Quantcast
Channel: Mescladis e còps de gula
Viewing all 152 articles
Browse latest View live

Rencontre avec une langue invisible : le manouche

$
0
0

contemanouchedessin

"Me, tur kesla kervel kokri !" : "Mais ta casserole cuit toute seule !"

Version manouche de Eulenspiegel (J. Valet, Contes manouches t. 1)

Rencontre avec une langue invisible : le manouche

 

            Des langues invisibles sont présentes sur les territoires où nous vivons. Invisibles, parce que privées de toute présence, représentation et reconnaissance publiques. Elles ne font l’objet d’aucun soutien institutionnel, d’aucun intérêt public, les médias n’en parlent jamais. Les pédagogues français, soutenus par leur autorité de tutelle, dans leur grande majorité, les ignorent ou les conçoivent comme un obstacle à l’apprentissage de la langue nationale. Cela ne devrait plus être le cas des langues dites « régionales » portées sur la place publique par des groupes de citoyens et bénéficiant de balbutiements de politique linguistique. Ce n’est pas vrai de toutes, et pour l’occitan lui-même il existe désormais de larges zones du territoire où il continue, malgré tout et tant bien que vaille, àêtre parlé sans, plus être relayé par l’école ni audible dans les médias. En Limousin le coussin de silence qui, jusqu’à ce jour du moins, entoure notre dernière tentative de nous faire entendre (credada) témoigne parfaitement de cette situation.

Mais il existe, liées aux migrations, d’autres langues invisibles, parlées dans les familles, entre amis et dans les associations communautaires. Ces langues, absentes des écoles publiques – à l’exception de très rares établissements du secondaire – s’effacent généralement au bout de deux générations. Et encore beaucoup en France (voir par exemple les réactions au récent rapport sur l’intégration) trouvent que cela ne va pas assez vite, que les familles devraient s’interdire de communiquer la langue d’origine à leurs enfants pour faciliter leur (dés)intégration dans ce modèle monolingue que le monde entier nous envie !

L’une de ces langues pourtant, malgré de nombreux aléas et difficultés, se maintient, dans, malgré et peut-être grâce à l’invisibilité la plus totale. Et pourtant chacun de nous vit, au plus loin, à quelques kilomètres de lieux où elle est parlée. Il s’agit de la langue romani ou rromani, présente dans tout l’espace européen (et bien au-delà) sous diverses formes dialectales parfois tellement différenciées les unes des autres que l’intercompréhension est très limitée (voir la présentation synthétique en ligne de Yaron Matras, « Romani dialects a brief overview »). L’une des variétés les plus durablement implantées en France est le sinto ou mānuš parlé par les populations qui se nomment eux-mêmes Manouches (ou Gadǯkene mānuš = gadjkéné maanouch), issues des pays germaniques (où elles sont nommées plutôt Sinte) mais en particulier d’Alsace, vers la fin du XIXe siècle (une migration sans doute liée à la guerre de 1870). Leurs noms mêmes ont souvent des consonances germaniques : Wintersheim, Winterstein, Weiss, Ziegler, Reinhard (francisé en Renard), etc. Mais des familles de « bohémiens » déjà présentes dans nos régions (n’oublions pas que les Tsiganes arrivent en France au XIVe siècle), par le jeu des alliances, parlent aussi manouche.

Avant et après la sinistre période des internements forcés (qui commencent dès 1933 et ne s’achève que bien après la guerre, en 1946), ils se déplaçaient surtout dans les zones rurales et forestières, faisant preuve d’une connaissance tout à fait exceptionnelle des milieux sauvages et de leurs ressources (une connaissance, en matière de pêche et de petit braconnage souvent supérieure à celle des agriculteurs sédentaires, comme ces derniers le reconnaissent de manière unanime). Ils étaient vanniers, marchands de chevaux, petits artisans ; les femmes « chinaient » de la mercerie, pratiquaient le cas échéant la mendicité. Il leur arrivait de se louer aussi à la journée dans les champs. Ils se déplaçaient en roulotte à chevaux, pour les plus fortunés, parfois avec de simples poussettes, s'abritant sous les couverts et les granges.

La petite enquête que je conduis actuellement en Limousin démontre une intégration, ou plutôt une insertion tout à fait exceptionnelle dans la population rurale. Contraints à la mobilité par la loi (nantis de leurs carnets anthropométriques, puis de leurs livrets de circulation qu’ils devaient faire viser sans cesse), ils accomplissaient sensiblement toujours les mêmes pérégrinations : tout le monde les connaissait (et en bien des lieux les connaît encore); ils connaissaient tout le monde. Ces relations avec les gadjé ou « paysans » (synonyme de sédentaires) à travers la constitution d’un vaste réseau de contacts, étaient et restent d’ailleurs proprement vitales pour eux. Évidemment, ils parlaient, parfois parfaitement bien, parfois avec plus de difficulté, les langues des gadjé (gaǯe) : le français et bien sûr l’occitan qui longtemps était la langue presque exclusive des campagnes. Les Manouches qui ont parcouru bla campagne limousine dans les années cinquante comprennent parfaitement l’occitan et souvent peuvent au moins rapporter des expressions et des phrases entières qu’ils ont entendu pratiquer par les « paysans ».

Par contre les gadjé, même ceux qui les ont longtemps fréquentés, et en disent d'ailleurs souvent du bien (le lieu commun est faux, selon lequel les bohémiens étaient unanimement rejetés), ne savent rien, ou très peu de choses de leur culture, pourtant très spécifique, et de leur langue ; la plupart n’imaginent d'ailleurs même pas qu’ils puissent avoir une langue propre (tout au plus un « jargon » ou un « argot ») et les perçoivent plutôt comme des étrangers, ignorant que, bien souvent, leur présence sur le sol français est plus ancienne que la leur et que leur statut de (sous)citoyen leur a « permis » de participer à tous les conflits armés de la République.

D’ailleurs, je remarque qu’aucun ouvrage d’ethnologie ou d’ethnographie occitane ne parle d’eux, sinon pour évoquer un élément du décor humain, étranger aux mœurs et à la culture locales (quelle déception, par exemple, dans un beau livre comme J’ai refermé mon couteau de Michel Chadeuil de ne rien trouver d’autre que la plaisanterie bien connue disant que les voleurs de poules, en Limousin, s’appellent Renard…). Ce n’est pas seulement que l’on ne veuille pas les voir (ce qui est certes souvent le cas) ; ils ont eux-mêmes travailléà soustraire au regard des gadjé les éléments majeurs de leur identité, ne leur laissant en pâture qu’une image extérieure, réduite à quelques traits de comportement, aisément réductibles aux lieux communs déjà solidement établis.

Les Manouches, du fait de l’accélération de l’exode rurale et des difficultés de séjour (les communes de moins de 5000 habitants n’ayant plus à prévoir, et donc à accepter de stationnement), se sont souvent rapprochés des villes, vivant en caravanes sur des aires d’accueil ou (car la location dans les aires aménagées est onéreuse) dans des terrains vagues et nombre d’entre eux se sont partiellement ou complètement sédentarisés à la campagne ou en ville. On rencontre encore beaucoup de vanniers, mais c’est souvent la collecte de ferraille qui les fait vivre ou la création de petites entreprises d’entretien des jardins ou de ravalement de façades. De nombreuses familles en outre font les saisons (vendanges, cueillettes de fruits et légumes).

C’est au contact de ces familles que j’ai découvert le manouche et la merveille que cette langue, pour moi, représente. La langue est en effet toujours présente, même si certaines famille l’ont partiellement ou totalement abandonnée et si, bien souvent (mais non toujours), la transmission ne se fait plus que de manière passive (un adolescent, qui est l’un de mes enseignants attitrés m’affirme ne jamais la parler ! Pourtant il possède une connaissance du lexique et des tournures de phrase qui n’a rien à envier à celle de certains « vrais » locuteurs). Voilà, en tout cas, une langue que l’on peut apprendre dans les échanges oraux par immersion et sans se soucier d’écriture (pour ceux que tentent un apprentissage anti-scolaire d’une langue, je la leur recommande !) : les Manouches sont de très bons pédagogues de l’oralité, et ce n’est guère étonnant, car leur culture demeure foncièrement voire presque exclusivement orale. Ils sont en tout cas très heureux que des gadjés s’intéressent à leur langue, mêmes s’ils évoquent volontiers sont caractère plus ou moins « caché », selon les tournures et le lexique employé. La plupart des rares gadjés qui parlent le manouche, disent-ils, sont des prêtres et des pasteurs pentecôtistes et ils se montrent très admiratifs par les prouesses de certains d’entre eux, capables de s’adapter à plusieurs variétés de parler (manouche, rom..). En tout cas, je suis très surpris par les propos de Marcel Courthiade, l’un des meilleurs spécialistes (et en France l’un des seuls, il enseigne à l’INALCO et à l’EPHE) du rromani, qui parle dans un article récent d’« extinction du manouche » (« Le rromani et les autres langues en usage parmi les Rroms, Manouches et Gitans », article figurant dans la somme récemment parue aux PUR de Rennes : Histoire sociales des langues de France) ; elle est sûrement, en France, une langue menacée d’extinction,  mais elle n'est nullement éteinte.

            La merveille du manouche, pour moi, c’est d’abord qu’elle concentre en elle, comme enroulé sur lui-même, l’ensemble du voyage depuis l’Inde (un peu après l’an 1000), l’Afghanistan, la longue permanence de trois siècles dans le sultanat de Roum (Anatolie), jusqu’aux Balkans, l’Allemagne, l’Alsace et la France (voir sur l’histoire des Rroms en général la remarquable mise à jour synthétique de M. Courthiade[1]). Comme les autres dialectes rromané, le manouche est en effet le condensé d’une expérience d’un millénaire de traversée des frontières et d’emprunts successifs. La langue tsigane, sous toutes ses formes dialectales, est née, comme l’écrit Patrick Williams, « de la rencontre entre un idiome venu de l’Inde et une multitude d’idiomes européen (« La langue tsigane. Le jeu « romanès » »). Ainsi trouve-t-on dans le manouche, comme dans les autres dialectes, un stock très important de racines indiennes (bal : cheveu ; kham : soleil, čavo [= tchavo] : fils…) auxquelles se sont ajoutés des mots d’origine perse (kotar : morceau…), d’autres empruntés au grec (drom : route, foro : ville…), aux langues caucasiennes, au serbe (divio : sauvage...) et enfin, ce qui fait une grande partie de la spécificité du manouche, une très importante masse de termes, verbes et tournures grammaticales germaniques. Joseph Valet montre que la présence de mots typiquement alsaciens (kešta : châtaigne ; dislo : épine…) prouve que la plupart des familles manouches qu’il côtoie en Auvergne viennent d’Alsace (ce qui n’empêche, évidemment, qu’elles ont pu transmettre, comme je l’ai remarqué, la langue à d’autres et d’abord à des familles de bohémiens déjà présentes dans la région).

            Il me faut dire un mot, pour conclure ce premier post consacréà cette langue extraordinaire à tous égards, sur Joseph Valet. Son nom figure dans tous les livres et articles d’anthropologie et de linguistiques consacrés au sujet pour une série d’ouvrages sur les Manouches d’Auvergne (d’ailleurs assez étroitement liés à ceux du Limousin) : des recueils de contes, un lexique, une grammaire… Ce sont en fait pratiquement les seuls travaux consacrés à cette variété de langue. J’ai appris qu’il était rášaj (= rachaï), prêtre, né en 1926, et qu’il a partagé longtemps la vie de ces familles, apprenant la langue, établissant des généalogies et collectant la tradition orale, lorsqu’il suivait les familles aux vendanges, dans les années 60. Comme les livres sont bien sûr utiles, surtout quand, comme moi, on ne peut en fait s’en passer, je lui ai écrit, pour qu’il me fasse parvenir ceux qui ne sont pas épuisés. Lorsque je les ai reçu, ce fut un moment d’émotion intense, s’agissant d’ouvrages entièrement et impeccablement écrits à la main, illustrés de dessins souvent réalisés par de jeunes Manouches, photocopiés et brochés pauvrement, réalisés bien sûr à compte d’auteur… J’ai pensé alors, à la lecture de ces trésors de si modeste facture – les recueils de contes suivis de traductions et d’explications méticuleuses sont des merveilles –, qu’ils expriment, plus que tout autre chose, quelle est la situation d’invisibilité et de vulnérabilité extrêmes des Manouches et de leurs langue, car faut-il qu’ils n’intéressent à ce point personne, qu’il soient à ce point méconnus et déconsidérés à la fois, pour que certains des meilleurs ouvrages les concernant soient ainsi publiés sous une forme aussi précaire ?

 

Jean-Pierre Cavaillé

contemanouche

Un petit conte manouche recueilli par Joseph Valet :

O Menšo pašlo ap o drom : L'homme couché sur la route (Contes manouches, t. 3)



[1]A noter que ce court texte, d’une objectivité scientifique irréprochable, « a été rédigé sur commande expresse du Centre culturel hongrois de Paris pour servir d’introduction à sa plaquette de présentation de l’activité“Les Roms en Europe / O Rroma and-i Evròpa” (27-28-29 mai 2011) mais il a été refusé comme trop “militant” par ce même institut. »

 


Le Mucem : Marseille sans Marseille

$
0
0

Je prends la liberté de donner ici à lire une lettre ouverte de Josiane Ubaud au Mucem de Marseille. L'auteure en effet invite ses lecteurs à diffuser largement son message, publié par ailleurs sur son site personnel (mais il faut aller le dénicher sur un document word attaché). Je partage totalement, sur le fond, l'indignation de l'auteure et ses critiques à propos de l'absence, qui ne saurait aucunement être fortuite, de la culture (matérielle et immatérielle) marseillaise dans ce musée-vitrine de Marseille, même si, pour ma part, j'aurais beaucoup plus fortement insisté sur la nécessaire articulation des formes culturelles provençales à celles des autres aires méditerranéennes.

J.-P. C.

galerie-exposition-mucem-marseille

 

Lettre ouverte au MUCEM

 

à l’attention des conservateurs

Mesdames, Messieurs,

 

Marseillaise résidant en Languedoc, mais ayant toujours mon cabanon sur la Côte Bleue, je suis donc avec régularité les expositions marseillaises depuis toujours. L’ouverture du MUCEM, dont le titre « Musée des Civilisations d’Europe et de Méditerranée », et particulièrement sa « Galerie de la Méditerranée », ne pouvait donc que m’attirer a priori. Enfin un musée contemporain qui parlerait de ma/notre civilisation méditerranéenne/occitane occupant une bonne part de l’arc méditerranéen nord et héritière directe des Grecs et des Latins. D’autant plus sûrement attirée que la profession de foi du Mucem exprime la volonté« d’appréhender les traits de personnalité singuliers des cultures nées sur le pourtour méditerranéen », laissant augurer une approche scientifique de cette diversité, « tantôt archéologique, tantôt ethnologique, tantôt artistique » (sic). On ne comprend qu’a posteriori le soin pris de dire à l’avance « sans jamais prétendre à l’exhaustivité», parade très commode pour s’éviter les critiques, au regard des « absences » plus que criantes qui sautent aux yeux des malheureux « indigènes » qui n’y ont quasiment pas droit de cité.

J’ai donc visité la fameuse galerie permanente… et en suis ressortie consternée. Car le parti pris évident d’évincer toute trace de la culture occitane, toute trace même de Marseille à Marseille (!), est la donnée constante qui ressort de cette visite. Ainsi les outils et objets en provenance des pays « d’ailleurs » ont droit en toute légitimitéà l’étiquetage scientifique « langue d’origine/traduction française ». Mais pas les rares objets provençaux tous dénommés seulement en français et qui plus est…avec des noms jamais employés localement en français ! En tant qu’ethnobotaniste de terrain, je suis bien placée pour savoir qu’AUCUN paysan n’emploie le mot de « houe », même en français. Il dit exclusivement en francitan « aissade, sape, arpe, magau, bigos, etc », en fonction de la forme, du nombre de dents (tous noms issus de l’occitan arpa/arpo, aissada/eissado, sapa/sapo, magau, bigòs) ou directement en occitan lorsque j’enquête dans cette langue. Or ce sont ces noms-là qui auraient dû figurer scientifiquement en premier, mais pour le Mucem, « c’est tout de la houe ». Pour un godet de « noria » provençale, aucun paysan ne dit « noria » mais pousaraque/pouseraque (de l’occitan posa-raca/pouso-raco, qui puise et qui recrache). Pareillement pour les cloches exposées, qualifiées platoniquement et indûment de « cloches et sonnailles ». Vous n’avez visiblement jamais rencontré un berger de votre vie. Vous sauriez que CHAQUE « cloche » a un nom spécifique, en fonction de sa forme, de sa grosseur, et de qui la porte. Seules leurs traductions françaises peuvent s’appeler génériquement « cloches et sonnailles », mais certes pas l’objet d’origine. Nous n’avons droit qu’à une « gargoulette » en conformité avec le nom réel de l’objet exposé. Le Mucem pratique donc le respect des langues catalane, italienne, arabe, … mais le mépris absolu de la langue d’oc. Faut-il vous rappeler/apprendre que la langue d’oc (ou occitan) est étudiée dans les universités du monde entier ? Côtéévocation du dieu Taureau, à nouveau oubli/censure du dieu Mithra associéà la Camargue, qui n’a pas droit de cité avec ses élevages de taureaux pourtant ô combien emblématiques, ne serait-ce que par une phrase. Non, pour le Mucem, le taureau est ailleurs, mais pas ici. Cette démarche est-elle bien ethno-scientifique pour qui prétend « appréhender les traits de personnalité singuliers des cultures nées sur le pourtour méditerranéen » ? Et je ne parle même pas de la superficialité des textes (il ne suffit pas de se réclamer de Braudel ou de Camus pour en être à la hauteur) et de l’indigence des « oeuvres d’art »…

Passée cette première partie, en fonction de votre « tantôt…, tantôt …», j’ai pensé que je trouverai ma/notre culture occitane dans les autres salles… Pas davantage. Or faut-il vous rappeler qu’en terre française, les héritiers premiers des cultures phares grecques et latines, ce sont les Occitans (comptoirs grecs et latins, puis occupation romaine, donc histoire, langue, droit écrit, forum, démocratie, commerce, amphores, olivier, vigne, etc.), non les Francs ? À la citoyenneté donc, au moins une petite allusion aux républiques de Marseille, Arles, Avignon ? Que nenni, pas évoquées. Aux portraits de Marianne, dire que la première fut occitane et l’ajouter aux portraits ? Toujours non. Aux religions, leurs dégâts collatéraux avec le massacre des Vaudois, des Cathares, des Protestants, alors ? Ah ! Non, toujours pas « ce trait de personnalité» de notre histoire tragique qui a marqué les hommes au fer rouge. Car les massacres engendrés par les monothéismes sont soigneusement contournés, pudiquement/pieusement tus et pourtant « Dieu sait » s’ils ont marqués/marquent encore l’histoire de la Méditerranée. Je passe sur le cube vide censé représenter les athées/agnostiques, qui apprécieront comme il se doit la supposée viduité/transparence de leurs pensées. Alors, forcément me suis-je dit, ce sera dans la dernière salle, avec les voyages et le commerce ? Avec Marseille grand port depuis les Grecs, Marseille première ville à avoir été déterminée en latitude par Pythéas, célébrissime Marseillais s’il en est, Marseille porte de départ pour l’Orient et port d’entrée de tant d’épices, tissus, céramiques, Marseille et la Provence célèbres pour ses astronomes, Marseille renommée pour ses cartes et ses instruments de mesure indispensables aux voyages, les astronomes Provençaux Nicolas de Peiresc et Gassendi échangeant avec les savants de toute l’Europe : ici, inévitablement, j’aurais/nous aurions droit à quelques miettes pour faire oublier les vides précédents. Eh ! bien non, même Marseille est ABSENTE, totalement ABSENTE, et chez elle de surcroît. L’excuse toute prête de « la non-exhaustivité» fait bien piètre figure face à ce… révisionnisme généralisé, j’ose le mot. Et elle n’abuse que ceux qui veulent bien être abusés (désolée, je n’en fais pas partie, ainsi que de nombreux autres citoyens, pas moins ouverts au monde pour autant).

Marseille et la culture occitane méditerranéenne plus généralement « de Narbonne à Nice » n’ont donc point de place en tant que « traits de personnalité singuliers », quel que soit le côté envisagé« tantôt archéologique, tantôt ethnologique, tantôt religieux, tantôt scientifique, tantôt linguistique, tantôt politique ». Pour les concepteurs de l’exposition, l’épaisseur, la densité, le poids humain, historique, culturel, scientifique, n’existent qu’ailleurs, mais pas ici où tout n’est que vide et transparence (comme le cube pour les athées). Les terres occitanes fussent-elles hors la France qu’ils eussent daigné en parler peut-être, tant l’exotisme lointain a, seul, un attrait ? La présence occitane y est réduite à la portion plus que congrue (quatre « houes », quatre « cloches », un godet de « noria » et encore mal étiquetées) qui confine à l’indigence. Mais ils prétendent sûrement avoir fait « une présentation scientifique ». Pour ma part, en tant qu’actrice de cette culture, en tant qu’ethnobotaniste enquêtant sur le terrain depuis plus de 30 ans, en tant que lexicographe attachée aux faits de langue (quelles qu’elles soient) et à leur restitution objective et rigoureuse (et non d’un côté« les vraies langues » prédéfinies à l’avance par la doxa et qui ont droit au respect et les « sous-langues/patois » sans aucun intérêt de l’autre), je la trouve méprisante pour Marseille, la Provence et les terres d’oc en général. Car terriblement faussée, mensongère, pratiquant ouvertement le rejet, donc totalement anti-scientifique. Ses concepteurs nous imposent une vision franco-française d’une culture technocratiquement formatée à Paris (voire glacée en ce qui concerne les objets populaires) qui passe sans état d’âme de l’histoire officielle française … aux langues et cultures d’ailleurs sur le pourtour méditerranéen (« regardez comme nous sommes ouverts » ), en sautant allègrement par dessus les terres occitanes qui n’existent pas à leurs yeux (constatons combien « vous êtes fermés à double tour à la rive nord française de la Méditerranée»). En contradiction absolue avec le titre même du Mucem et encore plus avec sa profession de foi pétrie de discours de façade, dont l’analyse lexicométrique montre l’absence totale des mots « Languedoc, Provence, Marseille » (un seul adjectif « marseillais » associé au dessinateur Dominique Papety mais concernant des dessins de villes étrangères). Or la lexicométrie est toujours très parlante car elle trahit l’idéologie… On y trouve ainsi Gênes, Amalfi, Jérusalem, Athènes, Venise, Valencia, et quasiment tous les pays ou régions du pourtour méditerranéen (et même Allemagne)… mais pas Marseille, Provence ! Pour un musée français installé en terres occitanes, à Marseille, cherchez l’erreur et l’imposture. Ces toponymes et leurs cultures afférentes vous font-ils honte au point de les éradiquer ainsi ?

  J’ajoute que cette vision politiquement très orientée, niant les richesses sur place (qui font pourtant aussi la richesse du patrimoine français et pas seulement local, les mettre aussi en valeur semblerait la moindre des choses), incapable de faire des traits d’union/comparaison féconds entre l’ici et l’ailleurs, en diachronie comme en synchronie, en choisissant de ne privilégier/valoriser que l’ailleurs, complète hélas la programmation de « Marseille capitale de la culture 2013» où toute trace de culture occitane a étééradiquée dans les projets acceptés, ou peu s’en manque. Mais nous avons bénéficié de sublimes plasticailles colorées (élevées au rang d’œuvres d’art) émaillant les trottoirs de Marseille (du même type que celles qui décorent les magasins et bars branchés), de copies de Dali, d’un texte lissé diffusé au Fort Saint-Jean où l’on raconte l’histoire française de Marseille avec un bel accent d’aéroport, et en guise de couleur locale « poudre aux yeux », de pauvres brebis lâchées sur la Corniche (on va voir l’amontagnage là où il passe naturellement, culturellement, on ne le déplace pas sur un lieu où il n’a jamais passé !). Cela fait vraiment sens… Tandis que le buste de l’écrivain marseillais Victor Gelu (pourtant pas bien encombrant) a étééradiqué du plan de rénovation du Vieux Port. Bref, tout cela en dit fort long sur le formatage des esprits, comme s’il y avait le même chef d’orchestre régentant tous ces projets, au Mucem et à la ville (et à tous les autres échelons institutionnels hélas…), imposant sa vision si « vertueusement ouverte sur l’ailleurs » mais si « insolemment fermée à l’ici », tant s’affiche partout la volonté délibérée de nier notre culture et notre langue en domaine public. De nombreux Marseillais et Provençaux, et plus généralement Occitans venus exprès visiter le Mucem parfois de loin, ont été choqués par cette censure/mépris de « leurs traits de personnalité», ainsi jetés à leur figure et dans leurs propres terres de surcroît. Claude Hagège parle à ce sujet « d’élites vassalisées ». Si ce n’est pas un comportement colonialiste en terres d’oc, cela lui ressemble fort…

  J’en suis personnellement bien plus que choquée. Nous faudra-t-il aller dans un musée catalan ou italien ou libanais consacrée à la Méditerranée, pour voir enfin « appréhender dignement/scientifiquement/linguistiquement les traits de personnalité singuliers » de notre culture et voir évoquer Marseille et la Provence et le Languedoc autrement que par quatre « houes » (comme ailleurs par une jupe folklorique ou la nième publication d’un « sociolinguiste » sur « Le parler imagé de Marseille ») ? Comment peut-on prétendre faire une muséographie scientifique, donc respectueuse des civilisations, alors que c’est le parti pris idéologique qui préside ici de façon criante ? Soit par censure délibérée, soit par absence de curiositéélémentaire, ce qui est tout aussi grave. Je sais/nous savons déjàà l’avance la réponse à ces critiques car nous y sommes habitués : « non, vraiment, il n’y a aucune volonté de censure, aucun mépris ; objectivement, ici, il n’y a rien « d’universel » qui soit digne d’être évoqué au Mucem eu égard aux choses/histoire/pensées si géniales de l’ailleurs, à part quatre « houes » et trois « cloches » pour faire plaisir à votre « localisme », mais dont on se moque éperdument de savoir leurs vrais noms dans votre « patois ». Et Marseille n’a toujours été qu’un petit port de pêche dans l’histoire de la Méditerranée, tellement petit qu’une seule sardine l’a bouché, c’est bien connu, ce qui explique son absence dans la galerie permanente, en toute objectivité scientifique, vraiment ».

  Même si je me doute que mon avis vous importe fort peu, en tant que citoyenne occitano-française finançant le Mucem par ses impôts, en tant qu’ethnobotaniste et lexicographe respectueuse des cultures, des langues et des hommes, je tenais à vous exprimer ma colère face à cette vision des faits méditerranéens selon votre prisme déformant, qui n’a même pas la décence – à défaut de la conviction – de valoriser un tant soit peu la ville et la région d’accueil du musée.


Recebètz mei salutacions amaras (c’est du « patois »).

(copie à des citoyens occitans, Marseillais entre autres, avec autorisation de diffusion à qui bon leur semble, et publiée sur mon site)

Josiana Ubaud

 

Luc Ferry : le républicanisme postcolonial contre l’enseignement des langues des migrants

$
0
0

arton1890-8b80e

 

Luc Ferry : le républicanisme postcolonial contre l’enseignement des langues des migrants

 

Luc Ferry me donne l’occasion d’ajouter un codicille àmon post consacré au rejet massif du rapport sur l’intégration, accusé de promouvoir les « borborygmes des patois africains », c’est-à-dire, – crime suprême contre l’honneur et l’unité de la République – de proposer les langues de l’immigration. Le 16 janvier dernier sur France Culture à l’émission La Grande table notre ex-ministre de l’éducation déclarait en effet : « le débat a eu lieu […] de savoir si, lorsqu’on a des primo-arrivants, des jeunes qui viennent d’un pays étranger et qui ne parlent pas le français – on en a des milliers chaque année –, hé bien est-ce qu’on doit les enseigner dans leur langue ou est-ce qu’on doit les intégrer dans le français ? Voilà la question qui s’est posée très concrètement. Il y avait à l’intérieur de l’éducation nationale, un certain nombre de syndicats notamment qui étaient favorable à ce que l’on enseignât dans la langue des étrangers, pour respecter leur culture, le droit à la différence etc. puis au contraire les républicains qu’ils fussent de gauche ou de droite qui étaient favorable à l’intégration dans le français ».

Ferry semble faire ici référence à des « débats » ayant eu lieu durant son ministère, donc entre mai 2002 et mars 2004 ; j’aimerais bien savoir exactement lesquels et de quels « syndicats » il veut parler (ceci est un appel à témoins !), car son compte rendu, de toute évidence est faux ou du moins on ne peut plus tendancieux. Car, au sujet des primo-arrivants, jamais aucun débat n’a opposé des tenants de l’apprentissage des langues d’origine contre ceux de l’apprentissage du français ; mais la discussion met plutôt aux prises ceux qui envisagent un apprentissage bilingue, exploitant les compétences des enfants dans leurs langues d’origine et ceux que toute idée d’enseigner aux migrants les langues avec lesquelles ils sont, de fait, en contact en même temps que le français, hérissent et révulsent, soi disant au nom de la république une et indivisible. Ce refus, notons-le au passage, contredit les engagements de la France en la matière ; ainsi lit-on dans la littérature de la commission européenne, par exemple dans le document d’Eurydice de 2004 intitulé l’Intégration scolaire des enfants d’immigrés, que la « maîtrise de leur langue d’origine » en milieu scolaire facilite « l’apprentissage de la langue d’instruction et par-delà [stimule] leur développement dans tous ses aspects. De plus, la manière dont leur langue maternelle est considérée dans la société d’accueil joue un rôle dans l’estime de soi et dans l’identité des élèves immigrants et de leurs familles ». Et la France apparaît dans ce document comme l’un des pays qui a adopté des « dispositifs scolaires permettant aux élèves immigrants d’apprendre leur langue maternelle ». C’est tellement vrai que le ministre français, aujourd’hui encore, se vante de s’être opposéà ce qu’il jugeait et juge encore n’être qu’une dangereuse dérive communautariste ; et l’on voit le scandale soulevé par un rapport sur l’intégration qui, finalement, ne dit pas autre chose que la documentation européenne à ce sujet (sauf que celle-ci nourrit la fiction selon laquelle la France jouerait le jeu de l’apprentissage des langues maternelles, ce qui est une fausseté, voire un mensonge).

Ce refus « républicain », il faut le souligner, ne concerne d’ailleurs pas toutes les langues de tous les migrants, mais seulement celles des migrants pauvres et en particuliers les ressortissants d’Afrique et d’Asie. La poursuite du bilinguisme par les nombreux anglophones qui s’installent en France ne fait, elle, aucun problème. A travers l’invocation de la République, on trouve bien toujours les mêmes réflexes coloniaux. Si tel n’était pas le cas, comment pourrait-on justifier le fait que l’on ne juge pas l’anglophonie ou la germanophonie comme un obstacle à l’intégration, alors que l’on continue de considérer le bilinguisme des Maghrébins et des ressortissants d’Afrique noire comme un ferment de division sociale et politique et même souvent, sans rime ni raison, d’échec scolaire ?

La question de « l’intégration »à la française (il s’agit en fait d’« assimilation culturelle » et non simplement d’intégration), sous prétexte de lutte contre le communautarisme, cache fort mal la perpétuation des préjugés coloniaux et la reconduction des hiérarchies entre les peuples et les cultures. Du reste, si Luc Ferry, ce jour-là, a évoqué la question de l’enseignement dans les langues d’origine, c’était pour fournir un exemple des erreurs et des errances du « multiculturalisme », qu’il identifia tout au long de l’entretien au « communautarisme », les deux mots étant pour lui interchangeables et connotés de manière exclusivement négativement.

Ferry cita les noms du canadien Charles Taylor et de l’américain Michael Walzer (dont les positions sont d’ailleurs bien différentes), « qui, dit-il, détestent la tradition républicaine française […] pour eux c’est Vichy ; ils s’imaginent que c’est l’extermination des minorités, que c’est le système métrique imposé par la Révolution française et donc ils pensent qu’il y a quelque chose de totalitaire dans l’idée républicaine à la française ». On voit ici combien la parole du ministre est nuancée ! C’est qu’il a très mal encaissé les critiques que lui ont adressé les théoriciens du multiculturalisme au sujet de sa loi contre les signes religieux ostentatoires à l’école (l’ironie de l’histoire, c’est qu’une loi similaire est en ce moment en projet au Canada, à laquelle s’est opposée d’ailleurs Taylor, dans un rapport récent sur la laïcité, où l’on trouve ces mots : « La laïcité, au Québec, permet aux citoyens d’exprimer leurs convictions religieuses dans la mesure où cette expression n’entrave pas les droits et libertés d’autrui. C’est un aménagement institutionnel qui vise à protéger les droits et libertés, et non, comme en France, un principe constitutionnel et un marqueur identitaire à défendre. »).

Ferry, en réponse, diabolisait à l’antenne le modèle anglo-saxon, des « communautés séparées », disant que « sous l’apparence de la tolérance – ça a l’air très tolérant, chacun garde sa langue, sa cuisine… –, c’est une absence totale de respublica, de culture commune et de coexistence commune ». Allez donc dire aux américains, y compris aux plus communautaristes d’entre eux, qu’ils n’ont aucun sens de la chose publique ! Ce manque de nuance et de pertinence de la critique, associéà une pratique de l’amalgame qui laissa ce jour là les journalistes pantois (« mais vraiment pour vous le multiculturalisme et le communautarisme, c’est la même chose ? »), paraît assez indigne d’un philosophe.

Il ne s’agit pas ici de défendre le modèle anglosaxon, qui tend à l’institutionnalisation de communautés en effet séparées tout en introduisant des dispositifs correctifs visant à une intégration transcommunautaire. Mais je veux juste rappeler que le mot de multiculturalisme est descriptif avant d’être normatif ; le multiculturalisme est une donnée, qu’il serait absurde de nier, et l’adoption de politiques visant à le détruire par l’assimilation forcée – et tel est bien le modèle français – n’a rien de réaliste (des groupes résisteront toujours à l’assimilation ; les Rroms en donnent un parfait exemple) et ne saurait être considéré comme une démonstration de démocratie (c’est bien le moins que l’on puisse constater !). Ensuite, il faut souligner qu’il n’y a pas une seule idéologie normative multiculturaliste, qui serait le « communautarisme », comme l’affirme Ferry, mais qu’il y en a plusieurs et qu’elles divergent. Ferry aurait par exemple pu citer par exemple les travaux de Will Kymlicka (lui aussi canadien) qui présente une théorie du multiculturalisme dans le cadre d’une pensée politique très fermement libérale (voir en particulier la distinction essentielle qu’il établit entre les groupes d’immigrants ou polyethniques et les minorités nationales). On désigne en effet comme « multiculturaliste », en fin de compte, toute idéologie promouvant la diversité culturelle ; cette idéologie peut évidemment aller aussi bien dans le sens d’une essentialisation et d’une séparation des « communautés distinctes » que dans celui du contact, du mixage et des hybridations culturelles.

Un concept d’ailleurs était parfaitement absent de la parole ex-ministérielle, celui d’interculturalisme, qui semble pourtant être né en France et simultanément au Canada, dans les années 70, et ne cesse d’être proposé comme une alternative au multiculturalisme conçu comme la simple coexistence des communautés cloisonnées. Comme son nom l’indique l’interculturalisme s’intéresse d’abord au contact et aux échanges culturels ; à ce titre il a aussi et d’abord une valeur descriptive. Dans un dossier de l’Institut national de recherche pédagogique de 2007 (Approches interculturelles en éducation rédigé par Olivier Meunier), je lis que « L’interculturel est une manière d’analyser la diversité culturelle, mais à partir des processus et des dynamiques selon une logique relevant de la variation et de la complexité. C’est donc avant tout une démarche, une analyse, un regard et un mode d’interrogation sur les interactions culturelles. L’interculturel peut être compris comme une construction ouvrant à la compréhension des problèmes sociaux et éducatifs dans leur rapport avec la diversité culturelle. Il présente alors une visée éducative, ce qui n’est pas d’emblée le cas du multiculturel. Celui-ci se contente généralement de reconnaître la pluralité des groupes avec pour objectif d’éviter l’éclatement de l’unité collective. » Ainsi, le Conseil de l’Europe préconise-t-il le passage du multiculturalisme, comme «état naturel de la société, qui ne peut qu’être diverse »à l’interculturalisme , « qui se caractérise par des relations réciproques et la capacité des entités à bâtir des projets communs, assumer des responsabilités partagées et forger des identité s communes » (Cezar Bîrzea, Learning Democracy. Education Policies within the Council of Europe, 2003).

L’approche est intéressante et même, épistémologiquement nécessaire, mais notons, qu’en soi, au-delà de l’observation et de l’étude des processus d’interactions culturelles, elle n’implique aucune comportement normatif déterminé en matière de mesures positives et volontaires de promotion de la diversité ; elle est même susceptible de produire des méthodes éducatives visant à piloter les interactions de manière à réduire le multiple à l’unité et àœuvrer dans le sens d’une assimilation moins violente mais tout autant, voire plus efficace encore. Il faut bien sûr poser le principe selon lequel la diversité culturelle est, en soi, une bonne chose, à exploiter et à enrichir par le biais des institutions (et d’abord de l’école) pour que l’interculturalité puisse tout naturellement conduire à l’enseignement des cultures d’origine, mais le fait qu’elle s’émancipe d’une logique multiculturaliste séparatiste devrait surtout conduire à l’adoption de dispositifs permettant aussi à tous ceux qui le souhaitent de se confronter par le savoir et l’apprentissage des pratiques (y compris et d’abord linguistiques), aux cultures des migrants. De cela, on est bien sûr au plus loin, mais il faut au moins avoir le courage, par les temps qui courent, de le penser.

 

Jean-Pierre Cavaillé

Langues régionales et front anti-républicain

$
0
0

Philippe Martel m’a fait l’amitié de me faire lire une réponse au récent article d’Anne-Marie Le Pourhiet, "Langues régionales : le front antirépublicain", paru dans Marianne (n° 876, 31 janvier-6 février 2014, p. 45). C’est article enfourche la théorie du complot que j’ai essayée d’analyser ici (La théorie du complot ethnique) et dénonce la « reféodalisation de la société française, sous l'influence de l'idéologie multiculturaliste et féministe » (sic !). Vous pouvez le trouver publié en ligne par La Libre Pensée 06 suivi de la mention : « Cet article reflète exactement notre position sur les langues régionales ». On en attendait pas moins des militants de La Serve Pensée, à ce point confus et aveuglés par leur vénération du monothéisme linguistique qu’ils confondent, voire identifient la question du plurilinguisme et celle de la laïcité (qui ne concerne évidemment que les relations État/ société / religions) !

Quant au papier de Philippe Martel, adresséàMarianne, hé bien il a été refusé, comme à peu près tous ceux que nous (là je parle des défenseurs des langues de France minorées en ratissant au plus large et sans même m’arrêter aux partisans – dont je suis – de la ratification de la Charte Européenne) proposons à la presse nationale et d’ailleurs tout aussi bien régionale. Au lecteur de juger de sa qualité, comparéà l’article mis en cause !

Il y a justement là, vraiment matière à analyse et à réflexion. Pourquoi les papiers complotistes les plus délirants sont accueillis à bras ouverts dans les tribunes et les nôtres refusés ? Nous ne dénoncerons certes pas le complot des complotistes ! La raison en est-elle que notre prose est plus fade et moins relevée ? Notre plume est-elle moins acérée et imaginative ? Est-ce parce que nous exprimons, somme toute, des arguments de bons sens qui font leur chemin dans la société et même parmi les élus (à en juger au moins par le vote récent de l’Assemblée), alors que les opinions ressenties (à tort ou à raison) comme à contre-courant sont jugées plus excitantes par les rédactions ? Ou bien les journalistes sont-ils eux-mêmes contaminés par ces opinions qui leur paraissent avoir le grand mérite de soigner leurs propres préjugés anti-régionaux et de conforter le système hexagonal claquemuré et parisianocentré dont ils sont les purs produits ? Leur apparaîtraient-ils, au fond, instinctivement, qu’ils ont intérêt à ne pas nous laisser parler ? Nous percevraient-ils finalement comme une menace pour leurs idées reçues et leurs places au soleil ? Le phénomène n'est en tout cas pas nouveau et ce blog est né en 2006 des refus de plus en plus fréquents de publication de mes papiers dans la presse, comme je l'ai souvent dit.

Quelle qu'en soit la raison, on ne voit s’exprimer dans ce débat que ceux qui sont hostiles à la ratification et cela est bien sûr extrêmement dommageable pour nos langues. Mais il ne s’agit pas seulement d’ostracisme journalistique car, comme Philippe Martel l’a écrit dans une tribune récente du Jornalet, les lieux de discussion publique – forum, commentaires d’articles etc. – sont largement désertés par les occitanistes, qui préfèrent échanger indéfiniment sur des questions – passionnantes certes mais pas forcément primordiales – de graphie et s’étriller dans le petit monde de l’entre-soi. Je suis bien d’accord avec lui pour dire que, au moment où un débat public est enfin amorcé, le moment est justement venu de tenter de nous faire entendre ! A la minute où j’écris ces lignes, justement, je reçois l’information suivante : l’association C.O.U.R.R.I.E.L, soutenue par le M'PEP (Mouvement politique d'émancipation populaire), c’est-à-dire l’extrême gauche souverainiste (et "donc" anti-langues régionales), lance une pétition contre la ratification de la Charte où il est déclaré que celle-ci « crée un droit à ne pas parler français en France », allégation aussi absurde et grossière que celle du mouvement d'extrême droite dénonçant un plan concerté d’enseignement de la théorie du genre. Tout cela montre certes que la connerie n’a pas de couleur politique, mais nous aurions tort de nous contenter de secouer la tête, il est temps de nous bouger le cul !

Jean-Pierre Cavaillé

 

Bardot_Marianne

 

LANGUES REGIONALES ET FRONT ANTI-REPUBLICAIN

 

Il y a des jours comme ça : j’ouvre Marianne, et je tombe sur le réquisitoire de Mme Le Pourhiet, professeur de droit à Rennes, porteuse au surplus d’un nom breton, mais qui n’a pas vraiment l’air d’en être fière. Je note que sa prose paraît dans la rubrique « ils ne pensent  pas forcément comme nous » : il me semble qu’elle pense au moins comme Eric Conan qui a plusieurs fois exprimé tout le mal qu’il pensait des langues de France, mais bon. Me permettra-t-on au moins de faire deux ou trois remarques ?

Mme Le Pourhiet a le sens de la  nuance, ça, faut pas dire. « Reféodalisation », « exposé des motifs hargneux et sectaire », charte inspirée par un « lobby hongrois », (au motif que c’est à Budapest que M. Moscovici avait naguère signé cette charte au nom de la France ; l’eût-il signée à Bruxelles, c’est de lobby belge qu’on parlerait) et des « groupuscules à l’idéologie et à l’histoire nauséabonde ». Sans parler de la chute de l’article, sur la République qui a aussi des cornes, allusion délicate et spirituelle à une actualité mondaine qui fera beaucoup rire.

Au premier degré, on retrouve là la trace de discours complotistes qui traînent un peu partout, sur une Charte inspirée par une officine allemande poursuivant de noirs desseins, et ayant réussi à circonvenir des politiciens naïfs. C’est le refrain de Mme Morvan, qui se ne pardonnera jamais d’avoir été bretonne, de Mme Bollmann (elle, c’est l’Alsace), sans oublier M. Pierre Hillard qui fait carrément remonter dans un article d’Agoravox toute cette histoire à 1919, et au lobbying (encore) du B’nai Brith : des Juifs, francs-maçons en plus, fraternellement rejoints par des pangermanistes… On ne doit pas douter d’ailleurs que dans l’ombre tous ces gens ont été savamment manipulés par les Klingons. Si l’histoire des débats au Conseil de l’Europe depuis les années 80 était si simple…

Et si on essayait de parler sérieusement ? Bien entendu, nul dans son bon sens ne peut imaginer que la ratification de cette charte, dans les dispositions acceptées par la France, et compte tenu des longues pincettes qu’elle a utilisées pour ce faire,  entraînera les conséquences funestes qu’entrevoient Mme Le Pourhiet et ses amis : liens interlopes entre locuteurs de patois des deux côtés d’une frontière,  emplois réservés à des locuteurs exclusifs du breton ou du basque (qui gagneront bien sûr autrement mieux leur vie que n’importe quel trader…), obligation pour le Neuilléen de signer en occitan l’acte de vente de sa datcha dans le Lubéron, installation d’un poste de douane sur l’aire d’autoroute de Chantemerle-les-Blés (oui, c’est là que sur la route du Lubéron on entre sur le territoire des Occitans, féroce tribu qui boit le Châteauneuf du Pape dans le crâne de ses ennemis vaincus) et autres calamités effroyables, débouchant sur l’impossibilité de communiquer entre Dunkerque et, euh, Hendaye (Tamanrasset, c’est fait). Arrivéà ce stade, la vie n’aura plus de sens, il n’y aura plus de bulles dans le champagne, et le caviar n’aura plus jamais le même goût.  Est-on vraiment obligé de raconter n’importe quoi ?

Bien sûr qu’on peut toujours imaginer que certains çà et là aient pour objectif de bouter les Français hors de leur région. Dans la vraie vie ça ne correspond pas du tout à ce que demandent ceux qui se battent pour que la France fasse une place décente à sa diversité culturelle, même si c’est là simple « incantation parfaitement creuse » pour Mme Le Pourhiet, experte en incantations creuses. Ce qu’on sait de l’opinion des sociétés concernées montre qu’elles sont favorables à une meilleure prise en compte des langues de France sans en tirer de conclusions hasardeuses sur ce que doit être l’organisation politique et territoriale du pays. Est-ce trop exiger que suggérer qu’on permette à ceux qui le désirent d’avoir correctement (ce n’est pas toujours le cas) accès à l’enseignement bilingue à l’école publique ? ( Notons-le, ça ne coûte rien puisque dans les filières bilingues du public, enseignants monolingues et en langue régionale se partagent, dans une même école et à effectifs constants, les divers niveaux dans lesquels ils interviennent). Est-ce si scandaleux de demander que les programmes nationaux de français incluent des textes en traduction d’auteurs en langue régionale ?  Ou que les programmes d’histoire et géographie incluent une information minimale, mais sérieuse sur ce que sont ces langues, en métropole et dans les DOM-TOM ? Combien de préjugés disparaîtraient si cela existait déjà ? Est-il si scandaleux que les ondes nationales fassent leur place à des chansons en langues de France, quitte à limiter la place des prestations de ceux qui murmurent ou glapissent leurs chansons en yaourt dans l’espoir de pouvoir ensuite percer sur le marché anglo-saxon ? Et les panneaux bilingues à l’entrée des agglomérations, ça dérange qui ? Doit-on vraiment croire que la prise en compte du fait qu’il existe d’autres langues que le français déboucherait fatalement sur l’explosion de la communauté nationale, et que le maintien obstiné d’un monolinguisme patriotique à front de taureau garantit forcément la cohésion du corps social ? Comme si cette cohésion ne dépendait pas d’autres facteurs, que l’on ne voit d’ailleurs guère à l’œuvre par les temps qui courent.

Oui, bien sûr : la défense d’une langue de France peut déboucher, parfois, sur une attitude de repli identitaire. Mais ce n’est pas fatal. Et nous sommes un certain nombre à refuser une telle dérive. Par contre, c’est bel et bien d’un repli identitaire, et de rien d’autre, qu’il s’agit chez ceux qui refusent toute place aux langues de France au nom de la défense d’une identité française close sur son monolinguisme.

Car enfin regardons d’un peu près ceux qui dans le débat actuel sont les plus acharnés à tonner contre la Charte. On y trouve, certes des gens plus ou moins classables à gauche, qui, à travers la Charte, dénoncent un pas de plus vers une intégration européenne qui détruit, au profit du Capital, les acquis sociaux hérités d’une longue histoire de luttes en France. On peut certes leur faire remarquer que le démantèlement de ces acquis a peu à voir avec la promotion des langues de France, sauf à imaginer que le Medef compte faire une place de choix à ces langues dans la société de ses rêves. Il se peut que M. Gattaz occupe ses loisirs à composer des poèmes en francoprovençal, mais personnellement j’en doute : l’anglais doit lui être plus familier.  Il me semble que la critique de l’Europe libérale telle que nos gouvernants l’acceptent par ailleurs peut prendre d’autres voies que le combat offusqué contre une charte dont la ratification fondamentalement n’aura pas beaucoup de conséquences.

Mais en lisant la prose de Mme Le Pourhiet, ce n’est pas ce genre de problématique que je vois. Ce qu’elle dénonce, c’est une « idéologie multiculturaliste et féministe ».  La coalition entre les patoisants et les avorteuses : voilà, me semble-t-il, un marqueur idéologique fort.

C’est donc le moment de regarder de près qui sont ceux qui, dans le débat actuel, se sont manifestés le plus clairement contre la Charte. On y trouve une coalition hétéroclite  regroupant des défenseurs d’une francophonie paranoïaque , les derniers chevènementistes à refuser (pour l’instant) de suivre la voie ouverte par MM. Paul-Marie Couteaux et Florian Philippot, les fidèles de la petite secte post-gauchiste chez lesquels M. Mélenchon a appris jadis ce qu’il sait de la politique. Mais pour l’essentiel on y trouve des gens comme la plupart des députés de l‘UMP, ou les militants de Debout la République, ou les rouges-bruns de Riposte laïque, sans oublier les élus Front National dont le vote du 28 janvier est sans équivoque . En voilà de purs républicains comme on les aime.

Soyons clairs : sur cette question des langues de France et de leur reconnaissance, les grands partis sont partagés. Il y a, du PC à une fraction de l’UMP, des « pour » dont les motivations peuvent être très diverses compte tenu de ce que sont leurs choix idéologiques de fond. Et il y a des contre. Mais quels que soient les arguments rhétoriques dont ces derniers revêtent leur refus hargneux,  il n’y a chez eux, au fond, rien d’autre que le mépris éternel des bien-parlants pour le patois des gens de peu.

Et, désolé, ce n’est pas chez ces gens-là que j’irai chercher des leçons de républicanisme, en admettant que j’en aie besoin.

Philippe Martel, historien, Professeur des universités, département d’occitan, Université Montpellier III

James Costa. Quelques réflexions sociolinguistiques à propos du livre d’Eric Fraj, Quel Occitan pour demain ?

$
0
0

 

nicola-me-leis-enfants-paraulas-dier-per-enfants-de-deman

 

James Costa. Quelques réflexions sociolinguistiques à propos du livre d’Eric Fraj, Quel Occitan pour demain ?

 

Il est toujours difficile d’écrire un compte-rendu d’un livre, ou d’un texte quel qu’il soit. Que l’on soit d’accord ou non avec lui, on parle toujours de quelque part, et cette position détermine souvent l’opinion qu’on peut s’en faire. Mais l’on peut également essayer de juger un texte en fonction des questions qu’il pose, et des conséquences potentielles qu’il peut avoir. C’est l’exercice auquel je voudrais me livrer ici suite à la demande d’Eric Fraj de faire une critique de son livre récent Quin occitan per deman ?, publié en 2013 par Reclams (qui, au passage, a produit un objet de belle facture) — et dont il a déjàété question sur ce même blog. Un compte-rendu de lecture m’aurait été impossible pour les raisons que je détaille ci-dessous. Je profite donc de l’invitation amicale de Jean-Pierre Cavailléà publier un compte-rendu critique sur ce blog pour livrer ce texte.

Puisque toute position est nécessairement située, que la mienne soit claire : je suis sociolinguiste — mais aux Etats-Unis je serais défini comme linguistic anthropologist plutôt que comme soiolinguist. Une sociolinguistique ancrée dans une étude de la langue comme pratique sociale donc, et non comme un système. Une anthropologie des locuteurs, et non de la langue. Mes travaux sont largement accessibles en ligne, ils portent sur le mouvement occitaniste, en particulier les conflits internes au mouvement en Provence (voir ici ou ) au sujet de la langue, sur la « revitalisation linguistique » en Provence et en Ecosse, et plus récemment sur les enjeux sociaux de la standardisation des langues minoritaires d’Écosse. Mais avant cela, j’ai enseigné l’occitan à Marseille et dans la Drôme. Et avant encore, le gallois à l’université Rennes II.

Autre question, fondamentale : pourquoi ne pas avoir écrit ce texte en occitan ? Parce qu’à vrai dire, entre les Gardiens de la norme qui marquent les écarts à celle-ci d’une astérisque et le texte dont il va être question ici, et qui porte sur l’avaliment de la langue, l’exercice devient périlleux. Et étant loin de mes dictionnaires habituels, je ne prendrai pas le risque que toute discussion tourne autour de questions de forme.

Ironiquement, le texte de Fraj consiste en une critique des Gardiens que je viens d’évoquer. Pourtant, l’un comme l’autre procèdent de la même idéologie — que l’auteur identifie d’ailleurs. Il s’agit d’une idéologie puriste, idéologie séparatrice qui depuis le 18e siècle, depuis qu’elle a été forgée par Locke, Herder et d’autres en Europe, chasse l’hybride, dont on sait depuis les travaux de Latour à quel point elle est perçue comme la marque des sociétés prémodernes. Nous, les Modernes, nous séparons, nous identifions, nous classons, nous catégorisons — mais « scientifiquement », méthodiquement, en pleine conscience. L’idéologie puriste a eu son heure de gloire officielle au 19e siècle, et dans la première partie du 20e siècle. Depuis elle est toujours en bonne santé, mais elle ne s’affiche pas autant. Si je dis cela, ça n’est pas par provocation, mais pour montrer qu’il n’y a rien de nouveau dans les deux positions que j’ai identifiées plus haut — le texte de Fraj ou les sectateurs de la norme qu’il dénonce.

Seulement, là où Fraj et les Normalisateurs, pour reprendre le terme du livre, s’opposent, c’est sur la source de l’autorité dont peut se prévaloir la langue légitime. Pour les partisans d’une norme, fût-elle pluricentrique ou polynomique, la langue tire son autorité de son anonymat : elle n’est langue de personne, elle serait donc neutre. C’est en grande partie une illusion, mais une illusion utile peut-être. Pour Fraj (et pour une bonne partie du mouvement occitaniste — sa position n’est en rien particulièrement originale), l’usage linguistique est légitime quand il est authentique, défini au contraire comme associé au lieu, au pays, au terroir, ce que vous voudrez. Ce sont des notions importantes — dans un article de 2008 (disponible ici), l’anthropologue Kathryn Woolard explique, à propos de la Catalogne, comment, contrairement à la France ou à la Grande-Bretagne, la langue du pouvoir central n’a pas pu s’imposer : malgré l’appellation d’espagnol, le castillan n’a jamais vraiment pu être présenté comme une langue neutre, ne se rapportant à aucun lieu précis. Il a toujours marqué un quelqu’un, un quelque part. De la même manière, le catalan n’a pas réussi non plus à passer pour une langue anonyme synonyme d’objectivité, appropriable (en théorie) par tous.

Mais quelle que soit la source de l’autorité dont les deux positions se réclament, elles tombent toutes deux d’accord sur l’idée qu’il faut purifier, d’une manière ou d’une autre. Le mot est fort, mais je l’emploie dans un sens historique — il faut déshybridiser la langue : d’un côté en enlever les francisme, de l’autre les laisser, et enlever les créations modernes, les hispanismes, les catalanismes. Ironiquement, la position de Fraj (qui rejoint d’ailleurs en cela celle de Philippe Blanchet [par exemple 2002]) estime qu’il y aurait de bons francismes, et des mauvais. Le lexique francisé est acceptable, la phonologie et la syntaxe ne le sont pas, ou moins. Pourquoi ? Parce que comme toujours, quand on parle de langue, on ne parle que rarement de langue, mais on parle de locuteurs. Le premier type de francismes sont le fait des locuteurs traditionnels (les authentiques), la seconde catégorie se trouve chez les « néo-locuteurs ».

On a donc un paradoxe crucial que Fraj semble ne pas voir: la variation est survalorisée d’un côté, et condamnée de l’autre. Survalorisée quand elle s’applique à un type de langue, condamnée quand elle se réfère à un autre. D’un côté, la langue « naturelle », celle des locuteurs authentiques. De l’autre, la langue artificielle, celle des locuteurs anonymes. Le livre distingue un côté de la langue qui penche vers la nature, et l’autre vers la culture — l’auteur prenant ouvertement le parti de la nature. Un exemple parlera ici davantage. Le livre fait référence à plusieurs reprises à un mésusage qui porterait sur Monsur et Sénher dans la pratique des « néo-locuteurs » (terme qui par ailleurs m’est assez insupportable tant il identifie une néo-langue non légitime par rapport à une vraie langue authentique). L’un serait naturel, l’autre artificiel, et donc à rejeter. Outre qu’il ne me semble pas que personne préconise de rejeter Monsur, je ne vois pas en quoi la présence de Sénher nuirait à la langue. Apprendre une langue, c’est en apprendre le fonctionnement social. On peut très bien savoir quand utiliser l’un ou l’autre, et après tout, ne s’agit-il pas là de la variation que Fraj appelle de ses vœux ? Non, car celle-ci n’est pas naturelle, elle ne va pas dans le sens de l’évolution « normale » de la langue. Toujours autour de Sénher et Monsur, la note 14 indique, à propos d’un élève qui utilisait Sénher (en fait, pire encore, Senhér) « alors que l’usage social réel ne connaît que « Madama » e « Monsur ». Mais qu’est-ce que l’usage social ? La langue d’un lycéen s’adressant à son examinateur en occitan n’est-elle pas un usage social ? On peut déplorer cette forme. On peut lui faire la chasse, la traiter comme illégitime, la corriger — peut-être le rapport de force sera-t-il éventuellement favorable àSénher, àMonsur, voire àSenhér. Peu importe finalement. Mais ce qui importe, c’est que Sénher est bel et bien utilisé socialement, dans un registre de langue qui n’est pas celui de Monsur. On ne peut pas décréter que certaines formes sont un usage social et d’autres non ! Qu’on me trouve un usage non-social de Sénher… L’usage connaît donc Sénher— l’enjeu pour Fraj n’est pas une question d’usage, mais une question d’usage légitime. Son objectif, en distinguant l’usage social de ce qui n’en serait pas, c’est bien de définir la langue légitime telle qu’elle doit être. Et si ça, ça n’est pas une position normative, alors je me demande ce que c’est.

Le monde linguistique tel que décrit dans le livre est relativement transparent, et recoupe largement celui des occitanistes au sens large. En ce sens la position de Fraj est loin d’être originale — elle est certainement plus affinée, mais originale, non. Ce monde, c’est celui d’une norme fondée non pas sur l’usage, mais sur un usage précis, celui des anciens, celui de la localité. C’est l’usage du patois, le badume de Le Du et Le Berre (voir ici). Celui de l’âme du peuple aussi, au passage. Et on peut s’étonner qu’un philosophe tombe ainsi si facilement dans les traces de Herder et des frères Grimm. Mais c’est un autre débat (voir ce livre pour ceux que ça intéresse, ici en pdf). En face, la langue illégitime qui incarne à l’inverse le contact, l’urbain, et les utilisateurs jeunes. Je ne dis pas que ce soit là l’intention de l’auteur, mais c’en est la conséquence logique. La bonne langue, elle n’est, dans ce modèle, pas du côté des jeunes et de la ville. Manque de chance, et, au passage, comme je l’ai montrépar ailleurs, les renaissantismes linguistiques naissent du contact — et dans le contact. Est-ce un hasard si les recherches sur les Troubadours émergent à la suite de la Révolution ? Si le Félibrige est fondé deux ou trois ans après l’arrivée de la ligne de chemin de fer en Provence ? D’où une tension entre un mouvement historique qui naît du contact, mais qui a besoin de l’authenticité d’un peuple, en version précontacte de préférence (au 19e siècle en tout cas), pour ancrer sa légitimité. On en est toujours là.

Avec des côtés risibles — l’exemple de la langue utilisée sur les panneaux publics à Toulouse par exemple. Ils utiliseraient des formes jamais employées à Toulouse — sauf, dirons-nous, depuis qu’elles sont utilisées ! De même, « l’immense majorité » des occitanistes toulousains disent lou, et pas le, forme pourtant historique. « Quel sens, nous demande l’auteur, cela a-t-il d’imposer « lo lach », « enebit », « en cantar » dans des zones qui méconnaissent ces formes et qui ne disent – depuis des siècles – que « la lait / la lèit », « interdit », « en cantant ». La preuve que non, puisque maintenant « elles » disent aussi les premières formes. « La lait » n’est pas, que l’on sache, inscrite dans une essence de toute éternité, et liée indissolublement au lieu. Plus grave, et plus sérieux, c’est l’agentivité associée au lieu : les zones disent, pas les gens. Eh bien non, il faut lutter contre cette idée. Les lieux ne disent rien. Pire : en faisant parler les zones, ce sont les locuteurs que l’on efface. C’est ici l’enjeu : pas celui de la langue, celui des locuteurs, celui des voix singulières qu’ils veulent donner à entendre. Et si dans un même texte, dans une même interaction, je veux utiliser los puis lei, n’est-ce pas mon problème ? Si je veux négocier ma place dans l’interaction, me désaligner d’un provençalisme ou d’un languedocianisme, jouer avec la langue pour y imprimer ma marque, au nom de quelles limites dialectales ne pourrais-je le faire ? La langue n’est rien en dehors de son usage social. Plutôt que sur des querelles de forme, n’est-ce pas sur le regard porté sur la langue qu’il faudrait travailler ?

Le purisme dialectal n’est cependant risible qu’en apparence. Il fait partie de cette même idéologie qui chercher à enseigner une nouvelle génération dans la langue, mais qui nie à cette même génération toute agentivité, tout pouvoir sur la langue, les transformant à leur tout en gardiens du trésor qu’est supposéêtre la langue (autre métaphore très 19e siècle, au passage – Mistral parle de clapàs, mais l’idée est la même). Ainsi les enfants apprennent-ils « leur » langue, (puisqu’ils « sont occitans »), mais dès qu’ils ouvrent la bouche, la sanction ne tarde guère : inauthentique. Incompréhensible. Marqué par le contact avec le français. Dialectes mélangés. Horreur, le provençal des élèves de telle Calandreta est mesclé de languedocien ! Eh oui, les livres sont souvent en languedocien. Et alors ? Qu’est-ce qu’il faudrait changer ? La langue des élèves que nous formons ? On peut toujours, au nom de standards littéraires, fournir des modèles que nous jugeons meilleurs. Enrichir le vocabulaire. Travailler les correspondances de langues. Réfléchir sur l’usage. De préférence en lien avec des locuteurs locaux — non pour la pureté de la langue, mais pour le lien intergénérationnel, pour la connaissance. Et si les enfants choisissent de s’identifier à ces accents, tournures, et qu’ils les adoptent, je serais tenté de dire tant mieux. Mais si, comme ce sera probablement le cas, ils les refusent, est-ce très grave ? Sans doute pas. Qui, à 8 ans, 10 ans, 13ans, veut parler comme quelqu’un de 50 ou 70 ans ? Alternativement, on peut essayer de changer les représentations de la langue, se dire que non, la langue de nos grands-parents ne reviendra jamais, se dire que la langue d’aujourd’hui et de demain, elle est là, sous nos yeux, aussi.

Car le vrai problème, à mon sens, il est là. Dans l’attitude des occitanistes envers les Calandrons, les élèves du public bilingue. Les collégiens, les lycéens, apprennent une autre langue, une langue étrangère ou quasi, de fait. C’est encore autre chose. Mais les Calandrons. A eux, personne ne leur a demandé leur avis. Ils apprennent une langue qui est rarement celle qu’ils parlent en famille à peu près en même temps qu’ils apprennent à parler, et ils sont fondés à nommer ce qu’on leur a appris être de l’occitan comme « leur », puisqu’ils le parlent. A chaque fois que j’ai fait écouter des extraits d’enregistrements de calandrons à des occitanistes, ils ont été horrifiés. J’ai pu ainsi entendre que si la langue du futur devait être celle-là, alors peut-être valait-il mieux qu’elle disparaisse. Mais cette langue, elle est vraiment « sienne ». Autant sans doute qu’elle est « à » leurs grands parents.

Le dilemme il est donc là, à mon sens. Non pas dans « la langue que nous voulons pour demain » (C’est qui, nous ? C’est quand demain ?). La langue, si elle continue d’être parlée, ce seront les locuteurs de demain qui décideront ce qu’elle doit être. Lafont ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit :

La « mise en fonctionnement » va jusqu’à l’acceptation de ce qui est après tout bien connu et naturel : les langues ne vivent qu’en bougeant. Le linguiste qui met à l’entrée d’un processus militant un occitan normé [ou pas, d’ailleurs...] doit comprendre qu’il ne le retrouvera pas tel quel à la sortie. Cette « surprise » est la rançon de la réussite (Lafont, 1984, in Lafont 1997: 107).  

Le dilemme, il est, pour le sociolinguiste que je suis dans le travail sur les représentations, sur nos représentations comme occitanistes, occitanophones, provençaux, occitans, que sais-je encore. La question elle est celle de nos représentations de « la » langue, du langage. Dans une réflexion sur les enjeux des différents purismes ou hybridisme qui se présentent à nous, sur les conséquences des choix que le mouvement occitaniste fera quant à son rapport aux langues. Sur les conséquences qu’une politique linguistique ambitieuse pourrait avoir, si elle voit jamais le jour. Sur les conséquences non pas pour une éventuelle nation occitane, mais sur les locuteurs réels, et leurs pratiques réelles.

 

James Costa

 

nicola-me-leis-enfants-paraulas-dier-per-enfants-de-deman

 

Références citées

Bauman, R., & Briggs, C. L. (2003). Voices of modernity: Language ideologies and the politics of inequality. Cambridge: Cambridge University Press.

Blanchet, P. (2002). Langues, cultures et identités régionales en Provence : la métaphore de l’aïoli. Paris: L’Harmattan.

Lafont, R. (1997). Quarante ans de sociolinguistique à la périphérie. Paris: L’Harmattan.

Le Dû, J., & Le Berre, Y. (1995). Badume-standard-norme: le double jeu de la langue. In J.-M. Eloy (Ed.), La qualité de la langue ? Le cas du français (pp. 251–268). Paris: Honoré Champion.

Woolard, K. A. (2008). Language and Identity Choice in Catalonia : The Interplay of Contrasting Ideologies. In K. Süselbeck, U. Mühlschlegel, & P. Masson (Eds.), Lengua, nación e identidad: La regulación del plurilingüismo en España y América Latina (pp. 303–323). Frankfurt am Main & Madrid: Vervuert & Iberoamericana.

 

Las doas sorgas de la legitimitat

$
0
0

la-liberte-guidant-le-peuple-selon-yue-minjun

Yue Minyun La liberté guidant le peuple

 

Las doas sorgas de la legitimitat

 

Fa plan dos meses que voliái intervenir dins la discussion fòrça noirida, provocada per la critica de James Costa al tèxte de Fraj Quin occitan per deman ?qu’aviái presentat aquí e qu’es estat publicat amb de nòtas e de complements dins un polit libre en çò de Reclams, amb un prefaci de ma man, qu’aviái tanben prepausada en linha (Estandard e democracia). Mas lo temps passa lèu e sèm totis aclapats de prètzfaches.

Costa a resumit sa critica aital (me contenti de revirar) : la tòca « èra de mostrar que lenh de prepausar una rompedura amb una supausada ideologia dominanta, l’idèa que la lenga que sèm a preparar per deman siá una lenga ‘fòra sòl’ es l’expression de la mèma ideologia, que podèm apelar purista, mas tanben monolenga, o de la lenga mairala. ». Costa balha aquesta precision e apond d’autres desvelopaments per respondre a d’objeccions e questions nombrosas de legeires del blòg, tafurats e de còps que i a trucats per aquesta defensa aparentament paradoxala de las novèlas praticas contestadas per Fraj. En efeit, espontaneàment avèm l’impression d’èsser confrontats a dos projèctes contradictòris : lo de la normalisacion, que Fraj critica per son ideologia « purista » al nom dels parlats « autentics », e lo que pren coma critèri de la « bona lenga », çò que parlan los locutors, mai que mai d’ancians de las classas popularas que vivan empraquí (la lenga del luòc e del « pòble »). Per Costa son las doas caras del mème purisme lingüistic. Lo procediment d’aqueste doble procès sembla paradoxal perqué tot sembla opausar los dos projèctes e en mai d’aquò Costa defend la plena dignitat dels parlars contestats dels neo-locutors que s’escartan mai o mens radicalement dels parlars dels locutors eretièr. Aquò pareis encara mai paradoxal e provocaire, perqué sembla menar a considerar sus un pè d’egalitat amb l’occitan « autentic » de los que l’an apres al brèç, de parlars o biaisses de parlar ressentits per un fum de monde coma estrangièrs a l’identitat pròpria de la lenga tala coma es viscuda dins sa diversitat (l’identitat, dins et per las variantas existentas), segond los luòcs.

Mas i a encara quicòm de mai : aquestas praticas criticadas son generalament vistas (aquò es un punt central de la demostracion de Fraj) coma la resulta fatala de l’impausicion d’estandards unificadors e purificadors que per aquò far (rendre la lenga mai unificada e mai occitana) s’esluenhan mai o mens radicalament de la lenga parlada pel campestre e dins los vilatges, una lenga diversificada e mesclada de francismes. Costa refusa de considerar aquestas novèlas variantas contestadas coma la simpla aplicacion o lo simple enregistrament del procès de normalisacion, mas i vei de formas foncièrament novelas e imprevistas. E aquò, per lo sociolingüista, es una causa normala e inevitabla, la caracteristica màger de tota evolucion lingüistica. Costa nos mena aital a soscar a l’escac fatal e necessari de tot projècte « puriste », que siá de normalisacion, o de conservacion de la lenga del luòc. Aquí avèm un fenomèn pauc estudiat per la sociolingüistica occitana (en defòra del quite Costa en marge de son trabalh suls enfants de calandreta), mas important, que seriá de mostrar l’infedelitat d’aquestes biaisses d’ensenhar (perqué se tracha mai que mai d’ensenhament en calandreta o dins lo public) e de parlar la lenga tant als estandards prepausats (lo plural es aquí obligatòri) dins los manuals, las grammaticas, etc. coma a l’occitan parlat pel eretièrs.

Valdriá la pena de tornar sus totas aquestas questions, çò que pòdi pas evidentament far aquí. Pel moment me contentarai de tornar sus la question, non de la « bona » e de la « marrida » lenga (tròp vaga), mas de la lenga legitima e illegitima, tal coma Costa la buta en davant, mas en partent de la question del pòble (e donca de la lenga populara), que joga un ròtle central dins lo tèxte de Fraj.

 

Lo bon pòble

Partirai de la nocion de pòble, sovent invocada dins lo tèxte de Fraj. Me fau confessar – l’ai pas fach dins mon prefaci, perqué me semblava quicòm de secondari – que per ièu aquesta nocion es pas ges satisfasenta : tròp generala e incantatòria, amai se Fraj pren la pena d’apondre una longa nòta sus la question dins lo libre[1]. Per principi, ièu eviti de’n apelar a aquesta abstraccion que lo mai sovent es utilizada per balhar una legitimitat a de discorses ideologics que, en mai, podon èsser contraris entre elis. Çò que i a de bon amb lo pòble (lo « bon pòble », coma disián los reis) es que li podèm far totjorn dire çò que volèm. Me sembla melhor de parlar de classas o grops subalternes, se volèm designar los que son en dejos de la piramida sociala, o alara de precisar los mestièrs e las situacions socio-economicas del monde. Lo problèma a l’encòp politic e espistemologic, amb la nocion de pòble, es que marca una unitat, una unanimitat, un consensus ont n’i a pas jamai agut, per definicion : lo quite Fraj reconeis lo caractèr « desconcertant, contradictòri » del pòble (mas an aqueste gras de generalitat, aquelas qualitats son la de l’umanitat entièra !). Cada còp que disèm que « lo pòble » ditz, pensa, sosca, crei quicòm, fasèm violença a los que dison, pensan, soscan, creson quicòmmai ; es una procedura d’exclusion. Se pòt quitament pas dire que i aja un sol biais de parlar « populari » ; la quite lenga (se se pòt utilizar lo singulièr, vist que lo « pòble » occitan es dempuèi longtemps blingüe) del pòble presumit es diversificada e trabalhada per de contradiccions (segond lo nivels de lenga,

Puèi, nos cal pas doblidar que se l’occitan demora, a l’ora d’ara, solament parlat per una (estequida e vièlhissanta) part de las classas subalternas de la campanha, foguèt parlat pendent de sègles per quasiment tot lo monde : noblesa, granda e pichona borgesiá, etc. La cultura escrita occitana que nos demora es ricca tanben de totas aquestas situacions socialas que son pas la del « pòble » al sens de las classas subalternas (per exemple la lenga de Godolin èra tanben – subretot ? – la lenga parlada per las classas superioras de la vila mondina). E aquò, mancam pas de zo afòrtir quora se tracha de mostrar la dignitat de la lenga, que foguèt cantada per de reis, de senhors, d’intellectuals reconeguts en situacion d’agantar lo prètz Nobel, etc. E avèm rason de zo far, tant coma d’insistir sus la destinada « populara » de la lenga a causa de la situacion de diglossia de mai en mai pesuga, es a dire sa situacion de relegacion sociala. Vertat que la lenga que nos demora es la del monde en bas de l’escala sociala, e que nòstra fidelitat a la lenga es tanben una fidelitat, lo mai sovent a una origina sociala.

Mas se disèm « origina » es que d’aqueste « pòble » ne fasèm pas mai part, ne sèm partits. E aquò vòl dire que una granda part dels neo-locutors (me metti evidentament dins lo lòt), son, pels locutors d’en bas (sián los nòstres aujòls o pas) de nantits e de monsurs que, de còps que i a, volon far mina d’èsser demorats çò que son pas mai, en parlant patés. Evidentament aquò sufís, en bona analisa bourdieusiana, per lor interdire de poder parlar coma parlavan (e parlan encara un pauc) lo monde d’en bas, perqué la situacion sociala del locutor es totjorn presenta dins sa lenga e dins son biais de parlar, amai (e subretot) quora cerca d’escarnir, d’escaramiar, de mimar qualcun d’una posicion sociala subalterna. Se volèm una lenga comuna, es clar que de tot biais podem pas escapar a sa diversificacion e donca a sa ierarquisacion sociala.

Aquò empacha pas, evidentament, de trabalhar a corregir las inegalitats socialas, mas aqueste trabalh se fa pas solament amb e per la lenga, plan segur ! Vòli dire que se pòt pas far per la sola revalorizacion de la lenga d’en bas, ni mai per sa censura, coma zo fa l’escòla, tota al servici del modèl naut, que son acquisicion es (deuriáèsser) lo garant de l’assencion sociala. Pasmens, la primièra causa contra aquesta inegalitat, es la reconeissença, l’atencion, l’interés pel monde coma son, amb lor biaisses d’èsser, de parlar, de se tener dins la vida, sens mitificacion ni mai complasença, s’es possible, mas amb umilitat e benvolença.

Coma Fraj, Costa e, me pensi, la part magèr dels occitanistas d’uèi (podriá balhar tanben la tièra dels intervenents dins la discussion en linha : Martel, Me ièu, Maime, MP, etc.), mon ligam a la lenga es pas separable d’aquesta reconeissença sociala ; lo fait de se sentir eretièr d’aquesta gent, de lor èsser reconeissents per çò que nos an balhat e demest d’autras causas, plan segur, amai sovent sens zo voler, la lenga. Costa a rason de remarcar que dins lo mespres del patés, son las personas dels locutors que son judicadas per lor estatut social : vièlhs, paísans, d’un nivel d’educacion modest, marrits consomators, « pas cool », « pas telegenics » : « Sètz de ‘ploucs’, donca, per extension, vòstra lenga es una lenga de ‘ploucs’ ». Cal donca inversar l’analisi (es encara çò que nos apren Bourdieu) : los vièlhs pacans son pas mespresats perque parlan patés, mas es lo patés a èsser mespresat, perqué parlat per de vièlhs pacans et autres paures bogres.

Dins lo fons, lo repròche que sèm nombroses a far (Fraj, Lagarde[2], etc.) a la lenga « fòra-sòl » que s’entend e s’ensenha tròp sovent, es mai un repròche d’amnesia sociala que non pas linguistica. La transmission de la lenga, de la lenga « nòstra », almens per nosautres, a pas de sens que d’èsser estrechament ligada a la memòria sociala del monde que la parlavan e la parlan encara. Aquò, per ièu, vòl pas dire que cal pas far de nòu : fau, plan segur, « daissar parlar » los qu’an l’enveja, lo desir de parlar e qu’an besonh de se fargar amassa de novèls espleches linguistics (me fan rire los que se dison trucats pel « paissel » o pel « rescambi » de Calandreta), e vòl pas dire tanpauc que al nom de la fidelitat als ancians debèm luchar contra tota fòrma de nòrma e d’estandard. Vòl solament dire que transmetre la lenga, per nosautres, es tanben transmetre d’elements d’aquesta cultura sociala, a costat plan segur d’autras elements (per exemple l’erotica dels trobadors o lo baròc flambejant de Godolin), mas amb mai de fòrça e de preséncia emotiva çaquelà, perqué aquò demora nòstre ligam viscut amb la lenga.

Mas debèm comprene qu’aquò es pas la situacion generala, subretot dins la novèlas generacions que son, de còps que i a, quitament pas los felens de locutors « naturals » (es a dire de las classas subalternas de la campanha). Aquels d’aquí, forçadament, aurán un autre imaginari social de la lenga, d’autras emocions, que te sabi, ligats a la còla dels companhs, a lors regents e/o a lors parents emplegats, pichons fonccionaris o de professions liberalas que se reconeisson dins de moviments alternatius (ecologistas, o autres), mas an pas o gaire de contactes amb de vièlhs locutors. E aquò pòt pas mancar d’influir sus lor lenga, una lenga puèi, mai que mai, d’escòla, vist que las familhas, lo mai sovent, la parlan pas. Podèm pas obligar lo monde qu’an pas lo mème viscut de la lenga, que lo podon pas aver, de se representar la lenga coma nosautres, de la sentir coma nosautres e donca de la parlar coma nosautres. Nos cal pensar a cossi mantener un ligam entre elis, nosautres e los vièlhs eretièrs sens, en efeit, los condamnar, cada còp que dobrisson la bocca, a l’illegitimitat. L’idea, per exemple, prepausada per Costa de praticar la sociolinguistica activa amb los escolans d’occitan, puslèu que de lor inculcar la varianta de lenga jutjada sola legitima, me sembla fòrça interessanta (trasi aquesta citacion en provençal de la discussion) : « faire comprene que se parla pas parier segon lei contèxtes […], lo monde etc. Après se pòt imaginar de reflexions sus "de qué cambia d’utilisar una varianta o una autra ? Coma podèm jogar estilisticament amb la lenga ? De qué ditz sus nautrei, sus la situacion d'enonciacion?". E l’etapa seguenta serà de pensar lo rapòrt a l’estandard, quante que siegue, assajar de comprene cu l’emplega, lei rapòrts de poder qu'implica. »

 

Lenga legitima

La question de la legitimitat permet de tornar prene lo mème discors d’un autre biais. Citi encara Costa, aqueste còp en lo revirant : « E l’enjòc es aquí : nos condamnar a l’illegitimitat perpetuala ? Instaurar un occitanisme a doas vistessas, amb una casta d’Autentics provesits del certificat del papet e de la mameta ? De Calandrons qu’auran parlats l’occitan tota lor corta vida, mas un occitan a jamai marcat del sagèl de l’infamia ? O alavetz ensajam de cambiar nòstre agach sus la lenga ? ».

M’apiejarai sus la definicion de Bourdieu : « Es legitima una institucion, o una accion, o un usatge qu’es dominant e desconegut coma tal, es a dire tacitament reconegut. » (« çò que parlar vòl dire »). Se prenèm aquesta definicion es clar que la lenga occitana patís d’un deficit de legitimitat. Es pas legitima en se coma lenga, vist que sa quite existéncia es problematica. La lenga occitana legitima es pas establida ; l’occitan es pas pro institucionalizat, normat et reconegut pels poders, per gausir d’una forma legitima incontestabla (la legitimitat inconstestabla seriá, me sembla, mai o mens çò que Kathryn Woolard – una de las referéncias, totjorn plan ricas, de Costa) – ditz amb son concepte d’« anonimitat » e de « lenga neutra », mas « lenga neutra » es una expression inganaira : i a pas cap de lengas neutras, i a solament de lengas que semblan neutras, las que son legitimas, perqué simplament son los produches d’un procès capitat – almens per un temps – de naturalizacion (evidentament e fatalament la naturalizacion es una ficcion). En fach es la forma oficiala, normada, nauta, superioria d’aquesta lenga qu’es legitima, e non pas la lenga dins totas sas variantas e totis sos nivels (i a pas qu’una forma de francés legitime vertadièrament e sens discussion).

E es plan per aquò que lo problema de la sorga de la legitimat se pausa per totis : aquesta sorga dèu èsser los manuals que pretendon ensenhar la norma reconeguda (o almens una norma que preten a la reconeissença) ? O dèu èsser los locutors eretièrs (« locutors naturals ») del luòc ? O alara benlèu podriáèsser los usatges dels neo-locutors, avenir de la lenga se n’i a un, que son pas l’aplicacion fidèla dels manuals normats, e que son lenh, de còps que i a fòrça lenh, de çò que parlan los eretièrs ? Evidentament aquesta darrièra proposicion pareis malaisida de sostener, perqué li mancan dos elements de legitimitat fòrça importants : la justificacion per l’ancianetat e la justificacion per la nòrma (los neo-locutors son sovent criticats a l’encòp al nom de la nòrma e al nom dels vièlhs).

Me pensi qu’avèm aquí dos fondaments de la legitimitat que son en tension e avèm besonh de totis dos, per defendre publicament nòstra lenga ; amai se la question de la « bona » concepcion de la nòrma demora duberta (dusca a l’ora d’ara s’es pr’aquò impausada l’idèa d’una nòrma polinomica o pluricentrica, plan diferenta de la nòrma unenca a la francesa), qu’es en fach la resulta d’una negociacion entre aquestas doas sorgas de legitimitat. Los neo-locutors (que, encara un còp, ne sèm gaireben totis !) son forçadament preses dins aquesta tension, amai, de còps que i a, sens se’n rendre tròp compte.

Mas alara es normal, o puslèu, es dins l’òrdre de las causas que, quora s’escartan tròp del parlat dels vièlhs e/o d’una nòrma coerenta, los neo-locutors sián constestats dins lors biasses de parlar. Es dins l’òrdre de las causas tanben qu’existís de desacòrds, de conflictes (mas tanben de mediacions e de concessions), entre los tenents de la lenga parlada, es a dire dins totas sas variantas (e vertat que los neo-locutors presentan de variantas novelas), e los partisans de la(s) nòrma(s). Aprèp, coma totjorn dins las lengas, vertat qu’es l’usatge que decidís, amai foguesse considerat coma marrit per los uns e/o los autres. Dire qu’aquesta reaccion critica es de « purisme » (per exemple, la de Fraj, o encara la de Lagarde, dins l’article citat) es benlèu un pauc exagerat ; es solament rampelar que i a de limitas a l’acceptabilitat de las formas (fonologicas, sintaxicas, lexicalas…), de limitas que, vertat, son totjorn discutablas e faitas per èsser desplaçadas, mas que existisson forçadament ; i a totjorn un sulhet, al delà del qual qual que siá, amai lo mai tolerant e liberal de nosautres, jugeràçò qu’ausís, tot en lo comprenent perfièchament, coma inacceptable (« aquò es pas occitan » !). Qu’aqueste jutjament es a l’encòp linguistic e social, es evident, mas es impossible de zo pas portar. De tot biais, me sembla que lo rampèl de la lenga parlada pels eretièrs a l’intencion dels neo-locutors e dels normativistas en cambra es quicòm de salutari e d’utile. Avèm besonh d’una continuitat istòrica e d’una espessor culturala e sociala per poder reivendicar la legitimitat de nòstra lenga coma lenga e non pas coma patés ni mai volapuk, lenga de farlabica, n’avèm besonh per en defendre l’imatge, l’identitat, l’existencia, mas tanben per nos i tornar trobar nosautres tanben, per nos reconeisse dins çò que parlam, ausissèm e legissèm.

Joan-Pèire Cavalièr

 

La-Liberte-guidant-le-peuple-vandalise-le-Louvre-rassure_article_landscape_pm_v8



[1]« Totes les grops umans que dins aqueste país pertanhen pas a las classas dirigentas, que bailejan pas las causas per çò qu’es de l’economia e de la politica… », p. 82. Me sembla que grand part de la quite borgesia en dins aqueste situacion. Mas dins la pagina seguenta ditz de la font dels escrivaires occitans es lo pòble d’en bas, en dejos de la borgesia « granda » e « pichona ». Dins la definicion larga, Fraj e ièu fasèm part del pòble, dins la definicion estrècha, non.

[2] De legir absolument l’intervista recenta de Lagarde : Gilles Couffignal, Marc Lenormand et Yan Lespoux, « Les langues minoritaires à l’école : de la critique de l’aliénation à la resocialisation linguistique. Entretien avec Christian Lagarde », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 25 | 2013, mis en ligne le 18 novembre 2015. URL : http://traces.revues.org/5859

Punt de vist de Cristian Lagarda sul libre d’Eric Fraj : Quin occitan per deman ?

$
0
0

Cristian Lagarda, sociolinguïste de tria qu’ensenha a Perpinhan, me fa l’onor de me mandar son vejeire sul libre de Fraj, paregut a las edicions Reclams, sus la discussion qu’en faguèt aquí James Costa (Quelques réflexions sociolinguistiques à propos du livre d’Eric Fraj, Quel Occitan pour demain ?). Me sembla que sa refleccion, plan interessanta, encontre mai d’un còp de causas qu’ai ensajat de formular dins mon darrièr bilhet, a pena publicat (Las doas sorgas de la legitimitat).Vist que Lagarda nos ditz que sa lenga escrita es la de Lavelanet, me soi permes d'illustrar lo tèxte amb dos imatges d'aquesta vila.

lavelanet

Lavelanet

 

Punt de vist de Cristian Lagarda sul libre d’Eric Fraj : Quin occitan per deman ?

 

        Lo succès del libròt de l’Eric Fraj se demesís gaire, e las sesilhas de debat se seguisson, a l’aire, passionant lo monde – vòli dire, un monde preocupat per la question tractada de l’avenidor de l’occitan. Cal pas créser pr’aquò que la societat ne sia trasvirada ; mas òc ben lo « microcòsme », e es pas tan frequent qu’aquel monde, que ne soi ieu tanben, se vòlga pausar publicament la question que nos carcanha intimament : i aurà d’occitan deman ? e quin occitan ?

        L’ensag polemic del Fraj es un revulsiu que tòca una societat de longa diglossica, sompartida istoricament e simbolicament entre doas lengas (e en realitat, socialament, dempuèi bèl briu – encara mai a l’ora de la mondializacion – plan mai qu’aquò) : la nauta e la baissa, solid, mas tanben la de la rason e la del còr. Parlar publicament del futur de l’occitan, es estrissar la barralha del drama interior de la pèrdia de la lenga – e perqué pas aquela de la cultura. Es gratar ont fa prusina…

        Sabèm plan que lo « darrièr locutor » d’una lenga es un mite, que lo ven desmentir lo debanar de l’istòria : tant de còps s’es augurat  l’eveniment… qu’encara, urosament, s’es pas realizat. Es sonque una profecia pessimista que pren pas en compte un element pr’aquò verificable : « la lenga » es una construccion teorica (non pas benlèu coma la pensèt Saussure, es a dire « un système où tout se tient ») mas en realitat manejada per de parlaires que la « realizan » cada jorn que fa dins de « discorses » plegadisses, interpretacions mai o mens trantalhairas de « la lenga ».

         La lenga es a l’encòp una aisina de comunicacion – e aquela comunicacion se pòt obténer amb un nivèl de competéncia « good enough » (pro sufisent), coma disiá John Goody, valent a dire pas perfait – e una aisina simbolica de reconeissença demèst la « comunitat de parlaires », grop que se pot instrumentalizar ad libitum, tant ideologicament, al nivèl sociopolitic, coma lingüisticament, en fargant la nòrma e la « bona usança ». D’un costat, per tant qu’o desiren, lo monde se pòdon totjorn endevenir ; de l’autre, se pòdon ramosar o desseparar a sa fantasiá (o a aquela dels que comandan aquela « fantasiá »).

         Quand l’occitan èra viu – vòli dire socializat coma « lenga normala », al mens de la majoritat del monde (e aquò es pas tan vièlh) – cadun emplegava son parlar e s’esforçava per compréner aquel de l’autre (dins las fièiras, coma uèi dins los rencontres occitanistas ; encara que, coma o mostrèt Dinguirard, fasián mina de pas compréner lo parlar del vilatge vesin). Tot aquò sense academias e sense consciéncia d’una nòrma. Patesejavan mas fasián tindar la lenga… çò qu’empachava pas los letrats d’escriure e quitament d’escrincelar la lenga, sus d’autres registres. Als Estats Units, i a pas d’acadèmia e l’anglés i es pas solament lenga oficiala. Als occitans pastats de cultura politica e culturala francesa, lor còsta d’o encapar, que lor cal reproduire lo modèl « superior » del dominant…

         Uèi ne sèm pas al « darrièr locutor » mas la socializacion de (las varietats de) la lenga es generalament residuala, pr’amor de la « rompedura intergeneracionala » que nos fa nos demandar, aprèp « quina lenga transmetre » qu’es encara minoritàriament possible, « quina lenga apréner » o ben « quina lenga tornar apréner » ? Per çò qu’es de la responsa, aquesta se pòt considerar de dos biais : l’un retroactiu, l’autre present e prospectiu.

         Retroactivament, cal remontar mièg sègle ençà, « del temps que [los occitans encara] parlavan » (per retipar lo títol d’un recuèlh de contes que ne coneissi plan l’autor) ; la dignificacion academica e sabenta de la lenga, opausada al patoès, se menèt coma una campanha justificada de proselitisme : tornar a la lenga e al poble d’òc sa fiertat, sa legitimitat… en li faguent descobrir, a aquel « poble d’òc », coma una revelacion, la nòrma, e en mespresant tròp sovent a l’encòp (sens o voler totjorn) la paraula cotidiana, aquela qu’èra « good enough » per comunicar. A la rompedura de la transmission s’ajustèt una rompedura sociolingüistica intèrna, que lo sociolingüista còrsa Joan-Batista Marcellesi defugiguèt en çò sieu, en diguent que tot èra còrsa, qu’avián pas besonh d’estandard mas puslèu que lo monde parlèssen cadun de son biais e que s’esperforcèssen per se compréner « enough ». La necessitat de l’estandard benlèu vendriá apuèi… e a l’aire que ara i son. Al sens contra, los occitanistas missionaris, nos enganèrem, o cal reconéisser ara sens trantalhar.

         Mas entre lenga orala e lenga escrita, entre lenga transmesa « naturalament » e lenga apresa/ensenhada, tot càmbia. L’argument del Fraj es qu’òm se deu totjorn apiejar, quand òm pòt, suls parlaires « naturals », encara que patesejen : ambe eles, i a una comunicacion sociala, encara que la comunicacion intergeneracional siáper se tròp parcelària, que los interèsses dels pichons e dels papetas siá pas semblant : mas, de cara zal dangièr, tot fa fòc. Plan solid qu’una lenga partejada per totes los mainatges, o quitament una lenga representada coma partejada (dins los programas televisuals, per exemple), son d’incitacions a compréner e benlèu a se lançar amb un « good enough » acceptable. Mas s’aquò es pas lo cas, cossí far ?

         Dins lo vocabulari de la pragmatica, avèm una nocion que me pareis essenciala, es la de l’« acceptabilitat » d’un discors, que lo nivèl d’aquela es plan variable : dins l’escambi informal, tot pòt passar, per tant que los interlocutors se comprengan ; dins l’espandi social – quand as una foncion, e pr’amor d’aquò una responsabilitat, sociala (d’ensenhar o d’espandir la lenga), lo nivèl del « good enough » es plan superior perque venes un modèl. Aquel modèl es un compromís entre l’exigéncia e la tolerància : cada parlaire se pòt pas inventar sa lenga (sa novlenga)coma o fa Humpty Dumpty dins Alícia al païs de las meravilhas, per exercir sa creativitat o (coma lo HD) son poder d’o far ; mas cada parlaire es pas tanpauc un academician redde e botonat. Coma dins Bufòla e lo lop blanc, « ne cal demandar lo just e la rason » (a cadun sa cultura) ; mas ont es « lo just », e ont es « la rason » ?...

         Dins quina lenga que siá, i a doas categorias de parlaires : aqueles que son « monoregistres », e aqueles que son « poliregistres ». Los « monoregistres » son rares mas existisson : son per exemple los « jeunes des quartiers » qu’en principi se sabon pas adaptar a un interlocutor d’un mitan social o cultural diferent ; los « poli », eles, sabon ajustar lor parlar a l’escasença. E es aquò que cal saber far per se socializar, entre lenga normada e lenga de cada jorn. E aquò, o sap far « lo pòble » invocat per l’Eric ? Mèfi de lo mitificar pas tròp ! Tot comptat e rebatut, aquò supausa, dins los aprendissatges escolars que lor fan ajuda o los remplaçan, que los « formadors » sián formats, qu’ajan una varietat plegadissa de registres e non pas un bagatge de « b-a-ba » o de catechisme engolit a la lèsta..

         Del meteis biais, apréner o tornar apréner per l’ensenhar o la comunicar, una lenga, dins un encastre diglossic ont aquela de la vida vidanta (quand existís) es claufida d’interferéncias, calcs e manlèus a la lenga dominanta, es pas tan simple. Aquí tanben, « lo just e la rason » es entre un purisme excessiu e un laxisme que fa de la « lenga » sonque un ersatz qualque còp espantós. L’òme public, mèstre, cantaire, locutor de ràdio o de television, cal que contròle sa lenga, en foncion de son acceptabilitat (dins aquò, quina plaça pel dialècte, jos-dialècte, per lo parlar ? Aquò se pòt discutir, e i a un molon de solucions individualas, e fin finala, interindividualas, regladas per e dins  l’escambi), sens se forçar a un estandard que manejariá tròp abstraitament coma una lenga de laboratòri, o una lenga estereotipada, (coma a l’ora d’ara la meteissa votz de la meteissa dòna qu’ausissèm, recompausada a tròces e bocins dins totas las garas de l’exagòn).

         « Lo pauc e lo tròp gastan lo jòc », ditz lo reprovèrbi. Dins la confrontacion entre l’Eric Fraj e lo James Costa, pensi qu’aqueste a rason d’escriure que la lenga es pas una esséncia, qu’es pas propietat de qualque grop que siá mas de sos parlaires e de cadun d’entre eles de son biais, que la lenga del parlaire tanpauc la cal essencializar perque, coma o suggeri, l’afar es pus complèxe que çò que sembla. Lo punt de vista del Costa es aquel del cientific, professionalament dobèrt a la pluralitat/diversitat, que se malfisa tant del « foncionari » normatiu e dont mai pimpilhós que sap pas grand causa, coma de l’« engèni dels pòbles » que se bota a totas las salsas. Mas lo punt de vista de l’Eric Fraj es bastit sus una complexitat (que deu pas venir esquizofrenica) entre l’òme saberut, el tanben, e lo militant implicat sul terrenh coma modèl : ensenhar la lenga (per o dire atal), tanplan coma far lo pòrtavotz o lo pòrtabandièra, aquò es un engatjament de responsabilitat sociala de longa, mai dirècte que non pas (coma o fau ieu tanben aicí) d’escriure d’articles cientifics o quitament « de vulgarizacion » per un public ja identificat e semblant a se. Aquí, se cal tornar agantar amb sos escolans, amb son public ; cal assumir la resulta de son ensenhament, de son messatge o dels imaginaris qu’as despertats.

         Lo libre de l’Eric Fraj a lo meriti de nos far soscar, de nos far debatre, d’exprimir çò que nos rosèga mas qu’aimam gaire de mostrar publicament. Permet un exercici sanitós, benlèu catartic, tant al nivèl individual coma collectiu. D’acòrdi o pas amb lo punt de vista defendut, qu’es pragmatic mai que dogmatic, qualque còp exagerat (escrivi pas ieu en parlar de Lavelanet, qu’i demòri pas, emai ne venga de familha e de naissença) e pas totjorn completament coerent (mitificar la « lenga del pòble » val pas mai a mon vejaire qu’o far amb l’estandard), aquela reflexion fina, intellectuala e de terrenh a l’encòp, fa bolegar los cervèls. Tan melhor ! Melhor se los « intercessors de la nòrma » (coma los sonèt un còp èra lo Lafont), mèstres e comunicaires publics, i sosquèssen ; melhor seriá encara que lo debat arribèsse als (darrièrs ?) parlaires, per los butar a far son possible per èsser pas vertadièrament los darrièrs, qu’ajudèssen a transmetre una basi qu’empachèsse encara un brieu de parlar « hors-sol ».

Cristian Lagarda, Universitat de Perpinhan, mai de 2014

1370691736-Lavelanet-bords-Touyre

Le Limousin limogé

$
0
0

Une fois n'est pas coutume, je me permets de publier ici un texte militant rédigéà chaud par la Coordination Occitane du Limousin après l'annonce du rattachement de la région à l'ensemble Poitou-Charente et Centre. Dire que nous sommes effarés n'est pas peu dire. L'absurdité et la brutalité de ce charcutage territorial nous laisse (presque) sans voix...

JP C

Si vous êtes en accord avec ce texte, vous pouvez le signer sur la pétition que nous venons de créer

... ainsi que nous rejoindre sur Facebook.

 

Carta_occitan_lemosin

 

Le Limousin est occitan et doit le rester

La Coordination Occitane du Limousin exprime sa vive inquiétude au sujet du rattachement de la région Limousin à l’ensemble Poitou-Charentes et Centre.

La région Limousin constituait en effet un ensemble relativement cohérent d’un point de vue géographique, paysager, culturel, agricole et économique. Elle sera désormais arrachée à l’ensemble occitan, qui contribuait fortement à lui conférer son unité et son identité culturelle.

Nous n’avons, loin de là, aucune réticence envers les régions qu'on nous amène à rejoindre et leurs langues historiques ; nous apprécions le poitevin et le berrichon et le fait que ces langues appartiennent à l’ensemble oïl ne nous gêne nullement, mais la quasi absence de politique linguistique dans ces régions est pour nous un grand sujet de préoccupation, alors que nous travaillons ici à permettre le développement d’une telle politique en concertation avec les autres régions occitanes. Mais, outre notre étonnement devant les incohérences évidentes de ce piètre exercice de remodelage territorial, nous sommes surtout extrêmement choqués et même humiliés par la procédure : ce grand remembrement national s’est fait sans aucune consultation des citoyens français ; il est le contraire du modèle de citoyenneté participative dont on ne cesse de nous chanter les louanges ; une fois de plus la politique d’aménagement territoriale est en France le seul fait du prince.

La Coordination Occitane du Limousin est née d’un appel lancé fin 2013 par l’ensemble des associations et personnalités engagées dans la défense et la promotion de l’occitan limousin. L’appel a été signéà ce jour par plus de 700 personnes, dont plus de 70 élus. Nous sommes parvenus, grâce à cette mobilisation, à quelques avancées, notamment auprès de la Région, qui s’est montrée favorable à la prise en charge d’une enquête sur la situation de la langue et sur les aspirations des citoyens à son sujet. Nous craignons évidemment que cette restructuration, en déplaçant les pôles de décision hors des zones occitanophones, conduise à l’abandon de toute attention et de tout intérêt de nos nouveaux représentants régionaux pour la diversité linguistique en général et l’occitan en particulier.

En conséquence, nous demandons d’une part que soit réétudiée la possibilité d’un rattachement du Limousin à une autre région occitane.

D’autre part, face à cet avenir incertain et à une disparition programmée du Limousin administratif, nous demandons que l’enquête sur la langue soit réalisée au plus vite afin que des éléments concrets puissent servir d’appui à l’élaboration d’une future politique linguistique digne de ce nom pour notre territoire.


Jan dau Melhau, Appel du 5 juin

$
0
0

J'ai reçu un texte de Jan dau Melhau par la poste, s'insurgeant contre le sort subi par le Limousin dans le remembrement régional. Il me demande de le diffuser, si je le trouve à mon goût, par les moyens qui sont les miens (Melhau se tient hélas à l'écart d'internet). Je le fais volontiers, même si, bien qu'en accord sur le fond (voir le texte de la Coordination Occitane publié avant-hier), je trouverais à discuter bien des choses dans ces lignes (une certaine vision de l'histoire en particulier). Superbement écrit, comme à l'accoutumée, il mérite en tout cas amplement la lecture et la discussion. JP C

Melhau1

 

APPEL DU 5 JUIN

 

            La Révolution, en créant les départements sur des appellations purement géographiques, avait voulu détruire tout ce qui rappelait l’Ancien régime, que des anciennes provinces ne demeurât pas même le nom, que les peuples de France en perdissent toute identité.

            Il s’agissait de créer l’homme nouveau, le citoyen désincarné, hors toute communauté autre que nationale, tout seul face à l’État.

            Un siècle plus tard, l’école de la République fit la guerre aux langues et cultures des peuples de France, leur fit honte de ce qu’ils étaient, vida les campagnes de ce qu’elle pensait être leurs meilleurs éléments pour en faire les serviteurs zélés de l’État ou du capitalisme national.

            Le Limousin, avec sa langue, mourait tout doucement…

            La régionalisation sous laquelle nous vivions avait créé des monstres tels que Provençalp’côt’d’azur, dont les habitants, à l’évidence, devaient se dire, en toute simplicité Provençalpcôtdazuriens, mais le Limousin, miracle ! était réapparu avec un minimum de conscience de soi.

            La République a réussi à réduire sa langue à la dernière extrémité, elle veut achever aujourd’hui de l’éradiquer en le noyant dans une mer d’incohérence, en mariant la carpe et le lapin, l’éleveur limousin et le céréalier beauceron, la platitude et le plateau.

            Le Limousin, d’aucune façon, en quoi que ce soit, ne peut avoir à faire avec la présente région Centre. Et les liens qu’il a toujours eux avec le Poitou et la Saintonge ne peuvent lui donner l’idée ni l’envie d’être de leur attelage.

            Le Limousin, avant d’être au centre, est au nord, au nord des terres occitanes, statut qu’il partage avec sa sœur – ou sa cousine – l’Auvergne.

            Il est, depuis les Celtes lemovices, un pagus, un pays, il a eté, aux XIème et XIIème siècles, le berceau de la grande poésie lyrique des troubadours, et alors envahissait l’Europe de ses ors émaillés.

            Les Catalans, en cet honneur, au XIXème siècle de leur renaissance, nommèrent leur langue llemosi.

            Qu’il garde au moins mémoire de cette gloire-là !

            Il a toujours étéà la fois de la montagne et de l’Aquitaine, il est en fait la partie montagnarde de l’Aquitaine, mais avant tout il doit rester limousin, et de si grandes régions sont des aberrations humaines que bien sûr on nous présente comme des nécessités économiques. Comme si l’économie, depuis belle lune, se préoccupait de l’homme !

            Qu’il reste limousin !

            Au nom de Bernard de Ventadour, de Léonard Limosin, des maçons limousins et de Marcelle Delpastre.

 

            J’accuse le petit monarque de Paris (car nous vivons dans un régime de monarchie élective) de vouloir achever de nous détruire dans ce qui nous fait au plus profond de l’être (et ne pensez pas, Limousins, qu’il suffira de quelques galetous, d’un clafoutis pour sauver votre identité !).

            J’accuse les élus du Limousins, les socialistes en tout premier lieu, de complicité active, de duplicité ou de jobardise.

            Et j’appelle les Limousins à la résistance et à l’insurrection, à des actions non-violentes que je souhaite nombreuses, imaginatives – humour et ironie –, imparables.

 

N’i a pro !

Le préfet du maquis

alias Jan dau Melhau

Quin occitan per deman ? Discussion mondina del 27 de Junh 2014. Intervencion de Miquèu Pujòl

$
0
0

Lo divendres 27 de juhn passat, se debanèt a Tolosa, carrièra del Taur, dins la sala de l’Universitat del Temps Liure, una discussion publica, organizada mai que mai per Patric Sauzet e Manon Serres del departament d’Occitan de l’universitat de Tolosa Miralh ara Jan Jaurès, a l’entorn del tèxte manifeste d’Eric Fraj, Quin occitan per deman ? (publicat en occitan e en francés sus aqueste blògue e jos la fòrma d’un libre en çò de Reclam) en preséncia de l’autor e d’un quarantenat de personas. Lo debat foguèt – me pensi que sèm quasiment totis d’acordi sus aqueste punt – ric, fruchos e coral sens èsser mai dins l’unanimisme Faguèri a la lesta l’istorica d’aquel tèxte deja fòrça comentat (veire aquí a la seguida de las doas versions dels tèxtes e tanben las intervencions de James Còsta, de Cristian Lagarda e de ièu) e de las nombroses discussions que se son deja debanadas sul subjècte. Son intervenguts sul model de la taula redonda, amb de responsas a cada còp de l’autor, Cristian Lagarda, Domenje Blanc, Joan Sibile, Miquèu Pujòl, Arno Krispin e Patric Sauzet e, dins la sala, Alan Surre-Garcia, Gilbert Mercadier, Jan Cristòu Dordet, Micheu Chapduelh e d’autres qu’ai pas marcat lors noms e que se podon far coneisser.

Ai demandat a los que volon plan de me mandar lo tèxte de lor intervencion o lors reflexions a posteriori per publicacion en linha. Vaquí per començar lo tèxte de Miquèu Pujòl que faguèt una intervencion apassionada e emocionanta dins una lenga subrebèla que vos daissi descobrir.

J P C

 

Montreurs-dours-dErcé

Orsalhièrs, valea deth Garbet

 

INTERVENCION DE MIQUÈU PUJÒL en DEBAT entorn deth « QUIN OCCITAN DEMAN ? » d’ERIC FRAJ

Que mos estomaquèt un dia un deths nostis eminents entr ‘eths eminents en disent, benlèu per jòc, qu’ « eth dia on dispareisheria eth derrèr deths occitanofones naturaus, alavetz se poderia començar d’ensenhar eth occitan » ! A l’opausat de parèlha pensada, qu’è tostems cresut que ren no vau era coneishença e se possible era pratica deth parlar vernaculari enà parlar e ensenhar coma cau eth dit occitan.

N’ei cap jo que diserè qu’ei aisit d’ensenhar era lenga nosta, jà l’agem parlada ara popa. Quan me demandèren, en licèu de Muret, enas annadas 1970, de segondar eth Juli Dauriac en aqueth trebalh enas classas deth secondari, be fu plan embarrassat. Ensenhar occitan ? Quin occitan ? Qu’aviam escolans dera riba dreta coma dera riba gaucha, e d’entre eras duas, d’auguns qu’entenian a casa un parlar lengadocian, d’autes gascon, e jo que sabia sonqu’eth mièu gascon coseranés d’Ercé (valea deth Garbet) on disem « femna » e non pas « hemna », « avia » e non pas « aveva », etc... Que i anèrem a paupas, un bricolatge eth mes possible individualisat, dab er’ajuda preciosa deths liberòts de Rigoste, « Parli lengadocian », « Que parli gascon », pueish eths obratges d’Andrèu Lagarda, de Darrigrand, de Miquèu Grosclaude, dera canta d’un Claudi Marti, deths de Nadau... Lèu que comprenè que n’èra cap question d’ensenhar un occitan referenciau, bon en tot lòc e per tots eths publics. Adapta’s que calia saber fèr.

Que sòrti d’un collectage ena valea deth Garbet, on è acompanhat cinq còps dus dias un joés « tecnician » de « l’Ostau comengés » qu’a entreprés aquera operacion en partenariat dab « les Amis d’Aulus et de la vallée du Garbet » dont som president. Deseguit que pòdi diser que’n i a un qu’aurà d’ a préner paciencia s’espèra era mort deth derrèr deths Mohicans. Deths 25 qu’avem enregistrats e filmats, era mes vielha qu’a 91 ans, eth mes joés 44, e benlèu eth melhor de toti, lenga e reflexion coma se ‘n enten pòc, e que parla gascon dab eth sièu mainat de quate ans ! Qu’ajan tostems viscut ena valea, o qu’ajan passat tems en America o enas vilas, qu’an sauvat tots eth parlar aprés a casa, e eth plaser de parla ‘u. A Ercé ua generacion de 50/60 ans uei que profietèc dera politica volontarista de mantier ara tèrra d’un maire ens annadas 60/70, un vinteat de joesi que poguèren contunhar de tiér vacas gasconas dont se venen eths vedèths. Tier vacas e tier era lenga no fasian qu’un per aquesti. Aquò que confirma cresasque qu’era vitalitat dera lenga va dab era vitalitat economica. Qu’arribèc qu’eths que partiren aras Americas se serviren deth « patoès » enà trobar trebalh enas ostelerias de New-York e alhurs : eth prepausat ar’embaucha que podia èster un deth païs e eth « patoès » que les servia de brevet !

Se i a ua chança de sauvar un « occitan deman », qu’avem d’escotar, d’enténer, de fèr coneisher aths qu’aprénen uei aqueris « occitanofònes naturaus ». No pretendi cap que no serviria a ren d’aver professors, cercaires, linguistes, corses d’Univèrsitat, e que’m som plegat autant qu’è pogut aras normas graficas. Mes s’è 15 ans e mes fèt emissions a « Radiò-Païs » en Bigòrra, participat ath trebalh de « Parlem ! », parlat cada dia, escrivut en jornaus e revistas, qu’ei en mièu coseranés d’Ercé, qu’ei en « patoès » aprés en fèr eth pan dab eths mièvi, er’èrba dab eths oncles, en parlant dab totis aqueths « occitanofònes naturaus » autant e mes que dab eths amics occitanistes que eris tanben m’an plan après, e a qui è fèt concessions, solide ! au mens quan escrivi (renonciament ath –tch finau, per exemple). Quan me demandèren en 1982 Jean Fléchet e Léon Còrdas d’adaptar eths dialògs deth film « l’Orsalhèr », que fi eth choès que coneishetz : eth Gaston, personatge centrau, que parla coma parla Patrice Icart, eth actur, que tié vacas a Ercé, e eths autes que s’i an d’a fèr, Léon qu’a d’a jogar eth pair e Rosina era mair en parlar deth filh que vòu anar ath ors ...

No s’ageish cap de ligar era lenga a un parçan, que s’ageish dera qualitat d’un parlar. En collectage dont parli, en ua valea coseranesa, eth qu’acompanhi, Renaud Lassalle, qu’ei un Landés que viu a Nistòs enas Nautas-Pirineas, cadun que parla ath monde dab eth sièu parlar, eth monde que fè era diferença mes n’ei cap genat, que s’i fè deseguit, qu’enten dus parlars pro bons enà que no se’n trufen, ath contrari, quite a demandar de còps ua explicacion. No cau cap mesestimar era consciencia « populara » dera lenga : quan eths vaquèrs d’Ercé amontanhan enas « montanhas de Foish », tanlèu passan deth costat de Vicdessòs o Miglòs, de parlar foishenc meslèu lengadocian, qu’ei un crit soen entenut :« eths Gascons qu’arriban ! ». (Que vòli créser que no cau cap encara escriver aquò ath passat, ara qu’amontanhar se fè de mes en mes en camions...).

Quin occitan deman ? eths nostis interlocutors no volerian cap èster eths derrèrs a parlar ua lenga que saben que d’auguns l’apèran occitan, que’s ditz atau ara TV per exemple, o ath collège, que son pòques pr’aquò a poder-la ensenhar, mes er’analisa deth collectage que nos permetterà de fèr eth punt, que no vòli cap anticipar aci. En attendent, que son urosi d’èster considerats, cossirats, escotats, visti en sièu enviroament, mes pas en situacion de representacion folklorica. Autant tornar diser tot eth mau que pensi d’ua attituda que bota eras causas cap-e-cuu, en soetant era disparicion deths que justament mantien un eretatge sense quau « occitan » no vau que se’n parle. Trebalhem autant que possible dab eri e dab aqueth eretatge sancèr !

Miquèu Pujòl, 27/06/14

 

P. S. Qu’improvisè a partir de quauquas linhas, açò n’èra pas escrivut, no pretendi cap a ua restitucion exacta dera mièva intervencion, que vòli esperar que’n aurè conservat eth esperit . Que i mancarà, solide ! un vam e ua emocion devant amics un chic perduts de vista.

Mèrci a toti, en prumèr a Eric Fraj, que nos boluda coma cau !

Bougre de fouïsse-clouque mascagnaïre ! Le francitan du Rouergue

$
0
0

Croze

Illustration de Séverin Millet pour la couverture du livre de Daniel Crozes

 

Bougre de fouïsse-clouque mascagnaïre ! Le francitan du Rouergue

 

Aganit, agassou, arne, badebec, bartassière, bastardas, bèquelune, bestiasse, biate, boucaillas, bourinaille, bourricaille, bourrut, brande cul, brénelle, brouncasse… paoupe bufe, paoupe merde, merdous, poulacre, pourcagnas, pourcasse… macarel, diu me damne, miladiou…

          En feuilletant Sécher les couillons[1], petit dictionnaire des jurons, insultes et autres amabilitérouergates (ce que le titre ne précise pas[2]) de Daniel Crozes (Éditions du Rouergue 2014), ma réaction fut d’abord des plus jubilatoires. J’y retrouvais de nombreux mots et expressions qui ont enchanté mes vertes années albigeoises (Lescure d’Albigeois – L’Escura en occitan – étant à portée de bicyclette du Ségala, on y employait une grande partie du même vocabulaire francitan) et d’autres que j’ignorais totalement, mais qui sonnent aussi merveilleusement bien à mon oreille, tous ou presque « tirés » directement (au point que l’on ne peut souvent même pas parler de dérivation, voir infra) de l’occitan. L’un des très bons points du livre est qu’il donne également les termes francitans en occitan dans une graphie alibertine tout à fait correcte (à quelques erreurs près) ; l’auteur se révélant d’ailleurs un bon connaisseur des auteurs occitanophones du Rouergue (de Boudou en particulier).

            Dans ce pays considéré comme cul béni et cul blanc (par opposition aux culs rouges du Carmausin), le livre atteste, entre autres choses, de l’existence d’une culture populaire, surtout paysanne ou plutôt « pacane », de protestation contre le clergé et leurs paroissiens trop zélés. La terminologie anticléricale y est en effet particulièrement fleurie (proportionnelle, en fait, tout comme ailleurs, à l’importance du pouvoir des prêtres) : ritounaille, ratepenade, duganel, croupatas, poules noire, manges-saints... et les expressions blasphématoires y sont très fortes et ingénieuses; ainsi l’auteur cite-t-il le jeu consistant à faire traduire en occitan par quelque esprit pieux ou innocent « Émile doit du maïs à Dieu » : « Emila diu de milh a Dieu », où l’on entend « e mila diu[s] de mila diu[s] » : « et mille dieux de mille dieux ».

            Les mots et expressions renvoyant au sexe et surtout aux comportements sexuels y sont évidemment aussi légions : avoir toujours « la porte ouverte », « la main à la braguette », « les jarretelles défaites », être « bartassière » (coureuse de haies), « saute-clèdes » (sauteuse de barrières), être « une pastèque entamée », « une mandre », « être cabre et bouc », être un « lapinas », un « gallas », un « palpe-bufe » etc.

            Tout ce vocabulaire, ordurier, gras, obscène est des plus réjouissants, même s’il faut bien convenir qu’il renvoie souvent à des réalités sociales et en particulier à des rapports de domination (entre hommes et femmes en particulier) qui n’ont rien de drôle (comme l’auteur le rappelle de temps en temps) ; et ces mots justement révèlent mieux que tout autre signe ces relations inégalitaires. Bien sûr, un tel livre n’a aucunement l’ambition de produire une critique sociale de la ruralité– et de l’urbanité– rouergate, mais il nous offre une fruition esthétique du langage suffisamment désengagée des usages effectifs (mais non trop), pour que nous puissions goûter toute la charge humoristique, toute la crudité et la cruauté de ce vocabulaire, sans avoir nécessairement à partager les normes que ce lexique édicte ou reconduit, en même temps qu’il transgresse les règles de la bienséance et de la biendisance.

 

          Ce livre montre cependant qu’il est très difficile de faire se rencontrer l’occitan, le français et le francitan, de les articuler conformément à la réalité des usages et de réussir cette véritable quadrature du cercle consistant à satisfaire à la fois le public des locaux (au sens large), qui désirent cultiver leur identité linguistique, et le public éloigné, le public francophone large, de façon à lui faire goûter au mieux ces particularités, à lui en faire entendre quelque chose. Or, selon moi, ce livre n’y parvient que très imparfaitement.

          D’abord, parce que l’auteur met en scène dans son introduction (« Un langage caustique et longtemps réprouvé ») une fausse symétrie entre les puristes francophones qui rejettent ce vocabulaire du côté des dialectes et de l’argot et les puristes occitanistes qui le révoqueraient parce qu’ils n’y verraient que des « francismes » appauvrissant l’occitan. Cet argument, je ne l’ai jamais entendu parmi les occitanistes et pour cause ! Il est bien évident qu’un mot ne disparaît pas de l’occitan parce qu’il est – par ailleurs – francisé dans sa prononciation… en français, ou disons en francitan. Que ces mots soient absents des dictionnaires de langue française parce que considérés comme argotiques ou trop empreints de localisme, est une évidence facile à constater. Mais il n’y a aucun sens à dire qu’il « sont employés couramment par un large éventail de femmes et d’hommes, bien plus facilement que certains mots figurant dans les dictionnaires occitans » (je souligne). Cela n’a pas de sens parce que, pour un très grand nombre d’entre eux, il s’agit des mots occitans eux-mêmes parmi les plus courants, évidemment présents dans les bons dictionnaire (l'auteur connaît et cite notamment le Cantalausa) à peine francisés (par exemple par l’apport d’un « e » final qui n’est dans nos contrées guère muet), voire pas francisés du tout dans la prononciation : agassou (littéralement la petite pie), avocatas, coupetas (cou épais), crup (le chat mâle), diu me damne (la graphie choisie est significativement ici alibertine), escoupit (crachat, par extension personne méprisable), cagaïre (chieur), espepissaïre (contrôleur scrupuleux), espigotaïre (trieur maniaque), estamaïre (arnaqueur), mascagnaïre (quelqu’un qui gâte son travail) et tant d’autres dans ce livre sont des mots occitans parmi les plus usuels intégrés au français avec le minimum d’altération ; il s’agit donc d’un francitan où l’occitan est largement dominant sur le français.

           Il faudrait montrer cette continuité et quasi identité, dans le passage pourtant, de la langue dominée à la langue dominante à travers les modifications phonétiques, syntaxiques et morphologiques. Pour faire entendre cela, il ne faudrait pas se contenter d’écrire, pour tous ces mots : « tiré de l’occitan »– agassouviendrait d’agaça, espepissaïre d’espepissar, espigotaïre d’espigotar, mascagnaïre de mascanhar etc. Or, rigoureusement parlant, il n’en est pas ainsi ; ces termes ne sont pas des francisations dérivées de substantifs et de verbes occitans[3], mais ils sont la transposition directe de vocables occitans, avec une grosse part de la phonétique initiale qui demeure et qu’il aurait fallu noter si l’on voulait vraiment s’adresser aussi (ou d’abord) à des non locaux, par exemple en ayant recours à la notation phonétique internationale, car pour de nombreux mots il est sinon difficile de se faire une idée précise de leur prononciation (par exemple le mot courant orthographié ici « peillarot » mais qui se prononce [peʎarɔt], c’est-à-dire plutôt, dans une graphie française, pelliarot en prononçant le « t »).

           S’ajoute le problème du contexte dans lequel ces mots sont mis en forme et en scène. Leur sens est donnéà travers de courtes définitions, accompagnées le cas échéant d’utiles notes étymologiques, historiques et socio-culturelle. Jusque là tout va bien. Mais les mots sont aussi explicités par des citations fictives qui, à travers des cas individuels, produisent très précisément leur sens. Ces contextes pourraient être très utiles pour approcher de la réalité de cette langue hybride, mais c’est tout le contraire qui se produit : les phrases, le plus souvent, sont dénuées de toute trace de francitan ; elles appartiennent à un registre élevé et formel, c’est-à-dire un registre où justement il semble exclu d’utiliser les mots en question qui, dès lors, apparaissent comme des intrus, de pures bizarreries ! Soit – un exemple vraiment au hasard – pour « embrèque » (« imbécile », dont il aurait été bon de renvoyer à l’occitan embreca, du verbe embrecar : ébréché), l'exemple donné commence par ces mots « J’étais en colère l’autre jour contre le cousin d’Hector que j’emploie sur mon exploitation… », ou, pour « pimparelle » : « Jeanne est devenue une vraie pimparelle ! Lorsque je l’ai rencontrée sur les boulevards, elle déambulait avec une bande de copines et je ne l’ai pas reconnue sur le moment avec ses vêtements criards et empilés par étages, ses cheveux aux mèches bleues et son rouge à lèvre pétard »… pétard passe bien, mais non « déambuler », « j'emploie», « exploitation », et cette syntaxe de composition française est étrangère aux contextes d’usages, où les inflexions occitanes sont partout présentes, dans un régime de langue familier et interlocutif. Ces citations, rendues par ailleurs très répétitives par l’évocation des mêmes situations type qui semblent revenir sans cesse à l’esprit de l’auteur (la fréquentation des discothèques, les questions d’embauche de personnels…), nous conduisent au plus loin des contextes habituels d’interlocutions où tous ces mots, toutes ces expressions apparaissent. Bien sûr, ces exemples présentent l’intérêt d’être transparents pour n’importe quel locuteur francophone éduqué, quelle que soit sa région, mais ils détournent et éloignent les lecteurs des usages réels, caractérisés par leur vivacité et verdeur colloquiales. Des phrases entendues, saisies sur le vif auraient eu certainement une tout autre allure…

          Ce livre montre bien quel est le piège et les limites étroites imposés par le genre même du dictionnaire ; celui-ci présente des recueils, des collections de mots, mais les mots ont besoin de contextes d’usage réels ou du moins probables pour délivrer toute leur charge sémantique et toute leur force signifiante. Certains le font à travers des citations d'auteurs ou, comme ici, des exemples. Mais le dictionnaire relève d'un registre de langue élevé incapable de rendre correctement les registre bas, populaires, argotiques... Seul un dictionnaire rédigé de bout en bout en francitan pourrait véritablement remplir sa fonction de recueil de vocables francitans, sinon un tel ouvrage n’offre, au mieux, qu’une traduction en une autre langue ou registre de langue. Il est comme une collection de papillons exotiques épinglés sous verre dans leurs cadres, beaux certes, mais morts.

 

Jean-Pierre Cavaillé



[1] Daniel Crozes, Sécher les couillons. Jurons, insultes et autres amabilités, éditions du Rouergues, 2014.

[2] Il y a bien là une petite entourloupe de l’éditeur, car il faut aller à la quatrième de couverture pour voir préciser« à la mode de l’Aveyron ». Que les éditions du Rouergue (tout de même !) n’osent même pas mettre Aveyron ou Rouergue dans un titre pour ne pas être identifiées comme régionales ou régionalistes en dit très long sur le statut symbolique des cultures régionales (la substitution de la formule « en région »à celle de « en province » n’a donc à peu près rien changé).

[3] Par exemple, on lit que « tchuquaïre » vient de « tchuquer », dérivé de l’occitan « chucar » ; en fait tchuquaïre est directement tiré de chucaire, c’est même le même mot, auquel on met un [ə] final – non muet par chez nous – à la place du [e] occitan.

Are you Lim(ited) ? Lim & You : chabatz de surtir !

$
0
0

Lim(1)

 

Are you Lim(ited) ? Lim & You : chabatz de surtir !

 

A peine sorti d’une réunion à l'ôle de région consacrée au projet d’adhésion du Limousin à la création de l’Office public de la langue occitane (une adhésion qui se dessine au petit pied et à minima, mais une adhésion quand même), je savoure le n° 1 de Lim & You. C’est une perle de la culture communicationnelle, une publication onéreuse sur papier glacéédité par le Comité Régional du Tourisme du Limousin[1], brandie par l’un de mes amis présents à la rencontre comme exemple parfait des blocages idéologiques que nous devons affronter pour faire passer l’idée que la présence de l’occitan dans la littérature touristique devrait être une chose simple et normale (et qui plus est possiblement sexy), puisqu’il s’agit d’une partie incontestable de l’identité du territoire, récemment encore mise en avant par les élus pour justifier leur préférence d’un rattachement à l’Aquitaine, plutôt qu’au Centre. Hé bien ces mêmes élus ne rechignent pourtant pas à financer ce genre de publications, qui cherchent à faire oublier toute présence du patois, au profit non du français (le français est carrément dépassé !), ni de l’anglais (visiblement inaccessible à tous ces éclopés du monolinguisme), mais d’une espèce de franglais fantasmé comme « la » langue, la seule langue qui pourrait donner une touche de modernité et de jeunesse à une région souffrant d’un indécrottable complexe de plouquitude et de sénilité.

Lim & You, « Le Mag Limousin » est un magazine gratuit « Vacances, outdoor [ !] & art de vivre », de 64 pages, qui vante les mérites en fait de vacances limousines, mais en imitant, sans la moindre parodie, avec un sérieux déconcertant dans le ridicule, les magazines people destinés à un public exclusivement féminin considéré, je ne sais pourquoi, comme affecté de déficience mentale aiguë. En couverture, retentissent les noms des actrices Anny Duperey et Laëtitia Milot, ainsi que de l’animatrice de M6, Kharine Le marchand qui nous lance un petit regard en coin, frais et mutin, un épi de blé aux lèvres (« l’Amour est dans le pré » oblige, et le pré, bien sûr, c’est le Limousin !).

Sur la deuxième page, vous pourrez y lire d’abord, en première colonne, « votre horoscope Limousin » par « Flore », le seul article (un peu) décalé mais néanmoins stupide, avec une série de beaux conseils du type (au hasard !) « Sagittaire : charmeur et indépendant, les merveilleux lacs limousins sont votre terrain de jeu » ou : « Scorpion : mystérieux et intuitif, la culture celte du Limousin vous fascine ». L’édito, sur la colonne de droite, est signé« Claire, Bloggeuse voyages », avec photo de sémillante oie blanche, type réclame pour crème fraîche allégée. Le titre est enchanteur : « Limousin, ma nouvelle sensation ». La prose est hardie et recherchée, comme les premiers mots vous en convaincront : « J’ai vu beaucoup d’endroits mais le limousin m’a faite craquer ». Après avoir égrené quelques banalités sur les merveilles cachées de la région, cela se termine par ces paroles remarquables : « Les habitants d’abord réservés adorent faire partager leur histoire, leurs bons plans. Comme on dit ici : « chabatz d’entrar » (finissez d’entrer). Vraiment, le limousin m’a enthousiasmée, c’est Ma Nouvelle Sensation ! ». Ce chabatz d’entrar, je vous rassure, est la seule et unique allusion lointaine à la présence d’un idiome sur ce territoire autre que le franglais de pacotille dans lequel est écrit ce somptueux magazine (comme je comprends Dau Melhau qui disait, lors de la même réunion, qu’il ne pouvait plus supporter la formule, devenue un slogan publicitaire qui s’est substituéà tout autre expression possible en langue limousine). Et nous verrons plus bas d’où vient la « nouvelle sensation » de cette Claire qui n’existe pas.

Au sommaire, une série de titres tous plus stimulants les uns que les autres, rédigés dans le plus beau yogourt franglish du monde : « Les Must » ; « Total Look Limousin » ; « Do you speak ? » ; « Limousin Kids ! ». Des entretiens avec les people en couverture, quelques photographies attendues de vaches et de paysages limousins et une mise en page d’une banalité absolue. Ce qui caractérise cette publication est l’absence de toute information digne de ce nom et en fait de tout contenu un tant soit peu consistant. Un bon exemple en est la double page « culturelle » intitulée « Le Limousin en dates », où l’on va en huit étapes (et en à peine plus de huit phrases) de l’homme de Neandertal... à François Hollande !

Je ferai une mention spéciale pour l’article « Do you speak ? » : « So sweet, entendez-vous ce petit accent anglais qui résonne au détour de la campagne limousine et lui donne un côté british.[2] ». Il présente en dix mots deux familles britanniques installées en Limousin. J’y apprends que la famille Boot, qui vit en Creuse, y organise des stages d’immersion linguistique dans la langue de Shakespeare. Vraiment, je conseille à toute l’épique éditoriale de s’y inscrire, ses membres en ont visiblement un besoin urgent !

La quatrième enfin et surtout, fait retentir en très grosses lettres capitales le cri de guerre d'une campagne publicitaire lancée en grande pompe et à grand frais : « Are You Lim ? – Yes you are » avec traduction pour les ignares (qu’en penserait la famille Boot ?) : « Avez-vous l’esprit Limousin ? – Oui, vous avez l’esprit Limousin ! ». On apprend dans l’un des articles que ce slogan (honte à nous tous !) a été affiché plus d’un mois durant dans les couloirs du métro parisien et sur une rame de la ligne 9 « décorée aux couleurs de la région : bleu pour les rivières et lacs qui constellent le paysage, vert pour la campagne et le terroir, rouge pour le dynamisme… » (c’est le site France Région qui nous l’apprend).

Cela a valu à ce slogan idiot d’être classé cinquième au « top 16 des slogans à la con de départements ou régions de France », le département de l’Aisne ayant remporté la palme pour un consternant « Peace’Aisne’Love ». La présentation de ce classement mérite d’être rapportée : « "Monsieur le conseiller départemental, moi je vous dis que votre département faut lui donner un coup de boost. Faut du djeun, faut du trash, du LOL, bref du Buzz. Et faites moi confiance, je suis un créa, c'est mon truc...". Site web à l'appui, les départements ou les régions balancent leur budget pub dans les délires de quelques pubards parisiens Paul-Smithés de la tête au pied ». Au-dessous des affiches limousines : les gestionnaires du site ont écrit : « Le limousin, ce petit bout d’Angleterre en pleine terre de France ». On trouve aussi quelques remarques narquoises sur le blog des correcteurs du Monde (By the way, where is the Lim’ ? ») et notamment celle-ci, qui n’est pas sans intérêt : « However, remarquons la résistance de la typo française dans cette campagne de pub' : l'espace avant le ? et le ! ».

Surtout, les correcteurs font un signalement intéressant : « Alors en avant et “Be Lim” à donf, comme le proclame un site 100 % limousin. ». J’y suis allé voir, car, évidemment ce sont les mêmes grands esprits qui ont conçu la campagne « are you Lim ? » et le site « Be Lim ». Hé bien, Be lim « 100% jeunes, 100% Limousin », est un « service proposé aux jeunes par la Région Limousin » (« Vous avez entre 16 et 30 ans ? Pour vos projets, pensez à Be Lim. Ce service vous permet de tout savoir sur les aides qui vous sont destinées). Voilà, quand la région veut parler aux jeunes, elle se croit obligée de radoter elle aussi en yogourt en faisant appel aux mêmes publicitaires et experts en communication que le Comité Régional du Tourisme du Limousin, lequel dépend de tout façon largement de la Région.

Ce qu’il y a de bien et de terrible avec le web, c’est que l’on y trouve (presque) tout. Et en quelques clics rien n’est plus aisé que de rejoindre « l’espace professionnel » du site Limousin tourisme où se trouve exposée la « stratégie » de nos publicistes, qui se décline en terme de « notoriété et image », d’« outils marketing », d’« action de communication » et de « développement touristique ». Le problème auquel doit faire face notre région, apprend on, est l’image négative du Limousin pour les gens qui le connaissent, y compris ses habitants : « Le Limousin est perçu comme une région très nature, ressourçante…. mais avec un déficit d’attractivité et de dynamisme, et ce même auprès des Limousins ». Ce constat repose sur « une étude identitaire » conduite en 2011 par l’agence (forcément) parisienne Comanaging (« co-construction de stratégie d’attractivité territoriale ou touristique partagée »), qui insiste sur cette déficience d’image. Dans cette étude, il n’est pratiquement jamais question de  langue et pratiquement pas en fait, concrètement, de culture. C’est à peine si dans la liste des « concepts transversaux » qui résument « l’identité du Limousin », apparaît en 20e et dernière position les mots (non développés) : « Occitanie/Dialecte/culture troubadour ». Il faudrait prendre le temps d’analyser cette étude, un sommet dans le retraitement de tous les poncifs existants sur le Limousin (et, il faut bien le dire, en Limousin), rédigée dans la novlangue communicationnelle du tout visuel agitant des concepts aussi creux que les chemins de nos campagnes et caractérisée par une ignorance complète de l’histoire et de la culture limousines, ramenées aux clichés les plus attendus et entendus.

C’est en tout cas pour remédier à ce manque supposé d’attractivité qu’a été crée en 2012 la marque territoriale « Limousin Osez la différence » qui se décline aujourd’hui à l’international sous la forme « Limousin New Sensation ». Pourquoi l’anglais ? Parce qu’il est, je cite, « la langue internationale adaptée au tourisme qui s'adresse à la fois aux clientèles françaises [sic] et internationales », et parce qu’il « permet d’être plus compétitif avec les autres territoires comme Onlylyon, Imaginalsace, Iamsterdam, …qui ont déjà pris ce tournant ». Ce qu’il y a de bien, en Limousin, c’est que l’on ose la différence en faisant comme les autres ! Vraiment bravo ! Mais pourquoi « Limousin New Sensation » ? La réponse est magnifique, absolument tautologique : « LIMOUSIN, incarne le territoire, NEW met en valeur le côté inédit, et le mot SENSATION évoque une promesse forte » [re-sic !].

Dans le cadre de cette stratégie de reconquête d’image positive à but lucratif a donc été lancée une « campagne de communication nationale », « campagne événementielle destinée à marquer les esprits », dans le métro parisien comme on l’a dit, mais aussi par des « bannières géolocalisés » sur voyages-sncf.fr (des bandes publicitaires en fait taguées « Are you Lim ? ») et enfin par un « magazine de marque créatif et émotionnel ». Vous l’avez reconnu, il s’agit de notre Lim & You, tiré, apprend-on, à… 80.000 exemplaires ! Sa cible : « les femmes car majoritairement ‘prescriptrices’ des vacances, pour elles, leurs copines et leurs familles » ; son « objectif » : « créer de l’empathie pour le Limousin, étonner ». Je ne vois pas bien en quoi on se sentirait, à la lecture de ses pages lénifiantes, en empathie avec quoi que ce soit ; quant à l’étonnement, je ne crois pas que les photos de quelques vaches et de quelques stars vont suffire à en susciter beaucoup dans les chaumières franciliennes ! Je vous laisse découvrir les 7 cibles de clientèles visées par l’ensemble de la campagne, vous pourrez constater la subtilité des analyses et la haute considération humaine de nos publicitaires, dont j’aurais plutôt tendance à penser qu’ils généralisent à l’ensemble de la population leur propre manque d’appétit culturel et leur propre conception stéréotypée (et donc entièrement fausse) de ce que sont et de que recherchent les touristes et voyageurs qui passent par chez nous.

A la réunion dont je sortais, les représentants de la région n’ont cessé de nous répéter qu’aucun développement budgétaire pour l’occitan n’était envisageable (tout en reconnaissant que par rapport aux régions limitrophes Aquitaine et Midi-Pyrénées ce budget était, en Limousin, ridicule) : « il n’y a pas d’argent », « les caisses sont vides », nous connaissons l’antienne. Depuis que j’ai lu que « le dialecte limousin »était à la dernière place des « concepts » identitaires du Limousin (c’est Comanaging qui le dit !), je comprends mieux pourquoi le patrimoine linguistique n’est visiblement pas une priorité.

Il n’empêche que je voudrais bien savoir combien coûte à la région les 80.000 exemplaires de Lim & You et bien sûr la campagne de pub dans le métro, sans parler des honoraires de Comanaging ? Cela, comme par hasard, n'est pas précisé dans "l'espace pro" du site Limousin tourisme, c'est curieux, mais les montants des prestations aux communicants et publicistes n'y sont nulle part mentionnés. Ceci dit, le préjudice majeur n’est pas l’argent dépensé, mais bien le fait d’être pris « pour des quiches », comme aime à le répéter le magazine féministe Cosette, d’être pris pour des cons (et des connes bien sûr), que l’on soit Limousin ou Francilien, d’être traité comme des déficients mentaux et cela tout de même, à la fin, avec notre propre fric. Oui, cela pose question : payons-nous des impôts pour être traité comme des débiles ? Pour ma part, je dirais volontiers à toute l’équipe à l’initiative de cette merveilleuse campagne de communication, artisans de la marque Limousin New Sensation et "auteurs" de Lim & You, journalistes, publicistes, élus et administrateurs, non certes Chabatz d’entrar, mais plutôt Chabatz de surtir. Faut-il lancer une pétition internationale pour que cette publication ridicule n’aille pas au-delà du n° 1 ? Et pour qu’à l’avenir une image linguistiquement et culturellement plus décente soit donnée de notre région à Paris et ailleurs ? On a beau être Lim (et donc « limite » et « limités », si j’ai bien compris), on ne peut quand même pas être pris indéfiniment pour des crétin(e)s sans réagir.

 

Jean-Pierre Cavaillé

are



[1] La publication en question et la campagne publicitaire à laquelle elle appartient permettent de mieux comprendre pourquoi le Comité Régional du Tourisme du Limousin n’a pas daigné répondre aux demandes répétées de rendez-vous que lui a adressé la Coordination Occitane.

[2] Non, il n’y a pas de point d’interrogation dans l’original.

Quin occitan per deman ? Discussion mondina del 27 de Junh 2014. Intervencion d'Eric Fraj : un apròchi pragmatic e estrategic

$
0
0

Vaquí lo tèxte de l’intervencion d’Eric Fraj en introduccion a la discussion publica que se debanèt lo 27 de juhn passat a Tolosa, sala de l’Iranjariá, 56 carrièra del Taur. Aquesta iniciativa foguèt una capitada e mercejam encara totis los presents.

Podètz legir aquí taben, pel moment, l’intervencion de Miquèu Pujòl. N’esperam d’autras.

 

Eric-Fraj-011

Fotografia de Patrice Nin : retrach d'Eric Fraj

 

 

Contribucion d’Eric Fraj al debat del 27 de junh de 2014 a Tolosa

 

 

Dins mon libre Quin occitan per deman ?, paregut en novembre passat a las edicions Reclams, prepausi al legeire de soscar ambe ieu a : 

1°)  la ruptura dins la transmission intergeneracionala de la lenga, la rompedura dins les usatges socials de la lenga ;

2°)  la formacion dels « neo-parlaires », es a dire dels parlaires novèls, pels diferents sistèmas d’escolarizacion mes tanben pel discors occitanista dominant que, tanlèu que se pausa coma modèl lingüistic, es formator el tanben ;

3°) la responsabilitat granda dels occitanistas qu’an una paraula publica, qu’aquela paraula siá orala o escrita (e s’aquò comença ambe la sala de classa, s’acaba pas amb ela) ;

4°) l’importància granda de l’oral, de la preséncia orala de nòstra lenga dins la vida sociala (si l’importància de l’escrit es evidenta, la de l’oral sembla sovent mendre e es una error de ba creire – sufís de se brembar de l’afèr de l’occitan dins le metrò de Tolosa, un afèr qu’es pas acabat, per se’n convéncer) ;

Al moment que de parlaires eiretièrs n’i a de mens en mens, per non dire pas pus, pausi doncas la question de l’avenidor de l’occitan :

- primièr, al nivèl de la qualitat de la lenga : cal acceptar la pèrda d’ « autenticitat lingüistica » que caracteriza l’epòca (per ex. la pèrda de la fonologia e de la sintaxi eiretadas, etc.) o pas ? Cal – per salvar la lenga – comptar unicament sus la mesa al punt d’un occitan estandard, d’un occitan comun, e l’impausar dins tota paraula publica ? O, le contrari, es que cal puslèu promaure e oficializar la lenga populària qu’encara existís, qu’encara se parla aicí e ailà, ambe totas las consequéncias simbolicas e psicologicas positivas qu’aquò implicariá ? E quina relacion volèm entre l’eventuala lenga de referéncia e la lenga istorica d’usatge ?

- segondament, doncas, al nivèl de l’estatut de la lenga, e de l’idèia que nos en volèm fèr : quin tipe de lenga volèm institucionalizar e, atal, dignificar? Sonque una lenga literària, o una lenga reelaborada, o puslèu la lenga populària ? Es que volèm del passat fèr taula rasa o es que nos volèm plaçar dins una contunhitat ? Se’s le cas, quina contunhitat ?

Las responsas que doni a-n-aquelas questions son las d’un professor que vòl èsser comprés per sos estudiants, d’un cantaire que vòl èsser comprés per sos auditors, d’un vesin que vòl èsser comprés de sos vesins, d’un filh que – tanlèu que se metèt a parlar la lenga d’Òc – voliáèsser comprés de son paire e de sa familha pairala[1]. Som un idealista quant a la finalitat qu’es la mia mes un pragmatic per çò qu’es del biais de fèr. Doncas, respondi çò que sièc :

1°) i a encara d’occitanofònes eiretièrs, les nos cal comprene e cal que nos comprengan. Perqué ? Perque si l’occitanisme cultural vòl capitar, cal que siá populari (dins cada sens del mot), perque ganharà pas sens tropas. E i a encara de monde que son pas occitanistas  mes que parlan la lenga o que l’an dins l’aurelha : son les eiretièrs d’una cultura e nos podèm pas permetre de les pèrdre. Cal absoludament servar o restablir le ligam amb eles. Mes aquel ligam l’aurem pas si se reconeissen pas, pauc o pro, dins nòstra parladura, l’aurem pas si le monde qu’avèm en fàcia reconeissen pas aquel « aire de familha », coma ditz le filosòfe Wittgenstein, que permet l’identificacion malgrat la diferéncia e que permet doncas d’aver le sentiment de parlar la mateissa lenga, le sentiment d’aperténer a la mateissa comunautat lingüistica. En clar : ganharem aquel monde s’arribam enfin a escafar en çò d’eles l’oposicion patoès/occitan, oposicion e cresença vertadièrament mortifèras. Per aquò fèr, cal pas ignorar la nòrma d’usatge, encara mens la mespresar, coma arriba tròp sovent a d’unes occitanistas d’ara. Cal doncas una fonologia e una sintaxi autenticas, un lexic adaptat, etc. Coma ditz le Patric Sauzet dins un article escrit en 1989, se cal totjorn demandar, rapòrt a la situacion que sèm a viure[2] : « per qual parli e quina forma de lenga conven mai a la situacion ? ». Som totalament d’acòrdi : cal aver una intelligéncia de situacion e, ba cal plan dire, ne mancam sovent. L’occitanisme deu parlar a totes e totas, e pas sonque a una minoritat ja convencuda. Es per aquela rason que, quand l’enrasigament geolingüistic es possible, deu noirir l’aprendissatge de locutors que, per fòrça, son totjorn mès o mens novèls. Es per aquò, tanben, que l’ensenhament de l’occitan deu pas èsser omogenèu. I a ensenhament e ensenhament. Òm deu pas ensenhar l’occitan a l’Universitat de Tolosa-Le Miralh coma dins una classa bilingüa d’un autre barri de la ciutat mondina o a la Calandreta de Carcassona o de Pàmias o de Montpelhièr. Perque les publics e las environas son pas identics. En bona logica, cal ensenhar dins un primièr temps una formulacion pas tròp alunhada de la que servís encara dins la region – per ex., a Pàmias, ensenhar « La lièit es cauda e cuèita ». Mès tard, quand le parlar de la region serà mestrejat, se poirà introduire « Lo lach es caud e cuèch » e d’autras variantas. Non, se tracta pas de tornar a la lenga dels aujòls : aquò es impossible. Se tracta, gràcias a una pedagogia adaptada e doncas a una lenga decenta– es a dire ni localista ni elitista ni sortida de res – de permetre le ligam, la comunicacion, vòli dire : l’intercompreneson, la possibilitat d’un aire de familha, entre les eiretièrs e les autres. Se tracta de trobar una entrada particulària dins la lenga d’Òc mes una entrada que mene l’aprenent a l’ensemble de la lenga, que es le sieu orizont. Pòdi escriure o dire « meteis » quand m’adreci a un occitanista, mes si me cal demostrar per la practica a mon vesin, o a mon escolan e a sa familha, o a qualqu’un mès – que son pas occitanistas – qu’avèm una lenga comuna, trantolharèi pas a dire « mème » o « mèmes ». Quand aquel monde m’auràn acceptat coma un membre de la familha lingüistica que ne fan partida tanben, e sonque quand aquela reconeissença serà aquesida, poirèi introduire d’autras variantas e durbir le jòc. Perque le mieu, le nòstre, objectiu primièr deu èsser aqueste : tuar per tot jamès la cresença segon la quala en Occitania se parlariá tres lengas : le francés, le patoès e l’occitan.

Le militant cultural occitanista, cal que s’adapte, cal que siá fin, cal que pose dins çò que demòra del vivièr lingüistic cada còp qu’es possible ; cal sustot pas qu’opause « patoès » e« lenga », cal sustot pas qu’opause « dialècte » e « lenga », cal sustot pas que fasca la leiçon als locutors eiretièrs. Le mot « dialècte » le cal deissar a la lingüistica, es un tèrme operatòri, pas mès. Dins la realitat viscuda, e es aquel nivèl fenomenologic que le militant cultural deu privilegiar, çò que vivèm es la variabilitat d’una lenga comuna. E quand le mot « dialècte » i ressondís, pres comunament e pas scientificament, es sinonime de « jos-lenga », de lenga mendre, quand es pas sinonime de patoès. Si le ròtle de la sciéncia es d’analizar, es a dire de separar mentalament çò que, dins çò viscut, es pas separat, le ròtle del militant cultural es de crear, concretament, la possibilitat d’un dialògue ambe les eiretièrs de la lenga e la possibilitat d’una « estima recipròca », per fèr servir l’expression pertinenta del Cristian Lagarda, entre aqueles eiretièrs e les occitanistas, entre aqueles eiretièrs e les novelaris. Per aquò fèr, se cal gardar de tot discors qu’establiriá una ierarquia entre lenga, dialècte, parlar, e se cal pas enganar de nivèl de lenga. Perque tot aquel problèma que remeni es benlèu sonque un afèr de nivèl de lenga : si me vòli fèr elegir dins un canton populari, es que vau parlar al monde coma parlariái a l’espròva orala de l’ENA ?

Mon prepaus, ba vesètz, es estrategic. E basta pas de socializar la lenga al dedins del moviment occitanista, o dins la classa d’escòla o d’Universitat ; cal tanben que siá comprensibla, doncas acceptada, al defòra. Les occitanistas, sèm pas tot l’espandi social, se’n manca. Le monde que son pas occitanizats acceptaràn tot occitan coërent, e quin nivèl de lenga que siá, pro que lor balhèm le desir de l’apréner (mes aquò es un autre problèma). Mes les autres, les eiretièrs o les autoctònes encara mès o mens occitanizats, eles pòden comparar. E se’n privan pas ! E nos jutjan. E, sovent, negativament. I a doncas socializacion e socializacion. Nos cal tornar socializar la lenga d’un biais sople, intelligent, e aquò passa, quand le contèxte l’impausa, e l’impausa sovent, per la valorizacion de la lenga del pòble. Devèm balhar al lengatge de « la massa sociologica abitant l’espaci d’òc » (Lafont, 1989), o a çò que’n demòra, fiertat e legitimitat. E non pas perque l’essencializam o le reïficam, aquel lengatge, encara mens per patriotisme de cloquièr, mes per de rasons d’eficacitat estrategica e per de rasons moralas. Ja existís, en occitan, un nivèl de lenga qu’es valorizat : es le de l’escrit literari e scientific, de còps administratiu, jutjat forçadament « superior » perque fa autoritat. Aquel nivèl es totalament legitime e le cal refortir. Le problèma apareis quand, al nom de la legitimitat d’aiceste nivèl, d’unes d’entre nosautres deligitiman tot çò de mès, desvalorizan le nivèl populari, pretenden remplaçar una nòrma d’usatge que contunha de fèr sas pròvas per una nòrma academica elaborada en pichon comitat. Plaideji pas contra las academias, plaideji contra l’academisme : es a dire contra tot dirigisme lingüistic, contra tota elaboracion lingüistica non-democratica. Perque es urgent, dins la situacion perilhosa actuala, de se desfèr de tota ideologia de puretat lingüistica e de tornar dignificar tot nivèl de lenga, en començant pel pus mespresat : le nivèl populari, si volèm donar a l’autoctòne le desir de tornar a la lenga eiretada dels aujòls e si li volèm donar la consciéncia que parla una lenga e pas quicòm mès.

Es urgent si volèm, coma diguèt Lafont en 1984, « retrousser la diglossie » - mes ara en comptant tanben la diglossia intèrna a l’occitan - es urgent, doncas, de sortir de l’unilingüisme impausat pel modèl francés per deissar tota sa plaça a la polifonia democratica prepausada pel lingüista còrse Jean-Baptiste Marcellesi ambe son modèl de las « lengas polinomicas ». Es urgent tanben de salvar la riquesa representada per la variabilitat de nòstra lenga, variabilitat que fa que es una vertadièra lenga viva e qu’es plan una lenga coma totas las autras lengas. Aquela variabilitat la soni « pluralitat » e me sembla qu’istoricament es le ròtle e l’onor de l’occitanisme de defendre la pluralitat, de la promaure culturalament e lingüisticament, de la teorizar. Cal que contunhe, mès que jamès. Si l’abat Grégoire pensava que Rousseau valiá mès que Godolin, es que normalisators que se disen occitanistas an rason de pensar que l’occitan estandard o comun val mès que le de Godolin ? L’unicisme val mès quand es occitan puslèu que francés ?  

En afirmant tot aquò, assumissi una posicion protestatària que, finalament, es la de la sociolingüistica catalana e occitana tre sas originas : se cal saber « engatjar ambe’l pòble » segon les tèrmes del lingüista Badia i Margarit, represes per Vallverdú. E s’engatjar ambe’l pòble es pas mitificar le pòble, es pas le sanctificar tanpauc, es solament voler partejar ambe’l un « aire de familha ». L’occitan, coma ditz encara le Patric Sauzet, « engatja a l’encòp a l’enrasigament e al despassament de l’enrasigament, al local e al despassament del local ». Es plan vertat. A condicion de jogar pas l’un contra l’autre, a condicion d’oblidar pas le pòble.

Eric Fraj


[1] quitament si sabi plan que sèm mès sovent, les umans, dins le malentendut que dins la compreneson… Mes pel moment èi pas completament renonciat, benlèu per necitge,  a l’ideal sisifian de l’intercompreneson.

[2] Dins son article « Occitan : de l’importància d’èsser una lenga », Cahiers de l’observatoire des pratiques linguistiques n°3, Ministère de la Culture et de la Communication, DGLF, 2012, p. 103.

 

Eric Fraj, Réponse à James Costa

$
0
0

 

Je viens de recevoir cette réponse tardive et donc mûrement réfléchie d'Eric Fraj àla critique que James Costa avait adressée à son livre (il ne faut pas seulement voir le texte même mais aussi les commentaires répétés de l’auteur dans le cours de la discussion) : Quel Occitan pour Demain ? Langage et démocratie ; Quin occitan per deman ? Lengatge e democracia, dont la réédition est en cours chez Reclams (on en trouve ici une première mouture en français et en occitan, avec le texte de ma préface ; mais le livre est autrement plus complet). Cette réponse, très argumentée, est, comme vous le verrez, sans concession. Puisse-t-elle enrichir et renouveler le débat sans l’envenimer !

Enfin cette lecture peut-être complétée par deux autres lectures critiques de l’ouvrage de Fraj publiées ici de Christian Lagarde (Punt de vist de Cristian Lagarda sul libre d’Eric Fraj : Quin occitan per deman ?) et de moi-même (Las doas sorgas de la legitimitat), mais surtout par le texte de l’intervention d’Éric au débat qui s’est tenu à Toulouse, le 27 juin dernier (un apròchi pragmatic e estrategic), ainsi que celui de Miquèu Pujòl, reprenant son intervention de ce même jour.

J.P. C.

 

 

sumo

 

 

Eric Fraj, Réponse à James Costa

 

            Dans vos réflexions sur mon livre (« Quelques réflexions sociolinguistiques à propos du livre d’Eric Fraj, Quel Occitan pour demain ? »), vous  commencez, M. Costa, par annoncer d’où vous parlez. C’est un souci qui vous honore. Mais dès lors, en mettant vos titres (« sociolinguiste », « linguistic anthropologist ») et travaux en avant, c’est  toute la science et son autorité que vous semblez faire entrer, enfin, dans le débat : il n’est donc plus temps de parler sans véritablement savoir, sans références de poids (elles abondent sous votre plume), sans méthode. A vous donc le solide, la vérité scientifique, le fond ; à vos éventuels contradicteurs l’obsession formaliste puisque vous supposez dans la foulée qu’écrire en occitan vous aurait exposéàêtre critiqué sur la forme (« En étant loin de mes dictionnaires habituels, je ne prendrai pas le risque que toute discussion tourne autour de questions de forme »). C’est là reconduire une dichotomie que je croyais à bon droit dépassée (fond vs forme), mais aussi suggérer qu’écrire en occitan reviendrait à vous ériger en paratonnerre imparablement voué aux foudres d’occitanistes formalistes. Écrire en français permettrait ainsi d’aller paisiblement au fond, écrire en occitan – par la faute d’une espèce de réflexe occitaniste pavlovien – ne le permettrait pas. Voilà l’air de rien les dits occitanistes implicitement renvoyés d’abord à un certain amateurisme (ils n’ont ni ne sont la science), puis sans autre forme de procès condamnés à l’enfer du formalisme. Vous vous  présentez donc comme celui qui vient énoncer le vrai, et ce à double titre : vous avez la lucidité intellectuelle suffisante pour ce faire ; vous bénéficiez d’une lucidité psychologique vous permettant de vous tenir à l’écart des passions occitanistes. Or, outre le fait que le prestige des titres et l’abondance des références n’assurent pas automatiquement la pertinence d’une pensée, je ne vois pas sur quelles pratiques effectives se fonde une telle prévention envers des occitanistes qui débattent. On est là dans l’ordre du préjugé et du fantasme plus que dans le renvoi à des pratiques largement avérées. Si certains linguistes peuvent tenir ici ou là (revues, livres) la chronique régulière de « l’occitan blos », ces apartés indispensables ne constituent en rien l’essentiel des débats actuels sur la langue, lesquels ne sont justement pas marqués par le formalisme, à commencer par ceux qu’héberge le blog qui nous accueille, « Mescladís e còps de gula », bien au contraire ! Plus que par une obsession formelle, ces débats sont plutôt tout imprégnés de la crainte que la langue ne se meure. Aucune disputatio animant le mouvement occitaniste ne me semble réductible à une monomanie se fixant sur la surface des choses ou l’écume du détail. En méconnaître le caractère essentiel, vital, c’est ne pas prendre la mesure de la situation actuelle et du questionnement qu’elle induit. Et croire que ses acteurs n’attendent qu’un prétexte pour se jeter et se complaire dans un formalisme stérile, c’est les tenir en bien piètre estime…

            Mais avançons : soucieux que vous êtes de mettre toute parole en situation, que n’avez-vous pris la peine de contextualiser également la mienne? Ce qui vous aurait permis de comprendre que ce sont des difficultés de terrain, comme l’on dit, qui m’ont poussé– après des années d’observation et de retenue – à tirer l’alarme : quelle langue chanter pour que je puisse également toucher un public non-occitaniste mais habituéà un occitan populaire, quel qu’il soit ?  Quelle langue enseigner dans un lycée périurbain où se mêlent citadins n’ayant aucune connaissance de l’occitan et ruraux qui n’y sont pas encore totalement étrangers ? Comment, donc, faire la soudure entre les locuteurs qui sont des héritiers potentiels de la langue et ceux qui en sont des héritiers effectifs (même si l’héritage de ces derniers est souvent maigre) ? Comment pour qu’ils se reconnaissent comme appartenant alors à une même communauté linguistique ? Pour qu’une majorité de la population, et au premier chef les héritiers effectifs, se sente concernée par la revendication culturelle occitaniste au point de s’y impliquer ? Pour cela, comment faire pour résorber l’opposition imaginaire entre patois et occitan, véritable obstacle épistémologique ? Se poser la question de savoir ce qui détermine réellement mon discours – et qui ne cesse de transparaître dans mon texte – vous aurait peut-être évité le contre-sens global sur ce que je dis. Mon propos ne porte pas sur « l’avaliment [la destruction] de la langue », contrairement à ce que vous affirmez trop vite. D’abord parce que je ne crois pas qu’il existe dans la réalité sociale humaine quelque chose comme « la langue », hormis – toujours partiellement et imparfaitement – dans les dictionnaires, les grammaires et les traités de linguistique. Parce qu’il n’y a pas de langue en soi et transcendante (cf., par ex., ces notes de la version française de mon texte : « Ce sont les paroles, les discours qui finissent par faire la langue, pas l’inverse (…) » ; « (…) ce que l’on appelle communément « le sens de la langue » et qui est plus la conscience de la manière dont les discours des uns et des autres sont habituellement tournés qu’autre chose… »). Il n’y a donc fondamentalement que des prises de parole, des discours, du langage – au sens où des énonciations s’inventent continûment. Benveniste le disait déjà : « Rien n’est dans la langue qui n’ait d’abord été dans le discours ». La langue est un produit, c’est le fini – toujours provisoire et partiel – du langage. Le discours est activité et en lui c’est le dialogisme qui est constitutif du langage, même quand il y a monologue. Vous vous trompez donc, et lourdement : je ne suis pas le héraut de la langue, ni son preux chevalier, car je ne crois pas à un corpus linguistique fixe, pur, détaché de tout contexte, doté d’une nature particulière, d’un génie, et qui serait la forme apparente de l’esprit d’un peuple. Exit le culte de la langue. Par là même, exit l’idée qu’il faudrait lutter contre la corruption et/ou la destruction d’une telle entité imaginaire. Idée que, pourtant, au rebours de ce que je soutiens, vous prétendez me faire endosser. Mon combat n’est pas un conservatoire : il ne s’agit nullement de rétablir – contre une norme trop académique, puriste et hypercorrecte, ou contre une novlangue de laboratoire – une langue pure et éternelle, la langue « naturelle » du terroir, des vieux, d’avant, du peuple, que sais-je, celle qui à l’instar de la terre ne mentirait pas, etc. Alors, quoi ? Simplement ceci : réhabiliter, pour se donner la possibilité d’une véritable (re)socialisation, un registre de langue – c’est-à-dire : un certain type de discours – qui, de revendiqué qu’il a pu être dans les années d’après 1968, en est venu àêtre méprisé, occulté, voire rejeté, par une part importante de l’occitanisme depuis quelques années maintenant. Ce registre de langue – disons : populaire – est tout aussi légitime que le savant, la novlangue ou le standard, peut-être même un peu plus puisqu’il manifeste une norme d’usage héritée et encore majoritaire, encore très partagée, qui a fait et continue à faire ses preuves et qui, comme toute norme d’usage, est toujours en avance sur la norme académique (c’est la raison pour laquelle je signale à mes élèves de philosophie que la norme académique française exige : « après que » + indicatif, mais les laisse continuer à employer la norme d’usage : « après que » + subjonctif, que je pratique aussi, comme quasiment tout le monde)…

 Le problème surgit dès lors qu’il y a délégitimation de cette norme d’usage. Or le parler populaire a beaucoup perdu de sa valeur sur le marché linguistique occitaniste : entre autres causes, par l’effet d’idéologie d’un occitanisme passé de la défense de la parole du peuple (les classes populaires formant le gros des troupes de la communauté occitanophone revendiquée comme telle par l’occitanisme) à une vision plus culturaliste (au sens de la culture savante), plus élitiste (au sens où il s’agit désormais de sauver la langue « par le haut »), plus nationaliste (la communauté occitanophone des héritiers effectifs se réduisant de jour en jour, sa revendication par l’occitanisme cède souvent la place – sur le mode imaginaire et compensatoire – à la revendication d’une nation occitane transhistorique et aclassiste). Ce choix élitiste fonctionne comme une tentative désespérée (mais inconsciente d’elle-même) de survie : cernés de toutes parts, ne pouvant sauver la ville et les campagnes qui entourent le château, les derniers fidèles se replient sur le donjon et les appartements du seigneur, d’où ils exfiltreront, le moment venu, le trésor : les manuscrits, les livres, c’est-à-dire la langue considérée comme la plus haute, celle de la littérature et de la science, les joyaux de toute une civilisation. Mais sauver une langue ne se résume pas, ou pas seulement, à sauver des livres, fussent-ils géniaux, ni même à les multiplier à l’infini. J’ai la faiblesse de croire que la noblesse et l’efficacité de l’occitanisme passent impérativement, sous peine de mort, par la (re)socialisation de l’occitan, et celle-ci par la prise en compte – non exclusive – du langage ordinaire, de l’occitan de tous les jours (registre de langue « non soutenu »), bref : par la relégitimation de cet occitan populaire qui, tel le français de Dominici, n’a pas, comme le dit Roland Barthes, « les honneurs, la loi et la force pour soi » (cf. Louis-Jean Calvet, La guerre des langues, p. 86). Attitude éthique et politique, donc, mais aussi volonté de résultats : sauver la langue et la culture occitanes c’est se donner les moyens de sortir de sa tour (tout le contraire de ce que vous m’imputez) et, entre autres choses (car il y aussi par ailleurs la question de tous les héritiers virtuels), renouer avec les milieux populaires qui ont pratiqué et pratiquent encore la langue. Mais pour que ce renouement ait lieu, il faut que toutes celles et ceux qui parlent encore la langue, ou l’ont encore dans l’oreille, puissent se reconnaître dans le discours tenu par l’occitanisme, et cela passe inévitablement par le partage d’une certaine familiarité(au sens de « l’air de famille » cher à Wittgenstein) de la langue. Non pas par le retour (impossible) au même : on ne reviendra pas, je l’ai écrit noir sur blanc (mais m’avez-vous vraiment lu ?), à l’occitan des ancêtres paysans. Ni non plus par l’imposition hiérarchique de l’étrangeté d’une novlangue ou du corset uniciste d’un standard. Plutôt par la possibilité d’un dialogue, d’une reconnaissance mutuelle entre occitanistes et occitanophones non-occitanistes, dialogue et reconnaissance liés au partage d’un minimum de traits linguistiques communs. Plutôt encore, bien sûr, par la volonté constante du militant occitaniste d’être dans l’intelligence de la situation : à qui et pour qui est-ce que je parle ? Quelle forme de langue convient le mieux à la situation ? Qu’est-ce qui est linguistiquement et culturellement acceptable par mon interlocuteur ? Car, comme l’a bien vu Bourdieu, la parole (Saussure) ou la performance (Chomsky) n’a rien d’une simple exécution (au sens où l’on exécute une œuvre de musique ou un ordre) : pour qu’elle fasse mouche il faut qu’elle soit socialement acceptable. Or, comment ne voyez-vous pas que le socialement acceptable passe en l’occurrence – lors de la tentative d’instaurer un dialogue et la reconnaissance mutuelle d’une langue commune – par une certaine qualité linguistique du discours, c’est-à-dire par une certaine « correction » phonétique, phonologique, grammaticale, c’est-à-dire – pour le dire plus simplement – par une maîtrise minimale de la norme d’usage encore en vigueur ? Quand vous enseigniez l’occitan ou le gallois qu’enseigniez-vous d’autre si ce n’est une maîtrise minimale de la norme d’usage permettant l’intercompréhension, l’échange ? Sinon, si ce n’est pas l’intercompréhension qui est visée, à quoi bon enseigner ou apprendre une autre langue ? Or il se trouve qu’il n’y a pas toujours compréhension, donc dialogue et reconnaissance, entre l’occitaniste et l’occitanophone non-occitaniste ; là se situe ce que je considère comme un drame historique – dont l’occitanisme ne se remettra peut-être pas. Je vous pose la question : peut-on raisonnablement croire que l’on va (re)socialiser massivement la langue d’oc malgré l’indifférence, voire l’hostilité, de celles et ceux qui sont censés se la réapproprier ? Oui, hostilité ; car, à cause des effets de la diglossie dominante, à cause du mépris dans lequel le populaire est souvent tenu dans notre pays, les rapports entre l’occitanisme et les héritiers effectifs de la langue sont empreints d’une complexité socio-psychologique qui ne laisse pas d’être problématique, complexité dont on ne lit aucune évocation dans vos réflexions. Il ne s’agit donc vraiment pas, pour moi, d’essentialiser un registre de langue ou un peuple, mais de constater que l’occitanisme, s’il veut que son projet historique réussisse, ne peut pas faire sans eux, ni contre eux. De constater également qu’il y a, dans cette perspective, des pratiques adaptées au but que l’on se donne et d’autres non. C’est l’axe de mon ouvrage et ce pourquoi je ne puis vous laisser dire qu’il y aurait pour moi de bons ou mauvais francismes. Il n’y a que des francismes qui fonctionnent ou pas, et ce ne sont pas toujours les mêmes, selon les diverses situations d’échange linguistique. Il en est de même pour les hispanismes, catalanismes, et la francisation de la langue que j’évoque. Ce qui, vous l’admettrez, change tout. Et si j’en parle, c’est aussi pour montrer les contradictions des tenants de l’hégémonie du registre savant, qui acceptent ces variations-là mais rejettent, par pure idéologie anti-française, les francismes du registre populaire. Certes, mon constat n’est ni nouveau ni original (en est-il pour autant faux ?), Patric Sauzet le faisait déjàà sa manière en 2012, à propos d’une époque et de pratiques lointaines : « La censure du gascon par les Leys était en partie celle des formes populaires » (dans le n°3 des Cahiers de l’observatoire des pratiques linguistiques, p. 96). Dans les deux cas, pour des raisons et dans des contextes certes différents, la marque infâmante est celle du registre populaire. Maintenant, dites-moi : en quoi rappeler ces évidences est-il faire preuve d’essentialisme et de purisme ?

            Car vous avez une théorie : ma critique de l’idéologie puriste « des Gardiens » de la norme académique élitiste et uniciste relèverait en fait de la « même idéologie » puriste. Un remake de l’arroseur arrosé, en somme. Sauf que je ne cherche pas à« déshybridiser la langue », à la « purifier », contrairement à ce que vous assénez : le registre populaire dont je plaide la réhabilitation est celui qui justement assure et assume, je l’ai montré abondamment, la variation, la différence, l’hybride. Et ce que vous présentez comme mon inaperçu, mon impensé, n’en est pas un : je n’essentialise pas l’occitan populaire, pas plus que je n’essentialise le peuple d’ailleurs, ni je ne sais quel esprit du peuple. Je suis un nominaliste, pas un réaliste : « le » peuple n’est pas pour moi une réalité en soi, homogène et stable, pas plus qu’il n’existe « le » chien ou « le » fromage. Mais s’il n’y a pas « le » peuple, cet absolu illusoire, il y a du peuple ; car s’il n’y a que des êtres humains, et l’hétérogénéité de leurs singularités, ce ne sont pas pour autant des monades mais des êtres sociaux qu’un certain type de vie sociale peut hiérarchiser. Dans ces conditions (le) parler n’est jamais neutre, comme vous savez. Mais curieusement vous passez à côté du fait que seul le rapport dominant-dominé m’intéresse (c’est pourtant explicitement dit dans mon livre) et que toute ma vision des choses s’inscrit, en l’occurrence, dans cette perspective-là. Comment pouvez-vous alors considérer que défendre le parler du locuteur dominé, humilié, revient à la même chose que d’œuvrer à l’imposition de la langue du locuteur dominant ? Votre façon d’identifier deux positions irréductibles l’une à l’autre – d’un côté la force d’un impérialisme linguistique uniciste, de l’autre la faiblesse d’un registre pourchassé et réduit à la défensive – me semble quelque peu désinvolte (en effet : que faites-vous de la réalité du rapport des forces sur le terrain social ?) et relève plus du tour de passe-passe rhétorique que d’une réflexion approfondie. Croyez-vous sérieusement que mon combat ne vise qu’à imposer le registre populaire comme seule norme légitime, comme unique source d’autorité ? C’est me prêter une folie que je n’ai pas : croire possible ce que personne n’a les moyens de faire. Et quand bien même les aurais-je, ces moyens, je me garderais bien d’imposer quelque dictature que ce soit, ni linguistique ni prolétaire. Je suis bien trop libertaire pour cela et le combat qu’avec d’autres je mène vise uniquement àéchapper au fétichisme unicitaire qui prétend imposer totalitairement le choix strict d’un « niveau » de langue et d’un seul. De même il n’est pas non plus question pour moi de nier que le registre savant, académique, puisse être lui aussi porteur de variation ; je ne méconnais pas le fait que réintroduire « sénher » est un usage social et qu’il renforce l’hybridation de la langue. Là n’est pas le problème. Je dis simplement – et c’est visiblement ce que vous ne voulez pas voir – qu’il y a des usages linguistiques qui sont complètement contre-productifs quant au renouement, au dialogue, à la reconnaissance mutuelle que j’évoquais précédemment. Dire que la langue d’un lycéen qui s’adresse à son examinateur en occitan est un usage social, c’est un truisme. Cependant si le « sénher » utilisé par le lycéen peut faire mouche chez le professeur, en sera-t-il de même chez un occitanophone non-occitaniste qui ne s’y reconnaîtra pas parce qu’il n’a qu’un seul registre de langue à sa disposition ? Qu’il me soit permis – par expérience – d’en douter. Il y a donc usage social et usage social, tout n’est pas équivalent, tout ne se confond pas, tout n’est pas à mettre sur le même plan. Or vous ne parlez de l’usage social qu’en général, en son essence, vous ne dites rien de ce que l’on en fait en situation, de ce qu’il advient. Si l’élaboration linguistique n’empêche pas par principe le contact avec les héritiers effectifs, qu’en est-il dans les faits ? C’est là le plan qui m’importe et je répondrai que cela dépend de comment cette élaboration est menée. Vous, par contre, et curieusement, quand vous parlez de la vie de la langue, vous en parlez la plupart du temps de manière globale, abstraite. Certes, vous évoquez les « normalisateurs » et leurs opposants, la question de la source de l’autorité« dont peut se prévaloir la langue légitime », les relations entre héritiers effectifs et héritiers virtuels, etc., mais vos descriptions valent pour n’importe quelle langue, ou presque ; vous ne vous attachez pas vraiment aux spécificités de la situation actuelle de la langue occitane, à ce qui s’y joue, aux désirs et craintes qui s’y manifestent, aux stratégies qu’elle semble induire. Il en est ainsi, par exemple, quand vous affirmez que « personne ne préconise de rejeter Monsur » : bien sûr que si ! Une majorité d’enseignants imposent Sénher en se gardant bien de faire savoir qu’il existe aussi un Monsur et que seul ce dernier sera vécu comme acceptable par la quasi totalité de ces héritiers effectifs sans la reconnaissance et l’appui desquels l’occitanisme ne serait bientôt guère plus qu’un club. Sans parler de ces éditeurs, animateurs ou journalistes, voire linguistes, qui normativisent à qui mieux mieux (je tiens à votre disposition de nombreux témoignages privés à ce sujet, notamment celui que m’a adressé Yves Rouquette). D’ailleurs, il n’est même pas besoin de « préconiser » quoi que ce soit : le savant ou le standard s’imposent au sein de l’occitanisme par capillarité et occultation, oubli, évitement du populaire. Soft, implicite, mais patent pour qui sait observer. C’est donc bien la question de l’efficacité de la parole publique de l’occitanisme en situation qui m’obsède et pas le ciel éthéré des essences. Vous excellez sans doute dans l’in vitro, daignez que, acteur de terrain, je me permette de dire quelques petites choses de l’in vivo qui est le mien. Et souffrezque je vous contredise encore une fois : je ne revendique aucunement la pureté d’une langue authentique, au sens que cet adjectif peut prendre sous la plume d’un Herder ou d’autres. Sans doute ai-je eu le tort d’employer ce mot trop connoté, trop ambigu. Autant pour moi. Mais peut-être auriez pu vous demander quel sens je mettais exactement dans l’emploi de ce vocable (c’est le b. a. ba de l’explication de texte). Authentique me paraissait s’opposer à la fantaisie présidant à l’élaboration d’une novlangue de laboratoire, au caprice ou à l’incompétence d’un seul ou de quelques-uns qui invente(nt) sans aucune considération pour l’intercompréhension, le socialement acceptable, la reconnaissance mutuelle, au fond : sans souci d’autrui. C’est, pour illustrer, l’invention de « degunalitat » pour traduire le français « personnalité » (exemple que j’ai trouvé sur le site d’un dictionnaire français-occitan en ligne). Authentique me semblait aussi renvoyer à tout ce jeu de récurrences et variations qui organise une certaine constance langagière, par laquelle on est capable de reconnaître ce qui appartient à un même système linguistique et ce qui se situe en dehors de lui. Cette constance-là est analogue à celle qui permet de voir que des personnes pourtant différentes sont de la même famille et, par là même, permet de les distinguer d’un autre groupe humain. Bref, authenticitérenvoyait, pour moi, davantage à« l’air de famille » wittgensteinien, repère rassurant pour tous les locuteurs, qu’à l’interprétation que le romantisme ou même Heidegger en ont fait. Mais pour vous ce mot a fonctionné comme un shibboleth : vous étiez désormais en terrain connu, vous pouviez m’appliquer une grille de lecture préétablie et binaire : je parle d’authenticité, de peuple, de « locuteurs naturels » et de « néo-locuteurs » (expressions que vous me reprochez alors que je n’ai fait que les emprunter au répertoire courant de la linguistique, celui de vos collègues actuels, auxquels vous ne paraissez pas les reprocher, en tout cas pas publiquement ; expressions que, pour la première au moins, j’ai toujours pris soin de mettre entre guillemets pour bien montrer que je n’adhère pas à ce qu’elle suppose), etc., vous vous donc empressez donc de me classer du côté des méchants, des réactionnaires (la cohorte des Le Du, Le Berre, Grimm et autres Herder…), des dialectologues fous, des pré-modernes (c’est votre terme). Vous me travestissez en une espèce de Khmer rouge de la langue : anti-urbain, anti-jeune, anti-élites, anti-contact ( ?), anti-culture ( !), anti-registre savant, anti-innovation, etc.  Est-il possible de faire plus caricatural ? Et est-il possible d’en arriver là sans une certaine dose de mauvaise foi ?

Quoi qu’il en soit, avez-vous lu dans mon livre un éloge du terroir, une absolutisation du lieu, de la localité, de l’âme du peuple ? Cela ne se trouve nulle part. Votre fixation sur le mot authenticité vous permet d’extrapoler et de m’assigner à un univers idéologique qui n’est pas le mien. Une fois la catégorisation faite, les vannes sont ouvertes et tout y passe, même ce qui ne me concerne en rien. Car, aux antipodes de ce que vous prétendez, je ne joue pas le rural contre l’urbain : le registre de langue dont je souhaite la réhabilitation s’entend aussi bien dans les faubourgs des villes qu’à l’extérieur d’elles, je l’ai écrit en toutes lettresà propos de l’occitan populaire toulousain. Il suffit de lire pour s’en rendre compte. De même, je n’oppose pas la « bonne langue » des vieux à la « mauvais langue » des jeunes : d’abord parce qu’il y a encore des jeunes qui pratiquent très bien un registre populaire de l’occitan dont ils ont hérité en famille, aux champs ou à la ville (le toulousain Hervé Pouvillon en est un excellent exemple, et il n’est pas le seul) ; ensuite parce que je connais nombre de jeunes occitanistes qui parlent un occitan d’origine scolaire tout à fait accepté par celles et ceux qui le tiennent de leurs parents ; enfin parce qu’il ne vous aura pas échappé, j’espère, que mon texte est aussi un plaidoyer pour que l’on essaie d’éviter, par une pédagogie adaptée, une trop grande rupture linguistique et culturelle entre les générations. Alors, dans ces conditions, comment pouvez-vous me faire dire ce que je ne dis pas, comment pouvez-vous soutenir que je tends à opposer linguistiquement jeunes et vieux ? D’autant que, un peu plus loin dans vos réflexions, vous préconisez vous-même ce que je revendique : « Travailler les correspondances de langues. Réfléchir sur l’usage. De préférence en lien avec les locuteurs locaux – non pour la pureté de la langue, mais pour le lien intergénérationnel, pour la connaissance » (c’est moi qui souligne). J’avoue qu’il y a de quoi se perdre en conjectures quant à la cohérence de votre propre position et des attaques que vous lancez contre ce que vous imaginez être la mienne, alors que je ne cesse de ferrailler contre l’idéologie de la pureté de la langue… De plus, alors que vous déclarez n’être pas contre une certaine continuité linguistique, « pour le lien intergénérationnel, pour la connaissance », vous  suggérez qu’il serait possible de mettre en circulation sociale un occitan qui ne soit pas normé (cf. l’ajout que vous faites à la citation de Lafont : « (…) un occitan normé[ou pas, d’ailleurs…] (…) » (c’est moi qui souligne) ; cf. également votre vitupération contre ma « position normative », comme si revendiquer ou pratiquer une norme était en soi un péché capital). Il y a là l’expression d’une naïveté surprenante pour un sociolinguiste : comment faites-vous pour transmettre une connaissance en dehors de tout usage d’une norme linguistique et/ou méthodologique ? C’est un tour de force dont il faudra que vous me donniez le secret ! Pour ma part, je n’ai jamais eu besoin de donner un cours de grammaire occitane à mes enfants, c’est en leur parlant que je les initie, implicitement et sans même y penser, à une certaine grammaire, donc à une certaine norme. Et s’ils me répondent en cette langue (ce qui est loin d’être systématique puisque je ne les y oblige pas), ils forment des phrases qui obéissent à peu près à la norme qu’ils se sont appropriée sans même s’en rendre compte. Si être normatif c’est employer le code qui, dans tel ou tel milieu, me permettra d’être un tant soit peu reconnu et compris, alors je suis normatif et je l’assume. Mais, dans ces conditions, ne le sommes-nous pas toutes et tous ? Comment parler sans cette norme minimale qui permet l’interlocution, l’intercompréhension ? En fait, vous assimilez mon désir de voir réhabiliter le registre populaire à un désir de dirigisme linguistique, à un désir normatif au sens de l’imposition de préceptes, d’instructions (Dites ceci, ne dites pas cela), d’imitations de modèles, etc. Alors que j’appelle « norme » tout ce qui est d’usage commun et courant dans une communauté linguistique, ni plus ni moins. Et la question n’est pas de choisir entre blanc bonnet et bonnet blanc (dictature du registre savant ou dictature du registre populaire) mais de sortir enfin de tout dirigisme linguistique, comme je l’ai écrit très clairement dans mon texte. Je ne défends, au fond, pas d’autre point de vue…

Vous le voyez, le malentendu est énorme. Il devient urgent que je sorte de la mauvaise fable, genre Babel au boa normant, dans laquelle vous me faites jouer, malgré moi, un rôle qui n’est pas le mien. Mais avant que je n’en sorte, quelques ultimes mises au point :

-          d’abord où avez-vous pêché que je niais aux nouvelles générations « toute agentivité, tout pouvoir sur la langue » ? Je ne souhaite pas autre chose : qu’elles puissent inventer à partir de l’occitan qui leur aura été transmis et bien transmis. Le bien renvoie ici à un occitan passe-partout, ouvert à l’altérité de toute variation, notamment à celle qui prime encore par le nombre de ses locuteurs : le registre populaire. C’est cet occitan « tous terrains » que j’essaie de transmettre à mes élèves et à mes propres enfants, dans l’optique qu’ils soient linguistiquement aussi à l’aise et acceptés sur un marché de montagne, face à un héritier effectif, que dans un colloque occitaniste ou un balèti. C’est, à mon avis, l’occitan qui devrait être celui des enfants des Calandretas et des classes publiques bilingues. Et il ne saurait être transmis sans norme, laquelle est toujours de toutes façons altérée, enrichie, subvertie, d’une manière et d’une autre, par celles et ceux qui l’incorporent ; c’est une constante de la vie du langage. Permettez-moi d’ailleurs, à propos de la dite agentivité, de trouver également naïve votre affirmation selon laquelle l’idéologie du purisme dialectal transforme les enfants des nouvelles générations en « gardiens du trésor ». C’est peut-être ce que vise cette idéologie occitaniste mais elle n’a certainement pas un pouvoir de captation du désir suffisant ni assez de pouvoir institutionnel pour pouvoir rendre cette transformation effective : les enfants, adolescents et jeunes adultes, sujets désirants et imaginatifs eux aussi, ne s’en laissent pas compter et lui résistent. Même si l’on peut penser, avec Castoriadis, que l’imaginaire humain est socialement instituant, cette institutionnalisation n’a rien d’automatique et reste soumise à conditions. Là encore vous allez bien vite en besogne, en identifiant cette fois-ci ce qui est en puissance et ce qui est en acte, virtualité et effectivité. De plus je trouve assez cocasse que vous me rangiez parmi les idéologues du « purisme dialectal » alors qu’une bonne partie de mon livre est une charge contre la notion de dialecte et ses dégâts idéologiques. De même je me demande bien d’où vous sortez que je serais un ennemi du « contact ». Contact avec qui ? Avec quoi ? Quelle définition du mot? Celle de Weinreich ou une autre? Sur quel(s) élément(s) précis de mon textevous fondez-vous pour pouvoir assurer cela me concernant ? On ne sait pas trop puisque vous procédez par amalgame (ne fais-je pas désormais partie de ces idéologues brumeux qui ne jurent que par l’éternité et la pureté de la langue,  du terroir, du Volksgeist ?), et que vous ne vous abaissez pas à vous justifier et àéclairer vos lecteurs. Il faut donc vous croire sur parole, ce qui n’a pas grand chose de scientifique. Cela dit, s’il s’agissait du contact avec le nouveau, la différence, l’autre, je vous renverrais derechef à mon texte : il fourmille de prises de position en faveur du dépassement de l’idiolecte par le nécessaire dialogisme (pas d’identité sans altérité), le métissage des peuples et des langues, la reconnaissance mutuelle, l’apprentissage de l’intercompréhension, l’inévitable acceptation de ce qui, dans l’ordre du langage, relève inéluctablement du partage, donc du commun, mais aussi du strictement subjectif, et aussi de l’aléatoire, du relatif, du partiel…  

-          ensuite, le pire. Pour la fin. L’exemple de « la langue utilisée sur les panneaux publics à Toulouse » serait, d’après vous, risible. Ravi de vous avoir fait rire. C’est déjàça. Tous les artistes savent qu’il est plus difficile de faire rire que de faire pleurer. J’aurais au moins vaincu cette difficulté-là. Vous, à l’inverse, avez opté pour la facilité : votre argumentation est à pleurer. La voici : « Ils [les panneaux publics] utiliseraient des formes jamais employées à Toulouse – sauf, dirons-nous, depuis qu’elles sont utilisées ! ». Encore une fois votre sophisme, et de la plus belle eau : on a des plaques de rue, peu importe ce qui est écrit dessus et surtout comment c’est écrit, c’est un usage social indéniable, donc – en tant qu’usage social – il est légitime. Certes, dans l’absolu, c’est-à-dire considéré en soi, indépendamment de toute autre chose, ce n’est pas faux. Mais est-il risible de s’interroger sur ses effets concrets – et éventuellement pervers, sur son degré d’acceptabilité, sur ses résonnances symboliques et imaginaires ? À l’évidence non, et pour deux bonnes raisons : premièrement, à cause de la trop grande distance entre deux registres de langue et donc d’un risque d’absence de compréhension réciproque et de décrochage par rapport aux occitanophones non-occitanistes (cette partie de la population dont l’occitanisme a besoin pour aboutir dans son projet). Qui, en effet, dans cette population, sait que « andana » est l’équivalent savant de « alèia/alèa » ? Absolument personne. C’est un registre de langue inconnu de cette population à l’heure actuelle. Et vous croyez vraiment qu’il suffit de visser la plaque pour que la connaissance du sens et de la prononciation de ce terme infuse dans chacun et chacune ? Même la quasi totalité des occitanistes toulousains, toutes générations confondues, ne connaissait pas initialement ce mot. Ce qui nous amène au second point : le choix du lexique et des formes, opéré en tout petit comité (trois ou quatre personnes, pas plus), sans concertation avec d’autres, occitanistes ou pas (les élus municipaux ayant délégué leur pouvoir de décision), sans concertation avec des associations, avec – pourquoi pas ? – la population, etc.   Est-ce là, M. Costa, l’occitanisme que vous appelez de vos vœux ? En tout cas, vous comprendrez peut-être pourquoi je dis qu’il y a socialisation et socialisation, qu’un usage social en soi ne prouve rien, ne règle rien, n’est pas suffisamment parlant, et qu’il convient de le considérer dans son contexte : quel sens y prend-il ? Quelle fonction ? Et, surtout, en situation, quels effets, quel pouvoir a-t-il ? Ce n’est pas au nom d’une mythique puretééternelle de la langue populaire que je m’insurge mais au nom de la plus élémentaire démocratie (pourquoi le registre de l’usage courant, banal, n’a-t-il pas droit de cité ? Pourquoi est-il à ce point méprisé, délégitimé ?) et au nom de la plus évidente recherche d’efficacité (renouer avec les héritiers effectifs en sortant davantage l’occitan des cénacles occitanistes). Quant aux militants toulousains, si je regrette qu’ils ne cherchent pas à savoir pratiquer, en certaines circonstances, l’occitan hérité de l’histoire de Toulouse, ce n’est pas parce que ses formes seraient « inscrite[s] dans une essence de toute éternité, et liée[s] indissolublement au lieu » mais parce que cela signe leur oubli de ces locuteurs ou de ces « imprégnés » dont notre combat a besoin, qui sont juste à côté de nous, que nous méconnaissons trop souvent, et vers lesquels nous devons aller, avec qui nous devons renouer, parce que l’occitanisme moderne est aussi né pour cela, pour qu’ils (re)prennent la parole. Observez que j’ai dit : la parole, pas la langue. Si vous m’aviez attentivement lu, et sans préjugé, vous sauriez que pour moi le seul enjeu ce sont les locuteurs. Cela transparaît dans chaque page du livre. Y compris quand j’affirme que des « zones » (linguistiques) méconnaissent certaines formes (linguistiques) depuis des siècles. C’est une métonymie qui me permet d’évoquer, bien évidemment, les locuteurs qui y vivent. Mais vous ne voulez pas le voir, vous préférez faire du littéralisme, parce que ça vous arrange : mon texte n’est qu’un prétexte qui vous permet de réaffirmer des positions de principe qui vous tiennent à cœur. Certes, ce texte n’est pas sans défauts. Je n’ai pas, entre autres faiblesses, une maîtrise absolue des « mots de la tribu ». Mais mon sentiment est qu’il n’a pas été vraiment l’objet d’une étude questionnante de votre part. Car, enfin, est-ce que vous croyez sincèrement que je puisse un seul instant penser que « les zones disent », que l’on puisse faire « parler » les zones ? Pour qui me prenez-vous exactement : un adepte du magisme, un mystique du lieu, un benêt ? J’ai bien peur que vous n’ayez pas véritablement pris mon texte au sérieux, ni non plus, par conséquent, votre travail de lecture. Comment ne pas voir, en effet, que mon questionnement ne se soutient que de l’enjeu du locuteur ? A preuve : « En réalité, je ne peux pas parler la Langue, parce que c’est une abstraction ; je parle une certaine langue, une langue toujours particulière,toujours singulière même : la mienne. C’est cela qui discourtet pas autre chose. » Ou encore : « Et si koinè il doit y avoir, quel est ce manque de confiance en nous, et en la force du langage, qui ne nous permet pas d’envisager que cette variété nouvelle de la langue puisse naître – non pas de l’artefact – mais du commerce d’autres variétés de la même langue entre elles ? C’est pourtant de leur combinaison dans une situation de contact [je souligne] permanent qu’émergera éventuellement cette nouvelle variété linguistique. Mais cette « koinèsation » ne se fera que si chacun ou chacune a la possibilité de pratiquer de manière libre et décomplexée la ou les variante(s) dont il/elle a l’habitude. » Votre avertissement – « (…) ce sont les locuteurs que l’on efface. » - ne me concerne donc pas car je partage avec vous la conviction que l’enjeu n’est pas celui de la langue mais celui des locuteurs. Et mon opposition entre la carte et le territoire ne veut pas dire autre chose : « la carte » représente l’idée abstraite et souvent dogmatique que l’on peut se faire de la langue, détachée de toute contingence, de toute intersubjectivité en situation ; « le territoire » - autre métonymie – renvoie non pas à un terroir essentialisé et mythifié mais à ce que l’on appelle communément « la réalité du terrain », celle de notre vie humaine de tous les jours, des locuteurs réels et de leurs pratiques réelles, toujours pris dans des milieux et des situations on ne peut plus concrets. Cela dit, je ne peux vous suivre jusqu’au bout quand vous avancez : « Et si dans un même texte, dans une même interaction, je veux utiliser los puis lei, n’est-ce pas mon problème ? Si je veux négocier ma place dans l’interaction, (…) jouer avec la langue pour y imprimer ma marque, au nom de quelles limites dialectales ne pourrais-je le faire ? ». C’est vrai : mon énonciation est mon problème, ma liberté. Mais tout dépend de l’intentionnalité de cette énonciation, de ce que je vise. S’il s’agit de convaincre mon voisin que lui et moi parlons en fait la même langue, s’il s’agit de convaincre cet homme qui est rétif à parler patois avec « les-occitans-qui-croient-parler-patois-alors-qu’ils-parlent-une-autre-langue », s’il s’agit de prendre langue (d’oc) avec cette personne qui n’a en la matière qu’un seul registre de langue à sa disposition, ai-je vraiment le choix ? Ne vais-je pas librement m’obliger, et pour des raisons d’efficacité, à utiliser defendut et interdit plutôt qu’un enebit qu’il ne connaît pas ? Oui, on peut bien constater formellement – commevous le faites – que chacun et chacune peut parler selon son bon plaisir ; et on peut bien reconnaître aussi que cela peut également être le cas dans les faits quand la situation concrète s’y prête (enfants, mes frères et moi avions inventé un idiome selon notre bon plaisir, que nous ne parlions qu’entre nous, mais que nous délaissions dès que nous voulions être compris de l’extérieur). Cela dit, reconnaissez que l’occitaniste militant (je ne parle pas de l’être humain ou du citoyen français, en général) est souvent pris, dans sa vie quotidienne, dans des situations stratégiques tout à fait réelles et sensibles, installées par le rapport diglossique à la langue française et les conditions socioculturelles faites à la langue occitane, et qui montrent que – si l’occitanisme veut avoir un avenir – ce militant ne peut se permettre de fonctionner uniquement selon le principe de plaisir et doit bien çà et là tenir compte du principe de réalité. Les limites que je vais m’imposer ne sont donc pas celles du dialecte mais celles de  l’intercompréhension et de l’acceptation réciproque. En vérité, le militant occitaniste ne peut se contenter de créations individuelles irréfléchies, je veux dire : coupées de toute vision stratégique des choses. Si « jouer avec la langue » est tout à fait envisageable et facile dans « un même texte » (car en l’occurrence on ne s’adresse qu’à des occitanistes ou des sympathisants de la cause, et aussi parce que c’est à l’oral que les problèmes s’aiguisent – cf. la polémique autour de la voix occitane dans le métro de Toulouse), c’est beaucoup moins évident en situation d’interaction où, selon son intention, le locuteur devra plus ou moins s’attacher aux spécificités que sont la situation dans laquelle il se trouve et le ou les locuteur(s) qu’il a en face de lui, dans la mesure où bien sûr il vise la possibilité d’une compréhension et d’une reconnaissance mutuelles. Même si par principe le locuteur n’est prisonnier ni de son appartenance groupale ni d’un parler déterminé, le spinoziste en moi regimbe à l’idée que, dans les faits, il pourrait se délier comme par magie des déterminismes qui le construisent aussi, a fortiori s’il se donne un projet exigeant une stratégie précise d’acceptabilité sociale.

            Voilà tout ce que je voulais vous dire, en en prenant le temps. Oui, c’est bien « sur le regard porté sur la langue » qu’il nous faut travailler, mais dans une vision dialectique des choses : le locuteur n’étant pas une monade désarrimée, il nous faut penser l’articulation du sujet et du groupe, leurs interactions, mais toujours en situation : milieux, enjeux spécifiques, désirs (leur expression et leur captation), stratégies, etc.  Quant à l’occitan de demain, s’il continue àêtre parlé, nous sommes d’accord : il sera ce que les locuteurs de demain en feront. C’est une évidence. Mon livre ne prétend en rien être une prescription pour l’avenir, il n’est qu’un questionnement. D’où son titre en forme d’interrogation ouverte. Vous m’érigez en idéologue rétrograde et en censeur mais vous vous trompez. Pour autant, je continue à penser que croire que le registre populaire est attachéà une époque révolue, à un mode de vie dépassé, et ne peut pas être – vu sa grande pluralité– une vraie langue moderne de communication sociale, c’est demeurer dans le stéréotype négatif qui sous-tend la situation diglossique et son idéologie. La langue dominée n’est dès lors pas vraiment réhabilitée en tant que langue car un de ses registres essentiels est dénigré (explicitement ou implicitement). Et ce dénigrement est tel que certains d’entre nous en viennent àévincer tout langage populaire de leur pratique de scripteurs ou locuteurs, et à souhaiter publiquement la mort du dernier locuteur « natif » pour que, la table étant désormais rase, on puisse enfin établir l’enseignement et la socialisation de La Langue, la seule, la vraie, la digne, la pure, la belle…

Dès lors, que devient cette désaliénation que prétendent poursuivre, chacun à sa manière, et le mouvement occitaniste et une sociolinguistique qui ne joue plus, depuis longtemps, la comédie de la neutralité scientifique ? Comprenez qu’en l’état actuel des choses, je ne puisse que persister, donc, et signer.

 

Eric Fraj

Jan-Peire Reidi, retorn a Vilajalet

$
0
0

 

Vilajalet

 

 

Jan-Peire Reidi, retorn a Vilajalet

 

Jan-Peire Reidi (Jean-Pierre Reydy) ven de sortir un libre novel a las edicions Lo Chamin de Sent Jaume : es un recuelh de tèxtes que lo titre n’es Chaucidas dins los blats (nos autres diriam « caucidas » o « caucits »). Aprèp une vida de professor d’anglés, mai que mai a Châtellerault, Reidi es ara tornat demorar ont èra nascut, a Vilajalet, a costat de Nontron, en Peirigòrd verd. Aquí s’encontran, çò ditz Reidi, « la freschor dau Lemosin mai la jòia dau Peirigord » e se mesclan l’estonant parlar en « è »[1] e lo classic en « à » : « Eu parlava « è », ’la parlava « à » », nos ditz de sos grands. Justament, Reidi s’es fach coneisser dins lo pichon monde de la literatura occitana d’expression lemosina en 2007 (abitava encara a Châtellerault) per un libre que pòrta lo nom d’aqueste vilatge de Vilajalet, ja publicat al Chamin de Sent Jaume. La sortida de son segond libre, que per una bona part torna suls lòcs, personatges e tematicas del primièr, me balha l’escasença de parlar tanben de Vilajalet, que se seriá meritat mai d’atencion a sa parucion.

Vilajalet es pas une òbra de ficcion, mas una mena de cronica familiala escrita en primièra persona, que se debana dins çò que se ditz « vilatge » en Lemosin (es pas çò que nosautres apelam aital, qu’aquí se ditz « borg » ; lo vilatge es lo mas ont vivon un grop de familhas), un pichon monde de vailets, jornalièrs, meitadièrs e pichons propietaris del costat de Nontron. Res de truculent, de pintoresc e d’espectaclos, mas un sens del detalh vertadièr qu’entredobra la pòrta de la mentalitat paisana sens la forçar, sens cercar de bracar lo lum pretencios de l’analisi psicologica sus l’escurina de las armas ; una apròcha pudica, sensibla, un chic meditativa, amb una punta a l’encòp de tristesa e de tendresa mescladas, risolièra ça que la, e tot aquò dins una lenga rica, apresa dins la pichona enfancia (« ma mair me parlava francés, ma granda mair e mon pair me parlavan occitan »), ont la referéncia a l’oralitat es constanta.

Parla de la vida vidanta, mas subretot del biais d’èsser, de parlar, de se tener, de se comportar de sos grands, de sos parent e dels vesins del vilatge… Zo fa d’un biais direct, precis, economic, sens fiorituras ni manieras. Per balhar un exemple, vaquí cossi descriu la scèna de la monta del taur sus la vaca : « Emb sa granda linga rufa, eu començava de lechar la natura de la vacha estachada au cirier dins lu barradis e ne tainava pas de levar sur ela las pautas de davant. Ma mair li preniá lu biron a plena man e l’engulhava, dau temps que mon pair teniá lu taureu per la còrda e fasiá estar la vacha. ’Qu’era brave, ’quela fòrça naturala, bestiala e impetuosa de la vita. Los quites mainatges n’aurian jamai pensat ne’n rire o ben ne’n ’ver onta ».

Es d’un mème biais realista que conta tot çò qu’un dròlle podiá entendre e comprendre dins aquesta cultura paísana ont se disiá fòrças causas librament : « Un còp, ma granda-mair tornet au vilatge tota chafrelhada. […] Mon grand-pair e ma granda-mair se ’vian mes a l’acelat sos un chaisne per laissar passar una ramada. E per dire ne pas restar sens ren far, eu ’viá essaiat de la bicar d’en-pès contra la bilha – la terra era trempa, perdiu – mas eu ne ’via jamai pogut. Los vesins risseren lur aise. Un autre còp, un barraquen voliá’chaptar un lapin negre per son cirque. ‘Ailas ! çò-ditz lu vesin, ’quo n’es pas bien malaisat trobar : totas las femnas n’an un !’ ».

Mas evidentament la vida se passava pas solament a contar de nhòrlas ! Coma sus totas las familhas d’aquelas annadas, lo pes de la doas guèrras se fasiá encara sentir : lo grand pair aviá fach 14, lo pair foguèt presonièr e terriblament maltractat en Alemanha... Dins las conversacions, en visant de fotografias de nòças d'abans 14, tornava totjorn la mèma sansònha : « Eu fuguet tuat a la guerra » Un vesin, de la classa 1920 cantava la cançon de Craonne, « en-dessos, coma si ’quò’viá estat quauqua ren de mau, quan eu ’via begut un còp de tròp ». Quora lo grand paire moriguèt sos darrièrs mots foguèron per dire : « Quilhs coquins de Bòches, ’qu’es ilhs que m’an tuat ! ».

Es amb una granda sensibilitat que Reidi parla dels dòls de familha. A prepaus de la mòrt de son grand, remarca : « A data de ’queu jorn, ma granda-mair li donet un autre nom : ‘Queu paubre òme’. Los quites mòrts eran paubres. » Se soven de la velhada e d’un detalh, que sap analisar amb una granda sensibilitat antropologica : foguèt demandat a una vesina de recitar lo Nòstre Paire : « De’n prumier, ’la faguet semblant de lu ’ver obludat. Foliá aflatar lu Bon Diu sens pareitre tròp pretencios o curetier ».

Parla tanben, amb una granda justesa, d’un eveniment traumatic entre totes, lo suicidi del paire, quora èra encara mainatge : « mon paubre pair que ma mair trobet pendut au nogier dins la charriera, per la còrda de ficelas qu i’ ’viá facha per ma balançoire, mon pair que veguí tot redde coijat sur l’eschina per terra sos lu nogier, lu còu blu, e que era dins lu cementèri de Nontroneu ». Aquò balhèt al pichon un estatut especial dins lo parçan e li farguèt un caractèr que ne parla sens cap de complasença : èra un dròlle puslèu docile, qu’escotava e trabalhava plan ; çò ditz : « La culpabilitat, boirada emb la onta e l’umiliacion, garantissen l’òrdre sociau ». Quora anèt estudiar pensionari, sa maire aviá pas demandar de sostenh a l’Estat, perque cresiá« que coma son pair se ’viá suicidat son filh ne ’viá pas drech ad una borsa ». Aquò ne ditz long sus la sofrença e la culpabilitat rebalada dins un dòl sens fin.

Mas la figura centrala del libre, la mai importanta pel mainatge Reidi, es la de sa granda, la Joannà, que li balhèt sa lenga (« m’es ’vis que chaque mot occitan que escrive, ’qu’es la votz pura, francha e ben pausada de la Joannà que lu ditz ») e fòrças causas en mai. Lo retrach que n’es fach, per son stile, es a l’imatge del personatge : simple, direct e frontal. « La respectava l’Egleisa, mas ’la ne confondiá pas lu Bon Diu e los curets » ; « ’la ne ’viá pas onta d’estre paubra, mas la paubretat n’era pas sa vocacion » ; « Quante ’la tornava dire las paraulas de quauqu’un, los que begaudavan, que micaudavan, que badavan, que s’escharnissian, ’la ne los contrefasiá pas. ’L’aimava la gent ; l’escotava la gent. ’La ne disiá pas de contes, de legendas, de nhòrlas. ’La parlava de la gent e la parlava d’ela. ’La ’visava drech davant ela,’la pensava drech e ‘la parlava drech. […] ’La m’apreniá la vita. ’La me donava nòstre passat. ’La m’aidava venir un òme ».

Un còp que lo mainatge manquèt se negar, dos jorns aprèp, ocupada a amassar de topinambors, la Joannà diguèt « ’Si ’queu dròlle se ’via nejat, ’qu’es aüei qu’eu s’auria entarrat.’ ’Qu’era de me que ’la parlava ! Ne sabiá pas que ne’n pensar. Fau creire que la mòrt era una chausa bien ordinària, bien abituala, perque ma mémé, benleu la persona que aimava lu mielhs e que m’aimava lu mielhs, puesche imaginar l’entarrament de son pitit-filh e ne’n parlar coma si ’quò’viá estat un autre trabalh de far, coma ’massar daus pinambors ».

Dins lo libre novel, Chaucidas dins los blats, traparètz tanben un tèxte fòrça polit sus la Joannà, La Femna que teniá son reng : conta que la Joannà travalhava a la jornada pels camps pendent que son patron li fasiá la conversacion. Dos vailets li diguèron : « vos sètz bien bestia ! Nos pausem, dau temps que demòra aquí plantat. S’entòrna còp sec e nos laissa tranquilles ». Èla, maldespièch tot e totis « teniá son reng ».

Aqueste segond libre, compausat de tèxtes corts sus de subjèctes variats (la mager part foguèron publicats en linha dins la rubrica en òc de Sud-Ouest), val la pèna d’èsser legit a la seguida del primièr, que sovent, aquels tèxtes aurián pogut èsser de capitols de l’autre.

N’ai retengut subretot tres que m’an particularament plagut. Lo premièr a coma titol L’òme que se sauvet. Cal saber que « se salvar » vòl tanben dire se tirar d’affar, s’arrengar per ganhar sa vida. Es encara un retrach, aqueste còp lo d’un vielh vailet e vielh garçon, tonton de l’autor, òme simple e benlèu un chic simplòt, un figura d’original del campestre que sembla singulièra mas que cadun me pensi i pòt associar de monde qu’a conegut : « A jamai embraçat degun […] A jamai fumat, dançat, frequentat. A jamai tirat un còp de fusilh. A jamai apres a rotlar en bicicleta. A jamai tengut un volant de tractor o ben d’automobila. […] A trabalhat tot lo temps que a pogut. A jamai avacat a far quauqua ren. A jamai ren damandat a degun. S’es jamai plangut de la vita que menava. Degun l’a jamai vut esmalit mai auvit jurar ».

Sapcher se tener es una pagina digna de Chapduelh o de Vinhaud sus la civilitat paisana lemosina. Per exemple, aqueste principi de comportament que se pòt encara observar aquícada jorn : « per parlar d’un defaut de quauqu’un […] òm preniá la precaucion de se criticar se-mesma : ‘Eu fai coma me, es pas tròp valhent !’ Quitament per far daus compliments, òm fasiá atencion : ‘Quò es pas per dire, mas eu es bien de servici !’ ».

Tornar enfin, es un texte estonant : una mena d’autobiografia resumida pel biais dels ostals abitats l’un aprèp l’autre, dempuèi la « maison natala » de Vilajalet, puèi la dels grands, las cambras d’estudiant a Peitieus, quatre adrèças a Chatellerault, ont Reidi ensenhava… dusca al retorn a Vilajalet.

Entre temps, evidentament, tot èra cambiat, son « monde » aviá desaparegut, « la gent parlavan una autra lenga ». El se soven d’un temps ont i aviá pas que los rectors e los mossurs per parlar francés dins la vida vidanta, abans aqueste cataclisme silencios qu’emportèt la lenga sens que degun o quasi se’n rendesse compte.

 Dins Vilajalet, Reidi nos a contat son encontre amb, cossi dire, un usatge cultural de la lenga. Aqueste encontre aviá un nom, lo de « Panazo », André Deixet. « Un còp, chas los vesins (I’ ’viá benleu ueit ans) auvi Panasòu contar sas nhòrlas a Radiò Lemòtges. ’Qu’era miràudia ! Eu parlava la mesma linga que n’autres », segurament amb de diferéncias de prononciacion e de vocabulari, « mas nos lu compreniam quand mesma . […] L’annada d’apres, quante trobí lu jornau de Panasòu a l’auberja dau Maine Rosse, lu ’chaptí e damandía ma mair de m’abonar. Escriví a Panasòu en occitan. Eu corriget mas fautas e publiet ma letra. Eu comprenguet plan que i’ era un mainatge, mas eu me responguet totparier. La gent ne’n revenian pas. I’era benleu un daus pus jòunes « escrivans » occitans ! ». An aqueste prepaus parla del ròtle que li sembla ambivalent de las nhòrlas (de Panazo, de Delage, etc.) per la lenga : « D’un costat ‘quò l’a reviscolada [...]. Mas d’un autre costat, ’quò la benlèu limitada e facha mespresar ». Podèm de tot biais remarcar, qu’èra ja mespresada dempuèi tant de temps… disèm puslèu que l’art de la nhiòrla balhèt coma una mèna de dignitat al mesprès ! Aital son nascuts, en partida en reaccion a las nhiòrlas – mas sens elas aurian benlèu pas encontrat la lenga escrita –, los escrivaires que se son empoderats dels autres genres de la literatura : Delpastre, Chapduelh, Melhau, Reidi… mas son venguts aparentament tròp tard, a contra-temps, per poder tornar a la lenga son prestigi perdut.

L’abandon de la lenga, nos fa remarcar Reidi, foguèt una causa aital subta, que prenguèt a pèna una generacion : « Nos cresiam plan que nòstra linga d’òc durariá totjorn. Nos ne ’viam pas pensat que ’la riscava de dispareitre en mesma temps que nòstres pairs e nòstras mairs que la parlavan ». El refusa tota mèna de victimizacion : « Degun n’auriá pogut nos empaichar de gardar nòstra linga viventa si nos ne ’viam pas, n’autres mesma, chausit de l’obludar […] Nos n’am jamai estats punits a l’escòla perque nos parlavam nòstra linga. Lu bilingüisme ne derrenjava degun e ne costava ren ». Praquò ièu ne coneissi un fais (mon quite paire) que son estats punits ! Mas vertat qu’es pas lo còr del problema : lo bilingüisme costava res, e per aquò valiá pas res ! voli dire aviá perdut tota valor simbolica, tot interes, perqué cap de model cultural alternatiu a lo del monolingüisme exclusiu capitet pas a s’impausar.

Joan-Pèire Cavalièr

 

Los dos libres, Vilajalet (2007) e Chaucidas dins los blats (2014) son publicats per Jan dau Melhau a las edicions Dau Chamin de Sent Jaume, e se podon comprar a la Libraria Occitana de Lemòtges, 26 Rue Haute Vienne, 87000 Limoges.



[1] Dins son darrièr libre, quora fa un polit elògi del mercat de Pueg ‘Guts (Piegut, vesetz aquí lo tèxte de la Jaumeta Beauzétie), Reidi nos balha un polit exemple de parlar en « è », en escritura quasi fonetica : « Cà fai chaud aüei, cà vai tueire là codenâ ; faudrá pès obludèr de fèr beure lès vachès ».


« En attendant… lou Futur », le présent (de la prospective) n’est guère brillant

$
0
0

LouFuturcouverture

En attendant... lou futur, dessin de couverture de Fräneck

 

« En attendant… lou Futur », le présent (de la prospective) n’est guère brillant

 

De passage chez mon tonton, maraicher bio dans le Bas-Quercy, j’ai trouvé remisé dans un coin un petit album de bédé publié en 2013 qui ne pouvait qu’attirer mon attention, vu son titre : En attendant… Lou Futur. Fût-ce en graphie française, il y avait de l’occitan dans le titre, un petit article défini, un substantif peut-être (futur, lo futur, se ditz tanben aital en occitan)… la couverture était engageante, j’ai feuilleté pour voir de quoi il s’agissait.

En deux mot, c’est un ouvrage gratuit, réalisé par le collectif toulousain « Indélébile »à l’occasion, ou plutôt à la suite de la deuxième édition du festival « Vie Rurale », qui s’est tenu en 2013 sur cinq territoires de Midi Pyrénées (Pays d’Auch, Pays Portes de Gascogne, Pays Midi-Quercy, PNR des Causses du Quercy, Pays Bourian) sur le thème : « La Vie Rurale c’est pas de la science-fiction ». J’ai jeté un œil à la programmation 2013 du festival (cinéma, spectacles, concerts, rencontres) et je l’ai trouvée intéressante, parce que largement constituée de productions issues de ces territoires. L’occitan y avait d’ailleurs une place, modeste, mais non négligeable.

Avec l’éternelle catastrophe cependant, de sa mise par écrit : nulle part le film documentaire D’Aiga e d’òmes, réalisé par l’Association Vidéo Quercy Rouergue, pourtant conçu dans le cadre de ce festival, n’est écrit dans les programmes sous une forme occitane intelligible (tantôt De Aiga et de òme ( !), tantôt D’aiga et des Òmes, mais bordel est-ce tant difficile de recopier un titre, ou même, même d’en apprendre deux mots, seulement deux avec leurs adjectifs, juste pour paraître moins bête !). Bon mais enfin, ce festival, dans l’ensemble paraissait bien sympathique (on excusera mon ignorance à son sujet, mais j’habite bien loin de ces pays, dont certains pourtant sont très chers à mon cœur) et il est dommage que, visiblement, il n’ait pas été reconduit en 2014.

Mais surtout, cette année là, le festival était consacréà une « science » qui revient en force et dont je l’avoue, j’ignorais (presque) tout : la « prospective » ! Une série de rencontres furent organisées avec des élus, des administratifs et des associatifs (Ateliers Territoires 2040), sur lesquelles je reviendrai un peu, car il en est sorti un petit livret que mon tonton possédait aussi (il me dit en maugréant que les participants avaient découverts la lune), gracieusement offert en même temps que le recueil de bédé.

Les aventures de Miladiou et Tchoupinaïre

Allant au plus attirant, je me mis à feuilleter l’album, aux planches bien réalisées, avec des styles graphiques résolument tendance / alternatifs, de fort bonne facture et très diversifiés, me disant évidemment, que j’allais bien y trouver au moins – vu le titre – quelques perles de francitan. D’autant plus que les artistes, lisais-je, avaient été accueillis en résidence à Simorre dans le Gers (il est vrai seulement deux petites semaines, mais enfin). Évidemment, je ne me faisais guère d’illusion sur la fidélité linguistique tant dans l’évocation de l’oralité que dans sa mise par écrit, sinon le titre aurait bien sûr été autre.

Je fus cependant vraiment déçu. À part un « miladiou » introductif et conclusif, la première histoire (Marion Puech, En attendant… le réchauffement du tricot), pourtant bien ancrée dans une ruralité se voulant profonde (avec tracteurs, vieux célibataires, bistrot et spectacle pour enfants), fait preuve d’une ignorance crasse du francitan de nos campagne, à preuve une vignette où un personnage déclare : « Tu ne saurais plus quoi tchaoupiner », au sens – vu le contexte – de « tu ne saurais plus quoi faire », ou « plus quoi trafiquer ». « Tchaoupiner » (chaupinar), à mon humble connaissance, veut dire patauger ou tripoter grossièrement, tripatouiller, mais certes pas s’occuper à un travail ou se livrer à une activité en général. Même type de remarque avec l’échange suivant : « Oh, commence pas à nous estourbir, Paule. – Et à qui j’estourbis ? »… A utiliser du francitan pour faire couleur locale, autant le faire à bon escient, sinon les indigènes ne s’y reconnaitront pas. Mais la question serait d’abord de savoir si les auteurs ont réfléchi à la destination de leur album, largement distribuée gratuitement parmi les indigènes, et s’ils ne l’ont pas spontanément, sans y réfléchir, destinée aux urbains amateurs de fanzines (et que l’on ne me fasse pas le coup de la destination universelle des œuvres d’art, qui est une pure foutaise).

Les histoires qui suivent, dans la bédé, font complètement l’impasse sur un quelconque ancrage linguistique local. Soit on y parle une langue standard absolument neutre, novlang en fait tout à fait à l’image de l’agriculture qui s’y trouve dénoncée (David Pujol, En attendant… Les mycorhizes), soit on n’y parle pas (évidemment je n’ai rien contre les bédés sans parole !), soit des petites souries s’y expriment par sms (« Kloé331 : a labribus dan 20 minute je pren 2 kanet de redbull lol »), ce qui est plutôt marrant et bien fait (Pipocolor, En attendant… l’envol des pommes), soit encore on développe un scénario de vie dans un village du futur dans un français neutre, scolaire, sans intérêt aucun (Claire Pétry, En attendantDansons la farandole). Là encore je ne parle que de la qualité de la langue.

Comme la première, la dernière bande, qui met en scène un vieux paysan rebelle et son petit fils, présente quelques traits de langue et d’accent (« , derrière lo bartas »), mais entièrement contredits dans d’autres bulles (le même personnage dit en effet avec une phonétique tout autre : « parce que j’ai les vers au cul qui m’démangent ! I’m’ disent : c’est l’heure, faut y aller ! » ? (Basile Harel, En attendant… le ver solitaire). Quand on dit « Tè », on dit pas « I’m’ », ou alors c'est qu'on le fait exprès.

Bref, un résultat assez déprimant, une absence quasi-totale de réflexion sur l’état et le futur de la langue vernaculaire des territoires ruraux du sud-ouest vers 2040, qui ne saurait être l’occitan certes (nous ne rêvons pas), mais certes pas non plus ce que l’on croit devoir écrire comme étant aujourd’hui de la langue parlée (et qui justement est très éloigné de ce que l’on parle vraiment !). Quant au fond des histoires racontées, mon impression générale fut d’ailleurs du même ordre, une absence presque totale d’empathie avec la vie au grand air, oscillant entre le retraitement des poncifs du pittoresque campagnard et la dénégation pure et simple d’une quelconque identité rurale. Bien sûr, on peut toujours projeter qu’une telle identité en 2040 aura disparu, encore faut-il se donner les moyen de penser et représenter efficacement cette disparition, à partir évidemment de ce qu’il en est aujourd’hui !

 

Aménagement du territoire : la gouvernance hexagonale

La bédé, comme le fascicule dont je parlerai, et l’ensemble du festival, avec son titre (non) futuriste (La vie rurale, c’est pas de la science fiction) faisait écho à l’étude lancée en 2010 par la Datar[1] : « Territoires 2040 ». A ce sujet on pourra visionner la vidéo de présentation réalisée par des chercheurs et « experts » engagés dans le projet, qui ne sont pas inintéressantes, mêmes si tout ce beau monde souffre généralement d’une extrême difficulté, en matière d’aménagement du territoire, à s’émanciper de la pensée hexagonale centrée sur la capitale, par et pour laquelle ils ont été formatés. Pourtant eux-mêmes (ici l’économiste Bernard Pecqueur) s’accordent à dire que nous vivons désormais dans « un monde où les cadres de l’échange sont de moins en moins les États-Nations mais plutôt les « régions » au sens anglo-saxon ou les « territoires » au sens où l’expression se développe en Europe, c’est-à-dire des configurations spatialisées construites et non données »(« 2040 et le postfordisme »). Pourtant le raisonnement prospectif reste ici le plus souvent étroitement dépendant du cadre national et de l’articulation capitale (ou « région capitale ») / régions. Une géographe intervenante dans le projet m’a paru cependant intéressante à lire, Laurence Barthes, spécialiste des espaces de faible densité, qui pose des questions en fait de démocratie locale, même si elle utilise un autre vocabulaire : « Le défi repose sur l’aptitude des territoires à allier savoirs experts et savoirs profanes. Dans un contexte marqué par une forte diversification sociale, par une présence permanente ou temporaire de nouvelles catégories de population, par de nouveaux types de liens sociaux (réseaux sociaux, diasporas...), les ressources humaines du territoire se multiplient et constituent un potentiel d’inventivité pour les actions de développement. Il importe donc de les détecter et de les intégrer dans des dispositifs d’animation du projet de territoire » («Des Communautés rurales aux sociétés locales apprenantes »)[2]. Cette production de savoir collectif à partir du territoire, en utilisant les capacités et compétences d’expertise des citoyens eux-mêmes est évidemment une chose intéressante ; maintenant il faudrait aussi poser la question en termes politiques et donc de pouvoirs et, pour parler anglo-saxon, d’empowerment. La notion utilisée par tous, à la Datar, est celle de « gouvernance », avec son ambiguïté structurelle qui permet de reconnaître et de favoriser la pluralité des pouvoirs locaux sans mettre en cause (du moins frontalement) le pouvoir proprement gouvernemental de l’État nation centralisé.

 

La Prospective : art de la liste et scenarii

Le fascicule La vie rurale, c’est pas de la science fiction (que vous pouvez lire en ligne), à la maquette soignée, contenant les actes des ateliers de prospective Territoires 2040, est d’ailleurs censé représenter ce que peut être une production de savoir collectif sur les territoires de faible densité. Entre février et avril 2013 plusieurs « groupes d’habitants, membres de la société civile et élus », des cinq territoires suscités, se sont réunis pour participer à trois ateliers de prospective sous les titres suivants : 1 : pour demain, nous avons envie de… 2 : Ce que nous voulons, ce que nous ne voulons pas : construction des scénarii en 2040 3 : Restitution et mise en débats de nos futurs possibles.

La première remarque est l’absence presque totale d’habitants lambda dans ces réunions : les membres des groupes, dont les listes sont données, étaient quasiment tous des élus, des membres de conseil de développement, des chargés de mission, bref une élite d’élus, de conseillers, d’administrateurs à mon avis très peu représentative de l’ensemble de la société civile.

 La seconde, est le poids de l’expert, ou disons du super expert (en l’occurrence Edith Heurgon, directrice du centre culturel international de Cerisy), venu expliquer ce qu’est la prospective[3], exposer les relations entre « prospective et décision publique » auquel on ajoute le miraculeux terme de « débat » pour obtenir une « prospective participative » considérée, là encore, comme une « démarche d’intelligence collective alliant les savoirs des experts, des savoirs profanes, des expériences sensibles dans l’action (expériences artistiques notamment) ». Voilà nos artistes bédéistes qui pointent leur nez… Joli à l’affichage, mais, comme j’ai dit, d’emblée, le panel de citoyens, d’ailleurs restreint, me semble bien peu représentatif.

            Est aussi reproduite l’intervention de J. Y. Pineau du Collectif Ville Campagne (« association nationale au service de ceux qui désirent s’installer à la campagne et des territoires ruraux qui souhaitent accueillir de nouvelles populations », sise à Limoges : qu’on se le dise !), autre expert, lequel déclare : « Face à l’incessante liberté de mouvement des populations, un territoire ne choisit pas ses habitants, pas plus qu’il ne les retient, d’ailleurs. Chaque territoire peut cependant « choisir d’être choisi » ! ». Aussi, ajoute-t-il, faut-il s’attacher à produire une « offre globale porteuse d’image sachant répondre aux nouveaux besoins des acteurs et des populations ». Je crois pouvoir traduire cet horrible jargon par l’injonction : Soignez votre communication ! C’est ainsi sans doute que l’on écope de produits merveilleux comme Lim & You, contre lequel je me suis bêtement acharné naguère. Il est vrai qu’il s’agissait de faire venir des vacanciers, non des habitants, mais on peut tout craindre de ces méthodes des publicistes recruteurs des temps postmodernes.

Suit le travail des ateliers et d’abord un état des lieux qui prétend dresser les portraits des territoires à travers 4 rubriques (Il y a 10 ans nous voulions… ; Aujourd’hui les réussites sont… ; Cependant nous remarquons… ; Pour demain nous avons envie de…), instruites par des listes, pour chacun des territoires concernés. Voilà quelques exemples de ce que cela donne (je choisis exprès les maigres et généralissimes références au développement culturel et quelques unes à l'environnement) : Il y a 10 ans nous voulions : « Mettre en œuvre un projet culturel de Pays » (Pays Portes de Gascogne) ; « Connaître et mettre en valeur les patrimoines naturel et culturel » (Pays Midi-Quercy)… Aujourd’hui les réussites sont : « Les maisons Bouriane et la filière de l’éco-construction » (Pays Bourian) ; « L’animation culturelle du territoire » (Pays Bourian) ; « La coopération inter-territoriale et internationale (Mali) » (Pays Bourian)… Cependant nous remarquons : « Une déprise agricole et le déclin de l’agriculture » (PNR des Causses du Quercy) ; La « banalisation des espaces et l’altération des paysages » (idem) ; « Une économie résidentielle exclusivement, une activité touristique saisonnière » (idem) ; « Des freins à la mobilité » (idem) ; Une précarisation accrue (idem)… Pour demain nous avons envie de : « récréer du lien social, entre nouveaux arrivants et habitants installés, entre générations » (Pays Portes de Gascogne) ; « renforcer la dynamique culturelle » (Pays Portes de Gascogne)…

Suivent, sur quelques pages, ce qui est nommé« rapports d’étonnement », lesquels sont structurés en trois rubriques : Ce qui intéresse ; Ce qui inquiète ; Ce qui fait débat… Ce qui intéresse ? « La dynamique et l’importance d’une politique culturelle très forte » (Pays Portes de Gascogne) ; Ce qui inquiète ? « la séparation des néo et des ruraux » (Pays Bourian), etc. Suit encore l’énumération des « directions à prendre / à ne pas prendre » : « impulser, dynamiser la démocratie et la participation citoyenne », etc. Et à l’avenant, c’est-à-dire encore des listes, toujours des listes, qui plus est, redondantes les unes par rapport aux autres.

Le problème, on le voit, est que le contenu de ces listes, parce qu’il s’agit justement de simples énumérations, est terriblement maigre : que veut dire « renforcer la dynamique culturelle » ? Cela sous-entend qu’il en existe déjà une, mais laquelle ? Et dynamiser quel type de culture ? De quoi parle-t-on seulement, quand l’on dit « culture », « dynamisme », « impulsion », « participation » ? Combien ce vocabulaire est convenu et creux, éloigné de toutes les réalités concrètes dont il est sensé rendre compte ! C’est sans doute pourquoi, comme supplément d’âme, on a trouvé opportun de joindre une bédé ! Mais, quel gâchis ! Ces « habitants », triés sur le volet, s’expriment comme des candidats aux élections (qu’ils sont d’ailleurs pour certains) et des publicistes. La prospective, ou comment enseigner la langue de bois dans nos campagnes (suffisamment boisées par ailleurs !)… Et si tout cela était profondément politique, si la « participation citoyenne », n’était en fait acceptable que si elle reste engluée dans le verbiage communicationnel ? Il faut y réfléchir.

On peut commencer à le faire, en lisant les scénarii du futur élaborés par chaque groupe d’habitants, pays par pays. Enfin, des phrases ! Cependant, non pour produire de l’analyse, mais un récit, le récit du futur, le récit prospectif, « pour le pire » d'abord, puis « pour le meilleur », à travers les faits et gestes de familles imaginaires affublés de noms franglais sur le modèle Sadgascogne, Sadquercy, Sadbourian, etc. pour le pire, Hapygascogne, etc. pour le meilleur. Rien que ces noms, et la régression du récit sur la cellule familiale (immuable : papa, maman et leurs enfants) disent tout du cauchemar qui nous attend !

« Mr et Mme Sadbourian n’ont pas vraiment connaissance du système de gouvernance sur leur territoire, les personnes ne sont plus intéressées ni associées aux prises de décision. Tout est décidé par des commissions extrêmement éloignées et plus personne ne s’en occupe vraiment… » Mais cela est de la fiction pour 2040 ou un constat pour aujourd’hui ?

Mme Happygascogne se rend « à la maison d’Action Citoyenne » tirée au sort pour faire partie d’un groupe de travail : « renouvellement de la Charte de coopération avec le Pays Autonome et Relié (PAR) Toulousain, qui est un territoire voisin. Les PAR permettent à chaque habitant de participer à la vie de la cité : les normes françaises sont rediscutées afin d’être adaptées aux contextes locaux ». Évidemment l’aspiration à plus d’autonomie locale et de démocratie participative se comprend fort bien, mais la formulation est révélatrice : on reste dans le cadre franco-français de l’État centralisateur, puisqu’il s’agit de discuter les normes non pour les changer (ça c’est l’État, c’est Paris qui s’en occupe !) mais tout au plus, pour les « adapter au local »… il est vrai, cela serait déjà quelque chose, mais on voit les limites étroites de l'exercice…

Évidemment, inutile de dire, car on l’aura compris, que dans ce travail de prospective, il n’y a aucun mot sur l’avenir du « patois », ni du français ou des langues de l’immigration d’ailleurs, c’est-à-dire des et de la langue(s), sans doute enveloppées dans le concept de « culture », qui contient tout et rien. Mais la prospective, comprenez-vous, a sans doute des choses plus importantes à prospecter !

Tout cela, en tout cas, ne va pas bien loin, comme s’il s’agissait tout au plus de se faire peur et plaisir à bon compte, en agitant des mots à la mode sans leur donner de contenu vraiment concret, et sans bien sûr la production d’un savoir effectif (l’ensemble de ce petit livre de 60 page en est largement dénué). Il est vrai qu’en trois petites journées de travail, cela paraissait difficile…

Quand je le compare à l’initiative du groupe d’habitants de la montagne limousine qui se sont réunis, sans certes y avoir été convié par leurs élus ni par la Datar, pour composer le Rapport sur l’état de nos forêts et leurs devenirs possibles par des habitants du plateau de Millevaches (novembre 2013), qui est, lui, d’une richesse d’informations et de propositions tout à fait remarquable, on voit bien de quel côté penche la balance de production collective du savoir, plutôt du côté de l’organisation spontanée des citoyens, que des initiatives d’encadrement d’une élite locale par quelques experts de prospective.

Jean-Pierre Cavaillé

Marion

planche de Marion Puech, "Ici Café", En attendant... lou futur, p. 11


[1]Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l’attractivité régionale.

[2] Ces lignes m’ont faites penser à un excellent article que je venais de lire d’Alice Ingold, « Qu’est-ce qu’un fleuve ? Critique et enquêtes à l’épreuve de situations indéterminées », publié dans Faire des Sciences Sociales (volume : « Critiquer »), Paris, EHESS, 2012.

[3] Heurgon définit dans son laius la prospective comme une « démarche qui vise à se préparer aujourd’hui à demain », à dessiner des « scenarii possibles » en tenant compte de deux types de phénomènes : les tendances lourdes et les signaux faible (« émergences », « germes de futur que l’on ne voit pas nécessairement », ceci afin de définir des « futurs possibles », des « futuribles », mais aussi des « futurs souhaitables ».

 

« Ils ne nous croiront pas, ou bien ils s’en foutront ». Les Carnets de Guerre de Louis Barthas

$
0
0

Bartahs

Deux pages des carnets de guerre de Louis Barthas

 

« Ils ne nous croiront pas, ou bien ils s’en foutront ». Les Carnets de Guerre de Louis Barthas

 

Ces Carnets de Louis Barthas, depuis longtemps, je les voyais cités par les meilleurs historiens de la guerre de 14, mais je ne les avais jusque là jamais lus. J’ai profité de la parution de l’édition du centenaire (La Découverte/ poche), due à Rémy Cazals, découvreur et éditeur du texte chez Maspero en 1978. Comme tous ceux qui s’y sont plongés, j’ai étéépoustouflé, médusé, émerveillé par la force et la précision du témoignage, la hauteur de vue, la finesse d’analyse, la qualité d’écriture du tonnelier de Peyriac-Minervois (Aude), simple caporal dans les 280e, 296e et 248e régiments d’infanterie tout au long des quatre années de guerre dans les tranchées de Notre-Dame-de-Lorette, de Verdun, de La Somme et du Chemin des Dames.

 

Témoin

L’écriture répond à l’impératif absolu du témoignage, de la guerre vécue par ceux d’en bas, dont Jean Norton Cru, dans les années 20, a fait la théorie étayée sur un immense recueil de textes, qui montre que cette nécessité fut largement partagée par les combattants de première ligne confrontés à une dénégation permanente de la réalité par les dispositifs de « bourrage de crâne » déployés par les états-majors et relayés par la presse. Je pense évidemment, dans le cadre de ce blog, aux lettres du front rédigées en occitan de Louis Bonfils, découvertes grâce au travail de Guy Barral, accessibles en ligne, qui doivent paraître cette année à Montpellier (voir la présentation de ces lettres ici), un auteur que, comme Barthas, Cru n’a pas pu connaître[1]. Cette injonction, de dire la vérité, la terrible vérité, dans la perpétuelle menace d’une mort imminente, contre les mensonges perpétuels des discours officiels et autorisés, est exprimée par Bartas, dans un vocabulaire de la plus grande immédiateté : « – Et toi, me dit Ferié, toi qui écris la vie que nous menons, au moins ne cache rien, il faut dire tout./ – Oui, oui, tout, tout. Nous serons là pour témoins, on crèvera pas tous peut-être, appuyèrent les autres./ – Ils ne nous croiront pas, dit Mondiès, ou bien ils s’en foutront… » (p. 130). Camille Mondiès, instituteur à Pépieux (Aude), comme le camarade illettré Ayrix (de Narbonne), dont il écrivait les lettres, allait être tué, déchiqueté par un obus, dans une tranchée de Lorette. « Ils ne nous croiront pas, ou bien ils s’en foutront » : quelle effrayante lucidité ! Un historien de la Grande Guerre n’a-t-ils pas été jusqu’à parler de la « tyrannie du témoignage » ? Le rejet des témoignages des poilus permet de développer en toute liberté la thèse du « consentement patriotique » ou « sacrifice consenti », pour expliquer l’attitude globale des soldats mobilisés. L’idéologie des états majors a ainsi triomphé jusque dans les livres d’histoire, faute d’accorder du crédit aux témoins d’en bas ; Mondiès, hélas, avait raison.

Ce que décrit Barthas – dont les carnets ne furent publiés que soixante ans après la fin de la guerre et cela bien sûr est aussi on ne peut plus significatif – est justement le divorce complet entre la manière de vivre et de penser la guerre dans les tranchées et la représentation que s’en faisaient les officiers supérieurs, qui ne cessaient de prodiguer aux troupes des mensonges inutiles par crainte de rébellion. « … nos grands chefs ne pouvaient comprendre comment des hommes libres jusqu’à la minute fatale de la guerre se puissent soumettre sans le moindre murmure, presque volontairement à ce sacrifice qu’ils savaient vain et inutile avec plus de docilité qu’un troupeau d’esclaves poussé dans la Rome antique vers quelque insoupçonné supplice ». Tout à la fois, ils ne pouvaient pas ne pas savoir : « nos chefs ne s’y trompaient pas, ils savaient bien eux que ce n’était pas la flamme du patriotisme qui inspirait cet esprit de sacrifice, c’était seulement esprit de bravade pour ne pas sembler plus poltron que son voisin, puis la présomptueuse confiance en son étoile, pour certains la secrète et futile ambition d’une décoration, d’un galon, enfin pour la masse l’inutilité de récriminer contre une fatalité implacable./ Les craintes de nos chefs de voir les soldats hésiter, se cabrer dans un sursaut instinctif comme le dernier, le plus stupide des animaux devant la mort étaient donc vaines, mais vivant trop loin du soldat et trop haut au-dessus de lui pour connaître sa mentalité ils se couvrirent de ridicule par une odieuse comédie. » (p. 376). L’odieuse comédie consistait en l’occurrence à faire croire au 296e régiment qu’il ne partait pas à première ligne alors qu’on l’amenait à l’abattoir.

Je crois que l’on peut juger à cette citation de la pertinence et de la finesse des analyses de cet extraordinaire tonnelier, militant socialiste ayant participé activement aux événements viticoles de 1907 et pacifiste avant, durant et jusqu’à la fin de cette guerre, dont il ne cesse de dénoncer l’absurdité et l’horreur. Ce n’était certes pas « la flamme du patriotisme » qui animait l’obéissance, d’ailleurs relative (Barthas décrit mille gestes de désobéissance aux ordres, modestes ou caractérisés sous la menace permanente du conseil de guerre). Pourquoi donc, écrit Frédéric Rousseau dans sa réédition de La Guerre censurée (Seuil, 2003) ne pas utiliser, plutôt que les notions fausses ou du moins très ambiguës de consentement et d’assentiment, des termes comme ceux « d’obéissance, de patience, de résignation » ? Selon moi, la raison en est à la fois l’adhésion idéologique foncière d’une partie non négligeable, aujourd’hui encore, des historiens au discours de propagande patriotique (le syntagme de « culture de guerre », permettant d’éviter de parler en terme de propagande, de manipulation, de désinformation…), mais aussi de leur identification sociale à l’élite, hauts gradés et intellectuels « embusqués ».

            Or, comme ne cesse de le montrer Barthas, l’esprit des poilus, la manière dont ils vivent la guerre, le contenu de leurs échanges de tous les instants, restaient soigneusement dissimulé aux états-majors. Par exemple, voici comment le caporal décrit l’escouade, unité militaire de base : « elle est une petite famille, un foyer d’affection où règnent entre ses membres de vifs sentiments de solidarité, de dévouement, d’intimité d’où l’officier et le simple sergent lui-même sont exclus ; devant eux, le soldat ne se livre pas, se méfie, et un officier qui voudra tenter de décrire comme moi cette vie étrange de la tranchée n’aura jamais connu si ce n’est quelques fois par surprises les vrais sentiments, le véritable esprit, le net langage du soldat ni son ultime pensée. » (p. 175). Voilà, on ne saurait mieux dire. On peut, après cela, faire le roman patriotique du consentement…

 

Question méridionale

Barthas, entre autre mille choses, traite, et ne pouvait pas ne pas traiter de la question méridionale, obsédante avec et après l’affaire du XVe corps d’armée (voir l’article en ligne de Jean-Yves Le Naour, auteur de Désunion nationale : la légende noire des soldats du Midi, 2011 et 2013). Décrivant un repli du 280e régiment lors de ce qu’il appelle « l’offensive sanglante et stérile du 25 septembre 1915 », il écrit : « Ah dira-t-on, ces Méridionaux, toujours prêts à tourner les talons, mais parmi nous il y avait des Parisiens, des Bretons, et je remarquai qu’ils se débinaient aussi vite que nous » (p. 188). Il évoque sans ambages les querelles, parfois très violentes, entre des soldats du 296e, composé de méridionaux et d’autres poilus : « Les raisons en étaient toujours les mêmes : l’antagonisme, la haine existant entre le Midi d’une part et les autres parties de la France ». Et il ajoute : « ces sentiments regrettables toujours à l’état latent passaient parfois à l’état aigu quand quelques bouteilles de vin échauffaient les cervelles des descendants des Wisigoths et de ceux des Francs » (p. 342). Il parle surtout, non sans amertume, de la dissolution du 296e. Le dépôt de ce régiment, explique-t-il, était à Béziers, « où en 1907, lors des troubles viticoles, le régiment se révolta », et il ne lui sembla que cette dissolution au moment où« le bourreau du midi » Clémenceau revenait aux affaires n’était pas un hasard (p. 489).

 

La langue

Barthas est cependant fort peu sensible à la question linguistique. Lui qui s’applique àécrire le meilleur français (et il y parvient avec une maîtrise qui laisse pantois, pour un homme ne possédant que son certificat d’étude, certes reçu premier du canton !), ne donne que quelques indications, au long de ces 500 pages sur la langue quotidiennement parlée par ces hommes qui, au moins dans les premières années de guerre, étaient pour la plupart issus des mêmes régions, souvent mêmes venaient des mêmes villages (le nombre de Peyriacois qu’il a rencontré sur le front est vraiment étonnant). Cependant, il s’agit d’indications précieuses qui en disent long sur l’importance et l’intensité des échanges en occitan et en breton.

Ainsi lorsqu’il raconte comment à Lorette on demande à son escouade de fouiller les femmes suspectes de passer de l’alcool (« on laissait passer généralement les vieilles, mais on arrêtait inflexiblement toutes les jeunes et on usait et abusait de notre consigne en palpant les rotondités et les parties les plus saillantes de leur personne »), il précise : « Quelques-unes glissaient entre nos mains et s’esquivaient en nous faisant un pan de nez disant « Baï té fa rasa » (va te faire raser), expression méridionale qu’elles avaient apprise. » (p. 98). Vai te far rasar ! Ainsi des phrases d’occitan, circulaient parmi les jeunes femmes du Pas-de-Calais, en « contact » avec les poilus, sachant les utiliser à bon escient !

Lorsqu’on délivre les soldats de certains gradés honnis, c’est en occitan qu’ils se congratulent : « Aben pas maï le Kronprinz » (avem pas mai le Kronprinz : on n’a plus de Kronprinz); « Quatré-Els es partit » (quatre uèls es partit : Quatre-Yeux est parti) (p. 265). Les gradés reçoivent ainsi fréquemment des sobriquets « patois ». Le général Niessel lui-même, « un batailleur qui ne rêvait que combats et assauts […] fut vite baptisé le général « Tenglandi » (p. 163).Une note de Rémi Cazals qui vraiment aurait pu faire l’effort de donner – en note bien sûr – la graphie correcte (en l’occurrence « t’englandi »), nous dit : « expression occitane qui signifie « je vais te cogner ». La traduction n’est pas exacte (t’englandi signifie à la fois : je te cogne – et non pas je vais te cogner –, je te démolis, je t’écrase, formule qui en dit très long en effet sur ce que les poilus pensait des rodomontades belliqueuses de leurs généraux).[2]

L'escouade est-elle hébergée par une petite vieille importune, passant son temps à inspecté l'état de ses meubles ? «'Vieille fée ! quel crampon ! au diable cette manique', criait on  en patois après chaque inspection » (p. 429).

L’évocation d’un camarade auvergnat, Thoumazou, perdu au milieu des Audois, montre aussi comment l’intercompréhension fonctionnait dans les tranchées : « il se plaisait en notre société, aimait, admirait la pétulance, le verbiage, les expressions pittoresques, les jurons sonores qui caractérisent l’esprit et le caractère méridional » (p. 392).

Arrivé au 248e régiment, Barthas note que les Bretons, échangent aussi dans leur langue (il se sentit d’ailleurs d’abord bien seul, « au milieu de gens indifférents sinon hostiles, parlant un langage incompréhensible » p.496) et il rapporte leurs interjections les plus habituelles : « Fil d’en Dou ! (fils de Dieu) ; Mou maïné ! (mon âme !), Ma Doué ! (ma Dame) » (p. 520; en fait Ma Doué signifie Mon Dieu).

Plusieurs épisodes montrent que les mots qui viennent spontanément à la bouche des poilus sont ceux de leur langue maternelle : « ‘Qu’es aco ?’ cria le Toulousain Simard », surpris par un raffut inattendu dans une galerie (p. 476). Ou bien dans cette anecdote édifiante, où l’usage du « patois » sert aussi à défier l’autorité : le soldat Gontran de Caunes-Minervois, comme d’autres, rendait visite à la tranchée ennemie où il avait sympathisé avec les soldats allemands. Un officier, Grubois, surnommé« Gueule de Bois », le surpris : « je vous y prends, vous serez fusillé demain. Qu’on arrête cet homme ». Personne ne bougea, les hommes regardaient stupides cette scène. Gontran affolé par cette menace de l’officier escalada le talus de la tranchée en lui criant : « Béni mé querré », et en quelques enjambées il fut à la tranchée ennemie d’où il ne revint plus » (p. 217). « Veni me quèrre » : « Viens me chercher ! » Gontran fut condamnéà mort par contumace.

Il ne fut pas le seul à« fraterniser », et Barthas écrit de très belles lignes à ce sujet. Il parle aussi de ceux qui se constituaient prisonniers aux Allemands pour en finir. Ainsi évoque-t-il « le soldat Sabatier, de Rieux [Minervois] » : « du même bataillon que moi ; illettré, ignorant et simple d’esprit, ne comprenant pas même le français, Sabatier eût été incapable sans mon aide de rejoindre le front » (p. 227). Dans les jours qui suivent sa mobilisation, ce Sabatier, eut un comportement assez embarrassant pour son camarade. Ainsi, dans une situation délicate face à un officier : « … Sabatier qui n’avait rien compris à cette conversation en français s’écria en patois : « ‘Eh bien, il n’y a donc pas moyen d’aller boire un verre ?’ Et il ponctua ses paroles de son habituel éclat de rire sonore et prolongé […] ‘Sommes-nous en France ici ou chez les Boches ?’ hurla-t-il » (p. 229). On voit d’ailleurs, à travers cet exemple unique dans le récit, qu’en 1914 le bilinguisme était la règle et qu’il était exceptionnel de rencontrer un soldat du midi ne connaissant pas, ou très mal, le français. Or voilà que, plus de 200 pages plus loin, nous retrouvons le même, se constituant prisonnier chez les Allemands : « Le camarade Sabatier, mort lorsque j’écris ces lignes, illettré et simple d’esprit, n’avait, comme pas mal d’autres d’ailleurs, jamais compris pourquoi l’on était en guerre ; on n’avait pas demandé son avis pour la déclarer, il ne demanda la permission à personne pour s’esquiver chez les Allemands. « Guerre finie », dirent ceux-ci lorsque Sabatier et son camarade tombèrent dans leur tranchée, c’est tout ce qu’ils demandaient » (p. 468).

Une fois de plus le commentaire de Barthas est tranchant et d’une liberté d’esprit exemplaire, lui qui ne cesse de dénoncer la condition « d’esclave » du poilu, c’est-à-dire d’un être auquel tous les droits de citoyenneté ont été retirés, pris entre le feu ennemi et la menace du conseil de guerre. Ce n’en déplaise aux patriotards de tous bords qui profitent de ce centenaire pour nous refaire l’éloge du sacrifice consenti et du corps mystique de la nation aujourd’hui menacée par le complot de l’Europe et des régionalistes. Le socialiste jaurésien Barthas était d’une tout autre trempe.

 

Jean-Pierre Cavaillé

Voir sur ce blog, outre sur Les Lettres du front du félibre Louis Bonfils,

Les voix occitanes dans les tranchées de 14-18

Peire Azema, La lenga d’òc a l’armada, 1919

La protestation du poilu félibre Elie Vianès

Maudita siá la guerra. Roland Berland, Los Jorns Telhoù

 


[1]Du Témoignage, Gallimard, 1930, repris (sans l’anthologie) par les éditions Allia, 2

[2]Évidemment je pinaille. Mais parce que c’est toujours la même affaire ! Un historien aussi sérieux que Cazals donne évidemment des cartes irréprochables, des notices biographiques exactes, des références contrôlées, une correction irréprochable de la langue française, autant d’exigences professionnelles qui ne sont pas requises des historiens en particulier et des universitaires en général (du moins en France) pour traiter des langues minoritaires. Sachons gré cependant à Cazals d’utiliser l’adjectif occitan plutôt que patois.

Louis Gouyon de Matignon et la langue des Manouches

$
0
0

matignon

Louis De Gouyon Matignon et Chris Campion Jérôme Sandlarz © Radio France

 

Louis Gouyon de Matignon et la langue des Manouches

 

Comme je l’ai raconté dans un post précédent, je m'initie au dialecte sinti, au contact des familles manouches du Limousin. Avec eux j’apprends évidemment beaucoup plus que la langue, et tellement d’autres choses, en matière d’organisation sociale, de culture, de religions(s), de mémoire, que je ne saurais par où commencer pour vous en parler. Je dirai seulement que je vais d’étonnement en étonnement, à la rencontre de ce monde si différent et si proche, immédiatement proche, un autre monde à la fois dans notre monde et à sa lisière, ou plutôt dans ses lisières intérieures, dans les plis de ses territoires périurbains et (de moins en moins) ruraux, entre aires « d’accueil », missions itinérantes, HLM, stationnement familial « sauvage » (devenu d’ailleurs désormais quasiment impossible), terrains privés… Un autre monde dans notre monde, non pas tout à fait invisible mais que l’on ne veut pas voir, ni avoir près de soi, sans cependant rien en connaître et rien vouloir en connaître. Et cette seule différence me remplit d’étonnement : eux (car il y a bien « eux » et « nous », de leur point de vue, et du nôtre, même s’ils ne concordent en rien) savent tout, ou presque du monde des gadjé ; nous ne savons rien, ou presque du leur, alors même qu’ils sont là depuis des siècles (depuis le XIVe, n’oublions pas, pour les plus anciennes familles), souvent depuis bien plus longtemps que ceux qui les considèrent irrémédiablement comme étrangers et « indésirables ».

Aujourd’hui, je voudrais présenter le travail lui aussi étonnant, remarquable pour son efficacité et son intégrité, d’un jeune gadjo, connu et reconnu de tout le monde manouche en France : Louis de Gouyon Matignon. Connu aussi, désormais du grand public. Cet étudiant en droit qui a déjàsa notice sur wikipedia  est né en 1991 dans une très aristocratique famille,  aussi est-il, peut-on dire, le descendant d’une longue tradition de rencontre entre la noblesse et les bohémiens, qui se disaient eux-mêmes nobles déchus, depuis les grandes familles féodales qui les prenaient à leur service sous l’Ancien Régime et leur servaient souvent de parrains, jusqu’à la grande figure d’historien François de Vaux de Foletier, fondateur de la revue Études Tsiganes. Louis de Gouyon Matignon qui a rencontré le monde des manouches à quinze ans, en apprenant à jouer de la guitare (il en joue d’ailleurs très bien), a fondé l’association Défense de la Culture Tsigane et plus récemment le Parti Européen. Ses prises de parole sur les médias en faveur des gens du voyage sont innombrables : il n’y fait aucune concession au racisme ordinaire et à l’ignorance de ses contradicteurs, quels que soient leur âge et leur fonction, comme vous pourrez le constater en tapant son nom sur votre moteur de recherche préféré. Un temps, il a été l’assistant parlementaire d’un sénateur UMP (Pierre Hérisson), mais il s’est fait virer pour avoir attaqué Estrosi, du même parti, sur la question des aires d’accueil (le maire de Nice venait de traiter de délinquants devant l'assemblée nationale des voyageurs qui occupaient un terrain illégalement, alors qu’il n’existe à Nice qu’une aire calamiteuse de 50 places). Le gars assure un maximum et ne cède sur rien. Il est déterminé et sans doute très ambitieux (il confie avoir rêvé enfant de devenir pape !), mais aussi parfois d’une ingénuité désarmante. Un film lui a été consacré par Arte, qui mérite d’être vu et où l’on entend d’ailleurs pas mal parler manouche (Un Prince chez les Manouches). Il a déjà trois bouquins à son actif, Gens du voyage, je vous aime (Paris, Michalon Éditeur, 2013), que je n’ai pas lu (je n’aime pas son titre, pas du tout !), un Dictionnaire tsigane. Dialecte des Sínté (Paris, L’Harmattan, 2012) et plus récemment Apprendre le tsigane (Paris, L’Harmattan, 2014), qui sont pour moi de vrais livres de classe que je traîne partout pour les confronter à ce que m’apprennent mes interlocuteurs.

Combien de fois m’a-t-on évoqué, ici en Limousin, la figure de ce « tarno gadjo », qui parle si bien le manouche ? Son dictionnaire est dans nombre de caravanes et surtout ses vidéos où il s’adresse dans la langue et sans sous-titrage à la communauté, font un buzz énorme (par exemple celle-ci) sur les aires d’accueil et dans les missions évangéliques où on les exhibe fièrement sur les téléphones portables.

C’est pourquoi je puis dire que Louis est en train de jouer, par ses vidéos et ses livres, un rôle considérable dans la réappropriation de la fierté de la langue, bien parlée encore dans certaines familles par toutes les générations, mais extrêmement menacée et délaissée par de nombreux quinquagénaires et quadragénaires qui ne l’ont pas ou peu transmise. Cette image positive, anoblie de la langue par ce jeune gadjo prometteur, a des effets incontestablement dans les têtes et les bouches d’une communauté confrontée à une négation perpétuelle de tout ce qui la constitue, de tout ce qui la fait être ce qu’elle est encore. Évidemment, cette action individuelle (aussi relayée par les médias et le bouche à oreille soit-elle) ne suffira pas, mais elle donne incontestablement envie à de nombreux jeunes et moins jeunes de prendre le relai, de s’appliquer à enrichir leur vocabulaire et le simple fait de parler de la langue, qui affleure encore partout, contribue à la faire parler.

Dans son avant propos àApprendre le tsigane, texte généreux mais un peu décousu, il écrit que cette langue « illustrant la diversité linguistique française et européenne […] est sur le point de mourir » et, ajoute-t-il, (quand je parlais à la fois d'ambition et d’ingénuité !) : « il sera de mon devoir de l’en empêcher ». Il note au passage que les manouches ont appris « la langue locale » (alsacien, occitan, basque, catalan) pour vivre et commercer et aujourd’hui, bien souvent « se sentent isolés du fait de ne plus parler leur langue maternelle ». Ainsi, dit-il, s’est-il employéà« trouver les dernières familles parlant couramment la langue, compiler un maximum de mots, d’expressions et de phrases possible, les transmettre à travers l’écrit pour sauvegarder la langue à un moment précis de son histoire ». Ce qui me touche beaucoup, c'est que ses destinataires privilégiés, ceux qui donnent sens à son projet, sont les tsiganes eux-mêmes.

Sans doute des universitaires sourcilleux trouveraient à redire dans ces deux livres (mais que ne les ont-ils pas faits eux-mêmes depuis le temps, depuis l’admirable travail, tout à la main, de Joseph Vallet, qui n’a pas même accédéà l’imprimé !). Mais ses choix se défendent , par exemple, l’adoption d’une graphie calquée du français (puisque c’est à cette communauté, aux vlastiké manouches qu’il s’adresse), ou encore le choix, dans son dictionnaire, de ranger les verbes dans la partie française non à l’infinitif (sachant qu’en sinti c’est le subjonctif qui tient lieu d’infinitif) mais à la première personne du singulier (Je me trouve : atso mán ; Je me vante : charo mán ; Je me vautre : valslo mán…), qui appelle pourtant un complément (il existe une forme absolue de la première personne), mais, du coup, le livre est plus et mieux adaptéà un public francophone qui n’a pas forcément beaucoup fréquenté les écoles. Sa méthode (Apprendre le tsigane), elle aussi est très fonctionnelle, surtout au sens où elle est bien découpée et pleine d’exemples véritablement usuels (je les teste quotidiennement, et ça marche presque toujours). Elle se termine par une liste de 100 phrases qui déploient l’ensemble de ce qui a été vu, et qui sont très utiles à répéter et à mémoriser, fut-ce partiellement. Voilà qui me conduirait d’ailleurs à dire – comment en effet ne pas faire la comparaison ? – que si l’on avait été capable de cette simplicité et de cette immédiateté, massivement, avec l’occitan, si l’on avait su délivrer la graphie de ses prétentions archaïsantes et littéraires (mal adaptées aux locuteurs de base), et son enseignement des pesanteurs scolaires, on aurait peut-être moins mal réussi. Ceci dit une fois encore, par esprit d’autocritique et de contradiction, puisqu’il ne saurait être d’aucune façon pour moi, désormais, intéressant de changer de graphie. Mais de changer d’attitude, sans aucun doute ! Louis de Gouyon raconte souvent qu’il a appris en notant sur son téléphone portable les phrases qu’il attrapait au vol, donc au contact direct des locuteurs ; c’est cette attitude, de bon sens, qui reste évidemment la meilleure et il me suffira de renvoyer ici aux interventions, sur ce blog et ailleurs, d’Eric Fraj.

Un dernier mot, celui-ci volontiers malplaisant, pour signaler en tête de la méthode, un court texte de Michel Onfray, proprement ridicule et dommageable, une erreur de casting, car notre philosophe n’y dit pas un mot de ce à quoi l’ouvrage est consacré. Cela n’est guère étonnant, lorsqu’on sait l’affection d'Onfray pour les langues, lui qui déclarait il y a peu que « la multiplicité des idiomes constitue moins une richesse qu’une pauvreté ontologique et politique » (Voir sur ce blog Michel Onfray Dévot de la langue unique). Ici, il présente les tsiganes comme « un peuple fossile qui semble avoir longtemps incarné dans son être même ce que fut probablement la tribu préhistorique ». Il parle d’une « ontologie tsigane » qui serait celle des origines de l’humanité, d’avant « l’ethnocide réalisé par la civilisation chrétienne ». Cela j’en suis sûr ne manquera pas d’agréer aux intéressés. On est ici au comble de l’expression du mythe primitiviste dont les tsiganes ont sans aucun doute plus souffert que bénéficié, mythe associé, évidement, à leur nomadisme supposé essentiel, eux qui sont au contraire un (si l’on peut d’ailleurs utiliser le singulier) peuple nouveau dans l’histoire de l’humanité, appartenant, j’ai envie de dire comme vous et moi, à l’aventure indoeuropéenne, ainsi qu'en témoigne justement leur langue. Onfray ne va-t-il pas jusqu’à célébrer le temps des gitans, comme « temps de la crasse mais de la vérité ontologique, temps de la chevelure sale en broussaille mais temps de l’authenticité métaphysique, temps des odeurs fortes des fripes qui sentent le feu de bois, l’humidité croupie, la saleté domestique mais temps de la simplicité philosophique » ? En voilà un qui, cela est certain, n’a jamais fréquenté les tsiganes, dont la vie est régie par de sévères règles de purification et en fait, contrairement à l’image d’épinal reproduite par notre philosophe, oui, de propreté. L'invocation répétée d’une saleté consubstantielle à la culture tsigane, fût-elle exaltée, est des plus fausses et des plus douteuses. Quant à« la vérité ontologique », « l’authenticité métaphysique », la « simplicité philosophique », comme dit Shakespeare, « words, words, words »…

Jean-Pierre Cavaillé

Yves Lavalade : Lettre ouverte à la Serve Pensée du Limousin

$
0
0

        Je reçois ce jour, une lettre d’Yves Lavalade que je m’empresse de publier. Elle est adressée à la Libre Pensée de la Haute-Vienne. Il y répond à une invitation à assister à une conférence débat, animée par Jean-Sébastien Pierre, président de la Libre Pensée, qui se tiendra à Limoges le 12 décembre prochain (maison du Temps Libre), sur le thème « Régionalisme, langues régionales, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et République une et indivisible ». On ne peut imaginer un titre plus explicite, puisque la thèse qui sera défendue s’y trouve exposée : la promotion des langues régionales au niveau des régions et de l’Europe, à travers la fameuse Charte que la France refuse avec raison de ratifier, porte atteinte au dogme sacro-saint de l’unité et indivisibilité républicaine (dont on peut d’ailleurs se demander quel lien logique et intrinsèque il entretient avec la notion de libre pensée, ou alors il faudrait démontrer pourquoi seule la République jacobine est, dans le monde, garantit l'exercice de la Libre Pensée, c'est-à-dire de laïcité. Mais le lieu n'est pas ici d'entrer dans ce débat, assez tentant cependant. Voir ici Libre Pensée et monothéisme linguistique).

         Cette réunion, comme l’indique le texte du flyer qui y appelle, est en fait l’occasion pour la Libre Pensée de fêter la décision du tribunal administratif qui a récemment condamné la Région pour l’aide exceptionnelle qu’elle avait accordée à l’école occitane Calandreta de Limoges (sur le flyer nommée plusieurs fois « calendretta ») lorsqu’elle avait connu des difficultés de locaux dues à des dégâts des eaux et avait quelque temps intégrée l’école publique de Landouge, provoquant la colère d’un petit groupe de parents d’élèves. Ce groupe, parmi lesquels plusieurs membres de la Libre Pensée, a intenté un procès à la Région pour ce financement, au motif que l’argent public ne doit aller, en aucun cas, à l’enseignement privé. On trouvera ici un texte que j’avais publiéà l’époque sur le sujet et ailleurs la réponse que les animateurs du blog Ecolepublique87, Maryline Maureil et Théodore Manesse, y avaient apportée (elle mérite vraiment le détour !). Le procès a été gagné, car cette aide, si j’ai bien compris, n’aurait pas dû figurer au titre de la ligne budgétaire d’aide aux écoles primaires. La région doit donc exiger de l'école associative le remboursement de 47.000 euros. La région s'est inclinée sans faire appel, ni protester. Calandreta aussi. Sans doute, légalement, n’y avait-il rien d’autre à faire. Pour ma part, je regrette cependant que l’une et l’autre institutions aient à ce point négligé de communiquer sur la question. Nous aurions attendu, au moins, de plus amples explications et quelques protestations sur l’injustice (car évidemment, légalité ne veut pas dire justice : summum jus summa injuria !) foncière de ces poursuites contre une association laïque de service public.

       Car ce qu’il y a de profondément injuste et même de navrant en effet dans cette croisade stupide de la Libre Pensée, est que Calandreta est une école certes associative (et donc privée) mais rigoureusement laïque, où les libres penseurs déclarés, comme moi ou Lavalade, sont nombreux. Qui plus est, l’école calandreta accomplit un service public, en suppléant ainsi, certes très insuffisamment, à l’absence de toute forme d’enseignement public de l’occitan en primaire dans notre académie. La libre Pensée est-elle hostile à tout financement public des associations ayant vocation de service public ? Évidemment non, c’est là une position intenable. Il faudrait par exemple exiger la suppression de toute aide aux associations s'occupant des réfugiés et des sans papiers. Mais il en est ainsi : enseigner une langue régionale, revient forcément, fatalement, à trahir son appartenance aux forces de la réaction et de l’obscurantisme, et surtout, surtout menacer l’unité et l’indivisibilité de la République. Tout cela est à ce point stupide et méprisable que je ne suis même pas convaincu de l’opportunité de se rendre à cette célébration pour y faire entendre nos cantiques protestaires (en patois évidemment !).

         Une précision enfin, importante pour comprendre la lettre de Lavalade. Il évoque une réunion précédente : il s’agit d’une conférence d’Eddy Khaldi organisée par les mêmes personnes, le mardi 21 février 2012. Je m’y trouvais avec quelques autres membres de Calandreta (dont Hubert Leray, Jean-Louis Ranc...), car nous savions qu’il y serait question de l'école. J’y rencontrais Yves Lavalade qui venait quant à lui assister sans prévention aucune à une conférence-débat sur le thème laïcité et système scolaire, comme il était annoncé. Ce qu’il y entendit, et en particulier l’amalgame insupportable établi entre écoles privées confessionnelles et écoles associatives laïques, l’abasourdit et il prit la parole pour exprimer son indignation, comme nous le fîmes aussi. Il existe d’ailleurs en ligne un compte rendu de cette soirée par Théodore Manesse qui explique à quel point, lors de cette discussion publique, il fut brillant et nous lamentables.

J.-P. C.

 

mensuel-libre-pensee-raison-interdite-kiosque-L-1

Cette image a été utilisée (sans d'ailleurs en donner la source) par le site Paperblog en 2010 pour illustrer une lettre de protestation de Presstalis (ex-NMPP) de ne plus diffuser le mensuel La Raison de la Libre Pensée. A censeur, censeur et demi !

 

Yves LAVALADE                                                          Limoges, le 7 décembre 2014

 

à la Libre Pensée de la Haute-Vienne

 

Mesdames, Messieurs,

 

                        je suis laïc et athée. Je suis aussi Occitan (Limousin) de naissance ; et occitanophone presque par miracle, car la République “une et indivisible“ que vous défendez avec tant d’ardeur ne m’a jamais concédé le moindre droit à ma langue et à ma culture. Elle s’est plutôt obstinée à faire l’inverse. C’est comme si j’étais un apatride sur ma propre terre, un étranger dans mon propre pays ; grâce à vous. Si, comme le disait Goethe “la patrie c’est la langue“, faudra-t-il qu’à cause de votre acharnement et de votre sectarisme je finisse par considérer la langue dans laquelle j’ai l’audace de vous écrire comme m’étant étrangère à son tour ?

            J’ai eu l’occasion lors d’une mémorable rencontre que vous avez tenue il y a quelques années au Conseil Régional du Limousin d’essayer de vous faire comprendre, en vain, que les gens nés dans l’Hexagone devaient tous avoir des droits égaux. Ce qui n’est pas le cas, vous le savez bien, puisque l’Etat français a signé de nombreux traités et conventions en y faisant systématiquement la réserve selon laquelle ce prétendu Etat ne reconnaît en son sein aucune représentation du droit à la différence entre ses citoyens et administrés. L’on pense généralement à tout ce qui se réfère à la sphère intime ou privée (le caractère religieux avant tout ; des caractéristiques ethniques, éventuellement …). La France a signé par exemple la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ; qui inclut pour ce dernier un droit à la culture et à la langue de sa famille, de ses parents. La restriction a été identique. Ce qui signifie, par principe, toute exclusion ; à la rigueur une latitude bienveillante, un laisser-faire qui peuvent à tout moment être rayés d’un trait de plume. Des développements récents (Calandreta, signalétique …) l’illustrent parfaitement.

            Vous poursuivez donc, pas seulement en Limousin, vos attaques en règle contre ce qui va (à votre point de vue) à l’encontre de votre idéologie réductrice ; tout en proclamant votre largeur d’esprit à l’égard des “langues régionales“ (qui ne le sont pas, car certaines d’entre elles sont transfrontalières ou même officielles sous d’autres cieux). Belle hypocrisie !

            Je peux en tout cas vous dire que la population du Limousin (et j’ai l’occasion de rencontrer beaucoup de gens de ce pays) ne vous comprend pas et vous désavoue franchement. C’est sans doute pour cela que vous cherchez à toute force à vous justifier en présentant vos arguments, forgés dans vos laboratoires d’intellectuels qui n’ont pas de meilleur os à ronger.

            Le plus bel hommage “révolutionnaire“ que vous préparez à la déesse “Raison“ qui semble vous inspirer est la mort programmée des langues et cultures territoriales de France à laquelle vous participez activement. Je sais par avance que vous êtes à ce point désincarnés que vous n’irez pas porter la moindre petite Pensée, Libre ou qui se croit telle, sur leurs tombes. Ne comptez pas sur moi, qui vous croyais si différents, pour assister à vos débats ou à vos ébats.

                        Avec mes libres pensées limousines.

Y. Lavalade

Anti régionalisme primaire dans le Monde Diplo

$
0
0

carteeuroperegions1

La carte illustrant l'article (voir détail infra)

Anti régionalisme primaire dans le Monde Diplo

Je pensais que l’on pouvait reprocher bien des choses au Monde Diplo, mais en tout cas pas la qualité de son information. J’y ai souvent lu en effet des articles fouillés et sérieux, comme dans nul autre journal d’expression française, surtout portant sur des questions de politique internationale, des papiers remarquables où la complexité des situations et des conjonctures est finement analysée.

Le spectre de l’ethnolibéralisme

Mais il est vrai que ce journal se tient toujours sur le fil du rasoir, toujours prêt à se laisser envahir et submerger par ses obsessions idéologiques, en particulier sa faiblesse à l’égard des États autoritaires, pour peu qu’ils affichent des politiques antilibérales. Aussi fus-je certes peiné pour la réputation du Diplo, mais non autrement surpris de trouver dans son numéro de novembre un long article de deux grosses pages de Paul Dirkx intitulé : Comment la machine bruxelloise et les séparatismes s’alimentent mutuellement. États en miettes dans l’Europe des régions (on le trouve en intégralité sur ce blog). Le titre annonce la couleur : il s’agit, au lendemain des consultations écossaises et catalanes, à grands coups d’amalgames, de mettre peu ou prou tous les « régionalismes », « autonomismes » et « indépendantismes » européens dans le même sac : celui de l’ « ethnisme » ou plutôt de ce que l’auteur nomme « ethnolibéralisme ». Dirkx est pourtant bien obligé de faire des distinctions, ne serait-ce qu’entre les régionalismes ou séparatismes de droite et de gauche, entre ceux – dont il doit bien reconnaître qu’ils sont devenus plutôt rares – qui défendent ouvertement une conception ethnique de la nation et tous ceux qui mettent en avant un idéal de société ouverte et plurielle. Mais en fait il ne tient aucun compte de ses propres distinctions, car inéluctablement, pour lui, derrière ces images attractives se dissimule un ethnicisme qui ne dit pas son nom et derrière les partis qui affichent leur anti-néolibéralisme (en Écosse ou ailleurs) c'est encore le néolibéralisme qui est à l'oeuvre, du seul fait que ces partis sont régionalistes ou séparatistes. Tout se passe derrière et en sous-main. A la fin il n’y a pas de « régionalisme » ou de « séparatisme » qui ne soit « ethnolibéral », alors que, cela est bien connu, les vieux États-nations européens, et les partis qui en défendent l’intégrité contre l'Europe et les régions, comme ils le démontrent tous les jours, sont de solides remparts contre les identités ethniques et le néolibéralisme !

Ce partage du monde est tellement grossier que je ne suis même pas sûr de l’intérêt qu’il y a de le contester, sinon qu’on le trouve en effet partout exprimé : il est en passe de devenir un élément de propagande souverainiste pour la restauration des vieux États-nations dans leur toute-puissance perdue à la fois contre l’Europe et contre tous les mouvements, les plus variés qui soient, indépendantistes, autonomistes, régionalistes voire même ceux qui s’en tiennent, comme le nôtre, à revendiquer des droits linguistiques et culturels (mais sur la carte qu’il donne, nous sommes néanmoins rangés parmi les « revendications autonomistes d’audience variable »).

La thèse, nous la connaissons depuis longtemps, elle n’a rien de nouveau, ni d’original : j’ai déjà eu l’occasion de montrer combien elle obéissait à une logique complotiste d’un simplisme effrayant : l’Europe (« la machine bruxelloise ») et – dans une gradation de l’horreur – les régionalistes, autonomistes, séparatistes, tous ethnicistes par définition, travaillent main dans la main pour détruire les États et livrer les masses inermes aux griffes du néo-libéralisme sauvage. Ce montage caricatural repose sur le postulat selon lequel les États nations à l’ancienne offriraient la seule protection à la mise en coupe réglée du monde social par le capitalisme sauvage… Caricatural, car il n’est pas bien difficile, sans même aller chercher Marx, de rappeler que le capitalisme le plus impitoyable s’est pourtant fort bien développé dans le passéà la faveur desdits États et que les mesures sociales en effets mises en cause partout aujourd’hui n’ont certes pas été offertes sur un plateau aux citoyens par leurs gouvernements, mais ont été conquises de haute lutte, imposées par le bas à des élites sociales largement solidaires, hier comme aujourd’hui, du patronat et de la finance. On voit partout des politiques néolibérales imposées par les gouvernements actuels des États-Nations, et l’auteur est lui-même obligé de reconnaître que l’indépendantisme écossais est étroitement liéà la lutte contre Thatcher et Blair.

C’est bien ce que mettent en évidence aussi les exemples privilégiés par l’auteur : la Belgique, qu’il connaît le mieux et qu’il met surtout en avant[1], et la France. Celle-ci, en particulier, est un pays où– quoi qu’il dise – le processus d’autonomisation régionale est justement quasi inexistant, si on le compare aux autres pays européens. L’imposition sans aucune consultation, en l’absence de tout débat citoyen, de la réforme territoriale des régions en 2014 en est la démonstration la plus flagrante. Aussi est-il pathétique que Dirkx doive se rabattre sur une stupide propagande a posteriori – l’application pour téléphone « nomme ton territoire » qui semble avoir d’ailleurs fait le plus grand flop – pour dénoncer la soi-disant braderie régionaliste du gouvernement français actuel.

Il serait sans aucun doute plus judicieux de soutenir que le néolibéralisme (qu’il resterait d’ailleurs à définir de manière un tant soit peu précise, tout comme l'ethnisme) imprègne toutes les formes d’organisation politique, des plus locales jusqu’aux plus internationales, en passant bien sûr par les États, et que c’est donc à tous ces niveaux qu’il faut agir, lorsque l’on prétend le combattre.

 

Pas de démocratie pour les (supposés) antidémocrates

La question politique de fond, qui est tout de même celle de la démocratie, est entièrement escamotée par ce type d’approche. Le but même de l’argumentation est d’ailleurs de procéder à cet escamotage. Toute légitimité démocratique est de fait niée a priori aux mouvements autonomistes ou séparatistes alors que, par contre, les actions les moins démocratiques des États Nations pour empêcher à leurs citoyens d’accéder à l’autodétermination sont spontanément justifiées. Cela n’est, à la limite, même pas raisonné dans le texte de Dirkx, qui d’entrée de jeu envisage la partition de l’Espagne ou de la Grande-Bretagne comme étant de l’ordre de l’« impensable », un impensable devenu hélas oh grand hélas « non seulement pensable, mais réalisable ». Évidemment, cet « impensable » (qui ici veut dire inadmissible ou inacceptable et non évidemment, à proprement parler impensable) est celui de l'auteur, car cela fait bien longtemps que beaucoup y pensent sérieusement comme une chose parfaitement souhaitable et réalisable. De même ne peut-il s’empêcher d’établir des relations entre ces processus et ceux de prise de pouvoir des extrêmes-droites, reprenant en sourdine – et même d’ailleurs à haute et claire voix – la filiation supposée entre ces mouvements et nazisme. Pour nombre d’entre elles le récit de reductio ad hitlerum, fut-ce au prix des plus grandes falsifications, est absolument impossible – et l’auteur doit bien en convenir (par exemple pour les Catalans, les Basques, les Écossais, etc.), mais là encore cela ne change rien à son interprétation globale et à ses constantes insinuations nauséabondes.

Ce qui lui permet ainsi de refuser toute légitimitéà l’autodétermination des peuples, c’est-à-dire l’application du principe démocratique lui-même à ceux qui la réclament est la conviction que toutes ces forces politiques d’émancipation qui se disent démocrates, en réalité ne le sont pas. Le ton est donné d’emblée dans l’article par le renvoi au breton Yann Fouéré (1910-2011), figure qui présente l’intérêt majeur dans la polémique d’associer un passé pour le moins controversé au sujet du rôle joué lors de la seconde guerre aux positions ethnicistes exposées dans l’Europe aux cent drapeaux, en faisant comme si cet ouvrage de 1968 pouvait être considéré comme l’étendard des militants régionalistes et séparatistes de tout poil. Dirkx cite ainsi une déclaration du groupe parlementaire de l’Alliance libre européenne (ALE), associée au parlement européen aux Verts (eux-mêmes donc gravement compromis !), dirigée par le corse François Alfonsi (et où figure, entre autres, Gustave Alirol du Parti Occitan) :« Nous nous concentrons sur l’autodétermination, parce que nous pensons que tous les peuples ont le droit de décider de leur propre avenir. Ils ont le droit de choisir démocratiquement et sans contrainte le type de gouvernement et le type de société dans lesquels ils entendent vivre. » Pour Dirkx, c’est là de « l’angélisme » communicationnel de façade, qui dissimule des convictions ethnicistes chevillées au corps. Ah bon ? Encore faudrait-il le prouver.

 

Double langage et paranoïa complotiste

Je veux bien, après tout, que l’on dise que les membres de la ALE tiennent un double discours. J’accepte la supposition, parce qu’elle n’est que l’application à un cas particulier d’une règle générale. J’ai en effet la conviction que tout activisme ou militantisme politique, quel qu’il soit (et j’insiste là-dessus, quel que soit son positionnement politique), implique un clivage entre ce que l’on se dit entre partisans et ce qui est déclaré publiquement. Je ne peux développer ici ce qui me paraît une donnée anthropologique, qui ouvre la porte, j’en ai parfaitement conscience, à toutes les lectures paranoïaques et complotistes. Celles-ci n’en sont pas moins fausses ! Car il peut y avoir un abîme entre ce qui se dit effectivement d’en l’entre soi et ce que l’on est accusé de s’y dire par ses ennemis : il n’est en effet pas question d’accepter comme vrai sans plus de preuve ce que les groupes engagés dans l’action affirment au sujet du discours caché de leurs adversaires. Du reste l’affirmation du crypto-ethnisme de la ALE est de ce point de vue une pure construction de ses ennemis. Je parle de ce que je connais, pour le coup, par expérience : le Parti Occitan est membre de la ALE, je fréquente certains de ses militants, je lis leur littérature et je mets au défi qui que ce soit de dégager la moindre trace d’ethnisme dans l’idéologie de ce parti. On me dira, sur mes propres bases théoriques : certes, puisqu’il s’agit d’une doctrine secrète ! Je réponds que l’existence d’un discours à usage interne, n’implique nullement que celui-ci soit tenu secret ; il se diffuse aujourd’hui comme jamais à travers les réseaux sociaux et ne demeure secret qu’en de très rares cas. Il n’y a aucun ethnicisme dissimulé chez les Verts ou chez les militants du Parti occitan ; l’accusation est purement arbitraire et repose sur le seul fait de la revendication de droit culturels et linguistiques, c’est-à-dire de droits démocratiques reconnus formellement par des dispositifs de droit international. Ce qu’ils doivent mettre en veilleuse est à tout le moins, pour bien de leurs militants, l’ampleur de leur colère et de leur dégoût face au spectacle désolant de l’effondrement des langues et des cultures soutenu activement par des élus et des administrations qui, le cas échéant, prétendent publiquement faire le contraire (comme je l’ai dit, à chacun son double langage !).

Évidemment, j’aurais pu me faciliter la tâche et me contenter d’affirmer que les théoriciens du complot (ici l’équation Europe, « Régions », néolibéralisme) projettent leur perception obsessionnelle et fantasmatique dans les discours de leurs adversaires, même et surtout lorsque chacune des paroles de ceux-ci en apporte le démenti. Ce qui est indiscutable. Ainsi lorsqu’une Françoise Morvan crédite d’un crypto-fascisme tout forme de militantisme breton. Cela est absurde et discrédite sans doute plus Françoise Morvan elle-même que ses cibles de prédilection. Mais je préfère néanmoins soutenir qu’en effet, il existe toujours un décalage, en tout militantisme, quelle que soit son obédience, entre deux niveaux de langage. Les âmes pures invoqueront l’impératif de transparence du discours démocratique. Mais celui-ci est tout au plus un idéal régulateur : dans la réalité il en va autrement, car il nous est publiquement impossible, quel que soit notre engagement, de parler comme nous parlons entre militants. Il existe toujours un décalage entre ce qu’il nous semble acceptable de déclarer publiquement hic et nunc et les idées que nous cherchons à faire accepter (sachant que si elles étaient déjà acceptées, bien sûr que nous n’aurions pas à militer pour elles ! Et encore une fois, cela est vrai de toute forme d’engagement public).

République, peuple et démocratie contre territoire, tradition et langue

Un détail de l’argumentation visant à montrer que les indépendantistes qui défendent un « nationalisme ‘civique’ », ne sont des démocrates qu’en apparence, me semble révélateur à la fois de l’inconséquence et de l’indigence de la position défendue par Dirkx : ce nationalisme ne parviendrait « à se réclamer pleinement des mots ‘république’, ‘peuple’, ‘démocratie’, etc., que par un détournement au moins partiel des valeurs de l’État-nation à la française », alors qu’en réalité, il resterait largement fondé sur les notions de « territoire, de traditions et de langue ». D’abord, il faut qu’il sache que les notions de « république », de « peuple », de « démocratie », « etc. » (on voudrait savoir d’ailleurs ce que contient cet « etc. ») ne sont évidemment pas la propriété exclusive de l’appareil conceptuel et du système de valeur de « l’État-nation à la française » ; il existe d’autres traditions théoriques pour penser la république et la démocratie, en particulier dans le monde anglo-saxon, et qui forment des références tout aussi importantes aujourd’hui pour les militants autonomistes et indépendantistes que celle de la France toute jacobine, où justement l’articulation entre république, peuple et démocratie est rendue si problématique par le dogme de l'unité et d’indivisibilité républicaine, qui exclut l’existence a priori de toute minorité et justifie en fait la récusation de toute forme de démocratie locale effective. Évidemment, je comprends que cela puisse être une grande blessure narcissique, mais il est possible de parler de république, de peuple et de démocratie, en se référant à des modèles alternatifs à« l’État nation à la française ». En outre laisser entendre que celui-ci se distingue radicalement d’un autre modèle qui s’appuierait sur les notions de « territoire, de tradition et de langue », est évidemment faux, car c’est justement par l’invocation à la fois de l’intégrité du territoire national, de l’unicité et exclusivité de la langue française et de la tradition républicaine centralisatrice que les partisans de l’État-nation « à la française » récusent, comme Dirkx, toute légitimité aux revendications culturelles régionales.

Car pour un militant culturel et linguistique comme je le suis, le scandale démocratique réside là ; dans ce qui est d’abord un désintérêt souverain pour les questions culturelles, ou plutôt dans le refus de considérer les revendications linguistiques et culturelles autrement que comme de simples et uniques instruments à visées ethnistes et ethnolibérales. Plus encore, le simple fait de porter une revendication linguistique est considéré comme relevant d’un ethnicisme qui ne dit pas son nom. Cela est évidemment délirant car, à ce compte là, il faudrait combattre toute différenciation linguistique et culturelle, à commencer bien sûr par sa propre langue nationale, ses propres traditions, toutes, quelles qu’elles soient (et pas seulement, en triant les « bonnes » républicaines, des « mauvaises » ethnicistes), ses propres constituantes culturelles ; or, je le répète, c’est au nom même, en réalité, d’une interprétation moniste de ce que devrait être la langue, la culture et la tradition nationales qu’est combattue toute alternative pluraliste.

Mais ce que je déplore avant tout, est ce que l’on pourrait nommer non seulement le déficit de réflexion sur la diversité culturelle de la position représentée par Dirkx (car en la matière rien ne le distingue de tant d’autres, même s’il publie en français et en anglais), l'anémie, l'atonie, le manque total d’appétit et d’intérêt de ceux qui la défendent pour le problème de la disparition des langues et de tout ce qu'elles emportent avec elles. S’il en était autrement, d’une façon ou d’une autre, ce problème serait au moins évoqué et bien sûr il interviendrait dans la production des arguments, ce qui n’est, ici à tout le moins, aucunement le cas. Aussi, pour qui place son engagement principal dans la culture, dont la langue n’est que l’élément premier, et non justement dans les prises de positions relevant du marché des idéologies politiques (sans perdre de vue toutefois que toute prise de position en matière de langue et de culture est bien sûr ipso facto politique), tout débat s’avère en fait impossible. Comment en effet se battre contre un adversaire qui ne vous voit pas (puisqu’il s’obstine à regarder ailleurs ou à voir quelqu’un d’autre à votre place), un adversaire pour lequel vous n’existez en fait même pas ? Le problème n’est certes pas nouveau, mais il ne s’en pose pas moins. Comment imposer la réalité du fait culturel minoritaire à ceux qui le nient, dès lors qu’ils le réduisent au rôle de paravent idéologique au profit d’une vision ethnique, voire ethnolibérale du monde ?

Jean-Pierre Cavaillé



carteeuroperegions2

[1] Il lui a consacré un ouvrage que je n’ai pas lu : La concurrence ethnique. La Belgique, l’Europe et le néolibéralisme, Broissieux – Bellecombe en Bauges, Éditions du Croquant, 2012.

Viewing all 152 articles
Browse latest View live