont endormis » (cette pique est en effet justifiée), il fut et reste minimal, et absolument insuffisant en tout cas, pour donner la moindre chance de survie à la langue ; survie qui n’est pas souhaitée de la majorité des élites régionales comme des élites nationales. Là, pour le coup, je partage tout à fait la critique sociale que Claude fait au passage de tous ceux qui en France sont opposés à la ratification de la Charte (« La quasi-totalité des élites – élus et personnel politique, journalistes, artistes, écrivains, enseignants du supérieur, personnalités du monde culturel privé ou public..., c'est à dire ceux qui ont le pouvoir, sont également contre »), même s’il y a là quelque exagération (la majorité des élus socialistes étaient pourtant bien disposée à voter pour en 2015…)

Claude dit aussi que, du côté militant, ce qui est apparu dans les années quatre-vingt et est encore actif aujourd’hui, mais coincé dans la même posture depuis trente ans, est un « régionalisme dont les fondements restent nationalitaires mais qui se présente comme plus soft pour s’allier avec le régionalisme notabiliaire, se croyant plus réaliste (on admire plutôt le mouvement catalan que les nationalismes du tiers-monde) et qui se mobilise plutôt pour faire pression (sur l’État, les régions, les départements, les institutions) que pour bâtir un mouvement culturel en lien avec la population ». D’abord, je ne crois pas que l’on puisse taxer de « nationalitaire » ce nouveau régionalisme associatif que l’on retrouve dans les grandes manifestations de ces dernières années pour l’occitan, mais aussi à l’Estivada de Rodez et en d’autres lieux. C’est là parler la même langue que les adversaires de toute reconnaissance de la diversité culturelle et linguistique, qui voient partout en embuscade les ennemis de la « nation » française et de la « république » (qu’ils confondent d’ailleurs allégrement). J’ose affirmer ici que l’immense majorité de ces militants sont on ne peut moins nationalistes (c’est-à-dire pas plus occitano-nationalistes que franco-nationalistes) et s’éloignent d’ailleurs toujours plus de revendications engageant expressément des prises de positions politiques tranchées. Je dirai même, contre la position de Claude, que c’est bien là l’une de ses faiblesses majeures, car le culturalisme dépolitisé est une contradiction dans les termes : toute revendication culturelle est hautement politique, qu’elle le veuille ou non ; revendiquer des droits linguistiques en France revient nécessairement à mettre en question l’ultra-centralisme administratif, politique et culturel. De toute façon, qu’on le veuille ou non, on sera toujours accusé de velléités nationalistes ou nationalitaires (je n’ai pas saisi la distinction que Claude fait entre les deux, mais elle existe manifestement) par nos adversaires, car c’est là, dans la France de la crispation identitaire nationale, la pire insulte que l’on puisse lancer pour discréditer ses ennemis. Certes, pour qui est allé ne serait-ce qu’une fois en Catalogne (espagnole évidemment), il n’y a pas photo : quelle critique que l’on puisse et doive faire, on y voit un pouvoir qui s’est doté de moyens concrets et idéologiques pour défendre et promouvoir sa langue, entre autres choses (mais évidemment pas seulement), par les œuvres, qui importent tant à Claude. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, de retour de Catalogne, il est difficile pour un occitaniste de ne pas être affecté du complexe de Cendrillon. Mais il est vrai, il faut le concéder, qu’il est totalement irréaliste de donner aux Occitans la Catalogne pour modèle, du fait de l’immense fossé, de l’abîme même séparant objectivement l’une et l’autre situation.

Ce qui me semble aussi vrai, au moins en gros, dans l’analyse de Claude, c’est que le mouvement occitan d’aujourd’hui est plus occupéà faire pression sur les pouvoirs publics qu’à cultiver le lien, par l’invention de projets communs, avec ce qu’il nomme « la population », terme que moi aussi je préfère à celui de « peuple ». La population, en effet, c’est tout le monde ; la notion évite l’abstraction lyrique qui permet d’opposer à bon compte et pour toutes les fins idéologiques possibles, un peuple paré de toutes les vertus de l’abstraction, à des soi-disant élites perverties, dans lesquelles on range ses adversaires, quels qu’ils soient (voir la diabolisation actuelle, par exemple, de la catégorie tout aussi abstraite et fantasmatique du « bobo »). Oui, il faut le reconnaître, les associations occitanes ont de plus en plus de mal à porter des projets destinés à un public large, excédant le microcosme militant, et tout particulièrement des projets qui pourraient impliquer des membres des classes les plus défavorisées. L’un des seuls, sinon le seul qui parvient à intégrer une remarquable mixité sociale (contrairement à l’anathème bobo souvent jeté sur lui) est le projet Calandreta, mais Calandreta, dont la vocation se limite essentiellement à la transmission scolaire (ce qui est déjàénorme), ne suffit évidemment pas. Il faut bien sûr aussi rappeler et saluer les belles initiatives de Claude Sicre et de ses amis : Forom des langues, repas de quartier, université d’été de Laguépie, etc.

Mais il faut dire aussi que les choses sont extrêmement difficiles, dès lors que la langue est devenue à ce point rare et peu enseignée qu’elle est perçue par bien des gens comme un marqueur élitaire, voire « sectaire » (j’ai en effet entendu plusieurs fois qualifier de « sectes » les écoles Calandreta !). C’est pourquoi tant d’entre nous pensent que sans relais institutionnels, sans aides publiques, les carottes sont cuites, comme c’est le cas, indéniablement en Limousin, où désormais l’enseignement est presque réduit à néant, sans que la société civile n’ait pu, ni su, ni voulu prendre le relai (voir un post récent à ce sujet). Car c’est bien une question qu’il faut affronter : si la flamme était vive, si la population en avait vraiment le désir, sans aucune subvention publique, par le seul volontariat, d’innombrables initiatives pourraient germer et se développer, au-delà des petites structures visant au partage de la langue. Or, osons le dire, tel n’est pas le cas.

Mais est-ce pour autant la faute aux élites militantes endormies dans leurs plaçous ou trop occupées à négocier avec les élus et les administrations pour s’intéresser à la population ? Claude affirme que la population « attend des artistes, intellectuels, enseignants, animateurs et organisateurs occitanistes une offre qui l’intéresse, où elle vient participer de bon gré chaque fois qu’ici et là, ces occitanistes œuvrent pour elle, loin des discours victimaires et revendicatifs ». Il me semble d’abord que, même sans le vouloir, il reconduit en la modernisant, la vieille opposition entre l’intelligentsia et le peuple ; mais alors qu’autrefois, il revenait aux intellectuels et aux artistes d’éclairer et de former le « peuple » (il en fut ainsi y compris dans le mouvement occitaniste, voir par exemple les livres de Lafont : La Révolution régionaliste, Sur la France… qui sont à ce sujet proprement caricaturaux), désormais, les mêmes élites sont sommées de répondre à une attente supposée, d’offrir à la « population » ce à quoi elle aspire, ce qu’elle désire, ce qui « l’intéresse ».

Cette représentation de la population est en fait assez étonnante ; d’un côté, Claude nous dit ou nous fait entendre que la population est en avance sur les occitanistes, car totalement affranchie des lubies militantes (victimaires et revendicatives) et hostile à toutes les vieilles lunes marxistes, nationalistes, etc. et « capable d’aller très loin, si on sait l’écouter » (très loin, mais dans quelle direction ? Il faudrait développer !) et que, d’autre part, elle reste assignée à une position d’attente et d’observation, comptant les points, en situation d’extériorité, dans le match qui « nous » oppose aux « unitaristes ». Cette population, telle que la voit Claude, aime « la joie et la bonne humeur » et exècre les « pleurnicheries de pseudo-colonisés ». Elle se caractérise par une adhésion sans faille à une identité nationale française, détestant tous ceux qui cherchent à prendre la nation en tenaille entre l’Europe et les régions. Bref, ce que propose Claude est une offre culturelle occitane positive, joyeuse et riante et conforme aux convictions nationales de la population.

Ce que je pense personnellement d’une telle conception de la culture, moi qui accorde spontanément – sans doute par idiosyncrasie – tant de valeur au travail du négatif, n’a ici aucune importance. Par contre, il est important d’insister sur le fait que cette conformité rêvée par Claude est tout simplement impossible, inenvisageable, parce que justement l’idéologie nationale dominante, en France, exclut par principe, et aujourd’hui plus que jamais, la reconnaissance des différences, altérités et altérations de l’intérieur ; elle rejettera évidemment les services d’animation culturelle périphériques et qui plus est allophones comme elle exclut tout ce qui est étranger au centre et met en cause la mystique de l’unité et de l’invisibilité. C’est pourquoi, selon moi, on ne saurait faire l’économie, dès lors que l’on est porteur de culture et de langue minorées, non seulement d’une critique sociale (ce que Claude a le mérite insigne de faire), mais aussi politique de la situation française, où le déni de démocratie locale (en matière de culture, d’organisation institutionnelle, de fiscalité, etc.) est une chose qui étonne tant les étrangers venant y séjourner, et qui s’étonnent surtout de ce que les Français ne s’en étonnent pas. Quelle autre population, par exemple, aurait accepté sans presque mot dire (ni maudire !) un tel remodelage des territoires régionaux par le pouvoir central sans aucune consultation d’aucune sorte des citoyens ?

C’est que le modèle de domination centraliste est très profondément incorporé et en effet, sans doute plus encore par les élites qui en bénéficient d’une façon ou d’une autre, que par le reste de la population. Aussi, selon moi, on aurait tout intérêt, ne serait-ce que pour ne pas mourir idiots, à récupérer dans les poubelles de l’histoire occitaniste une notion comme celle d’aliénation, voire celle aussi de colonisation intérieure, moyennant bien sûr un effort conséquent de réactualisation, largement sollicité du reste par les nouveaux cadres de réflexion postcoloniale et post-nationale (bête noire apparemment de Claude). Certes, ce faisant, nous risquons d’être moins « populaires » qu’en proposant des concepts consensuels comme celui, par ailleurs non négligeable, de « convivéncia », mais il me semble que dans le domaine de la réflexion et de la critique, la démarche la plus insultante qui soit envers la « population » (c’est-à-dire nos lecteurs ou notre public potentiels) est celle qui consiste à travailler justement à se conformer à ce que l’on imagine, à tort ou à raison, être ce qu’elle attend et qui lui agrée.

Jean-Pierre Cavaillé

 

Retour vers le futur : Sicre, Identité et Civilité

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Claude Sicre, outre notre échange présent sur son entretien tout récent pour Lo Diari, s’avise de discuter divers papiers que je lui avais consacrés sur ce blog dans le passé proche ou déjà assez lointain, et je m’en réjouis. Sa mise au point au sujet de déclarations qu’il désavoue (et ne reconnaît pas comme sienne comme vous pouvez voir) publiées en 2008 dans Midi-Pyrénées Patrimoine, est sans aucun doute importante. Mais je trouve surtout intéressante sa réponse publiée en commentaire à la discussion que je lui avais proposée en 2004 (publiée ici en 2006) de son libreton de 1983, Identité et Civilité, 42 thèses sur le jeu de l’Occitanie. J’insiste sur le fait que cette lecture critique était une commande de la revue La Linha Imaginot, à laquelle je l’avais dument envoyée et qui ne l’avait pas publiée et qui n’avait pas répondu à mes questions à ce sujet. C’est l’une des raisons – la non-publication de ce texte et d’autres par divers journaux et revues – de ma décision de créer ce blog en 2006. Claude d’ailleurs, apparemment n’avait pas eu connaissance de ce texte, ni dans sa version originale, ni dans sa version publiée en ligne. Mais comme il vient de le dire en s’apercevant qu’il était une fois déjà intervenu en 2007 dans une ligne de discussion autour de ma critique de la revue Hérodote, « tout est toujours d’actualité ». Voici donc sa réponse dont l’intérêt en effet n’est pas seulement ni d’abord historique. Une dernière précision : lorsque dans ce texte de 2004, je me présentais comme « un néophyte, mal informé sur l’occitanisme », ce n’étais pas une clause de style mais la pure réalité et c’est pourquoi je ne pouvais lire ce texte de Claude qu’avec ma bonne volonté et sans une véritable connaissance du contexte.

Je republie le texte de Claude, Identité et Civilité, avec son accord, dans le post immédiatement postérieur à celui-ci (c'est-à-dire, ici !).

JP C

201301020754

 

 Claude Sicre revient sur Identité et Civilité,42 thèses sur le jeu de l’Occitanie

 

Bien, j’ai enfin lu cette critique de mon livre Identité et Civilité. Livre qui date de 1983 (décembre pour la publication, septembre pour la fin de son écriture). Critique qui date de mars 2006. Donc 23 ans après. Et ma réponse arrive 9 ans après la critique, nous sommes donc 32 ans après la sortie du livre. Installés dans le temps long, comme si les aléas de l’actualité n’avaient aucune prise sur nous, et c’est bien le cas. Intéressante et peu banale situation, n’est-ce pas ?

Ce livre, tiréà 500 exemplaires, édité par l’IEO musica ( c’est-à-dire par moi ), n’a pas fait beaucoup de bruit à sa sortie : aucun revue n’a daigné en dire un mot, aucun intellectuel occitaniste ne s’en est préoccupé ; pourtant certains l’ont eu dans les mains : je l’ai envoyéà pas mal d’entre eux et, pendant quelques années, il a été sur les stands de boutiques présentes lors de manifestations culturelles ou politiques occitanistes importantes, je veux dire où il y avait du monde : les essences majuscules agitées dans le texte n’ont pas compensé la modestie voulue du nombre restreint de pages (20, je crois) et de la présentation. Ceux qui l’ont feuilleté dans les stands n’ont pas été frappés par cette disproportion entre l’ambition des concepts et la pauvreté de l’emballage, qui dit pourtant le projet. J’ai vu les sourires de commisération et les haussements d’épaules, j’en ai été ravi, car c’est tout-à fait ce à quoi je m’attendais. Mais je me disais que peut-être je serais victime d’une bonne surprise. Je l’ai été, finalement : Jean-Marie Auzias a compris en partie l’importance du propos, m’a fait un mot et en a parléà ses étudiants à l’université occitane de Nîmes : il a vu Hegel, le travail de l’anti-négatif et l’humour. Pas assez pour en faire un papier, il semblait très impressionné, en fait, et quand je le croisai , il se montra très timide ( des années plus tard , il m’envoya un petit mot à propos du forom des langues, laudateur). Castan a écrit quelques lignes intéressantes je ne sais plus où et s’est dépêché de publier le Manifeste. Je crois que Serge Viaules en a dit trois mots quelque part, mais c’est flou dans ma mémoire.

L’humour, Cavaillé l’a vu , et c’est l’essentiel . Je peux en dire quelques mots : en fait, quand je relis ce livreton, tous les5 ou 10 ans, je me marre autant que quand je l’ai écrit, je me régale de ma prose. Il y a l’humour de la satire aimable et celui de l’ironie, jamais bien méchant. Je me moque des notions inertes de l’occitanisme traditionnel, du messianisme hégéliano-marxiste qui était le fort des situationnistes à cette époque, et du messianisme castanien tout à la fois, en les singeant. Mais pour mener un propos on-ne-peut -plus-sérieux, pas pour faire œuvre parodique, c’est là la clef du projet. Ceci dit c’est l’humour en soi, complètement gratuit, qui me fait le plus rire, comme il me fait rire chez Debord , surgissant au détour d’affirmations théoriques grandiloquentes. Mais aussi comme il me fait rire chez Alphonse Allais.

Cavaillé, tout en voyant l’humour, prend au sérieux le propos , et il a bien raison , et il le fait bien , excellemment même . Mais bien sûr comme il arrive tard, sans pouvoir donc tout situer (il n’a pas connu le situationnisme triomphant du début des années 70 et son folklore, il ne peut avoir que les textes ; il n’a pas connu le folklore des propos castaniens en live, dont les textes ne rendent pas tout ; etc.) certaines allusions lui échappent, et à qui n’échappent-elles pas ? . À la limite , pour tout saisir , il faut être un enfant d’ouvrier de Toulouse grandi dans l’après-guerre en lisant Blek le Roc , Sélection du Reader Digest et Vaillant le journal le plus captivant et être alléà la même colonie de vacances CGT que les enfants de la république espagnole et avoir joué au foot dans les terrains vagues jusqu’à un âge avancé tout en fréquentant le lycée bourge de la ville et avoir découvert Socrate en même temps que Socrates le brésilien et avoir tout lu de la série noire et donc avoir mélangé des le plus jeune âge ce qui venait de l’Americke et ce qui venait de l’URSS et s’être moqué de Sartre en classe de philosophie déjà et avoir abordé le gauchisme arrivant avec l’esprit qui présidait dans les réunions tardives des halls d’immeuble de la cité quand tu lâches la mobs et que plus aucune fille ne passant par là tu fais rire tes copains avec des vannes piquées dans Courteline, Chester Himes (je racontais l’histoire du camion portant des tôles tranchantes qui décapite le motard qui se souvient de ça? ) et il fallait bien , là , que je parle de Socrate comme d’un Zembla de la critique etc. etc. c’est donc une autobiographie, aussi. Comme tout le temps.

Et Cavaillé , ce annonce-t-il illico , prend le truc en main exactement comme il le faut, au sérieux du premier degré, comme un gosse de la cité regarde Il était une fois dans l’ouest, sans ce recours au dit second degré que croient pouvoir atteindre les compassés de France-Culture ou autre parce qu’ils ne pigent rien à rien , ou à cette dite herméneutique qui ressemble aux jeux d’enfants quand il faut chercher le personnage caché dans les contours d’un dessin, la prétention en plus . Pauvre Onfray ! Son copain Camus aurait étéà la hauteur, lui , parce qu’il a joué au foot à Belcourt et qu’il est né d’une femme de ménage , ils ont beau dire, les autres, ça fait la différence , en dernière instance.

Donc il va « pinailler », bravo, c’est exactement la définition du philologue chez Meschonnic, celui qui aime discutailler en croupes les positions de son interlocuteur.

Donc il tombe d’accord avec moi d’emblée sur tout un tas d’idées majeures et il attaque par une mineure : pourquoi ce livre n’est-il pas écrit en occitan ? La réponse : parce que je l’ai pensé en français. J’aurais pu y mettre un peu d’occitan ici et là, à titre décoratif, comme d’autres le font : c’eût été ruiner mon propos : la langue d’oc n’a pas pour moi vocation à« décorer », même si je parle plus loin dans le texte des ateliers de peinture , et l’émaillage d’expressions en occitan dans un texte français n’est intéressante que quand elle jaillit spontanément. Ça m’arrive, aujourd’hui, parce que j’entends du patois tous les jours, de ressortir des trucs machinalement, à l’oral ou à l’écrit, mais quand c’est à l’écrit j’ai à juger si c’est de la transcription spontanée du parlé ou une posture dont il faut jauger la légitimité au regard d’une stratégie.

Second point, « le projet ...rendre plus humaine etc. ». Cavaillé a bien raison de dire que c’est du « verbiage ». Mais ce n’est pas le verbiage auquel je pensais quand, venant de lire Heidegger et L’Etre et le Néant de Sartre, j’ai eu l’idée de monter des spectacles de « verbiage artistique ». C’était une excellente idée, qui m’a servi plus tard (joutes poétiques chantées), d’ailleurs. Non, là, c’était une critique de Sartre et de Heidegger dont je n’ai vraiment compris ce qu’elle intuitait que lorsque j’ai découvert l’article de Benveniste sur le verbe « être » dans son Introduction... (je me demande aujourd’hui qu’elle est l’actualité du « pratico-inerte », je n’en entends plus parler, même par les philosophes). C’est un autre « verbiage », celui de la création, qui joue aux quilles avec les essences pour réaliser un strike et introduire l’occitanisme dans la partie, dans la cour des plus grands donc, puisque la vie de mon voisin vaut bien celles de tous les autres (« philosophe » ne peut être pour moi qu’un adjectif, qu’il faut prendre dans son sens courant en montrant sa richesse).

Deuxième point, « l’esthétique » : je ne dirais plus comme ça aujourd’hui, après avoir lu Meschonnic : je dirais : « poétique ». Je renvoie donc à Mesho, sur ce point.
Point trois : la volonté. Il faut là, pour tout ce passage, repartir des Stoïciens : il y a les causes (des événements qui arrivent) par rapport auxquelles on ne peut rien , et celles par rapport auxquelles on peut agir . Le sage est celui qui « veut ce qui arrive », éventuellement après avoir tout fait pour que cela n’arrive pas.


Claude Sicre : Identité et civilité. 42 thèses sur le jeu de l’Occitanie

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J’ai le plaisir de republier, avec la permission de l’auteur, Identité et civilité (1983), texte de Claude Sicre que j’avais discuté en d’autres temps (2004 ! voir ici même), discussion à laquelle – mieux vaut tard que jamais – Claude vient de répondre (voir le post précédent).

JP C

 

Socrate_vs_Prosperi

CLAUDE SICRE

Identité et civilité

42 thèses sur le jeu de l’Occitanie

 

I

L’histoire de l’Occitanie n’est rien d’autre que l’histoire de l’identité occitane, et l’histoire de l’identité occitane n’est rien d’autre que l’histoire du projet occitaniste.

 

II

L’Occitanie n’a commencéàêtre que lorsque le projet occitaniste a formulé le concept d’Occitanie, lorsque l’Occitanie est devenue une idée.

 

III

L’essence de l’Occitanie est toute entière dans le projet de l’occitanisme, et le seul projet de l’occitanisme, le seul qui soit inscrit dans les faits, c’est-à-dire dans les idées, c’est le jeu qu’il a à mener pour la reproduction élargie de l’identité occitane.

 

IV

L’identité occitane n’existe nulle part en dehors de ce jeu, qui est le seul lieu où elle puisse s’affirmer, c’est-à-dire devenir ce qu’elle est déjà essentiellement.

 

V

L’Occitanie n’a pas et n’a jamais eu d’ennemis s’appelant jacobinisme, colonialisme, impérialisme, ethnocentrisme, grand-francisme ou centralisme. Mais lorsque naquit le projet occitaniste, il eut immédiatement affaire avec son adversaire, le centralisme.

 

VI

Qu’est-ce qui fonde le concept de centralisme ? C’est l’anti-centralisme. Qu’est-ce qui fonde l’anti-centralisme ? C’est le concept d’Occitanie. Qu’est-ce qui fonde le concept d’Occitanie ? Ce sont les concepts de centralisme et d’anti-centralisme. C’est donc bien Félix Castan qui permet au concept d’Occitanie de se forger, en forgeant le concept de centralisme et d’anti-centralisme ; c’est donc bien Antonin Perbosc et René Nelli qui permettent aux concepts de centralisme et d’anti-centralisme de se forger, en forgeant le concept d’Occitanie.

 

VII

Armé des concepts de centralisme, d’anti-centralisme et d’Occitanie, on ne peut pas réécrire l’histoire de lOccitanie en affirmant qu’elle est l’histoire de sa négation par le centralisme. Armé de ces concepts, on ne peut qu’écrire l’histoire de l’Occitanie comme histoire du projet occitaniste.

 

VIII

Le projet occitaniste réussit ce tour de force d’être en même temps le contraire d’un projet nationaliste et le contraire d’un projet régionaliste.

 

IX

Qu’est-ce qu’être occitan ? Être occitan, c’est vouloir être occitan, c’est savoir que l’on est occitan parce qu’on le veut, c’est être occitaniste. Il n’y a pas d’autres occitans que les occitanistes ou alors les vaches, les cailloux du chemin et les paniers de Maître Ambroise sont aussi occitans. Et qu’est-ce qu’un panier occitan contient de plus ou de meilleur qu’un autre panier ?

 

X

Il n’y a pas de fatalitéàêtre occitan. Il n’y en a jamais eu. L’être occitan est le résultat d’un procès de liberté. Le procès de civilité de l’identité, c’est le procès de liberté. Le projet occitaniste est un projet de jeu, et dont l’enjeu est une civilité.

 

XI

Cette absence de fatalité est justement un des caractères essentiels de l’identité occitane. C’est elle qui donne au projet occitaniste tout son sel et toute sa grandeur. C’est elle qui fonde le jeu comme tel et qui fonde donc l’occitanisme comme esthétisme. Jeu défini comme activité supérieure de l’humanité, jeu de l’histoire défini comme le plus humain des jeux, le projet occitaniste est à la fois esthétique et politique.

 

XII

Qu’est-ce qui est à l’œuvre derrière ce projet de civilité ? Le retour du refoulé, disent les autres qui, justement parce qu’ils se sentent être les autres, voudraient bien redevenir les uns qu’ils croient avoir été. Derrière le projet de civilité, il n’y a pas de retour, mais un aller simple, celui que dirige la soif d’aventure.

 

XIII

Qu’est-ce que l’aventure ? L’aventure, c’est le contraire d’aller à l’aventure, c’est réduire les aventures enfin saisies comme autant de mésaventures.

 

XIV

De quel genre d’aventure les occitanistes ont-ils soif ? De la plus belle des aventures, d’une aventure de civilité, qui doit prendre en compte tous les aspects de l’humanité pour la rendre encore plus humaine.

 

XV

Se situant dans cette ambition, les occitanistes cessent sur-le-champ d’être des roquets pour devenir d’intrépides aventuriers du monde moderne.

 

XVI

Il n’est pas fatal que le projet occitaniste réussisse. C’est seulement possible s’il se trouve des hommes capables de le penser et de le porter, s’il se trouve justement ces fameux aventuriers aussi à l’aise dans la jungle de la vie que dans le maquis des mots, et décidés à vouloir ajouter quelques petites pages au grand livre du Monde, comme certains de leurs aînés l’ont fait.

 

XVII

Mais nos héros seront-ils assez vaillants, assez savants, assez généreux, assez nobles, assez modestes et pourtant assez ambitieux ? Nous l’apprendrons bientôt.

 

XVIII

C’est du verbe que naîtra la nouvelle civilité. D’un verbe conçu pour la concevoir. C’est la langue d’òc, et elle seule, qui peut ordonner le chaos des identités partielles et informes en un monde reconnaissable. Elle surgira soudain comme baguette magique pour métamorphoser en évidence le long et obscur travail de tous les forgerons des paroles et des écrits. Et ce pouvoir de la langue d’òc n’était concevable qu’en français.

 

XIX

Une fois conçue l’irréductibilité de la langue de civilisation, il n’est plus besoin de rechercher aucune spécificité dans ce domaine. Mais les fontaniens, et d’autres, ne l’entendent pas de cette oreille. Ils veulent être encore plus irréductibles, comme si c’était une question de quantité : « Poussé par la persécution de l’ethnie française, le besoin d’occitanité privilégie l’emploi des formes conservées dans le dialecte central qu’ils jugent le moins contaminé». Ils oublient tout simplement l’essentiel, qui est que l’irréductibilité une fois posée, c’est le projet de civilité, et lui seul, qui est à l’œuvre dans le travail de la langue, projet de civilité dont la teneur est esthétique et politique à savoir la recherche d’un modèle d’humanité. C’est lui qui peut seul penser la spécificité, et il en use comme bon lui semble, selon sa loi propre.

 

XX

La langue occitane ne peut pas être un justaucorps à enfiler. La langue, c’est tout au contraire, pour l’Occitanie, l’espace primordial de liberté, le vecteur privilégié d’expression et de fondation d’une nouvelle civilité. Ce n’est pas un patrimoine à sauver, mais à civiliser.

 

XXI

La langue d’oc n’existe donc plus que dans cette promesse où elle devient matériau pour de modernes démiurges. Car par le verbe, et par les arts qui se raccrochent aux catégories qu’il construira, ceux-ci ont la liberté d’inventer un univers qui prendra réellement corps par-delà leurs œuvres. Y a-t-il une plus grande aventure pour des artistes ? Y a-t-il un plus grand art pour des pionniers ?

 

XXII

Les seuls occitans colonisés ou aliénés, et qui portent jusque sur leurs visages les stigmates de leur aliénation, sont les occitanistes qui croient que l’Occitanie est une nation colonisée et les occitans une ethnie aliénée. Toute leur aliénation se résume à cette seule croyance.

 

XXIII

Le projet occitaniste ne peut réussir qu’en mettant les rieurs et les inventeurs de son côté. Et c’est seulement de l’imagination souriante d’une nouvelle civilité que surgira un nouvel élan de la langue. Il ne sert à rien d’essayer de moderniser l’occitan en l’adaptant à la civilité dominante qui justement le nie. Et il est donc bien clair, pour tous ceux qui nous ont suivis, que la clé n’est pas dans la langue, mais dans le rapport langue-civilité et dans le jeu qui met ce rapport à l’œuvre.

 

XXIV

Que nous dirait Socrate s’il était occitaniste ? Allons le voir, asseyons-nous sur une pierre à côté de lui, dans le terrain vague où il philosophe d’ordinaire, allumons nos cigarettes et allons-y de notre maïeutique : « Peux-tu nous dire, Socrate, ce qu’est pour toi l’Occitanie ? ». Et Socrate : « L’Occitanie n’a commencéàêtre que lorsque le projet occitaniste a formulé le concept d’Occitanie, lorsque l’Occitanie est devenue une idée ». Et nous : « Oui, très bien, mais encore, dis-nous, qu’est ce que l’histoire de l’Occitanie ? ». Et Socrate : « L’histoire de l’Occitanie n’est rien d’autre que l’histoire de l’identité occitane, et l’histoire de l’identité occitane n’est rien d’autre que l’histoire du projet occitaniste ». Voilà ce que nous dirait Socrate. Et il est remarquable que ce soit très exactement ce que nous disons nous-mêmes, au grand dam des Gorgias et des Calliclès méridionaux qui ne s’asseyent jamais sur les pierres d’un terrain vague pour philosopher.

 

XXV

Socrate ne nous aurait jamais dit « l’Occitanie est un espace, une nation ethnique, une nation en marche, etc. ». Parce que Socrate s’intéresse à l’essence, aux idées. Et qu’est-ce que l’Occitanie sinon une idée ? Et comment s’intéresser aux idées si l’on ne s’assied pas tranquillement sur une pierre d’un terrain vague ? Certains croient qu’il faut courir de tous côtés, élaborer du gestionnisme ou de l’autogestionnisme, alors qu’il suffit de fumer nonchalamment à l’ombre, tel Tityre, et de saisir les idées qui sont là, à portée.

 

XXVI

Certains, qui ont glané quelques miettes de pouvoir lorsque l’Occitanie était minablement à la mode, se désolent aujourd’hui d’avoir tout perdu. Pourtant, lorsque l’on joue le jeu de la mode, il faut accepter de se retrouver un jour ou l’autre démodé. Mais eux ne voient pas le problème sous cet angle : ils se désespèrent et croient l’Occitanie perdue, alors qu’il ne s’agit que de leurs illusions. Ceux qui ont encore du ressort nous rejoindront bientôt et mettront tous leurs talents au service de leur propre réussite, qui ne peut être que confondue avec celle du projet occitaniste. Les autres sombreront immanquablement dans de ténébreuses idéologies.

 

XXVII

Il convient donc de tout mettre en œuvre pour que jamais l’Occitanie ne soit à la mode, en reculant, à chaque avancée, les frontières de la civilité.

 

XXVIII

L’identité occitane n’est pas à chercher dans une quelconque sociabilité, un biais de viure, une langue, une culture, une civilisation, un territoire, une économie, ni rien de ce genre. Il n’y a pas d’occitanité. L’identité occitane est seulement une volonté, celle d’une nouvelle civilité.

 

XXIX

Quelles sont les raisons économiques qui poussent les gens intelligents à lire Nelli, les Troubadours, Antonin Perbosc, Félix Castan, Marc Aurèle, Auguste Comte, Platon ou Mistral ? Montrez-moi ces raisons économiques ! Posez ces raisons économiques sur la table et examinons-les ! Et mettez-y les raisons ethniques, tant que vous y êtes !

 

XXX

L’identité occitane n’est pas la méridionalité. L’identité occitane, identité sujet et identité de civilité, s’oppose directement à l’identité méridionale, identité issue du centre, identité objet et identité polyethnique. C’est cette confusion entre identité occitane et méridionalité qui est à la source des idéologies de la nation occitane et de l’espace occitan. Lorsque l’idéologue sent bien qu’il y a là deux choses à distinguer, sans savoir comment le faire raisonnablement, il lui arrive de poser la méridionalité comme substrat de l’identité occitane et comme marche possible vers elle. Cette marche-là, avec toutes les autres que fabrique la même idéologie, ne construit jamais qu’un escalier de sable.

 

XXXI

Mais tandis qu’au grand jour s’estompent peu à peu les couleurs locales de la méridionalité, les couleurs de la civilité occitane se préparent dans d’obscurs ateliers.

 

XXXII

Le jeu de l’Occitanie est donc avant tout un jeu de coloriage.

 

XXXIII

Lorsque l’on croit qu’il y a des occitans sans le savoir, que les occitans sont autres que les occitanistes, que la méridionalité est une occitanité masquée, aliénée, alors on fonde une vaine stratégie du dévoilement de l’occitanité que serait la méridionalité derrière les apparences, et on attend le surgissement naturel de cette occitanité si longtemps contenue. On attend toujours.

 

XXXIV

La juste stratégie c’est tout au contraire la décision ex-nihilo du coloriage pan-occitan, accompagnée de la science de l’histoire de l’identité occitane comme histoire de sa remarquable absence — et non pas de sa non-existence — et histoire d’un possible enfin conçu comme tel.

 

XXXV

L’idée que l’infortune de l’Occitanie viendrait de l’autre, serait de la faute des autres — centralisme, colonialisme, capitalisme, impérialisme, jacobinisme, ethnocentrisme francien, chauvinisme parisien, grand-francisme — est une idée particulièrement insupportable. Que d’honneur elle accorde à des choses et à des gens qui jamais ne nous ont dit en face : « Ah, vous jouez le jeu de l’Occitanie, et bien nous jouons contre vous, nous jouons contre l’Occitanie ! ». Pourquoi postuler qu’il y a des gens assez intelligents pour faire l’infortune de l’Occitanie ? Cette idée est démobilisatrice. Qui croit que son infortune vient de l’autre, attend de l’autre sa fortune. Et c’est là tout le sens de l’idée de « réparation historique ». À quoi peuvent bien servir des droits octroyés et non gagnés de haute lutte ? À quoi pourraient bien servir les miettes abandonnées aux martyrs et aux martyrologes occitans, qui savent si bien pleurnicher et même pas conquérir des fragments de miette ? Mais l’important n’est pas là. L’important est que nulle part il n’y a trace de l’infortune de l’Occitanie, puisque l’Occitanie est tout juste en train de naître sous nos yeux. La fortune de l’Occitanie viendra des occitanistes, contre les martyrs et martyrologes. Et contre tous les obstacles accumulés. Et plus les obstacles seront grands et nombreux, plus le parcours sera semé d’embûches et de guets-apens, plus intelligents et rusés seront nos adversaires et plus l’Occitanie triomphante sera grande, brave et intelligente. D’ailleurs un grand poète a déjà expliquéça avant nous, et en vers, qui plus est.

 

XXXVI

Car contrairement à ce que croient les martyrologes occitans, l’occitanisme ne souffre pas d’avoir trop d’adversaires trop puissants, mais bien au contraire de n’en avoir que quelques rares, tous très faibles et peu intelligents.

 

XXXVII

Il nous appartient donc, comme première tâche, de nous fabriquer des adversaires à notre mesure, à la mesure de nos ambitions. Voilà l’urgence enfin désignée !

 

XXXVIII

Comme l’a démontré Félix Castan, le génie occitan ne peut aujourd’hui s’exprimer que dans la négation du centralisme. Au-delà, dans le combat des essences, il incarne le Multiple aux prises avec l’Un. La construction de la civilité occitane, suspendue à la transformation de la civilité française, est en même temps la condition essentielle de cette transformation. De négatif des civilités qu’elle était, la civilité française doit devenir le garant exemplaire de la pluricivilité. Et seule la langue d’Oc peut exprimer dans les œuvres cette nécessité.

 

XXXIX

La plupart des occitanistes passent la moitié de leur temps à gémir pour des malheurs qui ne leur sont jamais arrivés, et l’autre moitiéà rêvasser à des bonheurs qui ne leur arriveront jamais. Ils s’imaginent que quelque providence finira bien par prêter l’oreille à leurs lamentations et, par égard à leur si long calvaire, leur octroiera bientôt la félicité de téter ad vitam aeternam les mamelles de la chèvre d’or. Que pense la chèvre de ces songeries ? La chèvre, très exactement, pense :

                               « Bèèèèèh ! ».

 

XL

Ces occitanistes-là ne sont pas vraiment des occitanistes. La qualification d’occitaniste doit être réservée à ceux qui sont nos partenaires dans le jeu que nous avons défini, et qui, s’ils n’ont pas le monopole de l’intelligence, ont celui de son emploi occitaniste : ce sont eux seuls qui sont capables, à partir d’une infinité de patois délaissés, de construire une langue, à partir d’une infinité de cloisonnements, de construire une communauté, à partir de cultures abandonnées, de construire un modèle d’humanité.

 

XLI

Le jeu de l’Occitanie est le jeu d’identité le plus intelligent, le plus beau, le plus enthousiasmant, le plus riche qu’il soit possible de jouer en Occitanie, puisqu’il s’agit d’un jeu de civilité, d’un jeu de proposition et d’érection des valeurs les plus hautes de l’humanité. Tout projet occitaniste bas, laid, snob et pauvre n’est pas un projet occitaniste, et tout projet de ce genre est vain, car il trouvera toujours sur sa route un projet contraire plus bas, plus laid, plus snob et plus pauvre que lui. Le projet occitaniste est le négatif de la bassesse, de la laideur, du snobisme et de la pauvreté.

 

XLII

Une fois produite, l’idée d’Occitanie devient autonome par rapport aux forces qui l'ont produite, par rapport à ses conditions de production : elle a sa propre logique et son jeu est bien plus ouvert, bien plus large qu’un simple jeu anti-centraliste. C’est là l’idée essentielle, que je gardais donc pour la fin. Une fois produite, l’idée d’Occitanie dit « Orvoir et merci, Monsieur le Centralisme » et tourne le dos. Elle n’en a plus rien à foutre, du centralisme : il peut s’exacerber, se déguiser en décentralisme, en régionalisme, émigrer, vous ne pouvez pas savoir ce qu’elle en a rien à foutre. Le centralisme peut même disparaître totalement, que ça ne change absolument rien pour elle, si les autres conditions de sa production ne changent pas en même temps pour produire une autre idée. Ce qui est intéressé par le centralisme, maintenant, c’est le jeu de l’Occitanie, qui, confronté dans une véritable course avec le jeu décentraliste du centralisme, doit prendre la mesure de son adversaire et de toutes les règles du jeu.

Qui comprend ça, comprend tout !

 

Toulouse, septembre 1979, septembre 1983

Joan Eygun : Ua lenga qui s'esvaneish ?

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Mur98

Photographie de Christophe Drodelot, Signes d'effacement, Mur 98 – Nantes – 2014

 

Dire l’escafament sul lindal del silenci

 

Ua lenga qui s’esvaneish ? (Letras d’òc, 2015) es una reflexion sens concession e d’una granda luciditat (es a dire fòrça pessimista) sus l’estat e l’avenir de la lenga occitana (« ua paraula viva que s’esvaneish pòc a pòc », p. 8), dins la dralha dels tèxtes de Jan dau Melhau (Ma Lenga, vesètz aquílo polit tèxte de Baptiste Chrétien) e d’Eric Fraj (Quin occitan per deman ?Aquí dins sa primièra version occitana). Es escrit, dins un crane gascon (vertat que lo gascon es crane e fièr per definicion !), per lo Joan Eygun, que baileja las edicions Letras d’òc.

Sa soscadissa es nascuda de çò que li dison lo monde quora presenta los libres de son ostal d’edicion per las plaças e las carrièras, coma a Seta per exemple, en lengadocian (revirat aquí en gascon !) : « dens la nosta familha, que s’i parlè patués mes l’occitan qu’ei la lenga de l’escòla, e sonque de l’escòla » (p. 7). Avèm totis ausit aquò, totis, e cada còp, nos sèm dich que lo trabalh d’un sègle a pas res cambiat. Lo temps es passat dins una emoragia continua de locutors que, per la màger part del temps an quitament jamai saput que parlavan quicòm mai qu’un patés. Ara, que totis pensam mai o mens que la messa es dicha e qu’aqueste còp, òc, las caròtas son cuèchas per de bon (almens per çò qu’es de tornar socializar largament la lenga), volèm almens ensajar de comprene cossí las causas an pogut virar aital.

 

Lenga d’escòla o pas de lenga a l’escòla ?

La primièra (o darrièra per òrdre de temps ?) constatacion que fa Eygun es qu’en efeit s’es delegat a una institucion, l’escòla (que siá publica o associativa), lo prètzfach de salvar la lenga. Mas l’escòla demora l’escòla, es a dire un luòc et un temps separats del demai de la vida sociala. Vertat, mas cal immediatament apondre que l’immensa majoritat dels pichons (virtual) occitans an pas agut, an pas et auràn pas l’occitan a l’escòla e aquò, çò me sembla, cambia fòrça lo vejaire negatiu que se podriá aver de l’accion militanta. La raretat de l’oferta escolara e lo fach que se parla aital pauc occitan en defòra de las escòlas occitanas son forçadament ligats, amai se pòt e se dèu far la critica de totis los qu’imaginan que l’institucion escolara podriá salvar una lenga que, elis mèmes, cercan quitament pas a aprene. Eygun, per exemple, constata la « caduda […] espectaclosa e tarribla » (p. 11) del nombre de candidats a l’espròva facultativa deu bachelierat entre las annadas 70 e uèi ; aquò vòl dire, òc, que los liceans d’uèi ausisson pas mai l’occitan a l’ostal, mas tanben e subretot que l’escòla a pas fach lo trabalh qu’auriá pogut far, se i aviá aguda la volontat politica de zo far (vesètz la Còrsa, en compareson).

Lo fons del problema, çò me sembla, es pas una malastrosa diferéncia entre la lenga de l’escòla e la lenga de l’ostal (que deja, a l’ostal, lo mai sovent se parla pas mai dempuèi un bel briu) : aquesta diferéncia existís tanben pel francés, que lo de la regenta es fòrça sovent diferent de la lenga de l’ostal e digus i trapa pas res a dire. Lo fons del problema es que l’occitan ensenhat a l’escòla, l’occitan d’ensenhament que jamai pòt èsser identic amb « la » varietat precisa istòrica del luòc, lo fach de balhar lo nom d’occitan a aquesta lenga d’ensenhament (e aital, fatalament e necessariament d’en far quicòm de diferent del patés que per definicion s’ensenha pas) e lo quite fach d’ensenhar l’occitan a l’escòla, tot aquò es totjorn pas reconegut coma un quicòm de normal, d'evident e de legitime.

Se podon partejar maitas analisis criticas d’aqueste libròt suls moviments occitans e occitanistas dempuèi lo Felibritge dusca a Calandreta, mas daissa tròp pensar que son responsables (sin que non copables !) de la mòrt de la lenga. Ièu, vòli aquí puslèu trabalhar a desculpabilizar dins l’ensemble lo moviment, simplament en tornant rampelar que sas (nombrosas) errors de metòde e d’estrategia representan pas grand causa en compareson amb las accions institucionalas contra l’usatge dels « pateses » e subretot en compareson amb la poissença dels models culturals d’exclusion de tot çò que fa rural, paísanas, e donca del « patés ». Es pas per astre que, ont s’ensenha, a l’escòla e a l’universitat, l’occitan demora largament desvalorizat (ai d’aurelhas per entendre e çò qu’ausissi sus l’occitan se gausariá dire per cap d’autra disciplina) pels autres ensenhaires et per fòrça monde. Se compren aital perqué de locutors (o ex-locutors) d’« occitan », coma los quites ex-calandrons estudiats per Boyer en 2005 (vesètz la discussion aquí del libre de Boyer), fan la diferéncia entre lor lenga apresa a l’escòla e lo « patés », e tanben perqué sovent, coma zo ditz Eygun, per fòrça ex-calandrons l’occitan es « un sovier de la petita escòla qui cau escóner o desbrembar tà poder passar a l’adolescéncia » (p. 13). Mas nòta tanben que podèm quitamen pas respondre a la question : « quants de locutors adultes e produseish l’ensenhament escolar de l’occitan ? » (p. 15). Vertat qu’es pas solament la fauta de las institucions publicas que volon pas (subretot pas !) d’estatisticas seriosas, per çò qu’es almens de Calandreta, i a un refus evident de se confrontar a una realtat dificila, coma lo mòstran las reaccions de defensa instinctiva, sens cap d’autòcritica, a l’estudi de Boyer suls ex-calandrons.

 

Bestisièr occitanista

Coma d’autres (Felip Martel per exemple, justadament citat dins lo libre), Eygun participa a la critica salutaria dels mites occitanistas los mai damatjoses per la pratica mèma de la lenga (sens parlar de las derivas ideologicas del passat) : en particulièr lo d’una Occitania eterna e d’una lenga blosa unificada de las originas. Doblida pas de mençonar lo racialisme fòl de Loís Alibert : (« La conquista gallesa canviet pas mai la raça occitana que la conquista francesa al segle XIII »), o quora escriu que lo Lengadoc foguèt « gandit pendent de longs sègles de las influéncias racicas e linguisticas vengudas del Nord », aquò plan segur per justificar la superioritat del lengadocian (« lo lengadocian, protegit per una cinta ininterrompuda d’autres dialectes occitans e plaçat d’esquina contra un massís montanhós, es demorat a l’abric dels grands corrents de circulacion e a pogut defugir tota contaminacion », tèxte totjorn present, sens cap d’avertiment critic, dins la reedicion per l’IEO de la Grammatica occitana !).

Levat lo racialisme, demora l’idèia d’una Occitania eterna, coma quora l’Enric Espieu, escrich dins son Istòria d’Occitania del 1970 (perqué Eygun cita aquí en francés, vist que lo libre èra paregut en occitan en 68 ?) : « Quand Strabon parle de l’isthme gaulois, c’est à l’Occitanie qu’il pense d’abord ». O encara : « L’Occitanie existe, son existence et sa spécificité sont assurées depuis les origines de l’histoire jusqu’à nos jours » (mas per una critica mai contrastada d’aqueste libre, es de legir lo tèxte d’Eric Gonzales). O encara, podèm trobar dins un document de l’IEO aqueste polit rasonament circular : « L’Occitanie existe puisqu’elle a une histoire » (1979). Aquesta insisténcia per afortir l’existéncia d’Occitania, negada per totis, se compren mas es fòrça patetica : Occitania es un nom e la realtat de çò que designa es pas eterna mas cambiadissa e subretot patís d’un grèu deficit de legitimat istorica.

Tota aquesta mitologia de l’Occitania eterna (amb, puèi, l’afortiment de la mai granda puritat del lengadocian) servís subretot a justificar la tentacion recurenta d’unificar e de purifiar la lenga (veire sul sicut tanben lo libre de Fraj). Eygun cita los documents de la SEO d’Ismael Girard e d’Alibert que, a la fin de las annadas 30, se balhava la tòca d’estudiar « tots los parlars occitans en vista de depurar e unificar la lenga », e Alibert, totjorn dins sa Gramatica escriu : « demora a netejar nòstra lenga dels gallicismes que se son substituïts al mots indigènas ».

 

Questions de qualitat

Aquò, entre autres, pòrta Eygun a criticar l’edicion de Jean l’an pres (1756 et 1765) en grafia normalizada per Patric Sauzet (1988), perqué, çò ditz, « l’engèni literari de Fabre qu’ei de jogar dab l’ibridacion deus lengagtes » (p. 37). Soi sensible a l’argument : la transposicion en grafia « classica » impausa de causir un còde completament occitan, ont l’autor jogava sul contacte diglossic entre francés e « patés ». Pr’aquò, parlar d’« òbra crestada », de « negacion de l’òbra literària com reclam de la societat deu son temps » e de « negacion tanben de l’autor coma autor conscient de çò qu’escriu » (p. 38) me sembla fòrça exagerat : de tot temps lo prètzfach de modernizar la grafia dels tèxtes vielhs s’es impausat, justadement, entre autres, per apropriar un tèxte a un contèxte novel que pòt pas èsser per definicion lo de sa concepcion : aquí lo contexte dels legeires d’occitan d’uèi acostumats a la grafia alibertenca. Aquò empacha pas de far, a costat (o ara, trente ans aprèp, dins lo mème libre), una edicion filologica del tèxte, mas qu’exigís alavetz, çò me sembla, de nòtas e tot çò que cal per comprene (aquí es una limita de las polidas e utilas edicions de tèxtes ancians per Letra d’òc, generalament desprovesits d’aparelh critic). Per resumir d’un autre biais, nos fan mestièr d’apròchas e donca de formas d’edicion diversas de la literatura occitana e me sembla qu’avèm pas tròp leser de nos perdre en garolhas inutilas. Val mièlh se concentrar sus l’essencial : lo refus a l’encòp d’una unificacion e estandadizacion de la lenga sul model franchimand e de l’embarrament localista (cf. lo libre recent de Sèrgi Javaloyés, citat el tanben, Au nom de la lenga).

Eygun insistís fòrça sul problema de la marrida qualitat de la lenga escrita e parlada, de còps que i a, que va completament dins lo sens de Fraj (amb las mèmas criticas dels excès d’estandardizacion e de las insufiséncias de maites neòlocutors e d’unes mestres d’escòla). Soi d’acòrdi amb el per dire que « la temptacion d’un occitanisme postinlingüistic » (qu’es dejà una mena de realtat amb lo monde que se dison occitanistas sens jamai parlar la lenga) « qu’ei illusion dangerosa e boharòca » (p. 43), d’acòrdi tanben per dire que, a l’ora d’ara, podèm pas parlar d’unitat occitana en defòra d’una lenga que puèi es diversificada dins sos dialectes.

Per melhorar la qualitat de la lenga, balha, lo conselh, totjorn utile d’escotar – ont ne’n demora –, lo monde qu’an apresa la lenga al brèç[1]. Conselha tanben de legir « los bons autors occitans deu passat… tà popar dens las loas pròsas lenga autentica » (p. 41). Soi fòrça favorable a la lectura dels autors del passat, sens tròp saber çò qu’es un « bon autor » : « bon » per la fidelitat de son escrit al parlat, o « bon » per l’estile ? « Bon » coma model d’escritura vòl pas dire « bon » per parlar ! D’alhors, una lenga literaria, per definicion, pòt pas èsser « autentica », al sens d’un rebat fidel del parlat ; l’autenticitat de la lenga literaria es una ficcion produsida pel quite trabalh de literatura amb çò qu’implica d’apropriacion e de trasformacion personala de mai d’una varietat de parlar (mas vesètz aquí la critica de la nocion de « lenga autentica » per James Costa). La literatura es lo regne de l’artifici, pas de l’autentic, e es aquò la meravilha de la literatura !

De tot biais, lo destin de la lenga es pas determinat pel libre. Se demandar « se i a pas libes escriuts en occitan a casa, mes sonque a l’escòla, l’occitan e pòt estar sentit peus petits com ua lenga de la vita vitanta ? », aquò per ièu es pas la bona question. Non, l’occitan pòt solament venir una lenga de la vita vidanta, s’es parlat per de monde a l’entorn del dròlle en defòra de l’escòla, e aquesta defalhida fatala a pas res a veire amb la presença dels libres (quant de còps caldrà tornar dire qu’una lenga viva, viu pas – pas d’en primièr – dins los libres, mas sus las pòtas !). Lo problema màger de la subrevida de l’occitan al jorn d’uèi es lo defeit de lenga orala, la manca d’espacis de socialisacion de la lenga, es a dire de luòcs per la parlar, en defòra de las escòlas e en defòra d’internet, espaci vengut tant impòrtant, mas gaire sufisent.

 

Publicar l’occitan

Una autra critica interna de l’occitanisme que fa Eygun es la de l’« isla numerica », coma « refugi paradisiac » (p. 21). Vertat que l’internet pòt èsser vist coma un « refugi » quora la lenga desapareis de tot autre luòc. Mas a pas cap de sens de parlar de « paraula virtuau », coma zo fa Eygun, per çò que s’escriu, se mòstra e se ditz sus internet ; es pas mai virtual d’escriure sus internet que dins de libres (la virtualitat de la publicacion en linha es una faula ; publicar en linha es tant real que de zo far sus papièr !), e a encara mens de sens de parlar d’« embarrament gropusculari », perqué la publicacion sus internet es uèi lo biais de publicar lo mai dubert que siá. Es puslèu la lectura de libres qu’es a venir, malurosament, « gropusculari » !

Per çò qu’es de la qualitat de la lenga escrita sus internet, criticada per Eygun, vertat, es una autra istòria… mas es çò mème, fin finala, amb lo francés (vesètz la grafia de maites escambis sus de forum) e las autras lengas ; lo biais d’escriure i es fòrça mai destibat, descomplexat, sovent aproximatiu, rapide, espontanèu : s’en pòt far la tièra dels defeits, òc, mas tanben la lista de las qualitats. E puèi es de notar tanben la baissa generala de la correccion de las publicacions papièr, de mai en mai fautivas elas tanben (parli pas de la edicions Letras d’òc, ont las decas son plan raras). De tot biais aquestes novels mòdes de comunicacion e de publicacion escrita son pas brica en oposicion amb lo libre papièr, e demora plan de trabalh per los far comunicar melhor (critica literaria occitana en linha d’un costat, d’un autre publicacion del patrimòni literari en linha, publicacion de libres occitans novels sus papier e dins lo meteis temps en linha, etc.). Puslèu d’anar dins aqueste sens, dins sa conclusion, l’autor, per defendre lo libre, opausa las « produccions escriutas » a « çò de numeric o d’audiovisuau » (p. 60), coma se lo « numeric » representava pas uèi la part màger de produccion (e de consomacion !) de tèxtes (totas lengas confondudas) !

 

D’eslogans

Zo ditz mai d’un còp dins son libròt, Eygun aima pas los eslogans occitanistas, que tròba contra performatius. Ironisa en primièr sus quicòm que pòt passar per anecdotic : los eslogans « tarribles e magnifics » que se legisson suls camisets e autras bonetas : « Farem tot petar » ; « Perqué aprene l’american ? Deman lo mond entièr parlarà occitan ! » ; « pòble armat ! pòble respectat ? ». En fach, son tres eslogans de la marca Macarel. Los dos primièrs son clarament umoristics e digus los pren pas al pè de la letra. Lo tresen es un eslogan d’independentistas catalanistas repres per la marca occitanista amb un punt interrogatiu qu cambia tot. « Per los qu’an pas paur de pausar las questions que desrengan » ditz la publicitat de Macarel. Pausar la question es pas i respondre, mas la question implica l’existéncia d’un « pòble » occitan que seriá pas respectat, e cal dire qu’aqueste pòble occitan (que seriá occitan e pas quicòm mai), vertat, es una ficcion (puèi un pòble es totojorn una ficcion, mas aquò es quicòm mai !). Mas lo monde podon dire çò que volon, urosament sèm pas totis d’accòrdi, e de tot biais sabi pas se sèm nombroses a nos interessar al sens prigond dels eslogans de camisets (vésètz aquísus la CRIL de Lemòtges). Mas justadament, Eygun pausa sul sicut una question pertinenta : « serén… aqueras letras escriutas e portadas suus pitres un senhau tà compensar la hrèita de lenga viva dens la vita vitanta ? » (p. 18). Vertat, en cò nòstre almens, l’escrit ven un simbòl de çò que se parla pas mai, un signe identitari destacat de la pratica de la lenga. Per la granda majoritat de la populacion es tot çò que demora de la lenga que se parlava cada jorn a l’ostal i a doas generacions : rares signes d’un escafament quasiment total : de panels bilingües, dos mots sus un camiset (mai que mai prononciats a la francesa o a l’espanhòla), la debuta benlèu del Se canta (totjorn amb una fauta tre lo primièr vers !)…

Mas Eygun critica tanben los eslogans de las annadas 70-80 : « Occitan parla ta lenga », « Que cau parlar gascon », « Òmi d’òc, as dreit a la paraula, parla »…  Èran, çò ditz, d’« òrdis brutaus e pècs ». « Occitan, lenga nacionala », çò ditz, èra e demora inadaptat a la realitat… (p. 9). Mas va mai lenh encara : « que cau constatar, malaja, que los eslogans de las annadas 1960-1970 tau ‘Occitania liura’ e son estats contraproductius cap e tot. De hèit, qu’an podut accelerar e favorizar la pèrda deu desir de lenga dens la maja part de la populacion. Error de comunicacion de las tarriblas dab consequéncias pesugas e duradissas » (p. 51). Contesti « cap e tot » aquesta constatacion acusaira. Non, es pas l’existéncia d’un corrent nacionalista o – lo mai sovent – cripto-nacionalista (fòrça minoritari) que faguèt perdre lo desir de lenga a la màger part del monde ! Aquò s’es jamai vist en degun luòc del monde ! Al contrari, se pòt generalament observar un ligam positiu entre las reivendicacions nacionalistas e los moviments de (re)conquesta de la dignitat lingüistica. E quora, coma es indubitablament lo cas en Occitania, lo monde volon pas del nacionalisme, vesi pas perqué la preséncia tant estequida d’un moviment nacionalista, d’un moviment tant flac que lo mai sovent gausava quitament pas dire son nom, auriá tuat lo desir de lenga ! Las decisions politicas e los models ideologics, cultural e social qu’excludisson de parlar la lenga, que la fan paréisser coma un quicòm de bas e de despassat son sufisament nombroses per pas incriminar los eslogans de las annadas 70, escrichs sus un dezenat de trasformators electrics e d’abric-bus, e ara escafats !

Farai la mèma critica del refus rapide, sens aprigondiment, de la nocion de « colonisacion », que ten mème pas compte de las distinccions faitas per Lafont entre lo colonialisme del defòra e lo del dedins. Per ièu la question se pausa totjorn de la formacion de la matriça coloniala dins los biaisses del poders central e de la elitas francimandas de se representar las províncias o regions e d’i portar un accion civilisatriça, tot en organizant lor expleitacion economica. E debèm aprofitar del moviment d’estudis pòst-colonial per estudiar la fabrica francesa d’aquesta matriça, politica, administrativa e culturala, del colonialisme.

 

Podèm pas escapar a la politica

Eygun escriu que « devem trobar hòrça e vigor dens los ligams qui podem bastir dab la societat, shens esperar tròp gran ajuda deu govèrn » (p. 42). Vertat, debèm pas, podèm pas mai esperar d’ajudas substancialas del govèrn francimand, que totjorn balhèt lo minimum de çò que podiá balhar ; caldriáèsser los mai pecs dels pecs per i creire encara (amai se cal continuar, encara e encara a reivindicar). Per contre, cossí bastir de ligams amb la societat sens aver cap de legitimitat per zo far ? Per exemple, per tornar prene lo punt de partença de la reflexion d’Eygun ; se degun nos vòl pas creire quora disèm que non, i a pas d’un costat lo patés e de l’autre l’occitan, mas que se tracha de la mèma lenga ? Quora afortissèm que, contrariament a çò que dison los politics, se fa quasiment pas res, al nivel public, per la lenga ? Lo monde nos creson pas, perqué los que dison que se degalha deja pron d’argent pel patés son mai legitimes que non pas nosautres. Nos cal donca ganhar una legitimitat qu’avèm pas, perqué sèm continualament deligitimats, amai quora los elegits e administratius fan mina de reconeisser que l’ajuda es legitima, per exemple quora dison que fan deja tant per la lenga alara que fan pas res o que fan tot lo contrari. Tant que lor poder, lo poder centralista, demorerà legitime, aurèm pas cap de legitimat per far passar l’idèia de l’importància de mantener una viva pratica de nòstra lenga moribonda dins l’encastre d’un interes novel per la diversitat lingüistica e culturala. E donca podèm pas qu’espleitar las insufiséncias de legitimat del poder centralista per far passar l’idèia que las lengas minoradas son de bon parlar e de bon aprene. De tot biais, avèm quitament pas besonh de causir d’èsser dins una cultura d’oposicion, perqué i sèm del sol fach de parlar e d’escriure en occitan.

Dire que i a un consensus a l’entorn de l’ideologia nacionala dominanta a l’ora d’ara es fals, perqué lo consensus existís pas jamai en degun luòc, amai s’aquesta idèia nos balha d’excusas per renonciar a prepausar d’alternativas politicas mai favorablas a las lengas e culturas minoradas, e per nos replegar sus de reivendicacions estrechament culturalas. Es un constat necessari de dire que totas las alternativas politicas prepausadas dins l’istòria de l’occitanisme (lo catalanisme, lo cripto-nacionalisme, lo regionalisme autonomista, lo federalisme europenc, etc.) an fach quinquanela, mas l’error mai granda foguèt me pensi la de renonciar a tota critica politica e sociala, pr’aquò es necessariament implicada dins nòstras reivendicacions lingüisticas e culturalas. Es quitament pas una vertadièra causida : nos cal capitar a èsser vists coma una part d’una alternativa sociala e politica a la situacion d’uèi dominada pel nacionalisme (francés plan segur !), pel centralisme e per la justificacion del passat (e del present) colonial, al dedins coma al defòra, o crebar (coma fòrça e presença lingüistica e culturala) al pus lèu. Crebarèm de tot biais (es a dire sarèm condamnat al mutisme, o a parlar d’occitan sonque en francés coma los autres), mas almens amb la satisfaccion de pas èsser estats solament los servicials dels poders (politics, academics, culturals) que s’impausan entremièg la negacion de çò que sèm.

 

Joan-Pèire Cavalièr

 



[1] Lo libre a tanben una fonccion propositiva mas coma zo ditz Eygun, plan modesta. Se claus sus una lista de sept proposicions commentadas (un pauc a la lesta) : Ne pas aver vergonha de çò de popular ; Guardar ligams dab lo monde ordinari ; Emplegar ua lenga comprendera peu « simple » monde ; Ua lenga de la vita vitanta meilèu qu’ua lenga administrativa ; Húger tanben l’occitan afranchimandit com los iberismes ; Espandir e har valer l’escriut ; Arrespectar la diversitat com húger lo localisme estret ; Emplegar mejans modèrnes d’espandiment de la lenga (mas veire infraçò que ditz de l’occitan sus internet).

La langue interdite. Calabre, XVIe-XVIIe siècle

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La pòrta dal sang, Guardia Piemontese, nommée ainsi en mémoire du 11 juin 1561

 

Laprohibition inquisitoriale de l’occitan dans les communautés vaudoises de Calabre

 

            La présente note se propose de porter à la connaissance des lecteurs un élément très peu connu de la répression des Vaudois occitanophones de Calabre au XVIe siècle : la prohibition totale promulguée par le Saint-Office de parler la langue que cette population avait amenée avec elle des vallées occitanes de Piémont, lors de son installation dans la région, trois siècles auparavant. Il n’est pas sans intérêt d’observer que cette mesure, malgré la sévérité des peines encourues, réitérée et maintenue jusqu’à la fin du XVIIe siècle au moins, fut un échec, s’il est vrai que la variété de provençal parlée par cette communauté s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui, plus de quatre siècles et demi après sa proscription inquisitoriale.

            L’histoire de cette répression est pourtant aujourd’hui assez bien connue grâce aux réformés qui en avait conservé la mémoire et aux travaux des historiens, depuis le XIXe siècle[1]. Cette communauté vécut sans être inquiétée pendant trois siècles dans ces terres, appartenant au vice royaume de Naples sous domination de l’Espagne très catholique depuis 1504, pratiquant avec discrétion, c’est-à-dire plus ou moins secrètement, leur dissidence religieuse[2], jusqu’à l’adhésion des Vaudois transalpins à la Réforme calviniste et l’arrivée en Calabre dans les années 1550, de pasteurs qui, prêchant trop ouvertement, attirèrent sur la communauté l’attention des pouvoirs religieux et civils et l’intervention de l’inquisition romaine (voir sutout la grand figure de Gian Luigi Pascale).

            Pierroberto Scaramella surtout a montré que la sécession ouverte des Vaudois de La Guardia, San-Sisto et Montalto était inséparable du décret du Saint-Office promulgué le 9 février 1561, qui les soumettait à une série d’interdits et d’obligations : entre autres (la liste est trop longue pour être reportée entièrement), interdiction d’assemblées de plus six personnes, obligation de suivre une messe quotidienne, de porter une tunique de pénitent, interdiction de communiquer par lettres avec les Vaudois transalpins, obligation pour vingt-cinq années de n’effectuer des mariages qu’en dehors de la communauté et interdiction de parler désormais leur langue[3].

            Le but avouéétait de détruire entièrement la communauté ; au bout de quelques générations, la contrainte de se marier au dehors ne manquerait pas de peupler entièrement « ces terres d’Italiens, de sorte qu’il n’y eût plus mémoire ni d’hérétiques, ni de transalpins » ; la finalité première étant bien sûr d’anéantir « cette fausse doctrine dans laquelle ils sont nés »[4] (on voit au passage combien ces mesures excluent ce que nous appellerions aujourd’hui « racisme » ; c’est la religion et non pas du tout la race qu’il s’agit d’extirper).

            Leur refus de se soumettre (beaucoup d’habitants s’enfuirent dans les environs, où eut lieu un acte important de résistance armée) provoqua le déchaînement d’une répression d’une sauvagerie extrême – massacres, tortures, viols, incarcérations[5]–, qui fit, selon les estimations les plus mesurées, plus de 2000 victimes. Les survivants furent contraints à l’abjuration et, sous la férule de pères de la Compagnie de Jésus, soumis à une discipline religieuse d’une très grande rigueur et à une surveillance permanente, jusqu’à l’intérieur de leurs maisons (on voit encore aujourd’hui sur quelques portes de La Guardia des lucarnes s’ouvrant de l’extérieur). Dans cette situation, les habitants développèrent cependant une forme de résistance passive remarquablement efficace, tant il est vrai qu’ils persévérèrent dans une stricte endogamie, furent très longtemps de tièdes et suspects convertis, et continuèrent à parler provençal.

            Le 29 août 1592, une nouveau décret de la Congrégation de la Sainte Inquisition reprenait et détaillait la plupart des dispositions de 1561, renonçant cependant à forcer les mariages exogamiques. Pour le reste la communauté, outre toutes ses obligations disciplinaires, devait adopter les vêtements à l’italienne (les tenues des femmes en particulier, étaient jugées indécentes) et pratiquer exclusivement la langue « italienne ». Le décret donne même la date précise à partir de laquelle l’usage de « l’autre langue » sera définitivement interdit. Il s’agit du onzième dispositif sur les douze que compte l’ordonnance : « comme tous les hommes de cette terre, petits et grands, parlent présentement fort bien la langue italienne, on intime l’ordre qu’à partir du premier décembre prochain 1692 petits et grands, hommes femmes ne parlent entre eux et avec autrui en une autre langue que la commune italienne ou latine, délaissant entièrement leur parler transalpin, sous peine à chaque fois qu’ils contreviendront d’une journée de prison. Et celui qui par trois fois contreviendra en le parlant, sera obligé d’aller à l’église de Saint François de Paule en ladite terre de Paule pour la visiter, revenant avec une attestation du correcteur prouvant que cette visite a bien été faite. Ceux qui contreviendront quand même plus de trois fois, seront contraints de rester pendant trois jours de fêtes la chandelle allumée à la main et la corde au cou devant la porte de l’église pendant la durée de la messe ». C’est là le rituel typique de l’amende honorable pour les fautes les plus graves en matières de religion, celle par exemple, que les condamnés à mort doivent accomplir avant leur exécution[6].

            Il était possible de décréter une date puisque, en effet, toute la population était parfaitement « bilingue », comme en témoignent d’autres documents contemporains, parlant leur langue et « la langue latine », dit Gabriele Barrio en 1571, voulant clairement dire par là le vernaculaire calabrais (c’est ce qui est donnéà entendre dans l’ordonnance par « langue italienne ou latine »)[7]. Giuliano Marafioti, dont l’ouvrage paraît l’année même du deuxième décret inquisitorial, dit de même que les habitants de La Guardia parlent leur « propre langue native, mais avec nous s’expriment en italien », là encore s’agissant non du toscan mais du calabrais[8].

            Dans le paysage multilingue de la Calabre, cette situation n’était certes pas une exception ; Marafioti dit qu’il en allait de même dans les villages albanais[9], et il devait en être ainsi aussi des enclaves où se parlait le grec.

           Toujours est-il que la prohibition explicite de 1592 ne fut guère respectée, s’il est vrai qu’en 1600, l’archevêque de Consenza écrivant aux cardinaux de la Congrégation du Saint Office, fait de cette transgression un argument justifiant ses soupçons sur la sincérité de leur conversion forcée : « on suspecte très vivement ces peuples de feindre seulement de l’extérieur être catholiques, mais que, intrinsèquement, et, pour autant qu’ils puissent se découvrir entre eux, ils sont encore aujourd’hui enveloppés de leurs anciennes erreurs. Cela se conjecture à partir de présomptions générales et particulières ». L’une d’elles est justement l’obstination à utiliser la langue : « On confirme ce soupçon, parce que non seulement les vieux, mais aussi les jeunes, nés en ces terres parlent entre eux, et quand il leur plaît, en langage piémontais, nonobstant qu’ils en aient l’interdiction expresse »[10]. On comprend ainsi pourquoi la langue est pourchassée : elle est identifiée par les autorités, qui ne la comprennent pas, comme un obstacle majeur à la surveillance rapprochée de la population et comme le moyen privilégié de la perpétuation de l’hérésie.

            Quatre décennies plus tard (1643), la situation n’a guère changé, à en croire l’abbé de San Sisto, se désolant auprès de la même institution:  « La langue transalpine, cause de tous les maux pour ne pouvoir comprendre leurs conciliabules, est dans la même vigueur que lorsqu’elle leur fut interdite. Ils s’arrangent pour que l’abbé n’intervienne pas dans leurs délibérations, comme le voudrait l’ordre du Saint Office. Ils ne veulent d’aucune façon demander la permission, alors qu’ils y sont obligés, lorsqu’ils sortent du territoire. Ils vont à la messe, de vive force, mais non tous [à la fois]. On en voit peu porter et réciter des chapelets. Les enfants ne vont pas à l’école, et la majeure partie ne connaissent pas les articles de la foi, et je rencontre des personnes âgées, ce qui est pire, qui ne savent pas le Credo. Peu se rendent à la Doctrine Chrétienne, malgré les nombreuses exhortations et menaces qui leurs sont faites »[11]

            A la toute fin du XVIIe siècle encore, dans sa Relation sur l’origine des Vaudois et leur hérésie, l’archevêque de Cosenza écrit aux cardinaux de la sainte inquisition que « non seulement les vieux, mais même les jeunes parlent entre eux, comme il leur plaît, la langue provençale, bien qu’ils en aient l’interdiction expresse » [12]. Certes il s’agit là d'une reprise des mots mêmes de son prédécesseur en 1600 (on remarque cependant la substitution de « provençal »à« piémontais »), mais l’archevêque, 96 ans plus tard, ne note aucun changement substantiel.

            Il serait hasardeux d’avancer que la répression eut l’effet inverse de celui escompté, soudant la communauté autour de sa langue et contribuant ainsi au maintien e celle-ci (partiel d’ailleurs, puisque c’est seulement à La Guardia que l’occitan est arrivé jusqu’au XXIe siècle). En effet d’autres îlots linguistiques (nous avons évoqué les communautés albanaises et grecques) se sont conservés de la même façon en Calabre, dans les Pouilles ou en Sardaigne, sans jamais avoir été confrontés à des mesures de prohibition ni à de telles formes de répression. Tout ce que l’on peut dire est que la prohibition de l'idiome transalpin fut un échec, comme cela est si souvent le cas en matière linguistique. Ce n’est pas du fait d’une interdiction explicite (tant qu’il n’y a pas évidemment destruction du groupe lui-même), mais au terme d’un processus diglossique plus ou moins long que les communautés de locuteurs renoncent à transmettre et à pratiquer leur « langue d’origine » (origine toute relative évidemment), comme nous pouvons le voir autour de nous.

            Je n’irai pas plus outre dans cette question ici. Par contre, il est très intéressant de remarquer, comme l’a fait Scaramella[13], que les mesures contre les Vaudois de Calabre furent inspirées à l’inquisition par celles prises quelques temps auparavant à l’encontre des communautés morisques d’Espagne convertis de force et qui portaient également, non seulement sur le contrôle de la religion, mais imposaient le renoncement à toutes les coutumes et traditions (le costume, les bains, les usages alimentaires, les rites mortuaires et matrimoniaux, etc.) et à la pratique tant orale qu’écrite de l’arabe. Ce fut le cas des décrets royaux de 1526 à l’égard des morisques de Grenade[14] et de 1528 contre ceux de Valence, repris et étendus dans la Pragmatica Sancíon de 1567. Jusqu’au début du XVIIe siècle de très nombreuses voix s’élevèrent en Espagne pour justifier l’interdiction pure et simple de la langue arabe et la dissolution de toutes les marques identitaires rémanentes des musulmans convertis[15]. L’arabe, en dehors des régions de Grenade et de Valence n’était pourtant déjà plus guère parlé ; en Aragon et Castille, il avait semble-t-il à peu près complètement disparu au profit du castillan et du catalan ; c’est ainsi d’ailleurs que les nombreux morisques ayant quitté l’Espagne pour rejoindre le Maghreb souvent n’étaient plus arabophones ; ils parlèrent et transmirent d'ailleurs à leurs enfants, sur plusieurs générations, leur castillan et catalan maternels[16].

            Quoiqu’il en soit, on voit comment se sont constitués en Espagne des dispositifs répressifs portant sur l’identité même des groupes, associant dans un même système d’interdiction, religion, langue, coutume et en fait tout ce qui constitue l’identité culturelle de la minorité persécutée. La comparaison (qui n’est pas raison) avec des tendances répressives contemporaines s’impose évidemment d’elle-même.

Jean-Pierre Cavaillé

 


[1] Luigi Amabile, Il Santo Officio della Inquisizione in Napoli. Narrazione con molti documenti inediti, I, Città di Castello, Lapi tipografo-editore, 1892. Voir l’ouvrage récent de Enzo Stancati, Gli Ultramontani. Storia dei Valdesi di Calabria, Cosenza, Luigi Pellegrini Editore, 2008. Je me permets de renvoyer aussi à la bonne et riche notice Wikipedia : https://it.wikipedia.org/wiki/Strage_dei_Valdesi_di_Calabria

[2] Sur le nicodémisme vaudois, avant et après le massacre, voir P. Scaramella, « “Sotto manto de santità”. L’Inquisizione romana, i Calabrovaldesi e l’accusa di simulazione religiosa », Les Dossiers du Grihl [En ligne], mis en ligne le 11 janvier 2010. URL : http://dossiersgrihl.revues.org/3668

[3] Pierroberto Scaramella, L’Inquisizione romana e i Valdesi di Calabria (1554-1703). Napoli, Editoriale Scientifica, 1999, p. 72-73 ; « Oggi sappiamo che all’origine della ribellione, e della conseguente strage, vi fu l'energica reazione delle popolazioni ultramontane di Calabria al regime comportamentale imposto dalla Chiesa di Roma con quelle ordinanze », ibid., p. 168.

[4] Fra Giovanni da Fiumefreddo au cardinal Ghislieri, le 28 giugno 1561, cité in  in P. Scaramella, op. cit., 1999, p. 213.

[5] Voir Scipione Lentolo, Historia delle grandi e crudeli persecutioni fatte ai tempi nostri in Provenza, Calabria e Piemonte contro il popolo che chiamano valdese, ed. T. Gay, Torre Pellice, Tipografia Alpina, 1906 et l’appendice documentaire de l’ouvrage de Scaramella.

[6] Undicesimo. E perché tutti l’huomini di detta terra, piccioli e grandi, al presente parlano benissimo la lingua italiana, però si ordina che dal primo del mese di dicembre prossimo venturo 1592 non debbano più né grandi né piccoli huomini e donne parlare tra di loro né con altri d’altra lingua che con la commune italiana o latina, lasciando in tuto il parlare loro ultramontano, sotto pena per ogni volta che controverrano d’un giorno di carcere. E chi per tre volte controvverrà a parlarci sia obligato ad andar alla chiesa di San Francesco di Paula in detta terra di Paula a visitarla, portando fede dal correttore di detta visita fatta. Quelli poi che controverranno oltre le tre volte, siano obligati per tre giorni di festa stare con la candela accesa in mano et con la correggia al collo alla porta della chiesa mentre si dirà messa », Ordinanze emanate dalla Congregazione della Santa Inquisizione, 29 août 1592, cité par P. Scaramella, p. 233-234.

[7] Gabriele Barrio : « bilingues sunt, nam sua et latina lingua utuntur », De antiquitate et situ Calabriae, Romae, 1571, p. 80. ce que Barrio entend par latin est éclairci par un autre passage de son ouvrage : « Utuntur Calabri in vernaculo sermone Latina lingua, quam a Latinise o a senatu missis didicerunt ; quanquam pleraque adhuc Graeca vocabula retineant, nonnullaque Graeca oppida, ut dixi, in ea pagique Graeci sint. Et praeterea Latina vocabula, quae toti nunc Italiae communia sunt, multis aliis Calabri utuntur, quae nullibi, quod sciam, Latio excepto, in usu sunt », ibid, p. 41.

[8]« Gli abitatori di questo castello ragionano tra di loro nella propria natia lingua, ma con noi altri ragionano in italiano », Giuliano Marafioti, Croniche et antiquità di Calabria, Padova, 1592, p. 273rv.

[9]« … tra di loro parlano secondo l’uso della loro nativa lingua, ma con noi parlano secondo’l nostro uso », op. cit., p. 273v. Du reste les habitants de La Guardia sont considérés comme des Albanais ( !) du fait de leur parler dans le Dizionario geografico ragionato del regno di Napoli,1797. D’autres les considèrent comme des Genevois, voire des Albigeois, confondant valdéisme et catharisme ! Il faut attendre le remarquable article du prince Luigi Luciano Bonaparte, pour que soit démontrée l’extrême proximité demeurée à travers les siècles entre la variété de provençal de Val Pellice et le parler de La Guardia « Studio etnografico », Rivista Contemporanea, 1862, p. 177-191 (les deux versions qu’il commandite du Fils prodigue à La Guardia et à Angogna, sont à cet égard lumineuse). Mais on trouve encore fréquemment tout au long du XIXe siècle l’affirmation selon laquelle les habitants de La Guardia auraient parlé le piémontais.

[10]« … si tiene gagliardissimo sospetto che nell’esteriore solamente fingono quei popoli di essere Catholici, ma che intrinsecamente, et, per quanto possano scoprirsi fra di loro, stiano anco oggi involti negli antichi loro errori. Il che si va congetturando da presuntioni generali et particolari. […] Si conferma questo sospetto, perché non solamente i vecchi ma anco i giovani, nati in quelle terre parlano tra di loro, et quando loro piace, con linguaggio piemontese, non ostante che ne tengano prohibitione espressa ». Dall’arcivescovo di Cosenza ai cardinali della Congregazione della Santissima Inquisizione di Roma. 10 ottobre 1600, in P. Scaramella, p. 235-236.

[11]« La lingua ultamontana, causa di ogni male per non potersi sentire quel che loro sonultano, sta nel medesimo vigore che era quando fu loro prohibita. Ostano che lo abbate non intervenga alli loro parlamenti, conforme l’ordine del Santo Officio. Non vogliono in modo alcuno prendere licenza, conforme sono obligati, quando escono fuori del territorio. Nella messa, con viva forza, intervengono, ma non con tutti. Pocchissimo si vedono portare e recitare corone. Nella scuola non attendono li figiuoli, che la maggior parte non sanno l’articoli della fede, e persone vecchie, quel che è peggio, retrovo che non sanno il Credo. Alla Dottrina Cristiana pochissimo intervengono, non ostante molte esortationi e minaccie fatteli Don Paolo Canigliano, abate di San Sisto, ai cardinali della Santa Inquisizione di Roma, 26 juin 1643, », in P. Scaramella, op. cit., p. 246.

[12]« Et si conferma dal vedersi che non solo li vecchi ma anco li giovani parlano tra di loro, quando li piace, il linguaggio provenzale, non ostante che ne tengano prohibitione espressa », Da Eligio Caracciolo, arcivescovo di Cosenza ai cardinali della Santa Inquisizione, 22 octobre 1696,Relatione dell’origine de valdesi, e loro eresia, chiamati ultramontani, habitanti nella diocesi di Cosenza, p. 254.

[13] P. Scramella, op. cit., p. 72-73.

[14]« Los dichos nuevament convertidos […] ni sus hijos ni otra persona alguna de ellos non hable de aquí adelante en arábigo ni se haga escritura alguna en arábigo, y hablen todos la lengua castellana. Y mandamos que los que venden y compran y contratan así en la alcaicería como fuera de ella, no pidan ni demanden precio alguno ni hablen comprando ni vendiendo en arábigo, sinon en lengua castellana, so pena, por la primera vez estén tres días de cárcel, y por la segunda, la pena doblada […] Y porque los nuevamente convertido tienen cartas antiguas de sus bienes y haciendas e otras en lengua arábiga se quemen y rompan, de manera que no haya escritura alguna en arábigo de hoy adelante. » 7 décembre 1626, R. C. de 7.XII.1526, cité in Antonio Garrido Aranda, Organizacion de la Iglesia en el Reino de Granada y proyeccion en India. Siglo XVI, Sevilla, 1979, p. 302. Cf. Bernard Vincent, « Reflexión documentada sobre el usa del árabe y de las lenguas románicas en la España de los moriscos (ss. XVI-XVII) », in Idem, El Río Morisco, Valencia, 2006.http://rua.ua.es/dspace/bitstream/10045/17710/1/Sharq%20Al-Andalus_10_11_44.pdf

Voir également, Youssef El Alaoui, « Le Castillan, langue impériale ? », in L. Villard, Langues dominantes, langues dominées, Universités Rouen, Le Havre, 2008, p. 197-208.

[15] Mercedes Gracía-arenal Rodriguez, The Expulsion of the Moriscos from Spain, Brill, 2014, p. 127.

[16] Mercedes Gracía-arenal Rodriguez, Op. cit.

Sèrgi Granièr - REGION ET OCCITANIE

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Je me fais un devoir de publier le présent texte de Sèrgi Granièr dans lequel on trouvera tous les arguments de bon sens pour refuser le nom d’Occitanie pour la nouvelle région issue de fusion de Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées.

Pour ma part je ne souhaite guère m’investir dans cette discussion. Dès lors que ce remembrement régional s’est  fait sans aucune forme de consultation citoyenne, au mépris donc de toute démocratie, je refuse de m’impliquer dans le simulacre de consultation populaire destinéà donner (et bien sûr à imposer) un nom à la nouvelle entité territoriale. Accepter cette pantalonnade, c’est de fait contribuer à rendre légitime un fait du prince qui, selon moi, méritent seulement d'être dénoncé. Certes, à un autre niveau d'analyse, il me paraît important de réfléchir sur tout ce qu'engagent ces conflits de dénominations des territoires; leurs enjeux politiques et culturels - identaires... Mais pour ce faire, il est nécessaire de prendre du recul vis à vis du débat proprement dit (quel nom pour la nouvelle région ?).

Les cartes, tableaux et textes annexes, montrent sur quelles connaissances et quelles réflexions personnelles est appuyée la position de Granièr. Je lui en laisse l’entière responsabilité, étant en désaccord avec bien des formulations et une façon de procéder qui avance d’évidence en évidence (moi qui aurait plutôt tendance à reculer de question en question !). Je suis par exemple pour le moins surpris par l’opposition établie entre le « fait empirique », qui serait constitué par l’existence factuelle d’«une » langue, et les raisonnements théoriques des « linguistiques ou intellectuels » (sic). Je récuse qu’il y ait le même degré (et surtout la même forme) d’évidence entre la « rotondité de la terre » et le consensus (toujours, de fait, âprement discuté) autour de l’usage en effet désormais assez général d’occitan et surtout d’Occitanie (il est vrai définie strictement comme territoire où l’on parle – ou parlait – l’occitan, mais beaucoup utilisent aussi le terme d’Occitanie en d’autres sens). Je ne sais pas, en ce qui me concerne, ce que peut être une « vraie carte de l’Occitanie » (à moins bien sûr de la restreindre exactement à une carte des territoires occitanophones, mais où il faudrait alors faire apparaître les autres langues d’usage séculaires et pluriséculaires). Je suis étonné que la notion de nation soit purement et simplement considérée, si je comprends bien (« il n'y a pas de "nation", pas plus occitane que française. Il est stupéfiant que cette évidence ne soit pas mieux comprise aujourd'hui ») comme une représentation illusoire, dès lors qu’elle fut et reste si largement opératoire partout dans le monde, à la fois dans ce qui l’unit à celle d’État et dans ce qui l'en différencie). Je trouve l'évocation de la répression de la langue par l’école de la République beaucoup trop outrée (des milliers voire millions d’enfants « systématiquementhumiliés, punis et frappés quand ils laissaient échapper un mot de la langue de leurs parents ») et très caricaturale l’image des « instituteurs-harkis, […] menés à la carotte et au bâton ». Par contre lorsque je lis que, désormais, « l'Éducation nationale cherche à enseigner le français en respectant l'usage des langues autochtones dans les territoires d'outre-mer », les contre-exemples s’imposent d’eux-mêmes (voir par exemple le cas de la Guyane qui certes est département et région d'outre-mer, mais enfin)… Bref bien des choses à discuter, et le blog est fait pour ça.

Jean-Pierre Cavaillé

 

AFFICHE-MENSONGE NOM REGION

 

NOM DE LA REGION, UNE CONSULTATION TRUQUÉE

 

Sèrgi Granièr

 

Toute une procédure a été mise en place avant de demander aux habitants de la nouvelle région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées de "choisir" le nom qu'ils veulent lui donner. C'est un trucage du début à la fin.

1) AUCUNE INFORMATION n'aura été donnée aux gens sur la signification des noms parmi lesquels ils auront à choisir. Surtout, pas question de leur montrer une carte d'Occitanie!(Une VRAIE, s'entend.)

2) Le processus préliminaire leur aura ÉCHAPPÉ ENTIÈREMENT. Les gens n'ont choisi ni les noms parmi lesquels se prononcer, ni les comités chargés d'en établir la liste.

Le "choix" du nom est un semblant de "démocratie". Une mascarade.

3) Le 4 avril, un "comité du nom" de personnalités hétéroclites "choisies" a établi une liste de huit noms : Languedoc ; Terre d'oc ; Occitanie ; Pyrénées-Méditerranée ; Languedoc-Pyrénées ; Pays d'oc ; Midi ; Occitanie‑Roussillon. Le 11 avril, la Commission des finances (! ! !) de la Région a réduit et retoqué la liste et retenu cinq noms : Languedoc ; Languedoc-Pyrénées ; Occitanie ; Pyrénées-Méditerranée ; Occitanie-Pays catalan.

Nouveau trucage qui saute aux yeux : Occitanie-Pays catalan est LE SEUL NOM qui fasse apparaître la "catalanité" d'une partie de la région. Pourquoi pas également Languedoc-Pays catalan (qui même serait plus court) ? Évidemment pour faire bénéficier Occitanie-Pays catalan de l'exclusivité du vote des habitants des Pyrénées-Orientales, très important puisqu'ils ont prouvé leur attachement à la catalanité.

4) Occitanie-Pays catalan, tout comme Occitanie, est INACCEPTABLE. Ce n'est pas parce que le mot "n'existerait pas dans l'histoire", affirmation fausse qui marque une ignorance − et des préjugés − indignes d'historiens sérieux et de gens de culture. (Voir en annexe un site où surabondent des citations historiques). Si Occitanie est inacceptable, c'est parce qu'aujourd'hui Occitanie désigne clairement l'ESPACE DE LA LANGUE OCCITANE et rien d'autre, et que cet espace linguistique, historique et culturel, passé ET PRÉSENT, ne correspond ni de près ni de loin à la nouvelle région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. La partie occitane de la région ne couvre pas même 40 % de l'Occitanie : 74 400 km2 environ sur à peu près 190 000 km2. (Voir d'autre part l'annexe I sur la notion de "territoire".)

L'Occitanie dans son ensemble n'a jamais éténi un État, ni une province, ni une région. Les faits linguistiques et culturels sont d'une autre nature que les entités politiques et administratives, formées au hasard des guerres, des alliances ou des intérêts matériels. Identifier langue et "État"ou "région"est de l'inculture. Parler d'occitan et d'Occitanie n'a rien à voir avec de quelconques revendications indépendantistes ou régionalistes (quand bien même revendications linguistiques et culturelles et revendications politiques puissent parfois coïncider).

L'IEO condamne l'emploi de Occitanie tel qu'il est envisagé dans la région LRMP :"L'Occitanie s'étend sur environ 190 000 km2 et, en France, dans quatre régions. L'IEO condamne l'appropriation abusive du nom Occitanie pour une seule région."L'IEO (Institut d'Estudis Occitan), reconnu d'utilité publique, est l'association la plus importante d'où sont sorties depuis les années 1960 pratiquement toutes les associations occitanistes et toutes les réalisations occitanes actuelles, dans la culture, la littérature, le spectacle, l'enseignement scolaire et des adultes, les médias en tout genre, souvent la recherche... Le nom de Occitanie pour la région LRMP est FAUX.

De plus, il manifesterait un MÉPRIS INACCEPTABLE des autres régions occitanes et de leurs habitants, Provençaux, Auvergnats, Limousins, Gascons, Vivaro-Alpins... qui ont joué et jouent un rôle majeur en pays occitan. Il n'y a pas en Occitanie de territoires "plus occitans" ou "moins occitans" les uns que les autres.

Baptiser Occitanie la seule région LRMP est aller contre tous ceux qui ont toujours proclamél'unité dans la diversitéde la langue occitane, depuis le Félibrige et l'IEO jusqu'aux plus petites associations occitanes.

Ce serait, d'autre part, dérouler le tapis rouge aux associations particularistes rétrogrades, et aux Identitaires ethnistes d'extrême droite qui se réclament de "l'identité régionale, nationale, européenne et chrétienne". Ils manifestaient contre les migrants à Montpellier le samedi 6 février 2016 avec des drapeaux occitans. Ils multiplient actuellement l'activisme pour s'implanter en LRMP. Personne ne pourra évidemment les en empêcher. C'est pourquoi une attitude claire et sans compromission s'impose pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur ce qu'ils sont et sur ce qu'ils représentent.

5) Pourquoi ces trucages pour faire passer Occitanie avec Pays catalan ?

● Au départ, un "coup de presse" du groupe La Dépêche (désormais monopoliste dans la région) en poussant sur "Occitanie" pour nom de la nouvelle région. La popularité"occitane"à Toulouse bénéficie du souvenir de la croisade albigeoise, mais la masse des gens n'y savent pas ce que signifie Occitanie.

● S'y ajoute le refrain de "Toulouse capitale de l'Occitanie", ce qui pour un espace linguistique et culturel ne signifie RIEN. Même au sens figuré, Toulouse n'est évidemment pas la "capitale culturelle" de l'Occitanie des Alpes à l'Atlantique et des Pyrénées à Clermont-Ferrand. Il n'y a aucune comparaison possible avec par exemple le rôle de Barcelone pour les pays catalans.

● Joue enfin le symbolede la croix occitane dont le sens n'a aujourd'hui plus rien à voir avec celui de "croix de Toulouse" ou de "croix du Languedoc" : elle est actuellement la croix occitane, le symbole de l'occitan et de l'Occitanie dans leur ensemble. Auparavant, il n'y en avait pas. (Naturellement, elle n'a aucun rapport avec la religion, et n'a jamais rien eu à voir avec le catharisme.)

Avant, cette croix était perçue comme croix "de Toulouse" ou croix "de Languedoc" parce que cet emblème héraldique d'origine provençale (voir en annexe) était devenu le blason de la famille des comtes de Toulouse puis de leurs possessions. C'était un souvenir partiel de l'histoire occitane, le blason d'une ville et d'une province. En ce sens, il vaut de nos jours ce que valent les blasons : rien ou presque. Le territoire et le rôle de la province de Languedoc ont changé au cours de l'histoire. C'est une province d'Ancien Régime. La nouvelle région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées n'en est pas une resucée. Les occitanistes (y compris ceux de la nouvelle région et de Toulouse) ont autre chose à faire qu'à s'amuser à ces rêveries ou à ces illusions sans ambitions vraies.

Il faut dénoncer la tentative d'ajouter à la croix occitane une étoile à sept branches dans l'idée de fabriquer artificiellement un prétendu emblème de l'ensemble de l'Occitanie (la croix seule restant comme "emblème provincial") :

- Un symbole doit être simple : un emblème composite est mauvais.

- L'étoile à sept branches est l'emblème du Félibrige. (Elle est due à ses sept "primadiers", les sept poètes qui ont fondé le Félibrige le jour de la Sainte Estelle, le dimanche 21 mai 1854 à Font-Ségugne, Châteauneuf-de-Gadagne, Vaucluse − Voir le Tresor dóu Felibrige, article estello).

- Actuellement, la croix occitane n'a besoin de rien d'autre pour être le symbole de l'occitan et de l'Occitanie dans leur ensemble. C'est bien comme ça qu'elle est sentie et employée partout. Elle est sur un autre plan que les blasons de provinces d'Ancien Régime qu'on ressort comme "motifs décoratifs". Ils sont "historico-folkloriques", ne motivent rien de fort, et ne sont pas des symboleslinguistiques. Les provinces qu'ils évoquent ne correspondent pas à des variantes de la langue (voir annexe C). À quelle variante linguistique correspondrait le blason de la Guyenne ???

Si les Provençaux n'arborent pas la croix occitane mais les quatre barres (d'origine catalanes), il manque un symbole de l'ensemble de la langue que le Félibrige a toujours défendue (le Tresor dóu Felibrige de Frédéric Mistral est la démonstration de l'unité de la langue dans sa variété). Les quatre barres évoquent la Provence mais non le provençal, qui est parléégalement dans la moitié du Gard.

Bien sûr, l'Institut d'Etudes Occitanes, fondé le samedi 28 avril 1945 à Toulouse, a adopté la croix occitane comme emblème avec la devise La fe sens òbras mòrta es, mais elle symbolise l'occitan et l'Occitanie, pas l'IEO. Les deux associations IEO et Félibrige ne résument pas l'occitan et l'Occitanie. Elles ont l'une 160 ans, l'autre 70 : l'occitan a plus de 1000 ans.

Ce qui fait la croix occitane, c'est le sens qu'on lui donne. Pas besoin d'ajout. Le sens de "croix de Toulouse" ou de "croix de Languedoc" ne lui fait pas l'ombre d'une concurrence. Personne ne les voit plus sous cet aspect (sauf peut-être les Toulousains, et encore...).

 ● La Dépêche a monté un "coup de presse" pour "vendre du papier", se faire de la publicitéà rien ne coûte, se faire passer pour "représentant la population" dans son attachement "occitan". Ça ne l'empêchera pas de continuer à ne donner aucune place réelle à l'occitan dans ses colonnes.

Les gens, politiques compris, victimes consentantes de cette manipulation, croient que ce "coup de presse" cousu de fil blanc exprimerait la "volonté de la population", malgré le trucage (déjà), le manque d'information sur l'Occitanie, l'absence de critères de représentativité (le contraire d'un vrai sondage).

● Ensuite a opéré l'illusion de certains "occitanistes", qui ont suivi le "coup de presse", pensant y trouver un moyen d'exister et crachant sur les Occitans de partout et sur l'occitanisme véritable.

Il a même fleuri un autre truquage : une affiche mensongère"Notre région s'appelle l'Occitanie",avec une carte de la région LRMP bien visible sur fond d'une carte d'Occitanie quasiment invisible. Elle est née frauduleusement d'une initiative individuelle, malgré la signature d'un collectif toulousain, et cossignée par un groupuscule sans représentativité. Le pseudo-occitanisme devient le domaine du n'importe quoi.

● Enfin, l'essentiel, la plus grande force : une manœuvre publicitaire. Les personnels de la politique, de l'économie, du tourisme... veulent nous refaire en plus grand le coup du "Pays cathare". Limitée à l'Aude, cette opération a été un succès publicitaire, économique et touristique. Mais çan'a pas de conséquences nocives et personne ne songe à s'offusquer sérieusement des "produits cathares". Le catharisme, c'est du passé, et on ne va pas chercher l'histoire dans le commerce et la finance.

Par contre, la région s'attribuant le nom de Occitanie, ce serait une usurpation au détriment non du passé, mais du présent et de l'avenir. Non d'une zone limitée, mais de toute l'Occitanie. Avec de très graves inconvénients culturels et politiques dans un futur proche, au train où progressent les tendances d'extrême droite. Tout ça pour tâcher de plaire à la "clientèle", d'essayer d'attirer un peu plus de touristes, et de garnir le portefeuille − ce qui ne serait pas un mal sans ces inconvénients et si une partie des gains servait à une politique linguistique occitane sérieuse et efficace. Favoriser la montée de mouvements ethnistes d'extrême droite va-t-il favoriser le tourisme ?C'est plus que douteux.

● Autre chose. Si le conseil d'État refusait Occitanie, nos dirigeants régionaux verseraient une larme et diraient "Vous voyez bien que nous sommes favorables à l'occitan ! Si nous ne pouvons rien, ce n'est pas notre faute !"

Si le conseil d'État ne refusait pas ce nom, ils le porteraient en bannière comme un gage de leur "occitanité" ...et s'en tiendraient là. "Vous voyez bien que nous sommes favorables à l'occitan, nous avons adopté le nom de Occitanie !"Au plus lâcheraient-ils quelques miettes aux "occitanistes" opportunistes, feraient semblant de soigner l'apparence occitane de la vitrine toulousaine ...et se garderaient bien de lancer une politique linguistique digne de ce nom dans l'ensemble de la région et ailleurs.

6) Quelle est l'importance du nom de la région ? Celle de toute "identité", comme il est à la mode de dire aujourd'hui : de la poudre aux yeux. Sûr, on va nous sortir une "identité visuelle" (pas gratuite, rassurez-vous), des discours, prospectus et manifestations (ça fait toujours bien et ça nourrit la clientèle). Une politique linguistique et culturelle occitane efficace ? Comptez là-dessus ! − Autant que sur "l'engagement occitan" de La Dépêche et de son groupe de presse. Les chroniques, feuilletons, BD, dessins humoristique, coin des enfants, leçon du jour, point d'histoire, point de culture, etc. en occitan ? Bernique ! Encore heureux si La Dépêche et son groupe ont une ligne de plus en occitan (par semaine, ou par mois...).

● A côté des entrepreneurs "d'identité" publicitaire, d'autres rêvent d'un nom qui renouerait les liens de la région avec son passé. Soyons clairs :

- La refonte des régions a été faite pour des raisons économiques et administratives et surtout pour "pousser" quelques grandes métropolesà travers la France, et pour rien d'autre.

- Les anciennes régions avaient été formées de groupements de départements. Les nouvelles régions, fusions d'anciennes régions, sont donc également des groupements de départements.

Les départements n'ont jamais été faits pour constituer des entités humaines, historiques ou culturelles, mais bien au contraire pour les défaire ou les empêcher− d'où leurs noms purement géographiques. Par conséquent, si une région correspond vaguement à quelque entité ancienne, province, etc., ce n'est que par hasard, et ça ne peut être que très approximatif.

Et de toute façon, faut-il vouloir ressusciter quelque ancienne province ? Croyons-nous vraiment que nos prédécesseur les avaient "faites volontairement",ou qu'ils les avaient "choisies? Ou savons-nous qu'on ne leur a jamais demandé leur avis ? Qu'ils n'y adhéraient que par force ou par intérêt ? Étaient-elles plus autonomes, et surtout au profit de qui ? Rêvons-nous encore de l'âge d'or du "temps des seigneurs" ? Sommes-nous assez naïfs pour croire que "c'était mieux avant" ? Oui, il faut s'intéresser passionnément à l'histoire : pour mieux comprendre le passé et faire du présent un avenir meilleur.

Le nom qui conviendrait le mieux pour la région serait manifestement Languedoc-Pyrénées(puisque Languedoc-Pays catalan ne figure pas sur la liste). Mais à condition de savoir que ce n'est qu'un à peu près. Que ce n'est que pour un rôle "décoratif". Que ce qui compte n'est pas une supposée "identité", mot creux à la mode dont on prétendrait le nom porteur, mais notre volonté de réussir dans tous les domainesy compris dans le domaine linguistique et culturel occitan, où le travail est à peine commencé après des siècles d'écrasement, malgré l'importance considérable des progrès et des réalisations depuis une cinquantaine d'années.                                 

Sèrgi Granièr, 30/04/2016

Occitanie - repartition des superficies

 

La partie occitane de la nouvelle région LRMP couvre environ 74 380 km2, soit moins de 40 % de la partie française de l'Occitanie.

Région française entièrement occitane : Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Régions partiellement occitanes : Aquitaine‑Limousin‑Poitou‑Charentes, Auvergne‑Rhône‑Alpes, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées.

(Régions françaises non modifiées en 2016 : Bretagne, Centre-Val de Loire, Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Pays-de-Loire.)

>>> Important : Sur la notion de "territoire d'une langue", voir Annexe I

 

ANNEXE

 

OCCITANIE

 

A)Sur l'historicité des noms, il faut consulter

http://www.josiane-ubaud.com/

onglet Linguistique : Usage des mots oc, occitan, Occitanieà travers les âges.

B)Au sujet de la "légitimité" des noms

Les noms et les symboles peuvent changer de sens. Leur sens originel ne fonde pas leur "légitimité". Ce qui importe, c'est le sens qu'ils ont pris effectivement et sa pertinence.

 L'unitédans la diversité de la langue occitane a été connue et reconnue à toutes les époques.

Qu'elle ait été contestée, surtout à l'époque de la religion nationaliste française de l'époque industrielle classique (à partir de la fin du XVIIIème s. jusque vers 1960-1980) n'y change rien.

Une citation parmi les plus anciennes : « Si tu veux faire un poème en français, il convient que tu n’y mélanges pas de provençal ni d’italien ni de galicien ni d’autre langage qui lui soit étranger ; et de même, si tu le fais en provençal, il convient que tu n’y mélanges pas de français ni d’autre langage, sinon celui-ci. Et sache que par composition en provençal, on entend les langages de Provence, du Viennois, d’Auvergne, et de Limousin, et d’autres terres qui leur sont voisines, lesquelles parlent de la sorte. »Regles de trobar, Jofre de Foixà (Catalogne, vers 1290).

Quelle plus grande preuve de l'unité de la langue que la floraison des troubadours dans toute l'Occitanie ? Ou dans toute l'Occitanie la lecture du chef d'œuvre de Frédéric Mistral ? Et la lecture des écrivains d'aujourd'hui ? Le spectacle ? Le mouvement associatif dans ses mille formes ?

L'unité d'une langue n'est pas affaire d'uniformité. Le grec ancien, langue prestigieuse s'il en est, en est l'exemple type. Pour l'occitan, Jules Ronjat : "Entre l'Océan, les limites nord et est, la Méditerranée et la limite sud de notre langue, un homme de Marseille, de Toulouse, de Pau, etc., peut partout, en employant son langage naturel, être compris par les indigènes, et peut partout comprendre le langage naturel de ceux-ci, et un homme d'Orléans, de Lyon, de Milan ou de Saragosse ne peut ni être compris ni se faire comprendre. Tel est le fait essentiel. Je le constate d'abord, puis je l'expliquerai en relevant une série de traits importants qui différencient notre langue des groupes linguistiques naturels limitrophes."(Grammaire istorique (sic) des parlers provençaux [= occitans] modernes - 1930)

L'intercommunication sans apprentissage préalable manifeste l'usage d'une même langue. L'unité de la langue s'explique par des traits communs (correspondances phonologiques, syntaxe, lexique...) : on les constate après coup. L'existence de la langue est un fait empirique. C'est tout le contraire de raisonnements théoriques de "linguistes" ou "d'intellectuels".

Ce n'est pas la conscience de la langue qui fait la langue, c'est l'usage qu'on en fait. Différents facteurs (historiques, économiques, politiques...) peuvent modifier la conscience que les gens peuvent avoir de la langue, et cette conscience peut évoluer dans le temps ou même disparaître sans affecter la langue. (La théorie de tel "spécialiste du provençal" qui prétend déterminer l'existence des langues par la conscience que les gens en ont est carrément DU VENT− et elle n'est pas innocente.)

Ce n'est pas non plus le nom qui fait la langue. Il est d'ailleurs susceptible de changements.

C)La langue occitane et ses variantes constitutives

 L'occitanest un fait vérifiable (et donc l'Occitanie). Rappelons que l'Occitanie est l'espace dans lequel l'occitan s'est formé historiquement et se pratique socialement. (Nous reviendrons plus loin sur la question du territoire, souvent comprise à l'envers. Voir Annexe I).

 Au contraire, les grandes variantes constitutives de la langue occitane sont conventionnelles. Elles sont définies selon des traits linguistiques considérés comme importants par les linguistes : leur distinction provient donc d'un choix. (Les linguistes appellent ces variantes les dialectes, mais en langage courant le mot dialecte est pris dans un autre sens.)

Ces grandes variantes constitutives de la langue sont l'occitan languedocien, l'occitan provençal (qui sont très proches et constituent ensemble l'occitan moyen), l'occitan limousin, l'occitan auvergnat, l'occitan vivaro-alpin (qui constituent ensemble le nord-occitan) et l'occitan gascon. (Avec des traits linguistiques moins importants on peut s'amuser à distinguer des sous-variantes. Elles n'ont d'intérêt que de préciser la cohérence du langage. Le meilleur français, disait-on autrefois, est celui de Touraine : les étrangers apprenant le français vont-ils y faire des stages linguistiques ?)

 Les grandes variantes constitutives de l'occitan ne correspondent ni à d'anciennes provinces, ni a des régions. Leurs noms, qui en viennent pourtant par commodité pratique, sont trompeurs. Les faits de langue sont d'une autre nature que les faits qui ont provoqué la formation des entités politico-administratives − lesquelles changent d'ailleurs au cours du temps. (Le languedocien couvre le sud de l'Auvergne et s'étend aussi jusqu'au nord de la Dordogne et presque jusqu'à Bordeaux ; le provençal couvre la moitié du Gard ; on chercherait en vain quelle variante de l'occitan correspondrait à la Guyenne ; etc.)

 Avant les progrès de la connaissance scientifique de la langue à l'époque industrielle classique (à partir de la fin du XVIIIème s.), on croyait naïvement que la langue et ses variantes dépendaient des divisions politiques, ou plus exactement du prince.

En France, on se gargarise parfois encore d'une citation du Discours sur l'universalité de la langue française de Rivarol, primé en 1784 par l'Académie de Berlin sur le sujet : "Qu'est-ce qui a rendu la langue française universelle ? Pourquoi mérite-t-elle cette prérogative ? Est-il à présumer qu'elle la conserve ?"

Encore faut-il le lire : "[En France], les patois […] sont abandonnés aux provinces et c'est sur eux que le petit peuple exerce ses caprices (sic), tandis que la langue nationale (sic) est hors de ces atteintes."

"(...) quand l'autorité publique est affermie, que les fortunes sont assurées, les privilèges confirmés, les droits éclaircis, les rangs assignés... ; lorsque dans la capitale un peuple immense se mêle toujours sans jamais se confondre, alors on commence àdistinguer autant de nuances dans le langage que dans la société."

 [A propos du règne absolu de Louis XIV, Rivarol précise :] "Le poids de l'autorité royale fit entrer chacun à sa place ; on connut mieux ses droits et ses plaisirs... ; la langue française fournit à tout, et l'ordre s'établit dans l'abondance." (C'est lui qui le dit ...!)

"Les styles sont classés dans notre langue comme les sujets dans notre monarchie... et c'est à travers cette hiérarchie des styles que le bon goût sait marcher... Racine et Boileau parlent un langage parfait dans des formes sans mélange, toujours idéal,toujours étranger au peuple qui les environne."

Rivarol constatait que le français (officiel) est la langue parlée à la Cour et dans la capitale par les gens de la haute société. Avec l’évolution des catégories sociales pendant le XVIIIème s. et la naissance de l’époque industrielle, c’est ce français de caste qui a été récupéré par la bourgeoisie. L’imposition du français a été le contraire d’une démocratisation. C'est au contraire l’affirmation de la supériorité bourgeoise sur le peuple. Le français de caste de l’Ancien Régime est demeuré après la Révolution le français des catégories supérieures. Baptiser le français officiel langue « nationale » est consacrer la nation des bourgeois et des puissants. La langue française officielle est au départ un sous-dialecte socialélaboré pour l'aristocratie. Faire l'éloge de la langue française implique une vue hiérarchique des langues − et de l'humanité.

Assimiler les faits de langue aux entités politico-administratives est une superstition risible digne de l'Ancien Régime. De plus, le français n'a jamaiscorrespondu au territoire de la France, à aucune période de son histoire.

D)Noms divers

Dans les deux citations de Jofre de Fuxà et de Jules Ronjat, "provençal"désigne la langue dans son ensemble. Dans ce même sens d'ensemble, on a aussi employé au Moyen Âge "romanz". On a employéégalement "limousin" (les plus grands troubadours étaient Limousins). Sous l'Ancien Régime, "gascon"(Henri IV, fondateur de la dynastie des Bourbons, était occitan gascon − ce pourquoi les princes du sang apprenaient toujours un peu d'occitan). Molière, dans Monsieur de Pourceaugnac, fait parler "une Gasconne de Pézénas" (entre Béziers et Montpellier). Au début du XIXème siècle, on a employé"roman" quand on a cru que l'occitan contemporain était la survivance d'une langue intermédiaire entre le latin et les langues néolatines modernes (ça faisait de l'occitan une langue-mère vénérable). On l'a aussi appeléà nouveau "provençal". On a aussi employé"occitanien". Etc.

Les limites linguistiques de l'occitan ont été précisées dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Auparavant, c'était flou, et on appliquait à l'ensemble de la langue le nom d'une de ses variantes, mais on savait que ce nom avait deux sens (Mistral le dit clairement pour le nom provençal).

Comment se fait‑il qu'aucun nom ne se soit imposé historiquement pour la langue occitane ? Tout simplement parce qu'elle n'a pas été assez longtemps une langue de pouvoir (à la différence du français par ex.) − et parce qu'aucune région occitane n'a eu assez longtemps la prédominance sur les autres, à la différence de ce qui s'est passé par ex. pour le catalan. (Les langues à la zone géographiquement limitée, comme le breton, n'ont pas eu ce problème de nom.)

E) Émergence du nom occitan

Le nom occitan avait été abondamment employé, historiquement (voir http://www.josiane-ubaud.com/, onglet Linguistique : Usage des mots oc, occitan, Occitanieà travers les âges) Comme les autres noms cités, on l'employait soit pour désigner une variante de la langue (l'occitan languedocien, mais pas toujours), soit la langue dans son ensemble (dont on n'avait pas une idée très précise comme depuis la fin du XIXème siècle). Quelques citations du site de Josiane Ubaud :

- 1381, le roi Charles VI considère que son royaume comprend deux parties, les pays de langue d'oc ou Occitanie et les pays de langue d'oil ou Ouytanie : "Quas in nostro Regno occupare solebar tam in linguae Occitanae quam Ouytanae"

- 1478, Jean Barbier d’Yssingeaux écrit : "In hac provincia occitana que jure scripto sub ejus imperio regit et quam ab origine per me cum per genitores meos. Ego Johannes Berberi vallaviens que oriundus ex oppido ysingachii ...""Dans cette province occitane, régie par le droit écrit, d'où je suis originaire, tant par moi-même que par mes parents, moi Johan Berberi, vellave, je tire ma naissance de la ville d'Yssingeaux" (Yssingeaux est en Velay, en Haute-Loire)

- XVIème s., Estienne Medicis (en réalité Mège), bourgeois du Puy en Velay, écrit aux "...insignes cités & villes de la marche & pays de la Langue Occitane"

- 1765, Encyclopédie de Diderot et D’Alembert : "OCCITANIA (Géographie ancienne) c'est le nom que quelques auteurs du moyen âge ont donnéà la province du Languedoc ; mais ce nom était commun à tous les peuples qui disaient oc pour oui, c'est-à-dire, aux habitants de la Gascogne, de la Provence, du Dauphiné, ainsi que du Languedoc, dont le nom moderne a été formé."

Avec le manque d'un nom d'ensemble indiscuté, occitan a fini par être adopté, après la montée de savoir et de conscience de l'époque industrielle classique, pour des raisons très claires :

occitanévite l'ambiguïté du nom d'une variante de la langue appliquéà son ensemble (comme gascon ou provençal par ex.) Comme le nom languedocienétait devenu courant et clair, et comme on avait oublié que le mot occitan, devenu rare, avait été parfois utilisé en ce sens, occitan convenait pour désigner l'ensemble de la langue sans ambiguïté, et on ne l'a plus utilisé dans le sens de languedocien.

Langue d'oc ne présente pas d'ambiguïté non plus, et à souvent été employé pour désigner l'ensemble de la langue. Par ex., préface de la 2ème éd. (1685) du Dictionnaire Languedocien-Français du naturaliste et lexicographe Pierre Augustin Boissier de Sauvages :

"La langue-d'oc est l'ancien langage qui s'est perpétué en grande partie dans le languedocien moderne de cette province particulière [du Languedoc] et des provinces voisines, où l'on parlait la langue-d'oc ; langage divisé autrefois, comme il continue de l'être aujourd'hui, en différents dialectes, qui depuis ANTIBES [le comté de Nice ne sera annexée à la France qu'en 1860] jusqu'à BORDEAUX se rapprochent, se mêlent, se fondent, pour ainsi dire, par des nuances insensibles l'un dans l'autre : en sorte qu'on ne saurait assigner les limites qui les séparent, ni marquer où l'un finit et où l'autre commence ; et que le Rhône même ne tranche point les dialectes de sa droite d'avec ceux de sa gauche. Ils portent chacun des empreintes l'un de l'autre et tout ce qui peut établir entre eux une sorte de consanguinité."

"D'où il résulte que non seulement le provençal mais généralement tous les idiomes gascons de nos provinces méridionales sont du ressort de ce dictionnaire ; et qu'ils viendront comme naturellement se ranger sous le titre qu'il porte si un amateur intelligent et zélé veut un jour prendre la peine de les y rassembler en recourant aux sources dont nous n'avons pas étéà portée, ou qui nous ont manqué : ce qui produira une collection tout autrement volumineuse et bien plus intéressante que celle que nous présentons ici à nos compatriotes."

Ce souhait d'un dictionnaire de l'ensemble de la langue sera réalisé 55 ans plus tard par le dictionnaire du provençal HONNORAT puis autour de 1880 par le Tresor dóu Felibrige du provençal MISTRAL, qui emploient tous deux provençal dans le double sens de la langue dans son ensemble et de sa variante provençale (mais Mistral cite langue d'oc et occitan).

Langue d'oc a l'inconvénient d'être une expression qui se prête mal à la formation de mots dérivés (au contraire de occitan : occitanisme, occitaniser, désoccitaniser, etc.).

Surtout, langue d'oc est senti par référence àlangue d'oïl, ce qui a deux inconvénients inadmissibles :

- Du fait que langue d'oïl s'emploie le plus fréquemment pour parler du français ancien, langue d'oc donne l'image d'une langue du passé, ce qui est évidemment faux. Le recul social de la langue n'a rien à voir avec son caractère de langue présente dans le monde d'aujourd'hui.

- Langue d'oc est senti comme "symétrique" de langue d'oïl (français), et donc comme "la"langue du sudà côté de "la"langue du nord ...de la France. Ça implique de définir ces langues par rapport à la France, ce qui n'a pas de sens, puisque la France est d'abord un État, c.‑à‑d. une construction historique sans rapport avec les faits de langue ; et que cet État est une construction aléatoire, variable au hasard des guerres, des alliances et des intérêts.

La seule façon de s'en sortir est de recourir à la "France éternelle", c.‑à‑d. à la mythologie nationaliste française. Qu'on recoure à la prédestination divine des "quarante rois qui ont fait la France" ou au "destin éminent de la France" tracé depuis "nos ancêtres les Gaulois" en passant par Jeanne d'Arc, Louis XIV, Napoléon, l'Empire colonial et autres aimables plaisanteries, c'est une vision d'essence "religieuse". Qui, de nos jours, peut encore enfourcher ce cheval borgne et boiteux ?

Les faits de langue sont de nature différente des faits politiques. L'occitan n'est pas "naturellement" une langue"de France", c'est une langue néolatine de l'Europe de l'ouest, moins apparentée au français qu'aux "langues de si" : catalan surtout, mais aussi castillan, portugais, italien... Le français est une langue néolatine davantage germanisée, marginale dans la grande famille des langues néolatines, par sa phonologie, sa syntaxe, son orthographe même − c'est la seule des langues néolatines à conserver les Y, PH, TH... par quoi le latin rendait les phonèmes grecs qu'il n'avait pas ...comme les orthographes des langues germaniques.

Il ne manque pas de saveur que ceux qui se gargarisent de la "portée universelle de la culture française"(sic)s'épuisent à essayer de nier l'appartenance de la langue occitane au monde des langues néolatines et à prétendre l'enfermer à double tour dans la prison des traditions, des racines ou du patrimoine "de la France".

Il n'y a pas de prédestination ou de fatalité en histoire. La "France" n'est en aucune façon le cadre "naturel" de l'occitan. Le territoire de l'État français a d'ailleurs changé tout au long de l'histoire. "L'hexagone" ne s'est "cristallisé" qu'à l'époque industrielle classique.

L'occitan n'est d'ailleurs pas limité au territoire français. C'est une langue internationale.

Ces simples réalités sont-elles suspectes "d'indépendantisme" ? Il y a des limites à la stupidité. Il ne manque pas d'États plurilingues qui ne s'en portent pas plus mal.

Prétendre que "l'unité nationale" dépend de l'uniformité linguistique est s'en faire une idée d'une mesquinerie inimaginable.

De nos jours, en France et dans le monde, linguistes et historiens emploient de façon normaleles mots occitan et Occitanie. C'est définitif. On ne conteste plus la rotondité de la terre.

F) Et le patois ?

● Anecdote véridique. Pendant une Universitat Occitana d'Estiu, nous nous trouvons par hasard au restaurant universitaire à table avec un étudiant du Gabon très sympathique. "Quelle langue parle-t-on dans ton pays ? − Le français bien sûr. Les vieux mettent même un point d'honneur à parler un français très châtié. − Oui, mais en dehors du français ? − ??? − Voyons, la colonisation française du Gabon avait commencé il y a à peu près un siècle et demi, il n'est pas possible que la ou les langues employées auparavant aient disparu ! − Ah oui ! On parle aussi le dialecte. − C'est un dialecte de quelle langue ? − ???... ...Ma femme ne parle pas le même dialecte que moi, mais nous nous comprenons. − Dans quelles circonstances parle-t-on plutôt "le dialecte" ou plutôt le français ? − On parle aussi bien français que dialecte, il n'y a pas de circonstances préférentielles."Un moment après, il nous raconte : "Quand j'étais petit, le soir, toute la famille se mettait en rond autour de celui de mes frères qui avait parlé en dialecte et lui faisait'Hou, hou, hou !'en le pointant du doigt..."

Les missionnaires voulaient prêcher les gens dans leurs langues et les apprenaient donc ; ils les étudiaient aussi parfois par goût et par intérêt scientifique. Certains militaires avaient besoin d'en connaître quelques bribes, et il y en avait parfois qui les apprenaient vraiment. Les administrateurs ne pouvaient pas se passer de quelques interprètes. Il n'empêche, "la France, grrrand pays de culture"a laissé quelque chose de sa tradition "d'éducation". Notre interlocuteur ne savait même pas quelle langue lui et les siens parlaient, et ne se rendait pas compte de ce que signifie la discrimination linguistique, intégrée jusque dans la famille. "Ceux d'en bas" sont décidément considérés comme faits pour être décérébrés.

● Le terme de patois implique l'idée de parler local d'un groupe réduit, rural et grossier. C'est analogue au dialecte des indigènes du temps de la colonisation, qui, n'étant pas "citoyens" dans la métropole mais seulement "sujets" dans les colonies, avaient le droit d'être nombreux, puisqu'ils n'avaient pas de pouvoir. Par contre, en métropole n'était supportable que l'idée de "patois" de villages. La perte de l'orthographe, conséquence de l'interdiction d'écrit officiel depuis la formation de l'État moderne en France à la Renaissance, y contribuait puissamment. Il n'y a pas de langue avec un écrit normal sans orthographe (toute orthographe étant conventionnelle, jamais "mécanique"). L'orthographe joue un rôle majeur pour permettre de bâtir la conscience de langue. C'est une des causes de la permanence de la conscience linguistique du catalan.

De la Mirelho de Frederic Mistral, d'éminent critiques ont pu écrire "Quel dommage qu'il l'ait composée en patois, s'il l'avait écrit en français, quel autre chef d'œuvre ça aurait été !"

● Pendant l'époque industrielle classique, il y avait cinq évidences pour ce "parler". La majorité des gens croyait dur comme fer :

1. qu'il était "complètement"différent de celui du village voisin

2. qu'il ne pouvait pas s’écrire

3. qu'il ne pouvait pas s’employer pour des sujets culturels, scientifiques, modernes...

4. qu'il "n'avait pas de grammaire"

5. que ce n'était pas une langue, mais un "patois".

Ce qui est fondamental dans le "patois", c'est que "ce n'est pas une langue". C'est une sorte de "sous-langue". Ce qui veut dire que ceux qui le parlent sont d'une certaine façon des "sous-hommes".

Linguistiquement, "le patois" n'existe pas : dès qu'on ouvre la bouche, on emploie une langue. Le patois est l'idée qu'on s'en fait. C'est une réalité psychologique, ou plutôt sociale. Le patois est une aliénation.

Chose remarquable : le mot "patois"n'a pas d'équivalent dans les langues voisines du français. C'est un concentré de mépris, au mieux paternaliste. En France a été instauré un véritable enseignement de l'ignoranceau moment même où se développaient fortement les connaissances sur la langue, son histoire et sa littérature !

Cet enseignement de l'ignorance a étéinstitutionnel. Les enseignements primaire et secondaire en ont été l'instrument. Mais l'ensemble de la société en a étéà la fois complice et victime. (C'est une caractéristique de l'aliénation.)

● Il est pourtant arrivé que le mot patois marque l'attachement, parce qu'il était senti comme désignant le parler local, familial, intime, riche, évocateur de souvenir d'enfance et de chaleur affective, par opposition au français de l'enseignement, de l'administration, de l'armée, froid, impersonnel, autoritaire− celui au nom duquel des centaines de milliers d'enfants (sans doute plutôt des millions) étaient systématiquementhumiliés, punis et frappés quand ils laissaient échapper un mot de la langue de leurs parents, entre autre grâce au système de délation généralisé du signal.

Tous les règlements sur l'enseignement depuis la fin du XVIIIe siècle. interdisaient pourtant de frapper les élèves. Mais le fanatisme nationaliste était portéà un tel point que la hiérarchie de l'enseignement public et les institutions politiques, loin de s'y opposer, en étaient complices. En réalité, tout était fait pour que la société, formellement "démocratique", soit en réalitéhiérarchique.

L'école républicaine "égalitaire" est d'ailleurs une vaste plaisanterie : l'école communale gratuite était faite pour la masse des enfants de gens "ordinaires", mais les enfants des "gens bien" entraient dans les petites classes des lycées, continuaient normalement l'enseignement secondaire (payant), pouvaient passer le baccalauréat qui leur ouvrait l'enseignement supérieur, les grands diplômes ou concours, les grandes écoles, les grandes fonctions.

Vers 1900, il y avait environ 4 000 000 d'élèves dans l'enseignement élémentaire, contre 160 000 dans l'enseignement secondaire. Les premiers étaient massivement destinés à former la masse des "travailleurs" et des gens ordinaires, les seconds la petite minorité des cadres et des dirigeants, issus de chez les riches et des puissants. L'Enseignement Primaire Supérieur ne changeait pas fondamentalement ce système à double filière, et il y avait une surdiscrimination pour les filles.

Loin de répondre à un idéal d'égalité, l'organisation de l'enseignement de la 3e République était faite pour assurer un niveau général plus élevé d'enseignement pour les besoins de l'économie, de l'administration et de l'armée de l'époque industrielle − tout en gardant les fonctions de direction aux catégories supérieures. La preuve : l'enseignement s'est développé au même moment dans tous les pays industrialisés − et dans l'Alsace allemande d'avant la grande guerre, il était gratuit et les parents dont les enfants manquaient l'école étaient mis à l'amende. En France, la défaite de 1870 était entre autre attribuée à la supériorité des instituteurs allemands. La création des écoles normales avaient été inspirées des écoles normales autrichiennes.

(De nos jours, il y a plus de 4 000 000 d'élèves dans l'enseignement élémentaire et près de 5 500 000 dans le secondaire, l'enseignement supérieur est plus accessible avec les conditions de vie actuelles, bien que pas encore gratuit : ça continue de suivre les besoins de l'économie. L'inégalité se situe plus haut, dans les grandes écoles, les études spécialisées ou à l'étranger. L'étude statistique des effectifs montrerait sans nul doute qu'au fond, les fonctions supérieures de direction et de pouvoir n'échappent pas aux riches et aux puissants − et que "ceux d'en bas" qui y accèdent en deviennent les serviteurs.)

Le militarisme officiel avant 1914, très fort même à l'école (où il y avait exercices de préparation militaire et bourrage de crâne nationaliste), n'était qu'un des facteurs de la hiérarchisation sociale et de l'aliénation des gens. Même sans la défaite de 1870, l'influence du premier Empire (et du second) se serait exercée, et aurait servi pour le contrôle social et pour les guerres coloniales. Les parents acceptaient ces pratiques scolaires et souvent surenchérissaient. (Il faut comprendre la mutinerie du 17e pendant les manifestations vigneronnes de 1907, l'affaire du XVe corps en 1914, l'assassinat de Jaurès, l'acquittement de son assassin en 1919, la condamnation de la veuve de Jaurès à payer les frais de justice... comme un ensemble, sans quoi on ne peut pas comprendre comment la Grande Boucherie de 14-18 a pu être supportée.

Ce traitement était infligé aux élèves par des instituteurs-harkis, recrutés dans le département, dressés pour ça et menés à la carotte et au bâton. Le système a régnéà fond jusqu'à la grande guerre, et souvent longtemps après. Mais il serait faux de voir dans les instituteurs les responsables de ce système odieux. Comme toujours dans les cas d'intermédiaires de domination, ils étaient à la fois contrôlés, "achetés" (intéressés aux "résultats" par les nominations, etc.) et aliénés (comme le reste de la population). Ce qui n'est pas arrivéà empêcher beaucoup d'instituteurs de jouer un rôle très important dans l'occitanisme : Prosper Estieu, Antonin Perbosc et bien d'autres. (Ce sont des intellectuels sortis du peuple, conscient des enjeux linguistiques et culturels.)

Cette tentative de solution finale contre l'occitan n'était pas du tout un besoin pour la France. Il y a de par le monde bien des pays plurilingues. Actuellement, l'Éducation nationale cherche à enseigner le français en respectant l'usage des langues autochtones dans les territoires d'outre-mer − les pratiques de la 3République mettraient aujourd'hui la France au ban des nations.

Il est évident que dans la tentative de "solution finale" contre l'occitan il y a un devoir de mémoire. Rien n'a encore été penséà ce sujet. Il est temps de s'y mettre.

● Le mot et l'idée de patois survivent encore. Ils marquaient le face-à-face entre le français officiel tout puissant au moment du fanatisme nationaliste et des langues pratiquement privées d'expression publique et d'abord d'écriture (et donc d'orthographe).

Les immigrés étaient coupés de leurs sources culturelles par les conditions de travail, de vie, de déplacement, de communication : leurs langues étaient dans une situation assez analogue − mais gardaient leur normalité dans leur pays d'origine et n'étaient pas menacées en elles-mêmes.

Au moment où l'époque industrielle classique est finie, où les moyens de déplacements et de communications se sont développés, où l'agriculture ne fixe plus la masse des populations aux territoires, où le travail, les loisirs, le tourisme, la famille, la vie sociale, sont synonymes de mobilité, les gens entendent et voient des langues diverses parlées et écrites. Tous les élèves ont été initiés à une ou plusieurs langues étrangères. L'occitan n'est plus dans le face à face mortel avec le français. L'irruption des "langues" dans la vie sociale a renversé la donne. Les cinq "évidences" d'hier semblent aujourd'hui une histoire de fous. L'idée de "patois" apparaît bien comme une survivance d'une époque révolue.

G) Les mots France et français

Si on veut parler de "légitimité" des noms, on peut commencer par le nom de France. Au départ, son sens est "pays gouverné par les Francs", peuple germanique (Clovis et Charlemagne n'ont jamais parlé qu'une variante de l'ancien allemand, et outre Rhin, Charlemagne est considéré comme unsouverain allemand). Qu'en reste-t-il ? RIEN − sauf à adhérer aux théories de la fin du XVIIIe siècle selon lesquelles les gens de pouvoir descendaient des conquérants germains, et étaient "naturellement" destinés à dominer le reste de la population, descendants des Gallo-Romains, deux fois colonisés... Cette théorie, largement répandue au moment où la noblesse sentait son pouvoir menacé, a été connue dans toute l'Europe. C'est une des sources des idées qui ont abouti au nazisme.

Et le nom de la langue, le français ? Originellement, c'est la "langue du pays dominé par les Francs". Sauf que c'est une langue néolatine qui n'a pas grand chose à voir avec la langue des Francs, et surtout que le pays a considérablement changé au cours des siècles ; qu'il n'est nullement issu d'une prédestination de frontières "naturelles" ; ni de "nos ancêtres les Gaulois" ; ni... (voyez d'aimables plaisantins comme Lavisse). Le nom de français est un surnom douteux.

De plus, "la France", l'État français, n'a coïncidéà aucun moment de son histoire avec la zone linguistique de la langue française − même à présent, où les Suisses par exemple n'attendent pas la France pour avoir le français comme une de leurs langues originelles.

H) L'occitan et la constitution (et la Charte européenne des langues régionales)

● La constitution déclare que La langue de la République est le français (article 2) : c'est une déclaration politique, administrative, ça ne signifie nullement que, linguistiquement, la seule langue de la France soit le français. Ce serait faux − et ce serait donner à l'État une compétence scientifique qui n'est pas de son ressort. Cette déclaration signifie que le français est administrativementla langue officielle de la République. Elle n'empêche nullement qu'il y ait en France (dans la métropole, pour prendre France au sens classique) huit langues différentes : alsacien (allemand pour sa forme dite littéraire), basque, breton, catalan, corse, flamand (néerlandais), franco-provençal, occitan. Les zones linguistiques de la plupart de ces langues sont internationales : seules les zones du breton et du corse sont entièrement comprises dans le territoire français actuel.

De ces huit langues "régionales", quatre sont également langues officielles hors de France (l'allemand, le basque, le catalan, le flamand et l'occitan).

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires définit une "langue régionale ou minoritaire"comme "une langue différente de la (ou des) langue(s) officielle(s) de l'État", pratiquée traditionnellement "sur un territoire de l'État par des ressortissants de cet État en nombre inférieur au reste de la population".

Avant la publication de cette charte, l'expression langues régionales était tombée en désuétude. (Seuls les Alsaciens revendiquaient l'allemand comme leur langue régionale, peut-être pour ne pas se faire accuser de germanophilie après la guerre). Les autres parlaient de leur langue tout court, puisqu'il avait fini par être admis qu'il n'y a pas de différence de nature entre les langues.

La publication de la Charte a fait adopter langues régionales comme une désignation courante et officielle. Il faut pourtant remarquer que la définition de la charte prouve qu'il ne s'agit pas du tout de langues de "régions" politiques ou administratives, mais simplement de langues qui ne sont pas pratiquées sur la totalité du territoire de l'État. L'expression "langues régionales"n'implique donc en aucune façon ni une différence de nature, ni une "hiérarchie" comme celle qu'il y a entre l'État et ses régions administratives. L'État est le premier responsable des langues dites "régionales", à la fois parce qu'il a eu (et qu'il continue d'avoir) la plus grande responsabilité dans leur situation, et parce que si les régions administratives ne peuvent évidemment pas s'en désintéresser ce sont des langues de France de même nature linguistique que le français.

La Charte souligne "la valeur de l'interculturel et du plurilinguisme"et considère que la protection et l'encouragement de ces langues ne doit pas se faire"au détriment des langues officielles et de la nécessité de les apprendre". On en est loin en France ! Elle rappelle que "la protection et la promotion des langues régionales ou minoritaires dans les différents pays et régions d'Europe représentent une contribution importante à la construction d'une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle, dans le cadre de la souveraineté nationale et de l'intégrité territoriale."

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires fait une douzaine de pages. Son Rapport explicatif en fait une quinzaine. Ça se trouve aisément sur Internet. Il y a des possibilités différentes d'application de la Charte. Qu'elle soit "incompatible avec la constitution française" est une affaire d'interprétation. Il ne sert à rien d'en parler si on ne l'a pas lue et si on n'y a pas réfléchi.

● L'article 75-1 de la constitution dit : Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Il s'agit bien des langues, et non pas seulement de la production littéraire passée. Une langue est une pratique. Ce qui donc est déclaré appartenir au patrimoine de la France, c'est la pratique des langues régionales.

- Ne pas fournir les moyens de cette pratique est donc porter atteinte à un patrimoine de la France.

- La responsabilité de ce patrimoine relève de l'État, des collectivités locales et de tous les citoyens.

- Comme dit plus haut, et selon la définition de la Charte des langues régionales et minoritaires (qui vaut même si la Charte n'est pas appliquée en France actuellement), les langues "régionales" ne sont pas "régionales" au sens où elles seraient du ressort exclusif des régions administratives : elles ne correspondent pas à des régions administratives. Dans la mesure où une région administrative a une ou des langues dite(s) régionale(s) sur son territoire, elle a évidemment une responsabilité particulière à cet égard.

I) Territoire

Le droit de pratiquer une langue avec tout ce que ça implique (apprentissage, expression, communication, usages divers, culture, etc.) fait évidemment partie des Droits de l'Homme (Droits Humains, si on ne comprend pas le sens de Homme dans cette expression). Le droit à cette liberté ne porte pas tort à autrui. L'entraver est liberticide. Il s'agit des droits de l'individu, non de droits d'une communauté.

Les langues ne sont pas inscrites dans les gènes. N'importe qui peut vouloir connaître et pratiquer l'occitan, par ex. Il s'agit de liberté, non "d'héritage". Effectivement, de nos jours, ceux qui le pratiquent l'ont parfois hérité de leur famille ou de leur milieu, mais parfois ils l'apprennent et le pratiquent sans l'avoir hérité. Certains le font parce qu'il avait été pratiqué autrefois dans leur famille. D'autres parce qu'il est pratiqué dans le milieu où ils viennent à se trouver. Une proportion non négligeable de personnes qui veulent connaître et pratiquer l'occitan et la culture qu'il porte sont originaires de régions non occitanes (région parisienne, Normandie, pays étrangers...).

Tous en ont évidemment le droit. Il ne s'agit pas de "droit du sol" : certains qui vivent ou sont appelés à vivre dans des régions non occitanes en ont aussi bien le droit.

Le rapport Cerquiglini de 1999 sur les langues régionales en vue de l'adoption de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires (d'une dizaine de page, accessible sur Internet) contient des éléments intéressants mais présente des erreurs majeures.

Il conteste la notion de "territoire d'une langue" :

● Il prétend que "la territorialisation systématique" des langues est "issue du romantisme allemand". C'est faux : La définition des zones linguistiques n'est pas une question d'idéologie mais d'expérience vécue (voir la citation de RONJAT) et d'études de terrain (les atlas linguistiques et les collectages de terrain, par ex., le prouvent).

● Il prétend que "la territorialisation des langues s'oppose aux principes républicains français, qui tiennent que la langue, élément culturel, appartient au patrimoine national : le corse n'est pas la propriété de la région de Corse, mais de la Nation". Tant que les Corses sont Français, le plein exercice leurs droits linguistiques et culturels sont une responsabilité de la France, et cela partout où ils se trouvent, en Corse ou ailleurs. Ce n'est pas pour ça que dire "C'est en Corse qu'ils peuvent le mieux exercer leurs droits linguistiques et culturels" reviendrait à en faire "une propriété de la région Corse".

● Il prétend que "la science comprend mal l'expression territoire d'une langue". C'est faux. Que les langues aient toutes une "origine étrangère" n'a rien à voir, et se référer au "mythe des origines" est une erreur grossière.

● Il prétend que la seule justification scientifique possible serait d'ordre statistique et de peu d'intérêt : selon lui, ça reviendrait à"distinguer la zone qui, à l'heure actuelle, connaît le plus de locuteurs d'une langue donnée". Il ajoute que la territorialisation des langues s'oppose "à la réalité sociolinguistique, qui rappelle que la mobilité sociale contemporaine est telle qu'on parle les différentes langues 'régionales' un peu partout" et donne en exemple le créole en région parisienne.

Il y a une contradiction manifeste entre ce qu'il dit du souci "français" de la culture et la réduction des langues au seul fait de les parler, comme si les langues étaient des réalités désincarnées.

Il a probablement été victime de la conception des langues qui régnait dans les années 1970-1980, à l'époque de la mode du structuralisme. On y voyait de simples "codes" de transmission d'informations (sur le mode des codes informatiques) de "signifiés" prédéterminés, dans des buts essentiellement utilitaires. Une langue était donc indifférente en elle-même, et son apprentissage pouvait se réduire à une éducation de réflexes au moyen des fameux "exercices structuraux" (cela répondait évidemment aux besoins d'assimilation rapide et superficielle de langues étrangères pour les besoins économiques et militaires − entre autre des USA − et au marché nouveau des matériels électroniques.) On en est bien revenu. Personne ne parle plus de l'Alfonic du pauvre André Martinet, grand doctrinaire de l'époque, par charité.

La langue n'est pas un "code froid". C'est une création collective permanente. Elle porte en elle une culture. L'Occitanie n'est pas seulement la zone où il y aurait le plus de gens qui pratiquent la langue occitane, comme l'expérience et l'étude le montrent, elle est aussi la zone où la langue et sa culture se sont développées au cours de l'histoire et continuent de le faire aujourd'hui. Il n'est pas de village, de ville et de région qui n'aient leurs trésors de littérature orale ou écrite, leurs lieux avec leurs toponymes et leurs histoires grandes et petites, et oùcontinue de se créer la culture occitane d'aujourd'hui et de demain.

Avec la fin de l'époque industrielle classique, le développement scientifique, technique, économique et social moderne, et la fin de la fixation des population par l'agriculture (qui durait depuis dix mille ans), la mobilité est devenue la règle et ne fera qu'augmenter. L'interlinguisme et l'interculturalité ne feront qu'augmenter. Les gens n'en auront pas moins leurs droits linguistiques et culturels. L'évolution des modes de vie et de travail les rendront davantage possibles. (Un immigré d'autrefois était coupé de ses sources culturelles et isolé par les conditions de vie et de travail. Un immigré d'aujourd'hui téléphone au pays toutes les semaines, a la TV, Internet, les CD, etc., et des temps de loisir qui permettent une vie culturelle. Tout a changé.) Les droits linguistiques et culturels seront donc vécus comme des droits de l'individu (comme ils le sont dans pas mal de pays − au Canada, en Suède...).

Est-ce que ça abolit le sens du "territoire" d'une langue ? Ce serait le cas si on l'interprétait bêtement comme "la propriété réservée aux gens qui en sont de souche". Ce n'est pas ou plus du tout comme ça que ça marche. C'est l'inverse. La mobilité ne fait pas perdre le sens de la culture. Le niveau culturel des gens a changé. Beaucoup de nouveaux venus sont avides de la culture du lieu − souvent beaucoup plus et beaucoup mieux que les gens "de souche".

Les droits linguistiques et culturels sont des Droits de l'Homme et donc des droits de l'individu, et donc ni des droits "communautaires" de "gens de souche" ou de gens "d'un territoire" qui serait "leur". Mais les besoins pratiques et les besoins culturels justifient que des mesures adaptées soient assurés sur le "territoire de la langue et de sa culture". Ceux qui veulent pratiquer la langue et la culture ne le font pas comme des "propriétaires" mais comme des responsables. Il s'agit de langues et de cultures menacées. Ils s'en rendent comptables, même ceux d'origine non occitane. On est à mille lieux du "communautarisme" dont on nous rebat les oreilles. Le communautarisme le plus fort, c'est celui du nationalisme français archaïque.

J) Et le nationalisme ?

Il n'y a pas de "nation occitane" parce qu'il n'y a pas de "nation", pas plus occitane que française. Il est stupéfiant que cette évidence ne soit pas mieux comprise aujourd'hui.

Les États ont presque toujours été formés au hasard des guerres, des alliances, etc. Par quel miracle ces créations aléatoires correspondraient-elles à des "nation"au sens du XIXe siècle ?

L'idée de "nation" a été inventée au début de l'époque industrielle classique, vers la seconde moitié du XVIII  siècle. En France, le nationalisme a remplacé la religion catholique comme religion d'État. Il fallait enlever à la monarchie d'Ancien Régime la légitimité"de droit divin", et en même temps donner une idéologie de masse au "peuple" qu'on ne pouvait plus gouverner par un système de hiérarchie ouvertement "verticale". Le système prétendument "démocratique" et la conscription de masse demandaient une "nation" prétendument égale et unie. La guerre de 14-18 n'aurait pas pu être faite avec des armées de mercenaires comme sous l'Ancien Régime, et "pour la gloire du prince" moyennant quelques pillages.

Pour des minorités, se revendiquer du nationalisme est la réponse du berger à la bergère : revendiquer un État qu'il n'ont pas par les mêmes raisons dont "se justifient" ceux qui l'ont. Les Occitans ont toujours cru qu'ils pourraient exercer leurs droits linguistiques, culturels ou autres sans passer par le nationalisme.

K) Identité

Identité est un mot à la mode d'usage assez récent. Il marque peut-être le recul de l'idée de "nation"depuis la fin de l'époque industrielle classique, vers les années 1980. Mot creux qui ne veut rien dire. Il n'y a pas plus "d'identité occitane" que "d'identité française". Il y a une (ou des) "image(s)", des actions, une volonté, si elle est assez convaincue et assez ferme.

Sèrgi Granièr, 19 avril 2016

OCCITANIA ES 4 REGIONS

Bad buzz - Limoges Opera Rock

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Limoges

- J'aime ses halles, ses pavés/ La fontaine de la mairie,/ Le vieux quartier de la cité/ Et la rue de la boucherie

photo J.-P. Kosinski

 

« Non ce n’est pas la cité des Doges… »

 

Je n’ai pas pour habitude de tirer sur les ambulances, mais cette fois je n'ai pu résister à cette condamnable tentation.

Les Limougeauds en ont déjà forcément entendu parler : il s’agit du clip de présentation d’un prétendu « Opéra Rock » dédiéà leur ville, avec promesse (ou menace ?) de disque et de spectacle pour la fin de l’année. Forcément, ils connaissent déjà, puisque la vidéo a fait l’objet d’un bad buzz historique, d’un mauvais bourdon sur la toile (d’un meschant zonzon sus la tiala !).

Il n’y a rien à dire, elle mérite bien ce grand succès de mésestime, même si l'on doit reconnaître que techniquement la réalisation vidéo, en noir et blanc, est sans être extraordinaire de bonne facture. On y voit en effet – et hélas on y entend – une bonne dizaine d’interprètes, qui connaissent pourtant leur métier (mais qu’allaient-ils faire dans cette galère ?), chanter, à tour de rôle et en chœur, sur l’air de variété le plus plat que l’on puisse imaginer (aucun rapport avec le rock, ni avec l’opéra en tout cas !), dans une orchestration de pub pour assurance, la chanson la plus con du monde.

Vous ne me croyez pas ? Hé bien, écoutez-la (par exemple sur le site officiel du projet) et lisez-a ici, car j’ai pris la peine de vous la copier toute entière, ce que personne encore sur le web, par pudeur sans doute, n’a encore osé faire. Que ne ferais-je pas pour l’édification de mes lecteurs ? Par charité chrétienne je ne donnerai pas le nom du compositeur ni du poète, mais il ne sont pas bien difficiles à trouver.

 

1er couplet Refrain

Ce n'est pas la cité des doges

On en parle peu dans les livres

Mais c'est ma ville, c'est Limoges

Mais c'est ma ville et j'aime y vivre

 

I I- J’aime ses rues et ses jardins

Les bords de la Vienne et ses ponts

Et les bars où de vieux copains

Viennent chanter quelques chansons

 

III- J'aime ses halles, ses pavés

La fontaine de la mairie,

Le vieux quartier de la cité

Et la rue de la boucherie

 

Refrain

 

IIV- Je l’aime et rien ne m’en empêche

Avec ses flonflons du passé

La fanfare des gueules sèches

Et l’École du Barbichet

 

V- Avec ses claques, avec ses peurs

Avec son jazz et ses rappeurs

Elle accueille du fond du cœur

Les enfants de tous les ailleurs

 

Refrain

 

VI- Ses racines de châtaignier

Sentent la terre du pays

Mais tourné vers le monde entier

C’est au présent que l’on y vit

 

VII- Et son glorieux CSP

Du zénith à la technopole

Chaque rêve réalisé

A fait que Limoges s’envole

 

VIII- J’aime tout ce qu’elle a su faire

Malgré tout ce qu’elle a souffert

A coup d’espoir et sans coup bas

A coup d’équerres et de compas

Coups de courage et coups d’éclat

Elle a gagné tous les combats

Refrain…

 

Vous avez admiré le vers (approximativement) octosyllabes, la beauté des rimes, la recherche stylistique, la richesse du vocabulaire… sans parler de l’abondance du contenu. Pourtant, chaque vers ou presque est bien l’évocation d’un lieu ou d’un événement important de la ville, mais réduit hélas au plus indigent des clichés.

Il y a d’abord celui, produit dès le premier vers, de la ville sans caractère, de la ville triste et insipide. Alors qu’il s’agit de faire l’éloge de Limoges (moi aussi je sais faire de la rime), le poète en effet commence par s’excuser d’en parler ! Aurait-on véritablement et définitivement intériorisé l’image projetée avec tant de morgue et de méchanceté par Paris (récemment encore, voir mon post à ce sujet), qui si souvent prit et prend encore la cité du limogeage pour son souffre-douleur favori ? Évidemment ce clip lui en donne une fois de plus l’occasion, comme on peut voir en baguenaudant sur internet. Soit par exemple la « page pute » du magazine Brain (une bande de décérébrés qui se prennent pour des « intellols » (sic) !) : « J’me serais bien fait un petit weekend à Limoges et puis finalement non, JAMAIS ». Le message sous le message est clair : il dit ceci (c'est mon décryptage, on peut le discuter !) : « de toute façon, il n’en a jamais été question : qui donc irait passer un weekend dans cette ville de nazes et de ringards ? »

Dès les premiers vers, dis-je. En effet : non certes, on en convient, Limoges n’est pas « la cité des doges », mais est-il vrai que « les livres » n’en parlent guère ? Les livres qui font l’histoire depuis Paris, qui voient la France depuis Paris n’en font en effet pas grand cas. Mais, publiés ici ou même à Paris, il n’en manque pourtant pas, des livres où il est question de Limoges (laissez-moi au moins citer le livre de l’historien américain John Merriman publié chez Belin, La Ville rouge). Encore faudrait-il les lire ! On y trouverait, entre autres, qu’au premiers temps de la fête des Ponts dans les années 1900, les Enfants de la Vienne organisaient des fêtes « vénitiennes » avec flottille de barques décorées descendant la rivière, certaines maquillées en gondoles, éclairées de flambeaux et – déjà– par les ampoules multicolores de l’usine électrique voisine du pont Saint-Étienne. Loin de moi de me moquer : il y avait là de la beauté, de la poésie, l’évocation d’une ville mythique où personne, dans le quartier des ponts, n’avait le loisir de mettre les pieds.

Mais je m’égare… enfin pas vraiment, puisque la chanson évoque aussi les « flonflons du passé » avec, dans la foulée, la fanfare des Gueules Sèches, créée en 1922 (elle existe toujours), et l’École du Barbichet, apparue l'année suivante, association à vocation folklorique qui, en réalité, s’appelle, en bon limousin, L’Eicòlo dau Barbichet (selon la graphie utilisée par ce groupe). Évidemment le choix de traduire le nom en dit long, étant entendu que dans ces vers incolores, inodores et sans saveur, on ne pouvait évidemment imaginer le moindre mot de limousin. La langue ici se doit être rigoureusement aseptisée, sans aspérité d’aucune sorte. Mais à rechercher aussi lâchement le consensus, on fini par le trouver, fût-ce à l'opposé de ce que l'on recherchait ! La seule évocation du barbichet met la chanteuse dans tous ses états : le doigt dressé vers le ciel, l’air passablement niais, elle semble à la fois se retenir de rire. Certes, il y a de quoi, car la musique ronflante s’accommode assez mal de vers auxquels on ne saurait certes reprocher leur lyrisme (essayez, vous, un peu, de mettre de l’émotion et du pathos en disant « fontaine de la mairie » et « rue de la boucherie » !).

D’autres allusions parsèment le texte, d’ailleurs absolument inintelligibles pour les non-Limougeauds : au passé ouvrier, aux luttes de 1905, à Gingouin, aux (francs)maçons… Mais le fait que rien ne soit explicite, qu’il n’y ait qu’une vague allusion à des combats et à de la souffrance, autrement dit que l’identité de gauche ne soit même pas affirmée, en dit long sur le désir coupable de ne vexer personne, au risque de ne plaire à personne non plus. Le rapport au présent est juste une petite litanie ridicule, assortie d’un humanisme à deux balles (l’accueil formidable des étrangers à Limoges !) : CSP, zénith, technopole… Il ne manque qu’aquapolis et le nouveau stade pour parachever ce qui pourrait être une (très) mauvaise pub pour le syndicat d’initiative et la mairie réunies…

Le pire est que, justement, la ville – menée désormais par la droite – n’a semble-t-il pas financé l’entreprise, du moins directement. Les subventions reconnues sont celles de la région (5.000 euros), du Conseil Général (1.500 euros) et d'autres "collectivités territoriales" (sans autre précision, sinon qu'il ne s'agit pas d ela municipalité de Limoges) pour un total de 13.500 euros ; rien de bien énorme pour une comédie musicale toute entière... Le gros des financements est attendu d’une campagne de cofinancement sur Ulule. Il sera intéressant de voir si le bad buzz va finalement booster la campagne ou au contraire, comme cela semblerait logique, la plomber.

Bon, tout cela, certes, n’est qu’une farce, mais bien mauvaise. Limoges s’y montre dans ce qu’elle a de pire ; une ville qui n’affirme aucune identité franche et positive (on n’ose même pas comparer avec Ô Toulouse de Nougaro, ou même àl’hymne toulousain de Sicre, pour parler de ce que je connais), une ville qui n’évoque le passé qu’à mi-voix, s’excuse de ce qu’elle est, recherchant à tout prix d'apparaître la plus neutre, la plus lisse et conforme possible au modèle français moyen. Nous aussi on a « un zénith, une technopole, les francophonies, voyez, on est de bons élèves de province, loyaux, sages, modestes ! » De sorte que lorsque la chanson affirme  que Limoges « s’envole », tout le monde la voit se ramasser et lorsqu’il est dit, dans un accès de témérité, qu'elle a « gagné tous les combats », personne n’y croit, personne, et surtout pas ceux que l’on voit chanter.

En entendant ces désolantes pitreries, les paroles de La Vienne, composées dans l’entre-deux guerre par un ou sans doute plusieurs ponticauds, chantée naguère encore par la très regrettée Simone Jeammot sur l’air des Bateliers de la Volga, me reviennent en mémoire:

1905, La Rouge,

La ville bouge

Jusqu’aux bas-fonds.

Le siège d’une usine

Fait que domine

La voix des Ponts.

(voir la suite ici)

Ça t’avait quand même une autre gueule !

Jean-Pierre Cavaillé

PS) On nous jure, pour toute défense, que les 24 autres chansons sont toutes plus excellentes les unes que les autres et célèbrent l’histoire de la ville sous toutes ses coutures (même le quartier de ce nom ?). On espère donc que le reste, tout le reste, sera moins calamiteux et que Yemgui, qui en est parfaitement capable, aura au moins réussi à faire passer là-dedans un peu d’occitan limousin. On peut toujours rêver et on rêve toujours… podem sempre somnhar ! suite donc au prochain épisode.

Paris/France, romance, sextrémisme et chauvinisme

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Les amours difficiles d’Inna et Caroline

 

                Je viens de lire un bouquin n’ayant a priori rien à voir avec le sujet de ce blog. Il est de Caroline Fourest et s’intitule Inna. Les paradoxes d’une Femen (paru en 2014 et déjà en poche !). Il est consacréà Inna Shevchenko, l’une des figures majeures du mouvement Femen. Inna s’est réfugiée en France après avoir tronçonné en 2012 une croix géante à Kiev, échappant de justesse à la police et elle y dirige la branche française des Femen. Il me faut dire que je travaille en ce moment sur la nudité protestataire (en partant de loin, c’est-à-dire des Quakers britanniques et américains qui, au XVIIe siècle, allaient par les rues et dans les lieux de culte « naked as a sign ») et, élève sérieux, je lis tout ce que je peux sur la question. Ce livre contient sur le sujet, évidemment, des choses intéressantes, même s’il présente toutes les faiblesses de la narration journalistique, enjolivée, qui plus est, de la romance de son auteure éprise de la belle, mais sauvage et rétive Inna, vouée corps et âme à sa cause féministe.

                Un ingrédient du livre, apparemment tout à fait secondaire et sans aucune originalité, m’a arrêté par sa banalité, son évidence même. Il s’agit de la représentation du décor, l’évocation du lieu de cette idylle militante : la ville de Paris et la France dont Paris (intra muros) est présentéà la fois comme la quintessence et le résumé, à tel point qu’il ne semble presque rien exister pour Fourest de notable hors de la capitale en ce pays. C’est à peine si elle fait une référence fugace, lors d’un passage à Marseille à son enfance aixoise. Paris est la France et la France Paris, une unité mystique qui se suffit à elle-même.

                Ce décor, réduit à quelques clichés, est une carte postale pour touristes pressés, ceux qui diront connaître la France parce qu’ils ont vu Paris. D’ailleurs les Femen ukrainiennes réfugiées dans la captiale, entourées de journalistes et de militantes qui les ont rejointes ou les soutiennent (comme Fourest, même si elle n’est pas toujours d’accord – loin s’en faut – avec leurs choix tactiques) semblent être dans ce cas peu curieuses de sortir de la capitale et même, au moins pour ce qui est d’Inna, d’apprendre le français (elles sont des militantes globales, qui privilégient dans toutes leurs actions l’usage de l’anglais : « Fuck Church », « Muslim Women Let’s Get Naked », etc.), au grand dam de Caroline, si naïvement convaincue de l’universelle supériorité de la culture littéraire et politique française, que nous en sommes gênés pour elle.

                Dès l’arrivée des Ukrainiennes, Caroline leur dit avec fierté : « Vous verrez, Paris, c’est la plus belle ville au monde pour se battre » (p. 32). Quelques mois plus tard, s’adressant à Inna : « Il est plus que temps que je te montre Paris. Le vrai Paris, celui où l’on refait le monde autour d’un vrai dîner » (p. 98). Ah ! Paris, l’art de la conversation, de la commensalité et des idées ! Trois clichés en un… Mais, « où emmener dîner une révolutionnaire à qui l’on veut montrer Paris, son nouveau refuge, si ce n’est au Procope ? […]. Voltaire et Rousseau y avaient leurs ronds de serviette » (p. 100.). Voilà pour les références culturelle, dont Caroline ne cesse de s’étonner que ces sauvageonnes de l’Est les connaissent déjà pour la plupart (mais oui, extraordinaire : elles connaissent Voltaire et la Commune !). Pour le décor urbain, même pacotille : « Le premier matin, Inna et Oksana ouvrent leur fenêtre sur des gens roulant à vélo le long du canal. – ça c’est Paris ! ». Mais Paris n’est pas que la ville du vélib’, « Paris, c’est aussi la capitale de l’amour. […] Un soir après dîner, nous marchons le long du canal, dans ce décor de film immortalisé par Arletti. Sur le pont, elle [Inna] regarde l’eau se refléter ses pensées, et moi l’eau refléter sa beauté. Elle va flancher, s’approche, puis se cabre comme un enfant effrayé. – C’est une catastrophe, ton pays. On va toutes finir par abandonner la lutte à cause de ce romantisme, ce n’est pas possible ! » (p. 191). Paris, bien sûr, capitale romantique, et la France aussi, par divine identité métonymique.

                Inna, sensée prononcer ces mots (mais attention c’est Caroline qui écrit !) exploitera d’ailleurs le topos pour le bousculer violemment, comme elle en a l’habitude, déclarant à la presse, lors d’une action contre l’impunité des violeurs : « La France capitale du romantisme, est devenue la capitale du viol » (p. 108). Du reste, quand on lui demande si elle « aime vivre à Paris », étant entendu, comme une chose évidemment allant de soi, que l’on ne peut qu’aimer Paris et a fortiori lorsque l’on vient de ces pays du grand Est sauvage, Inna répond, là aussi, en décevant terriblement Caroline : « je ne sais pas. Je ne vis pas vraiment ici. Je vis dans mon combat » (p. 109).

                Pourtant Caroline ne ménage pas sa peine, mais Inna décidément est ingrate et cynique. Elle l’accompagne à la préfecture, pour sa carte de séjour et nous rapporte une historiette parfaitement édifiante, ne fussent les sarcasmes d’Inna : une femme qui a dû fuir un pays africain lui donne cinq euros pour ses photos et lui dit : « Tenez, gardez l’argent, ce pays m’a tant donné… ». Je cite encore : « Les larmes me montent aux yeux. Inna comprend que c’est à cause de la façon dont elle a parlé de la France et se moque. – Stupide nationaliste ! – Quoi ! J’adore quand mon pays sait se faire aimer. » (p. 366). Il est certain en effet, que la générosité de la France en matière de droit d’asile et d’accueil des réfugiés est sans égale, nous en convenons tous !

                Caroline, malgré tout, ne baisse pas la garde et se donne beaucoup de mal pour faire aimer à ses protégées ukrainiennes le modèle français républicain et laïque et surtout pour leur montrer combien ses élites sont étincelantes, non par leurs actions, certes, mais au moins par leurs discours flamboyants, des discours efficaces, capables d’infléchir les lignes politiques (Caroline, c’est sûr, elle qui est toujours fière de nous montrer qu’elle a des contacts dans les ministères, que la police en haut-lieu la respecte, se rêve en conseillère du prince). Elle l’explique à Inna, bonne fille : « … ces batailles parisiennes, c’est si ennuyeux que ça ? D’accord, ce n’est pas de la bagarre de rue, mais c’est amusant quand même, non ? » et Inna de répondre (selon évidemment ce qu’en rapporte Caroline car nous n’étions pas là !) : « Intéressant. Je crois que je commence à comprendre comment ça marche ; il suffit qu’une ou deux intellos respectées [sic !] donnent le ton et tout le monde se met en mouvement. » (p. 239). Enfin, Inna semble vouloir comprendre, même si elle ne cesse de se plaindre de l’intarissable bavardage des intellos parisiennes (ou françaises, puisque c’est la même chose) et de se méfier comme de la peste de cette amie certes si utile, mais visiblement quelque peu intrusive.

                La France (Paris), pour Caroline, c’est quand même mieux que partout ailleurs, même pour les femmes ! « Ici, les femmes ont une vie, un avenir, un avis… », fait-elle dire (en son for intérieur !) à son héroïne (p. 158), qui pourtant semble en réalité beaucoup plus critique ! La France, renchérit Caroline, est  « un morceau de terre où les femmes peuvent continuer à avoir des convictions même si elles sont mariées, et où leur mari peut garder les enfants. Si exotique vu d’Ukraine » (p. 106). Je ne connais pas l’Ukraine, mais j’ai bien de mal à penser que la société y soit aussi résolument et absolument machiste. Passons. En tout cas, les femmes en France (id est Paris), pour Caroline, sont tellement mieux qu’ailleurs, qu’il leur est presque impossible de lutter avec la détermination et la vigueur des Femen : « Le contraste entre les Ukrainiennes et les Françaises est trop flagrant. La démocratie attendrit les corps et l’esprit. Je ne vois pas comment transformer ces gamines pleines d’avenir, venues à Femen pour quelques sensations, en « warriors » dignes du bloc de l’Est » (p. 160).

                En fait la question de fond, dans le système idyllique français est celui de la pertinence et de la légitimité du combat Femen dans ce merveilleux pays et (c’est pareil) cette merveilleuse ville ; même si Caroline ne le remet pas en cause quant au fond. Mais c’est bien ce que l’on comprend : pour elle, les bons combats sont d’abord ceux à destination des autres femmes du monde, et en particulier des femmes des pays d’islam, et en France ceux menés pour les femmes originaires de ces pays et contre l’extrême-droite. Par contre, elle s’agace très fort de toutes les actions qui seraient justifiées partout ailleurs mais qui sont déplacées ici. D’ailleurs, elle a sa théorie : « la vérité, c’est que les journalistes reprennent les actions des Femen lorsqu’elles sont réellement pertinentes » (p. 315). Il est certain en effet qu’une action pertinente est une action reprise pas la presse et qu’une action bien médiatisée est, de ce fait même, pertinente ! CQFD.

                Pourtant – allez savoir ? –, la presse reprend des actions des Femen que Caroline ne juge absolument pas pertinentes en France (c’est-à-dire à Paris). Par exemple, l’action à Notre-Dame, le 12 février 2013. Elle avait pourtant avertie Inna : « Je te préviens, ici ce n’est pas comme en Ukraine. Les Églises et l’État sont séparés [question naïve, n’est-ce donc pas le cas en Ukraine, au moins formellement, c’est-à-dire légalement ?]. On a divorcé grâce à la laïcité. Ça veut dire qu’on se fiche la paix, chacun chez soi. » (p. 229). Inna et ses guerrières n’en feront qu’à leur tête, sonnant les cloches à Notre Dame et se faisant rouer de coups par les bedeaux. Caroline ne décolère pas : « Ici, c’est un pays laïque. Ils nous fichent la paix au parlement, on leur fiche la paix dans leurs églises ! ». Notre-Dame : « est un symbole d’ouverture aux touristes, un symbole de Paris. En l’attaquant, tu t’en prends plus aux Parisiens qu’à l’Église ! » (p. 235). Pour cette bouffeuse de curés s’il en fut, Notre-Dame (carte postale quand tu nous tiens !) est un symbole d’ouverture, le monument de tous les Parisiens... Mais elle oublie de souligner un point fondamental, que les Femen ne cessent pourtant de rappeler (voir leur Manifeste, par exemple) : elles ne sont pas laïques ! Pour elles la laïcité n’est qu’hypocrisie, puisqu’elle permet aux religions d’exercer la domination patriarcale sur le corps et l’esprit des femmes. Les Femen – c’est cela le sextrémisme – luttent, entre autres choses, pour la destruction des religions. On peut ne pas être d’accord avec elles sur ce point d’importance (et je ne le suis pas, pour ma part), mais il faut au moins reconnaître leur cohérence.

                Autre sacrilège : Caroline l’avait montréà Inna, toute fière : « C’est la mosquée de Paris… Elle a été construite en signe de réconciliation, pour remercier les musulmans qui se sont battus pour la France pendant la Première Guerre mondiale... » (p. 302). C’est-y pas beau ? Le cadeau de la France aux musulmans ! « Une mosquée laïque », symbole de la laïcité et de la générosité de la république ! Hé bien, cela ne manque pas, quelques semaines après, les Femen manifestent pour la libération d’Amina Sboui, enfermée à Tunis, devant la mosquée de Paris, « trahie par sa beauté » toute photogénique, (p. 311).

                Cette histoire d’amour, décidément, ne pouvait que tourner mal. Malgré tous les efforts de Caroline pour les initier aux belles choses, aux belles idées, à la belle langue, à la bonne cuisine, aux beaux monuments, Inna et ses amies semblent sourdes et aveugles à la beauté et à l’absolue exception de Paris-la France. Non violentes, elles s’y font pourtant battre peut-être plus que partout ailleurs. Mais – que voulez-vous ? C’est plus fort que tout – Caroline voit sa ville-pays avec les yeux d’un amour éperdu ; ce qui, manifestement, fait plutôt rigoler les amazones ukrainiennes…

 

Jean-Pierre Cavaillé

Le Limousin existe-t-il encore ?

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Chronique d’une mort annoncée

 

Donc voilà, plus aucune mention du Limousin dans la NGR (Nouvelle Grande Région). Le Limousin avalé d’une seule bouchée et digéré par la Nouvelle Aquitaine, sans aucune opposition ou quasi. Certes le nom, au moins localement, restera, car il est trop ancré dans les habitudes linguistiques et, oui, dans l’histoire des pays d’ici, pour disparaître de si tôt. Le président Alain Rousset l’a d’ailleurs déclaré : « Je crois que nous allons vivre le retour des petites provinces dans notre grande région ». Quelle étrange expression ! Ce qui était une région, à l’égal de l’Aquitaine, devient une « petite province »…. Qui dit province, en France, dit capitale, et Alain Rousset parle depuis sa petite capitale : Bordeaux. Il n’y a pas donc d’autre modèle dans ce foutu pays que celui de la capitale et de ses provinces que l’on peut ainsi répliquer à l’infini, comme les poupées russes : Paris et ses provinces ; dans la province aquitaine, Bordeaux et ses « petites provinces » ; dans celles-ci, Limoges (en toutes petites capitales!), et sa micro-province, etc. Quelle interprétation que l’on en fasse, sur un point le message du président (de région), est on ne peut plus clair : le lieu des décisions politiques régionales sera bien la capitale Bordeaux et le Limousin demeura, comme le Poitou ou la Charente, une « petite province ». Cela en dit long évidemment sur la conception officielle de la démocratie en ce pays, puisque seule une capitale peut être le lieu de décision légitime sur des provinces subalternes par nature (et par étymologie !). Ceux qui pensent, comme moi, que la démocratie est locale ou n’est pas, ont encore du pain sur la planche.

Je profite de l’occasion pour célébrer la mémoire de la revue bimensuelle de feu la Région Limousin, vous savez, avec son grand bandeau vert clair et le logo à la feuille de châtaigner. Vous la receviez pliée en deux, dans vos boites à lettres, souvent mêlée au reste de la publicité. Elle s’appelait – cela semble déjà si lointain – la Lettre du Limousin, bien soignée, fournie de 16 grandes pages. Certes, c’était surtout de la réclame, pour l’essentiel, de la pub pour le conseil régional bien sûr et ses conseillers (charité bien ordonnée…), plein d’articles lénifiants illustrés de grandes photos couleurs. Ces articles chantaient quelque soi-disant réussite économique, quelque mirifique réalisation technique, vantaient quelque grand projet essentiel (la « regrettée » LGV, etc.), ils mettaient en avant quelque jeune prodige de la gastronomie ou de l’entreprise limousine… Figurait aussi – vous en souvenez-vous ? – une double page grise d’une infinie tristesse où chacun des partis entonnait sa chanson aigrelette et laissait pendre sa petite langue de bois (pour les collectionneurs, profitez-en, tous les numéros depuis 2009 sont encore en ligne)

Y figurait aussi une chronique occitane d’un tiers de page, que nous assurions, Baptiste Chrétien et moi-même, à tour de rôle, depuis 2011, consacrée à toute sorte de sujets ayant trait à la culture et à la langue, qui nous tombaient sous la main et nous paraissaient d’actualité : publications, expositions, musiques… C’était, je m’en rends compte, l’une des seules rubriques culturelles de la revue, voire la seule, si l’on excepte quelques interviews et présentations de troupes ou d’artistes. Nous avions été sollicités pour tenir cette chronique, à laquelle nous nous astreignions évidemment de manière purement gracieuse. Nous étions certes contenus à la portion congrue ; il ne fallait pas exagérer, par exemple tenter d’étendre notre chronique à plus de la moitié de l’une des photos rutilantes qui ornaient les pages cossues d’auto-propagande régionale, ou pis encore il ne fallait pas chercher à y faire trop paraître… d’occitan (comme on le sait, l’occitan est acceptable, à condition d’être en français !).

Puis vint le n° 115 de novembre 2015, pour lequel, on n’oublia pas de nous rappeler, comme à chaque fois, l’échéance de remise de l’article. Il parut. Puis, plus rien. La revue, sans aucune annonce, avertissement ou remerciement de ses dévoués collaborateurs, il fallut se rendre à l’évidence, avait disparu corps et biens, avec tout le reste, au moment de l’élection des conseillers de la nouvelle région (une région – excusez-moi de me répéter – que les citoyens n’ont pas choisie, et qu'ils ont accepté de ne pas la choisir en votant quand même pour les conseillers). Mais, après tout, on pouvait imaginer le maintien d’un revue consacrée à la partie limousine de la NGR. J’ai bien tenté d’écrire à mon contact au journal, la personne qui nous rappelait à l’ordre si nous oubliions d'envoyer nos papiers, pour savoir ce qu'il en était, avoir des nouvelles, mais en vain. La revue était morte. On nous avait gentiment fait bosser gratuitement pendant cinq ans et balancé comme de la merde. Certes, tel devait être aussi le sort des journalistes qui y travaillaient et qui ont peut-être perdu leur salaire. Je n’en sais rien, puisqu’il n’existe aucune communication sur le sujet. En lieu et place, nous avons tous reçus, souvenez- vous, au mois d’avril, une feuille de choux similaire (mais réalisée à la va-vite sur du mauvais papier) intitulée Spécial nouvelle région, un truc incroyable de pure propagande stalinienne avec cinq pleines pages de portraits de conseillers, tous plus hideux les uns que les autres (je veux dire bien sûr, les portraits) et où Alain Rousset, sur 6 pleines pages – à tout seigneur tout honneur –, prenait la peine de répondre à douze questions, dont aucune d’ailleurs ne concernait la culture, celle-ci étant entièrement absente de ces 23 feuillets. Les bafouilles des partis à la pendante langue de bois, baignant dans un vert pisseux, y prenaient les deux pages qu’elles avaient déjà dans la Lettre, et je me suis dit qu’il y avait de fortes chances pour qu’il s’agisse du remplaçant éditorial en transition.

J’ai souvent dit combien la région Aquitaine, grâce à la présence du basque, s’était montrée plus décidée et créative en matière de promotion des langues régionales que le Limousin et qu’il ne pourrait pas nous arriver pire que ce que nous avions connu. Tout bien considéré, il se pourrait que je me sois trompé.

En tout cas, ici nous les aurons toutes avalées, toutes. Je dis nous en pensant aux acteurs impliqués dans la valorisation de l’occitan limousin, mais je ne veux pas parler pour les autres, qui peuvent très bien le faire eux-mêmes. Moi, en tout cas, pour ma part, je n’oublierai pas le sort fait à la Coordination Occitane du Limousin, la manière dont tous les élus, et la région même, l’a traitée par le mépris. Je n’oublierai pas la superbe et les promesses non-tenues par le président de région Jean-Paul Denanot, en particulier sur la réalisation d’une enquête sur ce que les Limousins souhaiteraient pour leur langue à l’agonie (voir ci-joint). Je n’oublierai pas l’incroyance arrogance et suffisance du conseiller Jean Daniel lorsqu’il reçut le 11 juin 2014, non la Coordination, mais quelques personnalités occitanistes triées sur le volet (pantalonnade à laquelle je regrette infiniment d’avoir participé). Je n’oublierai pas non plus la désinvolture insultante de Catherine Rolland (Direction du développement culturel) qui, malgré ses engagements, ne donna aucune espèce de suite à cette rencontre (voir le même article). Je n’oublierai pas comment, dans quel isolement, Estela Urroz, élue du Parti Occitan à la région, s’est battue pour réclamer la réunion du Conseil académiques des langues régionales au rectorat de Limoges, qui est pourtant de droit. Mais elle se battit néanmoins en pure perte. Je n’oublierai pas enfin le silence assourdissant qui semble avoir saisi depuis la plupart des militants et acteurs associatifs qui portaient envers et contre tout ce combat légitime pour la pluralité linguistique décidément si difficile à mener en France en général, et en Limousin en particulier, terre de la francophonie exclusive où la chasse aux patois n’a de fait jamais cessé.

Que reste-t-il aux Limousins, qui plus est depuis qu’ils ont appris qu’ils ne vivent plus en Occitanie, après l’OPA des Languedociens pour s’en assurer l’exclusivité ? On se le demande… Une chanson peut-être ?

 

Jean-Pierre Cavaillé


La guerre kanak de 1917 et les langues de Nouvelle-Calédonie

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Une histoire vernaculaire

 

tè naa pwaééhê-me/ bé game ko pi-cu-ta/ game pi-caalè pwö-n/…/ tè ko naa pi-cèbwö/ ko tapwölè jo jénaa/ bèé cèpéwiè/ ili caa me li ao : « Hélas ! quel désarroi/ Et que de maux/ avons-nous endurés/ …/ Reste maintenant la honte/ Je me sens lâche aujourd’hui/ Car j’ai abandonné/ Mes pères et mes grands-pères », ténô : Chant des anciens combattants de la guerre 1914-1918.

A propos de Alban Bensa, Adrian Muckle, Kacué Yvon Goromoedo, Les Sanglots de l’Aigle pêcheur.  Nouvelle-Calédonie : La Guerre Kanak de 1917, Toulouse, Anacharsis, 2015 (716 p. + CD).

 

Une guerre oubliée

Qui sait, en France métropolitaine, que dans l’ombre de la première guerre mondiale, une guerre coloniale fut menée en Nouvelle-Calédonie en 1917 contre des population « rebelles » ? L’histoire officielle parle d’ailleurs plutôt de la « dernière révolte des Kanak ». La raison majeure en fut l’opposition déclarée d’une partie des populations colonisées aux campagnes de recrutements pour la guerre contre l’Allemagne (948 hommes partirent pour les tranchées, et 382 y moururent). Un document (Rapport du brigadier Faure sur les débuts de l'insurrection de 1917) nous permet d’accéder à l’esprit colonial de ces recrutements qui n’avaient rien de vraiment volontaires : « Monsieur Fourcade [chef des Affaires indigènes] leur a parlé petit-nègre leur disant que la France avait beaucoup de soldats, qu’elle n’avait pas besoin d’eux pour sa défense, mais qu’elle voulait que tous ses sujets assistent à la Victoire » (p. 681).

La guerre, relatée en détail dans le livre, commença à Cémû (Tiamou), dans le centre-nord de la Grande-Terre, par l’arrestation de 17 hommes qui venaient de danser lors d’une cérémonie de réconciliation. Il s’agissait en fait d’un piège destinéà se saisir du petit chef « rebelle » de la localité, Bwëé Noël Pwatiba, qui ne fut pas pris ; au contraire, lui et son frère Wâii Mikael Pwatiba, défièrent soldats qui leur tiraient dessus. Le signal de la rébellion, selon une pratique coutumière, avait en fait été donné par un chef caché, Bwaarhat [Bouarate], grand chef de Hienghène. Un récit kanak recueilli par les auteurs lui fait dire : « Nous allons nous débarrasser des Blancs, car autrefois, quand ils sont arrivés, nous pensions qu’ils étaient des gens de bien mais, aujourd’hui, ils ont pris nos terres et tout ce qui nous appartenait, c’est pourquoi nous devons les frapper pour qu’ils s’en aillent » (p. 323). Et, dans un autre récit (Dogo André Wärù), nous lisons : « voilà qu’arrive le message d’en bas à Hienghène envoyé par le chef Bwarat. Et il dit qu’il ne faut pas donner de soldats aux Blancs : "Nous n’entrerons pas dans la guerre des Blancs"» (p. 501).

La répression est féroce : les soldats français et les troupes auxiliaires composées de Kanak et de militaires autres origines, détruisent tout sur leur passage, brûlant systématiquement les villages et les cultures et poursuivant les fuyards. Comme lors de la grande Insurrection de 1878, ils reçoivent des primes (50 francs) lorsqu’ils ramènent les oreilles ou la tête des Kanak abattus. Un prêtre, Alphonse Rouel enrôlé comme caporal, écrit à son évêque : « Nous sommes bien au-dessous des Boches, Monseigneur, nous les prétendus civilisés ! […] il y a eu des têtes coupées, au moins cinq, des oreilles, des organes sexuels ! ». Comme le disent noir sur blanc les plans de défenses rédigés en 1894, il s’agit d’utiliser « contre le Canaque révolté […] le canaque lui-même », avec « mission de détruire toutes les cases et toutes les plantations », de réveiller « l’humeur guerrière des indigènes » pour « traquer l’ennemi, le surprendre, enlever ses femmes », détruire « son territoire » (p. 97).

Le conflit dura une année. Il fit près de 300 victimes (parmi lesquels un nombre extrêmement réduit de soldats et colons), 250 prisonniers. Il mobilisa plusieurs centaines de guerriers rebelles et des forces coloniales, « indigènes » et auxiliaires en nombre.

Bwëé Noël fut trahi, tué et décapité (pour la prime !), par un ex-forçat maghrébin déjà condamné pour meurtre. Le chef Bwaarhat se suicida juste avant son arrestation. D’autres, comme le chef Apégu, qui avaient cherché une impossible conciliation (entre « l’acceptation tactique, pour tenter de protéger les populations kanak de la rage coloniale » et « la révolte contre l’envahisseur », p. 336), furent aussi victimes de la répression et beaucoup, comme le même Apégu, moururent en prison. La « violence coloniale » l’emporta haut la main, « acharnée à faire se taire et se terrer les indigènes », comme l’écrit Alban Bensa (p. 29). Chassés de leurs villages détruits et poursuivis, nombre de Kanak ont dû composer avec les « entrepreneurs en évangélisation [catholiques et protestants] pour avoir la vie sauve », en affectant de se convertir. Ils jugèrent, disent les auteurs, qu’il valait mieux feindre d’accepter la tutelle chrétienne afin de perdurer discrètement en attendant des jours meilleurs ‘dans le souffle venu des ancêtres’ », selon la belle expression de Jean-Marie Djibaou.

Malgré tous les gages donnés (les conversions, les morts kanak sur le front européen, la loyauté des auxiliaires…), en 1922 le statut de l’Indigénat fut reconduit au motif du manque de progrès sur le « chemin vers la civilisation » et, entre autres choses, le « constat » fait par les autorités que « la mentalité des anciens tirailleurs [ceux qui avaient connu les tranchées !] […] ne s’était pas améliorée pendant leur séjour en Europe » (p. 135).

 

La voix kanak

Ce livre donne à lire cette triste page de l’histoire coloniale de la France, d’abord, dans une Ière partie, en établissant le récit scrupuleux des événements par les outils classiques du travail de l’histoire (croisement des sources écrites et orales, etc.). Mais surtout, à cette monographie d’une centaine de pages d’Adrian Muckle (Que s’est-il passé ?), qui aurait justifiéà elle seule d’une publication, s’ajoute une démarche tout à fait spécifique, qui fait du livre un ouvrage d’histoire et tout autant d’anthropologie ouvertement, résolument engagé, dans la perspective de la réappropriation politique de leur destin par les Kanak. Alban Bensa, sur ce point est très clair, qui montre comment l’implication du chercheur est ici la condition même de ce qu’il peut apporter et rendre à la communauté kanak : « occuper une place dans l’espace social étudié autorise et garantit les paroles qu’on vous adresse. Une telle opportunité n’est possible que si le chercheur accepte d’être intégré avec son projet scientifique à l’univers des colonisés qui combattent la colonisation » (p. 24).

Les auteurs de l’ouvrage n’entendent en effet pas seulement restituer le passé avec le plus d’exactitude possible, mais aussi « montrer comment il est pensé et reconstruit par des Kanak à travers leurs propres modalités d’expression… » (p. 148). Toute la suite de ce long ouvrage de plus de 700 pages est en effet entièrement consacré aux récits et à la littérature orale et écrite des Kanak eux-mêmes et il faut saluer à ce propos le courage éditorial des éditions Anacharsis.

Ce corpus a commencéà se constituer dès le lendemain des événements et s’est enrichi au fil des décennies suivantes : « Il est […] piquant de voir qu’au moment où, dans les années 1930-1950, l’ethnologie faisait des Kanak des parangons de primitivité, des lettrés kanak étaient depuis plusieurs décennies déjà engagés dans la production de textes écrits à travers lesquels ils pensaient, souvent bien mieux que les savants observateurs de leur monde, les aléas de la modernité océanienne » (p. 26). Ainsi se livre renferme-t-il la mémoire de la guerre de 1917, telle que les vaincus l’ont eux-mêmes conservée et tels qu’ils ont su l’exploiter et la mettre en forme dans leurs langues propres, pour continuer à exister. Soit dans les propres mots des auteurs : « Pour ne pas disparaître en tant que peuple singulier et légitime, les Kanak ont déployé la formalisation du souvenir par des œuvres restées longtemps enfouies dans l’oralité vernaculaire ou dans des cahiers rangés dans des caisses au fond des cases. Le présent ouvrage porte au jour, par la volonté même de narrateurs, poètes et autres penseurs kanak, ce roc littéraire et politique où s’appuyer pour rebâtir le monde à partir de soi » (p. 28).

La richesse de cette documentation, présentée dans les langues des locuteurs et auteurs, traduite, analysée et systématiquement commentée, est très impressionnante : de longs récits en prose, très élaborés, dépositaires d’une mémoire locale, celle des familles et des clans pour qui, quel qu’ait été leur engagement dans les événements (rebelles ou loyalistes), la plaie de 1917 ne s’est toujours pas refermée. Il s’agit aussi de textes poétiques octosyllabiques, appelés ténô, parfois de plusieurs centaines de vers : « dit à grande vitesse, le ténô dégage un effet de litanie et de souffle qui, au-delà du sens littéral, porte une exaltation épique proche du chant » (p. 615). Le ténô« recours à un vocabulaire plus choisi que celui de la langue ordinaire » et n’est souvent pas aiséà déchiffrer : « seules les personnes les plus érudites sauront saisir toute la subtilité des allusions » (p. 551). D’où, d’ailleurs, la nécessité du gros appareil de commentaire, d’autant plus que, quel que soit le registre de langue, « les voies argumentatives retenues par les Kanak, quand ils se parlent entre eux dans leur langue et sans chercher à adapter leurs façons de faire à celles des Blancs, s’avèrent si singulières que seule l’ethnographie couplée à la linguistique peut parvenir à les décoder entièrement » (p. 209).

 

« Pourquoi sommes-nous dans cet état ? »

géré nä i paö/ nä i oro i wëtëpwe/ nä i wârâ-bùrù/ oro i wârâ-popai : « et cela passe dans le fer [téléphone]/ dans le sanglot des lianes [câbles]/ dans les pleurs de l’appareil/ sanglots de l’abri des paroles » (p. 578), dit par exemple le long ténô en paicî– 580 vers – qui commence par la question : « Pourquoi sommes-nous dans cet état ? » (composé par Cau Pwënyî Mêrêatü et dit par Dui Michel Mêrêatü). cinä po pi-kîrî-tôô/ kîrî po pi duu-tôô« mais pourquoi suis-je aussi triste ?/ la mélancolie m’assombrit » (p. 611) Vers que le commentaire rapproche à juste titre des accents de La Lorelei de Heinrich Heine : « je ne sais pas ce que cela peut bien vouloir dire / que je sois aussi triste » (p. 612).

Le ténô sans doute le plus impressionnant par sa qualité littéraire – « Commence la fraîcheur par ici »– fut composé au lendemain de la guerre, entre 1918 et 1919 ; il critique les rebelles et prend parti pour le grand chef Bwëé Apwá qui organisa la répression contre les chefs de clans révoltés (p. 630). Long de pas moins de 697 vers, il fut composé en paicîégalement, par un poète mort en 1925, Doui Bwékua Pooma, qui fut aussi guérisseur et voyant. J’en donne ici les cinq premiers vers et les trois derniers :

jè tapoo awé wâ nî/ â curu dë-téri curu/ â ta-gù pa-é wërë nêê/ â pwùtùê töri pwicîrî/ â cämî tägo a-i-paa : « commence la fraîcheur par ici/ et s’enfuit l’ombre en s’étirant/ dispersées racines et nuages/ nettoyées les saletés sacrées/ et mise en terre l’herbe de guerre »

â au wârîco bba nê/ au baa bwia näpo/ näbwé : « oh que de regrets c’est la nuit/ Oh comme le pays est troublé/ Terminé » 667

 

Les fruits de la clandestinité

Il convient de méditer cette évidence : ce travail de mémoire, de réflexion historique et politique et de création poétique, put être accompli par les Kanak du fait même que les Blancs méprisaient absolument leurs langues et donc se désintéressaient de ce qu’elles pouvaient dire et transmettre : « Le déni de parole pendant la période de soixante années où le code de l’Indigénat les ensevelit contraignit les Kanak à développer une mémoire cachée où retenir des pans entiers de leur histoire. Les langues vernaculaires incomprises des Blancs, la relégation dans les Réserves et le désintérêt profond des coloniaux pour l’existence indigène ont facilité ce travail clandestin dont les fruits ne purent être montrés et valorisés que bien des décennies plus tard » (p. 685-686). Le statut en effet de ce corpus composé dans l’ombre et l’indifférence ne put changer qu’avec l’irruption sur la scène politique de l’indépendantisme : « Mais cet ensemble, comme un paquebot continue à fendre l’eau sur sa lancée même quand ses moteurs s’arrêtent, n’a pas franchi la barre des événements politiques des années 1980 sans changer de statut. Tandis que son élan initial provenait d’une nécessité de survie sociale et idéologique, dans un contexte de mépris généralisé en attendant des jours meilleurs, la prise ne main volontariste et efficace du destin de l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie, officiellement à partir du 18 novembre 1984 [« boycott actif » des élections territoriales], changea les perspectives » (p. 696). D’actes de survie, ce corpus est devenu, les « témoins et les preuves » d’une « identité kanak », d’une réappropriation historique et d’un avenir politique en construction.

 

Paicî, cèmuhî, fwâi

Les langues de Nouvelles-Calédonie mobilisées dans le livre sont celles parlées sur les lieux du conflit, dans le centre nord de la Grande-Île[1] : le paicî surtout (toutes les citations supra sont en cette langue), mais aussi le cèmuhî et le fwâi. On trouvera une présentation de ces langues et des vingt-cinq autres que compte la Nouvelle-Calédonie (en tout 70 000 locuteurs sont déclarés, ISEE 2009) sur le site de l’Académie des langues kanak et sur celui du Corpus de la parole. On pourra entendre en particulier le paicî dans le CD associé au livre et sur le site de la même académie (corpus de textes lus) et on trouvera un très bel exemple de récit, avec transcription, mot à mot et traduction sur le site exceptionnel du Lacito (collection Pangloss). Dans l’ouvrage, les textes sont donnés dans la graphie standard du paîciétablie par Jean-Claude Rivière en 1983. L’ouvrage contribue ainsi, très consciemment, à la constitution d’un patrimoine littéraire kanak, mobilisable pour l’enseignement et dans la lutte pour la décolonisation. Depuis l’accord de Nouméa les langues kanak sont en effet enseignées, fût-ce encore de manière trop timorée[2].

            Kacué Yvon Goromoedo, coauteur du livre, est né en Nouvelle-Calédonie en 1953. Il est spécialiste de la langue paicî, qu’il enseigne à Koné, l’un des hauts-lieux des événements de 1917. Dans un entretien qui figure sur le CD accompagnant le livre, il se remémore son passage par l’école formant les futurs prêtres, durant 6 ans, où la langue était rigoureusement interdite sous peine du fouet. A ce régime, il désapprit à parler paicî, et ses camarades restés au village se moquaient de lui ; il raconte qu’il s’employa alors à réapprendre la langue pendant les grandes vacances en écoutant les vieux. Cette histoire est une variante d’un récit que nous ne connaissons que trop bien.

 

Un événement éditorial

Alban Bensa, au début de l’ouvrage, souligne l’événement constitué par la « publication de récits en langues vernaculaires kanak par un éditeur généraliste français » (p. 35) ; n’accèdent à cette dignité, remarque-t-il, que les langues mortes de référence et les langues nationales les plus parlées : les autres (langues, africaines, amérindiennes, etc. ou régionales », sont publiées par des éditions spécialisées pour un public de chercheurs ou de militants. Cela est en effet largement le cas en France, bien qu’il ne manque pas d’exemple de textes bilingues (car il s’agit bien de cela ici) parus chez des éditeurs généralistes (Istòria de Joan-l’an-pres au Seuil, etc.). Cette vocation en tout cas d’Anacharsis, sise à Toulouse, est nouvelle et je ne doute pas que l’éditeur la mettra bien vite en pratique pour les textes du patrimoine occitan qui méritent la plus large diffusion. Si vous avez saisi dans mes propos une pointe d’ironie, c’est en effet qu’elle s’y trouve.

Rien n’est plus difficile que de bousculer la tonne de préjugés et les lieux communs entourant les langues minorées de la métropole et les spécificités linguistiques « provinciales », fût-ce le seul accent dans l’emploi du français. Bensa lui-même, n’y échappe pas lorsqu’il évoque ceux qui, en Nouvelle-Calédonie, « ont initié aux savoirs locaux le jeune pasteur [le future ethnologue Marcel Leenhardt] à l’accent rocailleux de Montauban » (p. 574). Je n’ai pu m’empêcher de me dire que jamais on aurait l’idée, dans un ouvrage d’anthropologie, de reprendre le même énoncé en évoquant « l’accent pointu d’Alban Bensa » ou de je ne sais qui. Un détail, une broutille, sans doute, que l’on jugera sans doute bien mesquine, mais il faut aussi faire comprendre d’où vient notre propre intérêt et notre propre sentiment de fraternité (si je peux me permettre cette parole collective) pour le peuple kanak, sans pour autant glisser dans l’illusoire identification que certains militants nourrissent pour les peuples autochtones de par le monde.

Jean-Pierre Cavaillé



[1]  « … chacun des épisodes du conflit reste le plus souvent inscrit dans la mémoire des seules personnes demeurées jusqu’à aujourd’hui sur les lieux où tel ou tel événement se déroula autrefois. En outre, hommes et femmes se trouvent liés aux acteurs de l’époque par des chemins de parenté et des statuts hiérarchiques divers selon leurs appartenances à telle ou telle chefferie, tel clan et lignage », p. 215.

[2] Voir Jacques Vernaudon, « L’enseignement des langues kanak en Nouvelle-Calédonie », Hermès, 2013, n° 65 et son ouvrage coécrit avec Véronique Fillol Vers une école plurilingue dans les collectivités françaises d’Océanie et de Guyane, L’Harmattan, 2009.

« On est en France, on parle français »

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Ressenti et ressentiment du monolingue

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire ici, je fréquente des familles manouches et j’y apprends, entre autres choses, leur langue : le sinti (qu’ils appellent manouche, voir ici Rencontre avec une langue invisible : le manouche). Cette langue, j’ai déjà dit combien je la trouve extraordinaire et émouvante, qui invite le philologue amateur à faire tout le chemin à rebour jusqu’en Inde, ne fût-ce qu’à travers le lexique. Mais elle permet d’abord de faire l’expérience, juste par la parole, de l’identité manouche, qui se nourrit à tous les niveaux de la vie, et donc aussi de la langue, de l’écart que les tsiganes (j’utilise à dessein le terme le plus générique) arrivent à créer encore et toujours entre eux et les gadjé. Il s’agit d’une expérience bien sûr par procuration (gadjo je suis, et je reste, et tel n’est certes pas mon souci), mais une sacrée expérience, je vous assure.

Sur les terrains et les « places désignées », il passe peu de gadjé… Comment du reste cela serait-il possible, s’agissant de lieux fermés (hé oui, avec portails, ouverts, certes, mais  portails quand même et clôtures en bétons ou en grillage) et relégués ? Lorsqu’ils daignent en construire, comme la loi les y oblige pourtant, les élus repoussent les aires d’« accueil » (on appréciera l’ironie du vocabulaire officiel) aux limites extrêmes des communes. Les gadjé qui entrent en contact avec les manouches, sur leurs lieux de vie sont donc rares, et en général, ils y ont des tâchent précises à accomplir : médicales, sociales, éducatives, spirituelles… Parmi, ceux que j’y ai rencontrés, en Limousin[1], il ne m’est pas encore arrivé d’en trouver un seul – en dehors de quelques un(e)s  de ceux ou celles qui ont épousé des manouches et vivent la vie des manouches –, qui ait fait l’effort d’apprendre leur langue. Elle n’est pourtant pas d’une grande difficulté, surtout lorsqu’on connaît un peu d’allemand (une partie considérable du lexique provient en effet de l’alsacien et des autres dialectes germaniques). La plupart prétextent le manque de temps ou le défaut de « don » pour les langues. L’autre jour, je m’en suis ouvert à une assistante sociale, devant mes amis auxquels elle « remplissait des papiers ».

Elle se sentit – à juste titre – mise en cause et me répondit assez sèchement qu’elle considérait que « chacun avait sa culture » et compara le manouche au « patois » que parlait son grand-père, qu’elle comprend mais ne parle pas, car – me dit-elle – de toute façon, « il s’est perdu ». Sur ce, elle fit semblant de reconnaître aux Manouches le mérite d’avoir su, eux au moins,  « conserver leurs traditions » et leur langue (sachant qu’une bonne partie de son travail consiste, de fait,  à travailler à les leur faire perdre, si l’on observe les choses vraiment avec objectivité. Je dis cela sans aucun victimisme car, pour le coup, les Manouches ne manquent pas de moyens de résistance). Passons. Mais, de mauvaise humeur, j’insistais, lui demandant comment on pouvait ainsi pendant des années fréquenter une communauté, partager avec elle un peu au moins de sa vie (« j’ai même mangé du hérisson… une fois », dit-elle fièrement !), et ne pas chercher à comprendre et parler sa langue. Sa réponse fut cinglante, arc-boutée sur une indéfectible certitude : « on est en France, ils sont Français, je leur parle français ! ». Mes amis n'ont pas relevé, ils se sont contentés de sourire ; ils sont habitués à ne pas broncher dans ces situations, à faire bon visage, quoi qu’il en soit, du moins tant qu’ils ne se sentent pas insultés, et là ils ne l’étaient nullement, car en effet ils entendent, et à juste titre, être reconnus comme Français.

Cette réponse m’a rappelé ce très jeune agriculteur dans une ferme limousine, à quelques dizaines de kilomètres de là qui, dans un film documentaire que nous avions consacréà la présence de la langue dans sa famille, mais aussi à la fin de la transmission familiale, nous avait expliqué qu’en effet, ni ses parents, ni ses grands-parents ne lui avaient appris l’occitan limousin et que, de toute façon, « on est en France, on parle français ». C’est aussi la réponse, exactement la même, que me font les Manouches assez nombreux – et de toutes les générations – qui ne parlent plus la langue (car il n’y a pas d’homogénéité générationnelle à ce sujet chez eux : il est des familles où l’on parle et d’autres où l’on ne parle plus), une réponse en partie de dépit, mais toute prête : « on est Français, on parle français… ». Certains ajoutent même que le français est « la plus belle langue du monde » et que le manouche n’est qu’un « patois » d’ignorants. Ils disent cela en « français voyageur », une variété qui est très loin du français standard. C'est-à-dire que, invariablement, les gens qui les entendent parler (travailleurs sociaux en tête) disent qu'ils parlent "mal" le français. Par contre ceux qui connaissent et pratiquent le manouche couramment ou épisodiquement, en général, sont très fiers de le connaître, même si bien souvent, eux aussi disent que c’est un « patois » comme le leur a expliqué un jour tel ou tel « rachaï »à tel pèleriange.

Ainsi l’idéologie – le vocabulaire et la phraséologie qui va avec – de la langue unique est-elle profondément installée dans le paysage et dans les têtes, au sens où elle est toujours disponible pour justifier le fait de ne pas connaître – ou de ne pas transmettre – des langues pourtant « françaises de France ». Mais justement, l’idée qu’une langue de France puisse ne pas être étrangère est exclue par ce cadre idéologique, il faut le reconnaître, hyper dominant. Et voilà, la petite phrase est là, toute prête pour faire face à maintes situations, mais toujours pour justifier la même chose ; l’ignorance de toute autre langue que le français… Jetez un coup d’œil sur le web, vous la trouverez abondamment mobilisée par les pires sites d’extrême droite ou assimilés (De Souche, Riposte laïque, Résistance républicaine, etc. je ne mets pas les liens, demandez à Google ou au vieux Yahoo, il se feront un plaisir…) –  mais pas seulement ! – contre l’anglais, contre l’arabe, contre les langues régionales évidemment aussi. Elle concentre en elle toute la bêtise, toute l’ignorance, toute la veulerie du nationalisme franchouillard, qu’il soit républicain, monarchiste ou ex-trotskyste… Peut-être, sans doute, ne l’a-t-on jamais autant entendue qu’aujourd’hui. Evidemment elle n’augure rien de bon, ni pour les Manouches, ni pour les migrants, ni pour nous.

Je voudrais conclure, sur une autre observation qui rejoint ce qui précède. Il faut bien l’avouer et se l’avouer, nous, les bilingues ou plurilingues, nourrissons un sentiment de supériorité culturelle vis-à-vis des monolingues qui pourtant, n’ont en général, pas choisi de l’être ! Le travail de la distinction, au sens de Bourdieu, est ici évident. Ce sentiment de supériorité est conditionné par la conviction que ce que l’on parle par ailleurs est une vraie langue et non un « patois » qui nous embrouille chaque fois que l’on veut « bien parler » français. Pourtant certains locuteurs parviennent à acquérir une forte conscience linguistique positive, tout en admettant, parce que tel est leur horizon lexical,  puisque personne n’utilise autour d’eux un autre vocabulaire, que c’est bien de « patois », limousin ou manouche, qu’il s’agit. Et cela d’ailleurs me rend admiratif, que l’on puisse ainsi être fier, donner une valeur, à ce qui est dévalorisé au dernier degré par le modèle culturel et politique dominant.

Par contre les monolingues, lorsqu’ils recourent à la phrase fatidique, expriment en retour de la jalousie et du ressentiment ; le ressentiment de ne parler qu’une seule langue, fut-elle la « plus belle du monde »(parce que cela ils en sont convaincus et il s’agit d’un pur article de foi, vu qu’ils n’ont aucun moyen de comparaison !). Or il me semble que ce ressentiment n’est pas pour rien dans les obstacles créés à tous les niveaux pour empêcher l’enseignement, la diffusion et la reconnaissance du plurilinguisme en France. Partout, dans les écoles, les syndicats, les administrations, à tous les niveaux, y  compris les plus hauts (car la France a une élite encore aujourd’hui très largement monolingue), dans chaque rouage du système, le ressentiment du pauvre monolingue est à l’œuvre pour faire obstacle à l’enseignement, à la diffusion et la promotion des langues. C’est en fait cela, ce ressentiment, qui se traduit par ce que Blanchet nomme la glottophobie (pour ma part, on m’excusera, mais j’ai la phobie des concepts phobiques).

C’est pourquoi, je suis de ceux qui pensent que la diffusion de l’anglais aujourd’hui ne peut qu’être bénéfique, car le bilingue franco-anglais, on le constate tous les jours, n’a aucun mal, c’est-à-dire n’a aucune barrière mentale l’empêchant de se mettre à une troisième langue. Et, devant l’altérité linguistique, il n’a aucune raison d’être dans le ressentiment, mais tout au plus dans la condescendance : ne parle-t-il pas, à la fois, la plus langue belle du monde et la langue plus puissante du monde ? Et qui peut le plus, peut le moins, n’est-ce pas ?

Jean-Pierre Cavaillé

 



[1] A vrai dire, à ce jour, les deux seules personnes que j’ai rencontrées qui connaissent le manouche sont Joseph Valet et Louis Gouyon de Matignon qui ont publié des ouvrages sur le sinti. Il y en évidemment bien d’autres, mais ils sont assez rares.

Voir ici Louis Gouyon de Matignon et la langue des Manouches

Occitanie : du projet occitan à la nouvelle "grande région"

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L'appropriation d'un nom

Du nom de la nouvelle grande région, ex Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, je ne m’en suis pas mêlé (voir cependant ici, ma publication du texte de Sèrgi Granièr). Je refusais de disserter et de disputer moi aussi sur les noms de ces régions qui venaient d’être créées de manière absolument antidémocratique, sans aucune consultation citoyenne, sans aucun débat. Et j’ai bien dû constater que cela, en France, ne gênait personne ou presque, pas même, au moins dans les zones occitanes, les militants dits « régionalistes », tellement on a ici intégré que seul le pouvoir central d’État est légitime en matière de découpage et de gestion du territoire. Et l’on voudrait, en acceptant cela, en estimant de fait que cela est acceptable, obtenir la moindre reconnaissance effective d’une quelconque différence en matière de culture et de langue ? Dans ces conditions de mépris des règles démocratiques élémentaires, je trouvais pour ma part qu’une consultation sur le nom (dont on s’est du reste fort bien passé en d’autres régions, là aussi sans esclandre) était une humiliation supplémentaire. Là encore, il me faut bien constater un décalage complet par rapport à la grande majorité de mes concitoyens qui, d’ailleurs, s’en contrefoutent totalement, polarisés qu'ils sont par les grandes manoeuvres nationales, lorsqu'il leur reste encore un semblant d'intérêt pour les pantomines politiciennes. A preuve, d’ailleurs, leur peu d’engouement pour ladite consultation : 203 993 votants pour 4 121 310 inscrits sur les listes électorales, ce n’est quand même pas une mobilisation massive !

C’est Occitanie, donc, qui a été choisi par les votants, contre les préférences des partis et des élites régionales (Pyrénées-Méditerranée ou Languedoc-Pyrénées leur plaisait mieux). Ce n'est pas en effet sans grincements de dents que l'assemblée plénière des représentants de la nouvelle région entérinèrent le vote populaire (87 voix pour, 60 contre). Au lendemain de l'élection, la Dépêche tentait encore un sondage pour montrer l'insatisfaction engendrée par ce nom dans la population,  67 % se dirent pourtant "satisfaits" ! Car cela, il faut quand même le dire. Lorsque ce nom fut proposé et s’est imposé, ce fut un déchaînement de mépris : le « loby » des occitanistes avait encore frappé, il était parvenu à imposer un nom ringard et stupide, chacun sachant que l’Occitanie n’existe pas ! Tout cela je l’ai entendu de mes oreilles à Toulouse, en particulier à l’université où je travaille (les discours des profs y sont, en général, les plus parfaits reflets de l’idéologie étriquée de la meilleure bourgeoisie mondine) et n’avait rien à voir, ou si peu, avec toutes les bonnes raisons qui ont poussé grande part des occitanistes – et moi le premier – à critiquer ce choix. Par contre, ceux que j’ai rencontré et qui ont envoyé leur courrier ou se sont prononcés en ligne pour Occitanie, qui n’étaient pas des occitanistes, étaient le plus souvent membres de classes plus populaires (il faudrait en faire la sociologie précise : employés, petits fonctionnaires...) que les contempteurs du nom.

Ce choix, ils l’ont fait, si je puis dire, en toute bonne foi, et j’ajoute même par désir d’affirmer une identité en relation avec la langue – hé oui – qu’ils appellent désormais occitan, mais qu’ils identifient spontanément, pour la plupart, peu ou prou au languedocien. La présence de zones dialectales gasconnes ne semble pas avoir fait problème, ni question ; quant à la présence des Catalans, elle leur paraît tellement marginale sur la carte, qu’ils n’en ont tout simplement pas tenu compte ! Devant mes objections de bon petit soldat occitaniste (l’Occitanie est tellement plus large ! Quel déni d’existence pour tous les autres qui peuvent se dire Occitans ! etc.), un argument m’a saisi : jamais, me dit-on, les habitants des autres régions occitanes, si on les avait consulté, n’auraient choisi un tel nom. Or cela est sans doute vrai, et signifie que les gens (disons beaucoup de gens, en dehors des occitanistes proprement dits, il faudrait enquêter, mais je ne crois pas pour autant que ces gens, même dans la nouvelle région, soient majoritaires) ne se considèrent comme occitans… que dans la vieille province du Languedoc. En fait, le toponyme d’Occitanie, dans leur esprit, ne signifie guère plus que Languedoc ! De sorte que le choix d’Occitanie, ironiquement, récompense l’obstination des occitanistes languedociens à rappeler l’importance déterminante, contre l’idéologie du tout-français, de la langue d’oc pour l’identité culturelle de leur région mais, du même coup, il anéantit tous les efforts des mêmes pour faire passer l’idée que l’Occitanie est partout où la langue est (était !) parlée. Cette ouverture, qui avait permis à des acteurs et des locuteurs de tout l’espace d’oc de partager leurs spécificités linguistiques et culturelles, de revendiquer ensemble la reconnaissance de celles-ci et d’imaginer un avenir commun, est aujourd’hui, par l’élection de ce toponyme régional, remise radicalement en question. Il est sûr en tout cas que les militants qui ont joué la carte d’Occitanie pour la nouvelle région, arguant que c’était là une première étape vers une Occitanie réunifiée, ont contribué activement au démembrement de l’espace occitan et au sabordage du projet occitaniste. En posant le nom sur ce territoire restreint, on ne peut pas ne pas laisser prise, désormais, à l’opposition entre un usage légitime et un usage illégitime du mot Occitanie, entre de vrais et de faux Occitans, entre une langue vraiment occitane et des dialectes pseudo-occitans. Certes, on pourra, comme l’a fait wikipedia, distinguer l’Occitanie comme « région administrative » et l’Occitanie comme « région historique », il faudra trouver les mots, les arguments pour continuer à faire vivre l’idée d’une langue commune et diverse dans un espace englobant et non pas excédant la nouvelle grande région. Les noms eux-mêmes, toponymes et glossonymes, ne cessent bien sûr de changer de sens, et sont eux-mêmes appelés à tomber en désuétude, mais ils ne sont pas, comme on pourrait après tout le penser, de pures illusions verbales, car ils informent profondément les réalités humaines qu’ils désignent. Nous ne pouvons encore mesurer toutes les conséquences de cette appropriation du toponyme Occitanie par ceux que l’on appelait hier encore Languedociens, mais elles seront considérables et il faudra du temps, sans doute beaucoup de temps, pour clarifier les équivoques qu’elle ne peut pas ne pas créer dans l’usage des termes « Occitan », « Occitanie » et « langue occitane ».

Jean-Pierre Cavaillé

Quora l'escrich nos fa calar

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L’Occitan vengut tròp precios per èsser parlat ?

 

Voldriái vos far partejar una pichona reflexion sus la granda dificultat de parlar occitan, o d’autras lengas minoradas, en public, amai quora aqueste public la pòt comprene, almens d’un biais aproximatiu. Aquò per ièu es un problema de legitimitat de l’usatge de la lenga dins l’expression orala la mai normala, disèm lo de la convèrsa, alara que l’usatge nòble, elevat de l’escrich e en particulièr de la literatura, e tanben de son oralizacion dins la lectura, demora legitime, quora lo simple parlat l’es pas mai. Es aital, per exemple, qu’ai pogut notar que la lenga parlada es sovent fòrça redusida dins las sesilhas de dictada occitana a las qualas ai pogut assistir. Es un pauc coma lo latin dins la messa d’un còp èra : es mai que mai una lenga sacralizada, aquí dins l’exercici de la sacro-santa dictada (lo ritual màger de l’escòla laica e apostolica francesa passat a l’occitan per tropisme franchimand, n’ai déjà parlat aquí), mas pas parlada : la presica (la presentacion de l’eveniment, escasença generalament de parlar de la dignitat de la lenga contra lo mesprètz que n’es fach) se fa en vulgar, aquí, comprenètz, en franchimand. Es una inversion espectaculara mas fòrça domajabla : lo patoès ven lenga sacrada, ven de latin : e lo francés bon… solament per parlar !

Vos vòli balhar un autre exemple. Ai assistit, la setmana passada, lo 28 d’octobre, a un polit eveniment, malurosament tròp rare, a la mediatèca (BFM) de Lemòtges. A l’iniciativa de Tiston Crestian e de Jan dau Melhau, èran convidats quatre autors qu’escrivan en occitan lemosin - Monica Sarrasin, Joan Pèire Lacomba, Jan Ganhaire, lo quite Melhau (e soi fièr de dire qu’ai fach aquí de comptes renduts de tres dels quatre[1]) - e un universitari, que trabalha dempuèi fòrça longtemps sus la literatura lemosina : Christian Bonnet. Melhau faguèt una presentacion de l’istòria de la literatura d’expression occitana en Lemosin dempuèi los trobadors dusca al jorn d’uèi, presentèt los convidats, e cadun dels quatre escrivaires legiguèt una pagina o doas de sa pluma. Enfin i ajèt una discussion entre elis plan interessanta, menada per l’amic Tiston, sus lor decision d’escriure e publicar en occitan, sus la causida tanben de zo far en grafia classica o normalizada, e tanben, sul desequilibre vengut tragic entre l’escrich encara viu e l’oral a man de se morir… Tot aquòèra fòrça interessant, mas se faguèt plan segur, levat las lecturas, tot en francés… A la debuta Ganhaire engranèt la convèrsa en oc, mas Melhau li demandèt en francés de passar al francés. E lo compreni plan, auriái ièu tanben, çò me pensi, fach coma el : cal pas far paur al monde que venon per s’assabentar e que benlèu comprenon pas, o pas tròp la lenga, cal èsser pedagòg, balhar l’enveja d’aprene, de legir… e de parlar !

Mas es plan aquí lo paradoxe. Los tèxtes legits èran de tèxtes de literatura, pas totjorn doncas tant aisits de segre a la primièra audicion e foguèron pas revirats : èra pas necessari, una corta presentacion sufisiá, e lo monde, a lors reaccions, semblavan comprene. Se comprenian aquò, clarament aurián compres tot lo demai ! Benlèu qu’aqueste cinquantenat de personas aurián aimat melhor ausir los autors platussar en occitan ? La convèrsa es totjorn mai de bon comprene que non pas la lectura, en mai d’aquò d’òbras de literatura pas totjorn simplas… Pr’aquòèra estranh d’ausir aquesta literatura tant estacada a l’oralitat, coma la de Sarrasin, de Ganhaire e d’alhors dels dos autres tanben (totis diguèron puèi lor estacament a la lenga parlada, ausida a la bòria o dins lo borg), balhada dins un environament parlat, un banh d’oralitat exclusivament francés ! Coma se foguèsse solament permés de balhar lo rebat escrich, e enauçat per l’escrich, de l’oralitat perduda, coma se la lenga foguèsse venguda un tresaur a serbar, protegir e ònorar dins son escrinh d’escritura, una moneda tròp preciosa per èsser degalhada dins la convèrsa, ont cadun parla sens tròp i soscar ! O alara al contrari ont cadun dèu tròp soscar per parlar una lenga castigada, blosa, digna de l’escrich... Es aital que sèm a far de l’occitan un mena de latin, un latin dels paubres, un latin de pacans, un latin de gusalha, pr’aquò un latin, una lenga sacralizada, e coma tota causa sacrada, sacrificada.

 

Joan Pèire Cavalièr

 


[1] Vesètz aquí lo compte rendu de Ma Lenga de Jan dau Melhau per Batista Crestian, e mas recensions de Mas Vielhas, de Melhau, de La Lison dau Peirat e de La Setmana de la Lison, de Sarrasin e Los Braves jorns de Perdilhòtade Joan Ganhaire.

Nom de region

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zodiaque place du capitole vu de haut

 

Vaquí la version occitana, que se trapa tanben sul site del Jornalet, de l’articleOccitanie : du projet occitan à la nouvelle "grande région" paregut aquí lo 24 d’octobre.

 

Occitània existís enfin o acaba de desaparéisser?

 

Del nom de la novèla granda region, ex Midi-Pirenèas e Lengadòc-Rosselhon, me’n soi pas mesclat (de veser pr’aquò aquí ma publicacion del tèxte de Sèrgi Granièr). Voliái pas cap dissertar e discutir ieu tanben suls noms de regions que venián de se crear d’un biais completament antidemocratic, sens cap de consulta ciutadana e sens cap de debat. E me calguèt constatar qu’aquò, en França (qual autre país europenc auriá acceptat quicòm d’aital ?) desrengava pas digun o quasi, quitament pas, almens dins las regions occitanas, los militants çò ditz « regionalistas », tant avèm integrat que i a pas que lo poder d’Estat central a èsser legitime pel decopatge e la gestion del territòri. E, amb aquò, n’i a que volrián, un còp acceptat aquò, beneficiar de la mendre reconeissença d’una diferéncia que que siá en matièra de cultura e de lenga ? Dins aquestas condicions de mesprètz de las règlas democraticas elementàrias, per çò qu’es de ieu, trobavi qu’una consulta (que d’autras regions se’n passèron plan) sul nom èra una umiliacion suplementària, mas encara aquí en complet decalatge rapòrt a l’immensa majoritat de mos conciutadans que, de tot biais, s’en contrafoton. La pròva n’es, lo pauc d’entosiasme per aquela consulta populara : 203 993 votaires sus 4 121 310 electors potencials, se pòt pas dire que siá una tant granda capitada qu’aquò.

Es Occitània doncas qu’es estada causida pels electors contra las preferéncias dels partits e dels eleits regionals. Perque, cal zo dire que plaga o pas : quora aqueste nom foguèt prepausat e s’es impausat foguèt un descadenament de mespretz : lo « loby » dels occitanistas s’èra un còp de mai illustrat e aviá capitat a impausar un nom « ringard » e pec, vist que cadun sap plan qu’Occitània existís pas. Tot aquò l’ai ausit, ieu, a Tolosa, en particulièr a l’universitat ont trabalhi (los discors dels ensenhaires i son, en general, los mai perfièchs rebats de l’ideologia estequida de la melhora borgesia mondina) e aquò aviá pas res a veire (o gaire) amb totas las bonas rasons qu’an portat una granda part dels occitanistas – e ieu lo primièr – a criticar aquesta causida. Per contra, los qu’ai encontrat e qu’an mandat un corrièr o se son marcats en linha per Occitània, e que son pas d’occitanistas, èran lo mai sovent de membres de classas mai popularas (caldriá en far seriosament la sociologia) que los enemics d’aqueste nom. Çò que soi per dire es una extrapolacion de qualques cases e se meritariá un estudi que malurosament digun farà pas : aquesta causida, l’an facha, se pòdi dire, en tota bona fe, a mai apondi per volontat d’afermar una identitat en relacion amb la lenga – e òc! – que dison finalament a l’ora d’ara « occitan », mas lo mai sovent en l’identificant d’un biais espontanèu al lengadocian. La preséncia de zònas dialectalas gasconas dins aquesta region novèla sembla pas aver fach per elis cap de problema, ni mai de question. E per çò qu’es de la dels Catalans, lor semblèt talament marginala sus la carta, que n’an simplament pas tengut compte ! Dabans mas objeccions de bon pichon soldat occitanista (Occitània es talament mai larga ! Negatz l’existéncia de totis los autres que se pòdon dire, tant plan coma vosautres, occitans ! Sabètz çò que dison d’aquò los Lemosins, amai los autres? etc.), un argument m’a trucat : jamai, çò me diguèron, los estajants de las autras regions occitanas, foguèsson consultats, aurián pas causit aqueste nom. E aquò es vertat, probablament, e vòl dire que lo monde se veson pas occitans… en defòra de la vielha província de Lengadòc! (quora disi lo monde, vòli dire un fum de monde en defòra dels occitanistas patentats, mas probablament pas per aquò la majoritat : sus aqueste punt tanben, caldriá far una enquèsta). Es aital que la causida d’Occitània, ironicament, recompensa l’obstinacion dels occitanistas lengadocians a rampelar l’importància determinanta, contra l’ideologia del tot francés, de la lenga d’òc per l’identitat culturala de lor region, mas, del mème còp, aniquila totis lors esfòrces per far passar l’idèia que l’Occitània es pertot ont la lenga es (èra !) parlada. Aquesta dubertura, qu’aviá permes a d’actors e de locutors de tot l’espaci d’òc de partejar lors especificitats lingüisticas e culturalas, de reivendicar amassa lor reconeissença e de s’imaginar un avenir commun, es uèi, per l’eleccion d’aqueste toponime regional, radicalament botat en question. De tot biais es segur que los militants (vist que n’i ajèron !) qu’an jogat la carta d’Occitània per la novèla region, en disent qu’es una primièra estapa cap a una megà-granda region Occitània unificada, an participat activament al desmembrament de l’espaci occitan e a la destruccion del projècte occitanista. En pausant lo nom sus un territòri redusit, se pòt solament daissar presa, d’ara endavant, a l’opausicion entre un usatge legitime e un usatge illegitime del mòt Occitània, entre los vertadièrs e los fals occitans, entre una lenga vertadièrament occitana e de dialectes pseudooccitans. Plan segur, se pòt, coma l’a fach wikipedia, destriar l’Occitània region administrativa e l’Occitània « region istorica », caldrà trobar los mots, los arguments per continuar a far viure l’idèia d’una lenga comuna e diversa dins un espaci que engloba e non pas despassa la novèla granda region. Los quites noms, toponimes e glossonimes fan pas que cambiar de sens, e son destinats elis mèmes a tombar en desuetud, mas son pas, coma se podriá pensar, de simplas illusions verbalas, perque informan prigondament las realitats umanas que designan. Podèm pas encara mesurar totas las consequéncias d’aquesta apropriacion del toponime Occitània per los que s’apelavan ièr encara Lengadocians, mas saràn fòrças importantas e caldrà de temps, saique fòrça temps, per clarifiar las equivòcas que pòt pas que crear dins l’usatge dels mots “Occitans”, “Occitània” e “lenga occitana”.

 

Joan Pèire Cavalièr

 

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