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« 102 vers tout en patois limousin ». Village noir et colonisation dans la culture limousine

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Entrée du village noir de Limoges 1903 (piqué sur le site Chanson Limousine)

 

« 102 vers tout en patois limousin ». Village noir et colonisation dans la culture limousine

      

       Le diable est dans les détails.

       Je cherchais quelque littérature sur le ou plutôt les « Villages noirs » (soudanais et sud-oranais) de l’exposition de Limoges inaugurée en 1903 par le ministre des colonies Doumergue, dont j’avais lu des comptes-rendus exaltés et édifiants dans la presse de l’époque. Je savais aussi que l’expérience avait été renouvelée en 1929.

 

Exhibitions ethnographiques

       Cette littérature, aujourd’hui, nous met très mal à l’aise, au moins si l’on n’est pas un partisan (ils sont encore fort nombreux) de la thèse des effets bénéfiques de la colonisation. La formule de « zoos humains » est devenue aujourd’hui presque obligée et elle rend bien compte de ce qu’ont pu être certaines de ces exhibitions, où les « sauvages »étaient proprement et directement animalisés et donnés à voir exactement comme des animaux et d’ailleurs exhibés avec les animaux dans les zoos (voir en particulier l’ouvrage collectif Zoos humains et exhibitions coloniales : 150 ans d'inventions de l'Autre et aussi le catalogue de l’exposition du Quai Branly de cette année, Exhibitions. L’invention du sauvage).

       La formule choc de « zoos humains »me semble cependant correspondre assez mal aux « exhibitions ethnographiques » (c’est l’expression utilisée à l’époque par le Petit Centre), ou « villages exotiques »(Limoges Illustré) comme celle de Limoges, sans aucun doute les plus nombreuses, où l'on exhibait l'altérité raciale et ethnique à travers la ficition d’une microsociété, la reconsitution d'« un village » soudanais ou sénégalais, cherchant à produire l’illusion de la réplique exacte d’un « petit coin d’Afrique ». On baigne certes dans une conception racialiste de l'altérité culturelle, mais il faut se rappeler qu’à l’époque quasiment personne n’y échappe. Ce spectacle n’interdit pas, et même incite d’une certaine manière à une curiosité concernant, potentiellement, tous les aspects de la société mise en vitrine : techniques, coutumes, modes de vie, religion, voire même (très rarement, j’y reviendrai), sa ou ses langues. C’est sans aucun doute le cas des nombreuses réactions de la presse limousine en 1903, où dominent non les stéréotypes racistes (bien présents, certes, bien en évidence ou en filigrane), mais des éléments de description, on n’ose dire ethnographique (voir à cet égard l’article tout àfait décent de Limoges illustré, accessible sur le site Gallica).

       Il me semble qu’il est finalement plus troublant et embarrassant d’envisager les choses de cette manière, parce que la continuité avec les formes contemporaines de tourisme s’impose alors et nous conduit à nous interroger sur la manière dont nous voyageons nous-mêmes. Sans parler de la relation évidente avec la tentation de muséifier les cultures régionales à travers le folklore, les exhibitions artisanales (métiers d’autrefois), etc. Je pense par exemple à la rage de Marcelle Delpastre, qui raconte comment, dans les années 70, on avait voulu lui faire tourner un rouet dans une exposition (Les Lourdes chaînes de la liberté, in Mémoires, t. III, p. 152-153, j’en touche un mot dans un article). C’est-à-dire que nous pourrions très bien finir nous-mêmes dans un « village limousin », où l’on nous ferait tourner le rouet avec un torchon sur la tête. Nous aurions peut-être même la liberté d’y baragouiner patois ! Certains de nos compatriotes se complaisent même dans cet abaissement et cette abjection, à l’occasion de spectacles estivaux soi-disant folkloriques, de sons et lumières, de reconstitution festives de village médiéval ou «village d’autrefois ». C’est dire si le sujet nous concerne, à la fois comme touristes et comme indigènes, voire comme touristes de notre propre indigénat. D’ailleurs pour nous plonger dans la problématique de l’inversion toujours possible des situations et à la fois mesurer la distance qui nous sépare de l’idéologie spontanément raciste de l’époque, je citerai un passage d’un journaliste de la Revue limousine le 15 mai 1929, qui ne voyait guère d’un bon œil le renouvellement imminent de l’expérience de 1903 :

       « … sans doute pourrons-nous contempler quelques boiteux échantillons d’une race torte et bossue, dont la seule vue nous fera nous féliciter chaudement de n’être pas nés dans un pays d’où l’on risque d’être si facilement emmenés pour aller divertir au loin des peuplades soi-disant civilisées. Il est vrai que nos chers amis les nègres ne se dérangeraient pas pour aller contempler dans une enceinte, une troupe d’Européens, même apportant leurs us et coutumes avec eux (ce qui n’irait pas bien loin) » (cité in L’Empire en province, voir infra).

 

Asymétrie et inégalité absolues

       Donc je cherchais à en savoir plus sur cette exposition limougeaude de 1903, organisée par un entrepreneur nommé Raoul Saulay (ces exhibitions étaient le fruit d’initiatives privées à but lucratif). J’ai découvert un livre au demeurant très bien documenté et très sérieux sur le sujet « Villages noirs » et visiteurs africains et malgaches en France et en Europe (1870-1940) (J.-M. Bergougniou, R. Clignet, Ph. David). Les auteurs, justement s’en prennent vertement aux promoteurs de l'expression « zoos humains » pour désigner l’ensemble de ses exhibitions. Mais ils le font, me semble-t-il, en tordant trop fort le bâton dans l’autre sens, se disant par exemple, « convaincus que l’impact de ces rencontres sur l’ensemble des communautés et des individus, visiteurs et exposés, mis en présence, n’a certainement pas été aussi négligeable, ni aussi abominable que certains trouvent intérêt à le prétendre » (p. 6). J’aimerais bien en savoir plus sur ce mystérieux « intérêt » (il y a toujours trop d’implicite dans les polémiques des chercheurs, trop de signes codés dont on cherche àéloigner pudiquement le public non averti) et je trouverais la critique acceptable, si l’on insistait beaucoup plus, au vu de l’information disponible, sur le caractère absolument asymétrique et inégalitaire de la relation, sur tous les plans, et d’abord sur le plan économique. Une chose pour nous choquante, par exemple, dans le récit de Limoges Illustré (mais pas du tout pour le journaliste) est la pratique systématique de la mendicité par les enfants du village noir auprès des visiteurs. Ce qui manque, très largement, est la voix des exposés, et il est trop facile, me semble-t-il, de se réfugier derrière la quasi inexistence des témoignages.

           Quant à l’abomination, elle n’est certainement pas rare dans la documentation abondamment fournie dans le livre. Soit, pour prendre un seul exemple, ce Jules Delsol, membre de la Société des gens de lettres, à propos du village noir de 1907 à Nogent-sur-Marne, qui dit des Malgaches qu’ils sont « fourbes et cruels », « montrent encore sous leur physionomie l’astuce profonde de leur race ». Le même traite également « nos » Sénégalais, Guinéens, Dahoméens et Congolais, de « pillards convaincus » ; ce sont des « sans-morale, sans-loi, sans-patrie, que les hommes blancs ont tirés de leur barbarie et de la servitude ». Mais c’est surtout le morceau bravoure suivant, chez cet auteur, qui m’a arrêté, où Delsol transcrit et pour une bonne part invente des bribes de langue soi-disant saisies dans le « village noir » : « Okou Yévo ! O kou déou ! Tafia, tafia ! Imama fouteïmama ! Inabi Tânaala ? Dafambouré ! Foreïhan ! Kamnap Tan ! Manahaona tompoukoe ? Boueca Sibamba ! Bono cacao du Congo ! » (cité p. 207). Il y aurait tout un travail à mener pour décortiquer ce sabir raciste, en mettre à jour les références et en produire l’analyse (l’interjection comme seul mode d’expression, le caractère publicitaire du « bono cacao » anticipant le fameux « Y’a bon Banania », etc.).

           Mais au-delà, s’il y a bien une chose à laquelle les organisateurs et visiteurs ne semblent guère s’intéresser, c’est bien aux langues des exposés, comme le font remarquer les auteurs, relevant l’exception constituée par ce journaliste d’Orléans qui note dans son article sur le village noir de 1905, une série de mots en wolof.

       Enfin, à force de lire en tous sens, je trouvais deux pages consacrées à l’exposition limougeaude citant surtout divers articles de presse (Petit Centre, Gazette du Centre), dans l’ensemble assez élogieux, à la fois pour l’exposition comme telle (« le village devient le rendez-vous de la haute société limousine qui affectionne particulièrement ce petit coin africain »), mais aussi pour les exposés, dont on s’attache à vanter les savoir-faire et à souligner la décence et l’amabilité.

 

Bel-Oiseau à l’exposition de Limoges

       Je tombais alors sur un petit paragraphe, citation à l’appui, consacréà l’une des « gnorlâ » (nhiòrlas) de Lingamiau. Je le reproduis d’abord en entier :

       « Grâce, élégance, pudeur, charme et couscous, toutefois, ne semblent pas avoir séduit outre mesure un certain E. C. Lingamiau qui y consacre un long poème (de102 vers tout en patois limousin !) intitulé« Belozeu à l’erposici de Limogei » (Bel-Oiseau à l’exposition de Limoges) pour exprimer ses réticences de tous ordres (le prix, les odeurs, les couleurs, l’esthétique, le bruit…) mais s’achève quand même sur une recommandation mitigée qui, une fois traduite, dit à peu près :

C’est ainsi, vous pouvez me croire,

Ça vaut la peine, allez voir :

Comme moi vous serez content

D’y passer un peu de tems.

Malgré quelques sauvages

Hommes, femmes et mêmes les enfants ;

Sont tout de même de braves gens

Allez les voir, vous en aurez pour votre argent ! » (p. 169-170).

       Voilà, dans le livre, de mon point de vue, que les auteurs sans doute qualifierait de patoisant, le détail diabolique. La chose est simple et je la résume ainsi : ce paragraphe, bourré d’informations lacunaires, d’approximations (revendiquées !) et d’erreurs de traduction, est tout à fait indigne d’un ouvrage à prétention académique. Pourtant, je sais que je serai le seul à le déplorer, parce que, tout simplement, il est normal, et j’irai jusqu’à dire souhaitable, que dans un livre d’histoire de qualité universitaire, soit ainsi traité tout ce qui touche aux langues historiques de France, que l’on ne doit, dans cette littérature, jamais appeler que « patois ». Je n’exagère pas, je pourrais ici donner cent exemples (un autre plus bas suivra), en faire un livre entier désespérément répétitif (voir sur ce blog, Le patois des historiens). J’ai dit souhaitable, car une plus grande attention, une plus grande précision, vous rend suspect d’une complaisance coupable, comportant nécessairement aux yeux de vos pairs quelque vice idéologique.

       Évidemment, dans le contexte de ce livre-ci – celle du fait colonial – la chose prend une tout autre dimension, car il faut bien constater que le discours critique à l’égard de la colonisation, devenu aujourd’hui de rigueur chez tout honnête homme (certes avec plus ou moins de vigueur), ne s’accompagne d’aucune tentative de décolonisation culturelle et linguistique de la France elle-même. C’est là un point aveugle du discours universitaire de toutes les disciplines, hors de la linguistique (avec cependant des contre-exemples) et de la sociolinguistique. J’irai même jusqu’à dire que nous assistons, après la fin lamentable des espoirs de revitalisation culturelle nourris dans les années 70, à une véritable involution.

       Mais il faut d’abord être précis et montrer ce qui, dans ces lignes apparemment anodines, n’est pas pour nous acceptables. D’abord, il n’y a qu’à ouvrir n’importe quel catalogue de bibliothèque en ligne pour voir que ce « certain E. C. Lingamiau » se nomme Édouard Cholet (1833-1917) et que Lingamiau (Langue de miel) est son pseudonyme de poète comique. Ensuite, il y a bien sûr l’insupportable point d’exclamation après « patois limousin ». Rendez-vous compte : 102 vers, et tous en « patois limousins » ! Mais, mes chers amis, des vers de Cholet en « patois limousin », il y en a des milliers qui remplissent son célébrissime recueil (La Niorlâ de Lingamiau) et il existe bien d’autres vers, bien d’autres textes qui remplissent tout de mêmes quelques rayonnages de la bibliothèque de Limoges.

       Et ce « patois » a un nom : c’est de l’occitan limousin, ne vous en déplaise. L’argument selon lequel « patois » est le terme utilisé par Cholet lui-même ne vaut pas. Car ici, nous sommes précisément dans un livre sérieux, un livre de recherche, et y parler de patois sans guillemets (et qui plus est avec point d’exclamation) est aussi obscène et déplacé que d’utiliser le mot nègre dans les même conditions, c’est-à-dire en faisant comme s’il pouvait être neutre. Enfin, il y a la traduction donnée (évidemment sans produire l’original) ingénument comme un « à peu près » : oserait-on se vanter du même « à peu près » pour un texte anglais, latin ou même arabe ? « A peu près » est, en l’occurrence, le moins que l’on puisse dire !

       Voici le texte, qui est la conclusion du poème, dans la graphie originale suivie de sa transcription en graphie classique et de sa traduction par l’écrivain Roland Berland (voir ici le compte rendu de Los Jorns Telhòu), publiées en ligne, cette année même, sur l’excellent site Chanson Limousine.

       « Si n’ei co, vou podei me creire,/ Co vau lo peno, nâ lî veire ;/ Coumo me vou sirei counten/ De lî vei possa cauque ten./ E môgra lour peu de sôvâgei,/ Omei, fennâ, nimai meinâgei,/ Qu’ei tou noumâ de bouno jen./ Nâ loû veire, co vau l’arjen ! »

       Soit, dans la graphie normalisée de Berland :

            Si n’es quò, vous pòdetz me creire,/Quò vau la pena, ’natz-li veire ;/ Coma me vos siretz contents / De l-i ’ver passat quauque temps./ E maugrat lor peu de sauvatges, / Òmes, femnas, nimai mainatges,/ Qu’es tots nonmas de bona gent. / ’Natz los veire, quò vau l’argent!

C’est-à-dire, toujours dans la traduction impeccable de Berland :

            « Malgré tout, vous pouvez me croire,/ Ça vaut la peine, allez-y voir ;/ Comme moi, vous serez contents/ D’y avoir passé quelque temps./ Et malgré leur peau de sauvages,/ Hommes, femmes, ainsi que les enfants,/ Ce ne sont tous que de braves gens./ Allez les voir, ça vaut l’argent. »

       Ce n’est évidemment pas la même chose, surtout, d’écrire « malgréquelques sauvages » là où il faut lire « malgréleur peau de sauvages », et de traduire qu’ils « sont tout de même de braves gens », là où il est écrit « Qu’ei tou noumâ de bouno jen », c’est-à-dire littéralement : « ce ne sont tous que de braves gens ». Sans compter les autres broutilles. L’exactitude est importante, par principe, mais qui plus est en l’occurrence, car cette conclusion est un clair repentir de tout ce qui précède, une façon de dire : « tout ce que j’ai dit, n’était que pour de rire ».

 

Cholet, Lingamiau, Belozeu

           Je connaissais cette gnorle de Lingamiau, mais je m’étais empressé de l’oublier, parce que justement, elle est parsemée de clichés racistes destinés à faire rire un lecteur complaisant. D’ailleurs, comme à l’accoutumée, les images sont saisissantes, vives et efficaces. Tout était réuni pour qu’un lecteur limousin de 1903, en effet, y trouve de quoi se divertir : évocation d’une sauvagerie grotesque, enfant crapaud, tétine de cirage, blancheur de crémaillère, danseuse aux contorsions phénomènales, contre modèle féminin, musique de sauvages, etc. etc. On lira la pièce en ligne : rien ne nous est épargné.

          Cependant, il est très important de souligner qu’il s’agit d’une pièce comique et non d’un article de journal. Il n’y a pas de sens à parler des « réticences » de tous ordres de l’auteur, car ce n’est en rien l’auteur qui donne ses propres impressions. C’est comme si l’on prétendait que les sketchs de nos comiques contemporains devaient et pouvaient être entendus à la lettre. Les impressions données par Cholet sont celles de son personnage, Belozeu, qui, comme la plupart de ceux que Lingamiau met en scène (voir aussi Lionassouà l’erposici de Limogei), est un badaud bonhomme, mais peu instruit, et de vue assez étroite, parlant et pensant « patois », de sorte que l’on rit d’abord de lui, de sa naïveté, de sa pingrerie, de sa façon simpliste de voir le monde, de son manque de modernité et de ses préjugés grossiers. Un ami à Cholet vante d’ailleurs fort justement le poète en ces termes : « son habileté a ce tact rare de dissimuler sa propre personnalité sous le couvert du monologue, du dialogue ou de la description » (Paul Lagrange, « Lingamiau », Limoges illustré, n° 24, 1er nov. 1909, p. 8).

          En effet, Cholet était quant à lui un bourgeois limougeaud très respectable et fort instruit (collaborateur de Limoges Illustré, etc.), un notable, banquier de son état, on ne peut plus éloigné, socialement au moins, de ses personnages. Il était aussi visiblement plutôt conservateur et non exempt lui-même de préjugés, en particulier de tous les préjugés sociaux qu’il mobilisait pour camper ses personnages populaires, comme Belozeu ou Lionassou et son usage de la langue, très efficace, participait d’ailleurs d’une diglossie toujours confortée, jamais inquiétée, même si la sympathie et même l’empathie pour ses personnages patoisants est indiscutable.

       De la pièce en question on peut en tout cas déduire qu’en bon notable, Cholet trouva l’exposition à son goût, non seulement, par les derniers vers que nous avons vus, mais par une ligne précédente où Belozeu, en sortant de l’exposition rencontre son camarade le « meneitrei Chôle », occupéà complimenter « Sole », c’est-à-dire, selon toute vraisemblance, Édouard Cholet lui-même félicitant l’entrepreneur-impresario Raoul Saulay (ce que Berland, dans sa traduction n’a pas aperçu). Il y a fort à parier, donc, qu’il était comme la plupart de ses contemporains, tout à fait partisan du fait colonial et de sa mise en spectacle.

 

Le colonialisme identitaire limousin

            Surgit ici une autre problématique tout à fait intéressante : l’usage que les Limousins ont pu faire de leur présence active dans l’expansion coloniale pour tenter de redorer le blason d’une identité régionale largement négative. Il existe à ce sujet un livre récent (2010) dont la lecture est très instructive : L’Empire en province. Culture et expérience coloniales en Limousin (1830-1939) de Reine-Claude Grondin. Entre beaucoup d’autres choses (il s’agit d’un gros travail de thèse), l’auteure s’intéresse en effet à la promotion des coloniaux limousins dans les milieux régionalistes, destinée expressément à valoriser l’identité régionale, l’identité de la «race limousine », de sa culture et bien sûr de sa langue. Elle s’arrête surtout sur les textes manuscrits et publiés de Johannes Plantadis, cofondateur de l’École félibréenne de Brive et de la Ligue occitane, rédacteur de Lemouzi, etc. Pour lui, écrit l’auteure, « contrairement à l’idée reçue, l’identité limousine est sédentaire et migrante ». Ainsi va-t-il s’appuyer, dans un article de 1898, jusqu’à l’autorité d’Agrippa d’Aubigné, lequel aurait écrit dans son Histoire universelle : « Qui dit Limousin oncques ne dit attaché paresseusement au sol de leurs cultures, mais idoines merveilleusement à transférer hors du for intérieur de la France ce sol ». Ce que l’auteure ne dit pas, c’est que cette citation, assez souvent reprise dans les articles à la gloire de la région, est selon toute apparence (pour autant que mon intuition et le moteur de recherche de Google books soient fiables), un vulgaire faux, écrit très certainement par Plantadis lui-même, se paraphrasat se propres idées dans une langue pseudo-archaïque (les Limousins en effet, écrit-il par ailleurs, « possèdent aussi une certaine force d’expansion qui les rend très utiles dans la colonisation, que cette colonisation soit intérieure ou extérieure »). Dans cette revalorisation, la langue a bien sûr son rôle à jouer, comme migrante elle-même dès les temps des troubadours. Elle est aussi bien présente dans l’aventure coloniale, pieusement conservée par les colons, en Algérie et ailleurs. L’auteure cite en effet un article d’Abileh Borie, paru en 1914 dans Lemouzi, relatant une rencontre in situ de Limousins d’Algérie, où l’échange partiellement « en patois » de la visiteuse avec les colons joue son rôle de reconnaissance identitaire. Ce même article, que je n’ai pas lu (je me fie donc à R.-C. Grondin), semble par contre plutôt se désintéresser de la culture des autochtones : ce qui importe étant la reconstitution en Algérie d’une petite patrie limousine. Le « village limousin » d'Algérie devient en quelque sorte le pendant symétrique du « village noir » de l'exposition limousine.

           Nous savons bien que la caution coloniale pour justifier une renaissance culturelle du Limousin n’a pas suffit et la preuve en est largement apportée par la manière même dont ce livre, comme le précédent que j’ai cité, considère spontanément la question linguistique. Car ici aussi le mot de patois sans guillemets est de rigueur avec toutes les connotations négatives empruntées à la grande référence de l’auteure, la thèse d’Alain Corbin, Archaïsme et modernité en Limousin. Le patois, bien sûr, est et reste foncièrement la marque, le symptôme et le symbôle de l'archaïsme, du sous-développement et de l’analphabétisme. Par exemple, et ce sera le mot de la fin, dans une phrase comme la suivante, sur laquelle on pourrait longtemps épiloguer : « dans ces deux départements [Corrèze et Haute-Vienne], le fort taux d’analphabétisme se conjugue à l’usage du patois » (p. 68).

          S’il y a un néocolonialisme boursouflé de bonne conscience que la comparaison avec les « villages noirs » nous permet d’interroger, il est aussi un vétérocolonialisme intérieur, dont le Limousin, toujours jugé trop archaïque, trop enclavé, trop patoisant par les élites du royaume et de la république, continue à faire les frais.

       Jean-Pierre Cavaillé

 

villagenoir

Nogent-sur-Marne 1907

 

 


Benvenguts al nòrd

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Vaquí una reaccion a una discussion que se debanèt pendent l’Estivada de Rodès, que la Setmana ne’n faguèt lo compte rendut. L’ai escrita per la Setmana, que l’a publicada en linha. I traparètz tanben l’ensemble del dorsièr.

 

 

 

chabatz

 Chabatz d'entrar : broderie Anny Arnaud

 

Benvenguts al nòrd

 

            Lo jornal la Setmana faguèt dins son n. 880 (20 del mes d’agost) lo compte rendut d’una taula redonda aparentement (i èri pas) fòrça animada organizada dins l’encastre de l’Estivada de Rodès, consacrada al Nòrd d’Occitania (Auvernha, Lemosin, espaci Vivarò-Alpenc…), titolada « Benvenguts al Nòrd », ont partecipavan, pel Lemosin, Jan dau Melhau e Chapduelh que se planhèran de l’ostracisme, del mespres amai del racisme dels autres occitans pels « nòrdistas ». La polemica foguèt perseguida dins lo n. 883 del jornal aqueste mes per 6 legeires que mandèron de lètras.

            Cal en primièr mercejar la Setmana per aqueste dorsièr e per aver publicat tot aquel corièr, que contén una lètra fòrça veementa de Melhau que criticava la revirada tota lengadociana dels prepaus dels Lemosins a l’Estivada, sens cap de censura.

            Amai me sentissi puslèu estrangièr a la discussion, del biais almens qu’es estada menada, me tròbi quasiment obligat de’n dire quicòm ièu tanben, vist que soi un lengadocian emigrat en Lemosin e que trevi lo mitan associatiu occitanista lemosin.

            Çò que pòdi dire, en premièr, es que lo problema de comunicacion linguitica existís pas aquí, almens entre occitanistas (evidentament es mai complicat, non pas de se comprene, mas d’escambiar amb de locutors abituats a entendre pas que de lemosin), totis me parlan en lemosin, ièu parli en lengadocian, ara « boirat » de locucions lemosinas, e nos nos comprenen perfièchament. En mai d’aquò, per un lengadocian, legir de lemosin en grafia classica es tant aisit coma de legir son pròpri dialècte. Los que parlan d’una dificultat de lectura interdialectala, sabon pas çò que dison, o alara legisson quitament pas dins lor dialecte ! Vertat tanben, coma Magali Urros e Aura Séguier zo dison dins lo dorsièr, que los legeires lemosins d’occitan (efectivament n’i a pas tant qu’aquò), de fach, legisson sens reganhar los autres dialectes e se monstran fòrça doberts almens per çò que se fa en gascon, en lengadocian e en provençau.

            En second – e es per aquò que la discussion m’interessava pas – parlar d’ostracisme, de mespres, de racisme e que te sabi, dels autres occitans a prepaus dels Lemosins, me sembla quicòm de completament fals. Es puslèu simptomatic de quicòm mai que cal analisar un bricon. Es fals perqué la part mai granda del monde del sud (parli pas aquí dels occitanistas) sabon quitament pas qu’a Lemòtges se parla occitan e coneisson generalament pas lo Lemosin (aital ne’n parlan pas en mau, ni mai en ben, si que non per dire qu’amont naut, a pena en dejos de Paris, plèu e fa frech). Los occitanistas tanpauc, an pas de prevencion especiala contre los occitans del nòrd e, coma es estat dich, l’importáncia presa per l’obra de Delpastre al sud zo mòstra plan. Alara, quora Chapduelh ditz, « Sèm sovent considerats coma de provincials, de jos culturats », me sembla èsser un bricon de marrida fe. Perque sap plan qu’aquò es l’image convencional e totjorn actiu, mas subretot e malurosament integrat pels quites Lemosins, dels Lemosins vist dempuèi la capitala, e non pas vist « d’en bas », ont lo monde sabon que son considerats per Paris mai o mens del meteis biais, es a dire coma de péterroses e en mai d’aquò (a causa del solelh) coma de fenhantasses. Donca, ma primièra impression es que l’analisa de Chapduelh e Melhau es falsa, mas simptomatica de l’autò-òdi, per assimilacion de l’image negatiu secular impausat de per en dessus, ques venguda una partida ailas importanta de la quite identitat lemosina.

            Ma seconda impression es que pr’aquò an completament rason de « s’esmalir », de s’encolerar contra çò que ièu apelarai l’imperialisme linguistic e cultural lengadocian (qu’a pas res a veire amb de racisme), sovent inconscient, sovent espontanèu, mas de còps que i a declarat. Tres pròvas sufisentas son balhadas per o dins la Setmana (amai siá faita en Gasconha). Fargar un dorsièr de doas paginas completas sus La plaça de la lenga dins lo Nòrd d’Occitània (es lo titre) sens mai ensajar de balhar a ausir (es a dire a legir) aquels parlars, aquò justificava amplament la colèra de Melhau

            La pròva es en second luòc dins la responsa del jornalista Clamenç Pech que se ditz atristat pel « vocabulari excessiu » de Melhau (vertat qu’escriu : « avetz vertadièrament la rabia dins lo cros cuol » ! - es pas puslèu « cròs dau cuol » ? enfin aquò es un detalh) e subretot compren aparentament pas ont seriá lo problema : « lemosin o lengadocian, demòra d’occitan » (sic ! vertat, s’es aital, perque s’acarnassir a parlar e escriure lemosin, seriá mai simple e rentable de se contentar del lengadocian, non ?), e puèi Magali Urros èra d’acòrdi per èsser transcrita en lengadocian, alara, de que nos reprochatz ?

            Mas enfin, putanièr (ièu tanben m’i boti !), avèm un jornal que preten cobrir l’Occitania tota, mai que mai escrit en lengadocian, amb un bricon de gascon, vertat, e de temps en temps de provençau, mas quasiment jamai de lemosin o d’auvernhat, e aquò seriá pas un problema ? Compreni plan l’argument de la manca de compenténcia dels jornalistas, mas comprendrètz vosautres, enfin esperi, que pòt pas èsser una responsa.

            Una tresena pròva de la justa colèra de Melhau es l’intervencion consternanta d’Evelina Houlès, que pr’aquò nos mena a un nivel mai interessant de discussion. Segond la comerciala de Macarel (que ne’n balharai pas lo ligam per pas far de publicitat !), digun comprendriá pas e legiriá pas lo Lemosin en defòra de la region ; la quite expression « Chabatz d’entrar », çò ditz, seriá de chines per tots los autres… Aital, los Lemosins demorarián, coma Chapduelh, a « d’annadas-lutz de la realitat del mercat » (re-sic !) : « quand la plaça es limitada sus un taulièr, se mòstran los libres qu’an una chança de se vendre ». E la pròva de la flaquèsa e de la pretencions idiòtas dels Lemosins d’existir en Occitania tota seriá que… son pas de bons clients de Macarel ! E, en conclusion, l’autora de la letra nos ditz que se podon pas defendre los « dialectes » e esperar èsser difusat dins Occitania tota.

            Avèm compres : cal abandonar los « dialectes » per la« lenga », lo lengadocian central que cadun compren (deuriá comprene), e aquò permetriá d’alargar dusca a Lemòtge lo mercat de Macarel. E ben, macarel de macarel (aquò se pòt dire, es una marca depausada !), en legissent aquò me sentissi plenament, prigondament solidari de mos amics Lemosins.

            Pr’aquò pretendre que lo mercat de Macarel seriá una sòrta de testimoni de la consciéncia occitana balha a pensar. Perque, enfin, es vertat qu’en Lemosin i a pas grand monde, quasiment pas digun, per se reconeisser dins los simbòls, signes, eslogans e luòcs comuns occitanistas afichats suls camisets et suls autres produches estampilhats Macarel. Es pas en primièr un question de lenga, mas de representacion identitaria. Los Lemosins, a mai los qu’an una consciéncia linguistica, tan plan coma los Auvernhats, se tornan pas brica trobar dins los elements simbolics e mitics del sud. Es çò qu’explica la cantaliana Maria-Joana Verny dins son intervencion (Setmana, n° 883) : viticultura, cosina a l’òli, catars, parpalhòts, tot aquò demora estrangièr a l’identitat auvernhata, amai lemosina. Ièu apondrai, qu’es un pauc parièr per la crotz dels contes de Tolosa (a mai se n’i a una sur un tombèu medieval dins lo cementeri de Razès a costat de « chaz me ») e las colors roge e jaune, que prenon pauc e mal dins lo paísatge lemosin.

            E òc, lo Lemosin es diferent e a saput afermar e afermir aquesta diferéncia dins sa produccion culturala en occitan, en particulièr amb çò que per comoditat podèm apelar l’escòla neo-pagana dels Saumes pagans de Delpastre, de las òbras leterarias e musicalas de Chapduelh, de Melhau e de Combi, de l’aventura editoriala del Leberaubre, etc. Mas se podriá tanben parlar de la vèna romanesca realista de Roland Berland, a mai de la tradicion de la nhòrla… de causas diferentas entre elas, aquòòc, mas que, amassa, fan una diferéncia, forçadament ligada a d’elements culturals qu’èran deja presents en Lemosin (los cultes de las fonts, los contes de paurs e de leberons, etc.) e una istòria particulara que se debanèt e se debana encara en defòra o disèm a costat de l’istòria del Lengadòc. Que nani, la cultura lemosina es pas solubla dins l’occitanisme estandard !

            Aquestas particularitats an d’efeits dusca dins lo mercat identitari, qu’existís aquí tanben, amai se lo monde de Macarel semblan pas zo saber. Aquí la CRIL (Comunautat Revolucionaria Independentista Lemosina !), amb sa pratica sistematica de l’auto-ironia (lo camiset Limouzi Beach, o lo bavarel Minja ta sopa pitit Limouzi, marchan lo fuèc de Dieu !), es florissanta. Farai pas aquí la critica d’aquel biais de reivindicar qu’en Lemosin i a pas e i aurá pas jamai de reivindicacion identitaria (e de fa d’aquò una identitat !), mas, de tot biais, me sembla un perfièt rebat d’un trach de la cultura lemosina, l’autoderision amai l’autodenigracion que se trapa tanben dins l’art, uèi malurosament quasi perdut, de la nhiòrla.

            Lo problema de l’occitanisme lemosin, a mon vejeire, es pas l’occitanisme del sud, es puslèu lo quite Lemosin ; aquel banh cultural qu’emprenha tot de renegacion, de denegacion, de manca de fisança en se, de manca tanben de determinacion, amb la paur sempiternala de se far notar e de passar per qui sap que, e la conviccion que i a pas cap de solucion, de tot biais, en defòra de l’adesion al modèl estandard de republica jacobina e de « francofonia », mai que mai d’esquèrra, ont la consciéncia sociala pren tota la plaça, dins lo rebofament de la cultura e de la lenga eretadas, vistas sonque come arquaïsme (cf. Alain Corbin), de còps que i a plasent, mas de tot biais despassat.

            Lemòtges es una vila estonanta : los jorns de manifestacions dels sindicats e dels partits de gaucha, pòdi encontrar quasiment tot lo pichon monde de l’occitanisme, cadun de son costat, segond son afiliacion, de monde qu’ai pas encara, al cap de detz ans, jamai pogut veire manifestar sus plaça per reclamar de dreits linguistics e culturals. Figura-te ! La familia, los elegits, los sindicats, los amics comprendrián pas ! Es per aquò qu’anèm a Tolosa d’escondon, coma d’autres van al bordèu. Non, lo succès de la CRIL, a mai se la Librariá occitana vend sos produches, es pas una bona novèla, es lo signe qu’aquí, ont lo darrièr cors d’occitan a l’universitat es ara clavat, ont i a pas mai d’ensenhament de la lenga dins las escòlas publicas (a l’excepcion de Selhac gracia a Domenja Decomps coma zo ramenta M. J. Verny), ont la radiò, los jornals e la television sont intagralament sens la mendre eccepcion en francés, ont quasiment digun gausa pas reivindicar a nauta voz per la lenga, i a pas d’autras biais d’afermar una identitat culturala que al second gra, dins una mena de denegacion e d’ironia mortala, pròpriament suicidaria.

            Es pas estonant se los que, malgrat aqueste contèxte negatiu e depressiu, an encara lo coratge de continuar a cercar, a collectar, a escriure, a contar e a cantar, dins l’urgéncia totala de la disparicion de la lenga, dins la desesperança e la rabia de se trapar totjorn mai isolats e totjorn mens reconeguts, se manjan lo morre estre elis e, fin finala, se cercan de rasons a lor mal èsser en defòra del quite Lemosin. Externalisar lo patiment pòt ajudar a subreviure. E puèi, vertat que la sufiséncia culturala del Lengadoc, de còps que ia, ne’n balha l’ocasion. Mas, per caritat, qu’aquelis que coneisson res a la situacion, que son pas jamais venguts trabalhar amb nosautres, vengan pas ara nos balhar de leiçons de militantisme, de comerci o de comunicacion.

 

Joan Peire Cavalièr

 

Le parler charentocien, le limousin de la Charente par Jacques Faury

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J'ai le plaisir de publier ici un compte rendu et une analyse de l'ouvrage récent de Jacques Faury sur le parler de Charente Limousine par Jean-Christophe Dourdet qui a consacré sa thèse à cette langue. C'est une occasion d'attirer l'attension sur cette forme d'occitan limousin, sur l'ouvrage qui lui est consacré et d'ouvrir une discussion avec l'auteur, ses lecteurs et bien sûr tous les locuteurs de cette variété qui souhaiteraient se manifester. JP C

 

charentocien

 

Le parler charentocien, le limousin de la Charente par Jacques Faury

 

            Vient récemment de paraître aux éditions Communication-Presse-Edition (CPE) un ouvrage dans la droite ligne de la désormais bien connue collection « Patois et chansons de nos grands-pères... (marchois; en Berry, Vendée...) » avec ses nombreuses variantes dans le titre alternant Langue ou Patois en fonctionde la représentation et de la sensibilité sociolinguistique de l'auteur et/ou des locuteurs de chaque « terroir ». Cette fois, ce sont les parlers limousins de Charente qui sont à l'honneur. L'ouvrage est signé Jacques Faury, un locuteur de cette Charente de l'Est aux confins du pays Limousin et de l'Angoumois. L'ouvrage est particulièrement bienvenu dans la mesure où  ces parlers souffrent d'un certain manque de description linguistique, encore que d'autres endroits soient encore davantage à plaindre telle la Basse-Marche. A première vue, l'ouvrage se veut pour l'essentiel un glossaire du « charentocien », néologisme pour désigner les parlers occitans limousins de Charente. Au passage, contrairement à ce qui est indiqué en quatrième de couverture, il ne s'agit nullement du premier glossaire de cet ensemble subdialectal, puisque Roger Pagnoux, de Chabanais, a déjà fourni un glossaire limousin de Charente relativement étoffé, bien que nécessairement lacunaire, pour cet ensemble, (ré)édité en 2005 par l'Institut d'Etudes Occitanes du Limousin et Terra d'oc (Glossari lemosin : Contribucion a l’estudi de la linga lemosina). Le travail de J. Faury était néanmoins nécessaire dans lequel il se propose de « fouiller les recoins, à la recherche du mot ou de l'expression en voie d'extinction » (p. 9), avant tout donc, selon l'auteur, dans une perspective de conservation et de passage à la postérité, semble-t-il. Personnellement très accointé avec ces parlers de l'Est Charente, d'où est originaire mon épouse, d'une famille à ce jour toujours limousinophone, c'est de ce travail que je me propose de présenter ci-après les qualités et les défauts éventuels.

            Je commencerai par m'interroger quant à l'intérêt en ouverture (p. 9) d'une citation pour ainsi dire particulièrement désuète et dépassée sur les intentions du linguiste qui n'aurait soi-disant pas « la prétention d'enrayer la décadence des patois ». Il manque en outre la référence de la citation en bas de page ou en fin d'ouvrage. L’absence de citation des sources est d’ailleurs une lacune constante de l'ouvrage.

            En fait, le linguiste contemporain n'est en rien un archéologue, encore moins un entomologiste, quand il travaille sur du matériau encore vivant. Même si je ne me fais plus d'illusion sur le sort réservéà l'occitan dans les années à venir, je sais aussi que rien n'interdit au linguiste d'aujourd'hui de contribuer à la reconnaissance et à la promotion de l'idiome sur lequel il travaille, quand bien même la situation est plus que précaire. C'est d'autant plus le cas lorsque le linguiste travaille sur des langues minorisées en grand danger, aussi bien en France avec les langues régionales, qu'au Mexique avec les langues améridiennes ou en Océanie avec les langues austronésiennes. On peut même se demander s'il n'est pas du devoir du linguiste de participer à la préservation desdites langues. Par conséquent, si le linguiste a bien pour mission d'assurer pour les générations à venir la connaissance des langues « en fin de vie », son objet ne se limite pas pour autant à cela.

            Mais passons, chacun adopte l'attitude qui lui sied vis-à-vis de l'idiome qu'il étudie. Je ne me focaliserai pas plus longtemps sur cette attitude, en somme conservatrice, qui semble néanmoins en contraste par rapport à ce que l'auteur proclame plus avant. Il dit en effet : « j'ai essayé de rendre ce glossaire vivant » (p. 9) ; et : « les apports linguistiques extérieurs, fussent-ils « français », sont le propre d'une langue vivante » (p. 11)  affirmant ouvertement le caractère bien vivant de l'idiome, à moins que l'auteur n'entende par là qu'il souhaite seulement rendre compte de la langue parlée à un instant T sans la mettre en perspective d'aucune manière, comme le suggèrent ses propos (« J'ai donc voulu donner ici une photographie de la langue vernaculaire de « Haute-Charente » ou « Charente de l'Est » p. 10). Après tout, la démarche est recevable, empreinte de nécessité même, en dépit manifestement d'un manque de dynamique et de perspective comparatiste, écartant par ailleurs dans l’analyse la prise en compte des contacts diglossiques entre langues.

            Le terme « charentocien » est une trouvaille, qui, bien que quelque peu ambiguë– l'unité du limousin de Charente étant très aléatoire – n'engage à rien. Par contre, l'évocation de l'ancien français comme "bien présent" dans le lexique, et donc dans le glossaire proposé, a de quoi surprendre (p. 9). L'auteur explique à ce propos que « l'ancien français fut la seule langue écrite aux côtés d'un nord-occitan vivant, certes, mais purement oral » ajoutant que « les Troubadours sont loin, et entre eux et le XIXe siècle, rares sont les écrits purement occitans » (p. 9). L'influence du vieux français (XIVe, XVe siècle ?) sur l'idiome occitan de Charente n'a jamais été démontré et on se demande bien comment l'ancien français qui n'a jamais été parlé, ni écrit, dans ces contrées pourrait bien avoir eu une quelconque influence sur l'occitan local, d'autant plus quand on sait que la langue écrite au temps du vieux français était exclusivement le latin et que c'est seulement lors de la promulgation de l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 sous François Ier que le moyen français, et non le vieux français, et par la suite le français moderne ont commencé de pénétrer les écrits administratifs. C'est aussi sans compter que nombre de registres et de chartes ont été rédigés en langue vulgaire, donc en occitan, dont on a encore les traces, même si elles font en effet défaut dans cette microrégion de Charente limousine comme le souligne J. Faury : « rares sont les écrits occitans, tout au moins pour notre micro-région » (p. 9), ce qui ne signifie pas que ces écrits n'ont jamais existé.

            Plutôt que de parler d'influence du « vieux français » ou même du moyen français, mieux vaut évoquer une morphologie partiellement commune avec les dialectes de langue d'oïl voisins et éventuellement postuler qu’occitan de Charente et poitevin-saintongeais se sont influencés, bien qu'il soit sans aucun doute préférable de supposer simplement une évolution parallèle aboutissant à des résultats semblables dans certains domaines qu'il reste à préciser (en fait, il s'agit pour l'essentiel de lexique, de dérivation suffixale et en partie de conjugaison).

            Par ailleurs, on comprend bien que l'auteur a eu pour ambition de s'affranchir d'une démarche trop influencée par le courant occitaniste (bien qu'empruntant la graphie classique) et qu'il n'a ainsi pas voulu se « masque[r] derrière une belle vitrine occitaniste » ce en quoi on ne peut que le féliciter dans la mesure où l'étude d'un idiome ne doit pas reposer sur des préjugés quand bien même seraient-ils bien intentionnés.

Voilà donc l'essentiel quant au propos.

            Sur l'aspect linguistique, la démarche de collectage du fonds lexical est particulièrement heureuse. En effet, ce coin de Charente n'a pas fait l'objet de beaucoup d'études et il manquait là quelques points essentiels que Jacques Faury relève. Cependant, le glossaire souffre, à mon sens, essentiellement dans sa forme, d'une démarche qui aurait gagnéàêtre plus aboutie.

            Au sujet du dialecte en « ê » (sic), que J. Faury présente brièvement, il est noté« le "A" long y prend en effet la tonalité« ê », voire rarement « é »» (p. 12). Ceci reste pour le moins imprécis car sont en fait réalisés [ɛː] ou [eː] tous les [aː] (« a » longs) ou [ˈa] (« a » toniques) des autres parlers limousins (perspective synchronique) ou du limousin de Charente dans son état antérieur (perspective diachronique) si bien que l'on arrive non seulement àvacha [ˈvɛːʦɔ] (réalisation précise relevée à Montembœuf) mais aussi àpastisson [ˌpɛːtɪˈsʊˑ] (idem), toute voyelle tonique étant réalisée systématiquement longue ou mi-longue en haut-limousin. Si l'auteur note également [eː] comme résultat possible, il ne s'agit pas, comme le parler de Montembœuf le prouve, véritablement d'un [e] aussi fermé que le caractère phonétique le laisse supposer mais d'un [ɛ] très faiblement ouvert qui reste néanmoins distinct de [e] comme l'atteste la différence entre le [eː] de novéla et le [ɛː] de vacha. Peut-être pourrait-on noter cette subtilitéà l'aide d'un macron sur ɛ, ce que les traitements de textes laissent difficilement envisager.

            Les nuances phonétiques propres aux parlers de cet Est Charente sont plutôt bien notées par J. Faury. C'est un point qu'il faut souligner car l'aspect phonétique atypique de ces parlers n'a jamais vraiment fait l'objet de publication. Pour autant, ces spécificités phonétiques ne se limitent pas toujours à ces parlers et débordent pour certaines d'entre elles largement sur les parlers de Haute-Vienne et de Dordogne, ce dont l'auteur semble faire abstraction. Malgré tout, il était temps de les faire connaître. Il en est ainsi de la mouillure systématique de certains déterminants comme (i)un [jʏ̃m], (i)una [jʏ̃nɔ], (i)ela [jelɔ]... mais aussi et surtout du relâchement vocalique relevé en partie par J. Faury, qui sert notamment à marquer l'opposition singulier-pluriel et qui est en outre sous-tendu par le système accentuel, ce dont J. Faury ne parle pas. C'est le cas par exemple de chamin [ʦaˈmɪˑ] (réalisation précise relevée à Montembœuf) avec une voyelle finale lâche sensiblement ouverte qui sonne presque [e] qui s'oppose àchamins [ʦaˈmiː] (idem) avec une voyelle finale tendue clairement fermée, mais aussi de pastisson [ˌpɛːtɪˈsʊˑ], où [ʊ] sonne presque [o], qui s'oppose àpastissons [ˌpɛːtɪˈsuː], ou encore 'gut [gʏˑ], où [ʏ] sonne presque [ø] ou [ʉ], qui s'oppose à'guts [gyː]. Ce phénomène bien qu'exacerbé dans cette zone (en fait une partie seulement de la zone que J. Faury étudie) est néanmoins attesté dans tout le sud-ouest du domaine haut-limousin comme en témoignent les études de Mok[1] et Reydy[2], les écrits de Marsiquet[3] en ma possession, et les enregistrements que j'ai fait de locuteurs sur les communes, entre autres, de Saint-Saud-Lacoussière (24) ou de Saint-Hilaire-les-Places (87). Ainsi J. Faury atteste le phénomène mais sans l'expliquer dans la partie prononciation (p. 16)°: « i vaut toujours i ou é selon le dialectalisant... . Ainsi "pitit" (petit) sera-t-il prononcé"piti ou pété" selon les personnes ». En fait, ce n'est en rien un phénomène idiolectal (personnel) mais bien un trait subdialectal qui s'étend largement dans tout l'ouest-sud-ouest haut-limousin. Le domaine qu'étudie J. Faury est justement partagé en deux par ce trait selon qu'on se trouve au nord en tendant vers Confolens (piti ou plus exactement [piti]) ou au sud vers Montemboeuf (pété ou plus précisément [pɪtɪ], en effet presque [pete]), la limite restant à définir très précisément même si on peut approximativement la situer à hauteur de Suris. J. Faury laisse donc le lecteur largement face à ses interrogations concernant ce point.

            Sur le plan des solutions adoptées par J. Faury concernant la notation graphique du lexique limousin charentais, on a déjà dit que la graphie classique avait été adoptée. Néanmoins, soucieux de coller au mieux et dans la mesure du possible, aux spécificités de ce « far-west » limousin, J. Faury a procédéà quelques adaptations qui, en ce qui me concerne strictement, ne me dérangent nullement, mais que l'on peut toutefois discuter au cas par cas.

            On regrettera parfois le manque de simplicité qui consiste à préférer une notation par trop étymologisante alors que la graphie classique l'est parfois déjà en excès. En effet, on peut se demander pourquoi noter uect pour uech même si on devine le souci, peut-être par analogie au système français qui n'articulerait pas cette même finale -ct, de ne pas encombrer le lecteur avec la  palatale amuie depuis belle lurette (mais réapparaissant éventuellement dans des composés) lui préférant donc le digramme -ct plus facile, peut-être, à ne pas lire. Mais à ce moment là, pourquoi ne pas passer àuet ? Notons à ce propos que J. Faury note paradoxalement cuech et non cuect, nuech et non nuect. On relèvera également les curiosités plus ou moins étymologisantes pasliçon, colteu, reg de birat, reibenist, sella, coeslevar au lieu de palisson, coteu (éventuellement couteu), redebirat, reiben(e)it, séla, coelevar... mais par contre quete au lieu de queste sans doute pour ne pas contredire le postulat de l'auteur que « es » vaudrait toujours [eː] (voir ci-après), achon et non apchon...

            On regrettera la notation systématique « es » (assimiléà la prononciation [e]) de réalisations en réalité très diverses quand la graphie classique elle-même note « ei » dans certains cas comme par exemple : gesnar (pour geinar), crescer (pour créisser). En l'occurrence, la systématisation de la transcription phonétique en [e] du digramme « es » est abusive et même erronée. Il n'existe aucun doute sur la pluralité des réalisations correspondant à ce que l'on écrit « es » sur lesquelles J. Faury fait l'impasse. Ainsi on dit bien [ʣɛjnɛː] et non [ʣeːnɛː], [ɛjtã] et non [eːtã] (notéestanc chez l'auteur), [pejtəʉ] et non [peːtəʉ] ... mais on dit en effet [teːtɔ] et pas [tɛjtɔ]* (pour le coup, J. Faury note paradoxalement et exceptionnellement [téyto] en phonétique?), [eˑkolɔ], [eˑparɲɔ] (espanhar, faire des éclairs)...

            D'autres solutions ont été utilisées pour opposer diphtongue ouverte et diphtongue fermée : àucha vs auchas, àiga vs aigas qui ne chamboulent pas la graphie classique et ont le mérite d'apporter un peu de clarté pour le lecteur, particulièrement le néophyte.

            L'auteur note aussi la vélarisation de [a] ancien en [ɔ] due au [n] final caduque comme dans pán, demán... ce qui en soi n'est pas traumatisant pour la graphie.

            Jacques Faury choisit de plus de noter « ä » ce qu'il nomme « "a suraccentué » (p. 16), en fait [a] lexicalement long, en général sous l'influence d'une consonne ancienne disparue aujourd'hui ou éventuellement d'une voyelle géminée, et il fournit les exemples : diäble, mäschoira (NB : je n'ai personnellement entendu du côté de Montemboeuf, Massignac et Lézignac-Durand que le mot jangaunhas pour mâchoires, mot d'ailleurs présent dans le glossaire). J'imagine que gänhat [gɛːɲa] entre dans ce dispositif. L'accent circonflexe semblerait pourtant davantage convenir dans ce cas bien que le choix de l'auteur ne prête pas vraiment non plus à de grandes conséquences pour la graphie classique.

            On relèvera cependant quelques incohérences comme le fait de noter vergier [værdje] mais jarba bàuda [ʣærbɔ bawdɔ] sachant que les parlers étudiés réalisent pour la majorité [ær] pour ce que l'on note en général « er » sauf justement dans le cas de vargier puisque tous les parlers limousins qui emploient le mot ont [ar] dans ce cas là. On concèdera pour gerba que la prononciation [ʣarbɔ] (écrite alors en effet jarba) puisse exister comme il existe « barja » en dehors des parlers qui réalisent [ær] pour « er ». On peut se demander en outre pour vargier s'il ne vaudrait pas mieux noter vardier car le groupe consonantique [ʤ] est passéà [dj] dans bon nombre des parlers étudiés depuis certainement plusieurs siècles. C'est le cas dans la majeure partie du pays dit des Fuelhardiers, à l'origine Fuelhargier/Folhargier (forme encore attestée en Nontronnais), mot dont la finale a subi la même évolution.

            Si on suit la logique de J. Faury de respecter au mieux la phonologie, on pourrait aussi se demander pourquoi la réalisation [əʉ] notée [euil] n'est pas relevée dans une notation qui pourrait être chanteü.

            Au final, le lexique transcrit est particulièrement instructif pour qui ne connait pas les parlers de l'Est charentais. On regrettera toutefois l'absence de rabilhas pour chabeç(fânes) mais c'est un détail. Enfin, il faut noter que du côté de Montembœuf, Massignac, Lézignac-Durand et Mouzon, les mots cinglant et serp ont subi une véritable inversion de sens, ce que J. Faury ne note pas, à savoir que la serp désigne la grosse couleuvre verte/noire et jaune et cinglant n'importe quel serpent.

            En bref, le travail de J. Faury, malgré ses imperfections, est très précieux et mériterait à présent d'être enrichi et de profiter d'une méthodologie sans doute plus établie.

 

Jean-Christophe Dourdet



[1]       Mok, Q.I.M. (2008). « L’opposition singulier-pluriel dans le parler de quelques communes du Périgord blanc ». Etudes de linguistique occitane moderne. Aachen : Shaker Verlag. 3-16.

[2]       Reydy, J.-P. (2008). Notre occitan. Uzerche : Institut d’Estudis Occitans dau Lemosin.

[3]       Un habitant des environs de Montembœuf qui écrit des chroniques sur les traditions non éditées pour le plaisir.

Philippe Gardy : Grands écrivains et petit patois

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Philippe Gardy : Grands écrivains et petit patois

 

           Dans un bel ouvrage, L’ombre de l’occitan. Des romanciers français à l’épreuve d’une autre langue (Presses Universitaires de Rennes, 2009), Philippe Gardy traque la présence/absence de l’occitan dans les œuvres de romanciers d’expression française parmi les plus reconnus du XXe siècle, Joseph Delteil, François Mauriac, Jean Giono et les plus contemporains Pierre Bergounioux, Pierre Michon et Richard Millet, auxquels il ajoute François Salvaing.

           Pour chacun de ces auteurs, il propose une lecture interne, montrant à chaque fois combien la présence effacée, parfois imperceptible, de la deuxième langue, loin d’être anodine, anecdotique, irrigue l’œuvre et joue un rôle important, majeur, voire essentiel dans sa constitution. En contre-point, il s’attache, à la fin du livre, à la figure d’un auteur gascon, Emmanuel Delbousquet, qui, autour des années 1900, après avoir écrit des romans à portée ethnographique en français, se lance dans l’aventure de l’écriture en occitan avant de disparaître prématurément. De Delbousquet en occitan, il ne nous reste en effet qu’une mince plaquette de vers, Capbat la lana, publiée à titre posthume par Antonin Perbòsc (voir la reprise en ligne de l'édition Perbosc sur le blog d'Adriu de Gavaudan).

 

Un éloge de l’ombre

       Mais l’essentiel du propos consiste bien plutôt à suivre le chemin inverse de la désoccitanisation emprunté par tant d’écrivains francophones qui furent en contact à des degrés divers avec l’autre langue. Gardy s’emploie à décrire les modes singuliers à travers lesquels cette littérature se réalise dans un processus complexe, tortueux, d’abandon et d’évocation de la langue d’avant ou de dessous, parfois par la citation directe de mots et de bouts de phrases, généralement dans une graphie bricolée et défaillante (mais cela-même – j’y reviendrai –, le refus d’adopter une graphie normée et d’appeler cette langue occitan, selon moi insuffisamment souligné par Gardy, fait entièrement partie de ce processus).

            Chez ces auteurs, l’occitan « demeure comme une écharde dans la chair de l’œuvre, un point d’achoppement discriminant. Comme si se jouait (ou se rejouait) là, à voix basse, une partie difficile qui n’aurait pas été pour rien dans ce que l’écriture a fini par devenir et dans ce qu’elle persiste àêtre » (p. 14) ; « le refoulement totalement accompli de ce germe discordant n’a pas été possible… » (p. 15). Le mode de présence de « l’autre langue » est ainsi celui du fantôme (parfois aussi du fantasme comme chez Delteil), de la hantise, de l’ombre : « l’ombre d’elle-même d’abord, le signe de sa disparition sociale et individuelle ; et plus encore l’ombre dont se réclame, discrètement ou de façon plus revendiquée, l’écrivain au miroir de son écriture » (p. 170). L’occitan, ainsi n’occupe aucune place spécifique, déterminée, positive : « Il se situe plutôt dans les creux de l’écriture, en ce lieu impalpable, fait de manques et de tensions, où la langue, à la fois comme « style » et comme mécanique narrative, découvre ses thèmes et ses inflexions propres » (p. 170).

 

Le creux en tous ces états

            Chez Delteil, selon l’écrivain lui-même, l’occitan – enfin (la distinction est décisive) le patois– serait partout ; il imprègnerait entièrement son écriture, dont la langue serait ainsi du « franco-patois ». En réalité cette présence souterraine affirmée n’apparaît presque jamais, bien moins, remarque Gardy, que chez un écrivain comme Mauriac, où l’on ne penserait guère la chercher. Dans les œuvres de celui-ci, « le patois, dispersé tout au long de la trame narrative, balise sans relâche la séparation initiale et la fait resurgir face aux illusions conciliantes de la mémoire souveraine et faillible. Lambeaux devenus imperceptibles d’un univers interdit, il signale le passage, l’impossible retour de la vie à la vie » (p. 48).

             Giono rejette avec mépris et colère l’art des félibres et le provençal, pour lesquels il n’a pas de mots assez blessant ; pourtant la langue autre, le patois (« On a d’abord parlé le provençal. On le parle encore. C’est un patois », Préface àColline, p. 76) tient un rôle proprement mythique, cosmogonique (voir le Serpent d’étoile) aux origines de la création littéraire, dans « l’engendrement » de la langue propre de l’écrivain, « le chaos primitif de l’œuvre » (p. 86).

             Chez Salvaing (La Nuda), le patois entretient un lien avec la question centrale du mutisme, du mystère et de l’opacité brute incarnés par la femme sauvage qui errait nue vers 1800 dans les montagnes de Vicdessos : il est l’une «  des approches possibles de cette fermeture qui, ultime paradoxe, ouvre quelque part sur l’être, pourtant inatteignable » (p. 114).

            Pour Bergounioux, le patois est la langue d’avant, d’une période révolue, avec laquelle il a fallu rompre pour accéder, avec le français, au reste du monde, mais sur laquelle pourtant on ne cesse de revenir : « si l’occitan n’émerge jamais vraiment, son absence n’est probablement pas une absence absolue, mais bien plutôt l’envers d’une présence. » (p. 116). Ainsi, écrit Gardy, « le patois demeure quelque part au centre, enfoui, de sa création, et c’est de cet enfouissement que l’écriture, jusque dans son oubli, va se nourrir, chaque fois qu’un tel ressourcement sera nécessaire » (p. 119).

            Avec Millet, le patois (encore !) est saisi comme une sorte de relique de la langue noble des troubadours dans la bouche des paysans et sa disparition n’est pas autre chose que la réalisation de ce qui attend le français, engagé, selon l’écrivain (c’est son obsession constante), dans un processus de déliquescence irréversible : « la dévalorisation de l’occitan en patois, comme le sentiment de décadence qui frapperait le français au moment où l’écrivain tente de l’écrire, constituent ainsi à la fois deux moments de l’histoire linguistique d’un pays, dont l’œuvre se nourrit jusqu’à en faire à certains moments son sujet principal, et deux espaces métaphoriques où se forge l’image d’une langue par principe déjà perdue » (p. 135). Et, en effet, Millet, dans la première phrase de Ma vie parmi les ombres, dit du patois qu’il était « ce parler limousin où s’entendaient encore, entre les souffles des animaux et ceux des grands bois, tous les temps du subjonctif, tandis que le français y renonçait » (faire de l’imparfait du subjonctif le signe de la décadence du français et de la noblesse déchue de l’occitan est aussi un vieux lieu commun).

 

Singularité de l’œuvre et diglossie commune

            Gardy, on le voit je crois suffisamment, conduit ses analyses dans une très belle langue, en empathie avec chacun des univers romanesques sur lesquels il se penche. Dans ces textes, l’analyse est d’abord proprement littéraire et, peut-on dire, psycho-littéraire, car à chaque fois, le motif diglossique est saisi dans les méandres de l’œuvre au plus intime d’une psychologie propre à l’écrivain. Le cadre sociolinguistique de ces lectures passe ainsi au second plan, comme si celle-ci ne pouvait qu’apporter l’histoire bien et trop connue - limitée et finalement insuffisante pour rendre compte de la singularité d’une œuvre -, de la structure diglossique, fatale pour l’occitan en littérature française, rigoureusement, impérativement monolingue ; une histoire somme toute bien moins intéressante, semble dire Philippe Gardy (à vrai dire, il ne le dit pas ; j’interprète ici sa démarche) que la déclinaison à chaque fois singulière d’un effacement qui est en même temps une hantise.

           Certes, il inscrit ses études dans le cadre général de ce qu’il appelle « la fameuse dialectique « Paris-Province » », remarquant d’ailleurs au passage combien elle est peu travaillée dans les études littéraires, puisque l’un des seuls ouvrages que l’on peut citer sur ce sujet est celui de Fausta Garavini, Parigi e provincia. Scene della letteratura francese (Torino, 1990), qui n’a jamais été traduit en français. Mais, même s’il rappelle au passage combien ses auteurs sont dépositaires de tous les lieux communs et préjugés sur les « patois » (langue pauvre des simples, langue de l’émotion brute, langue des brutes et des bêtes, langue émiettée incomprise dans le village d’à côté…[1]), il évite pudiquement de s’appesantir sur le fait brut que dans cet aréopage choisi, il est le seul, lui Philippe Gardy, à utiliser le mot d’occitan. Ainsi, aucun des auteurs dont il nous entretient, fort probablement, ne reconnaîtrait-il la présence dans son œuvre de la langue auquel il consacre son livre.

             Tous ne parlent en effet jamais que de « patois », quelle que soit leur approche. Quand l’un d’eux évoque le mot d’occitan, comme Delteil, c’est pour le rejeter avec dégoût : « Je devrais dire : l’occitan, je sais, qui est le terme correct, et le plus stratégique. Mais occitan, c’est savantasse, ça fait intelligentsia. Moi il m’écorche les lèvres, et me fait mal au cœur. Maman parlait patois. » (Delteilherie). Giono, lui, repoussait avec une extrême violence le mot même de Provençal, désignant sous ce mot, de la même façon, une langue écrite, une langue a prétention culturelle ; celle des félibres tant honnis : « si les vraies traditions de mon pays avaient été ces chienlits qu’on faisait défiler dans Arles, ces fanfaronnades qu’on claironnait à tous les échos, je me serais fait naturaliser Samoyède. Si ma langue avait été ce baragouin qui faisait se pâmer les vieux notaires et énervait le génie des cœurs doués, j’aurais appris le chinois pour m’exprimer. » (Préface àProvence). L’insupportable, le comble du ridicule et de l’indécence, c’est que ce baragouin prétende à l’écriture : « … quand on a à sa disposition une langue aussi belle que le français, aussi importante àécrire que le français, et aussi riche en expression que le français, on n’écrit pas dans une langue qui n’est plus comprise par une cinquantaine d’apothicaires… » (Entretiens avec Jean Carrière). Ceux des écrivains qui interviennent en des temps où le félibre n’est plus audible, disent ou laissent entendre la même chose à l’égard des auteurs de dictionnaire et de pseudo-littérature en patois (qu’ils ne connaissent pas et ne veulent pas connaître : j’ai moi-même demandéà Michon ce qu’il pensait de Delpastre ; ce nom ne lui disait absolument rien. J’ai tenté d'analyser par ailleurs l’opposition chez ces trois auteurs de la belle langue et du patois).

             Cette unanimité, bien sûr, fait sens. La langue avec laquelle ces auteurs font de la littérature, la langue de la littérature, est le français ; elle est exclusive et n’admet d’altérité que sur un autre registre, étranger à la littérature, un registre d’oralité pure et d’émotions brutes. De sorte que le patois n’est pas intégrable comme tel par la littérature, sinon sous la forme de quelques rares mots et expressions ; il est, ne peut et ne doit être que l’autre de la littérature, dont éventuellement celle-ci se nourrit mais qu’elle doit aussi expulser pour devenir elle-même et digne de ce nom.

              Le patois est « la langue de maman », comme dit Delteil, non celle de l’écrivain. L’occitan, la langue d’oc ou le provençal de Mistral sont inacceptables, parce qu’ils prétendent à l’écriture. C’est d’ailleurs pourquoi Delteil accuse Mistral de « penser en français », alors que lui, prétend-il, écrirait français en pensant en patois. Ainsi les gens qui disent occitan – ou provençal – ont-ils la prétention de pouvoir produire de la littérature avec le patois et cela n’est pas admissible. C’est pour cela que Pierre Bergounioux ne donne pas d’autre nom à Melhau (voir le post ici consacréà cet épisode) que celui d’« écrivain patoisant », expression qui, pour lui, suffit à disqualifier par avance toute prétention de littérature, exactement de la même façon qu’il exècre (tout comme Michon et Millet) l’idée que l’on puisse le considérer comme un écrivain « régionaliste », parce que la région est un lieu par essence étranger à la littérature, un lieu où l’on parle (ou parlait encore il y a peu) patois, lieu d’oralité ensauvagée que la belle langue de Paris seule peut faire accéder à la Littérature (la Capitale à l’initiale s’impose !).

 

Critique sociale et désenchantement de la littérature

             Aussi méprisé, vilipendé, moqué soit-il, l’occitan, à la différence du patois, est un concurrent virtuel ; il représente l’idée impossible à accepter que l’idiome secret de l’enfance qui irrigue souterrainement l’œuvre en langue pourrait lui-même faire œuvre, réclamer son dû, prétendre au droit d’ainesse peut-être même ! Ce que tous ces auteurs illustrent à la perfection, est l’incompatibilité de leur conception de la littérature, la conception de la littérature française, avec un bilinguisme ou plurilinguisme interne. L’exclusion du mot même d’occitan (ou de provençal chez Giono), une exclusion a priori et définitive, a pour fonction de maintenir un statu quo de domination sans faille, comme la maîtresse de maison, dans Génitrix de Mauriac, qui intime à la bonne de retourner à sa cuisine en la traitant de « pecque ».

            La situation limite est celle de Delteil, qui a vu de son vivant l’un de ses ouvrages traduit en occitan (Jésus II) et, loin de désavouer l’entreprise, a préfacé le livre. Dans ce texte, c’est alors le mot d’occitan qui domine. Évidemment, à tout prendre, il est autrement plus gratifiant que celui de patois : il est, on en convient, plus difficile pour un écrivain de tirer fierté de la traduction de ses œuvres en patois ! Ce truisme vaut la peine d’être médité...

            La démarche de Gardy, confrontée aux maigres remarques que je viens d’esquisser, me font prendre conscience d’une chose que je devrais savoir depuis longtemps. L’analyse sociale conduit presque fatalement à une approche désenchantée des textes littéraires. Tel élément, qui fait partie de l’économie créative de l’œuvre, soumis à la critique sociale, devient l’expression du lieu commun le plus réductif, le plus éculé et éventuellement le plus difficile à supporter pour des raisons scientifiques ou idéologiques. Nous avons sans doute besoin des deux approches, elles ne sont peut-être pas exclusives, mais il est parfois très difficile de les articuler sans détruire la magie de l’œuvre… On pourrait dire que seule celle-ci importe. Hé bien non : si une telle analyse sociale avait été appliquée plus souvent aux œuvres de Millet, moins de lecteurs tomberaient des nues en lisant son dernier livre (l’Éloge de Breivik), où l’idéologie qui pourtant, depuis longtemps, porte des œuvres devant lesquelles on s’extasie, s’étale au grand jour.

 

Jean-Pierre Cavaillé

 

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[1]Voir, sur ce dernier point, la merveilleuse citation tirée de Un adolescent d’autrefois de François Mauriac : « Ce Beleou, aucun paysan ne le comprendrait au-delà de vingt kilomètre autour de Maltaverne ».

Le napolitain à l’épreuve de la télé-réalité

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Le napolitain à l’épreuve de la téléréalité

 

            Une fois de plus, le meilleur cinéma italien, celui qui assume son hérédité néo-réaliste, fait entendre « le dialecte » (puisque tel est le terme consacré), en l’occurrence napolitain. Je suis allé voir et entendre Reality, film de Matteo Garrone, dont on avait ici évoqué l’admirable Gomorra tiré du livre de Saviano.

 

Big brother et le « dialecte »

            Reality est une comédie amère, une fable grinçante sur l’Italie (post-)berlusconienne où le modèle dominant, auquel semble hélas adhérer une bonne part de la société– un modèle global tout à la fois social, économique, comportemental et culturel –, serait celui offert par les émissions de téléréalité. C’est l’histoire de Luciano, un modeste poissonnier vivant dans un appartement délabré d’un quartier du centre historique, entouré d’une famille et d’un voisinage plus véridique que nature, c’est-à-dire dans la meilleure tradition théâtrale napolitaine (les frères De Filippo, etc.). Avec sa femme et son employé, il cherche à arrondir ses fins de mois par une arnaque à la vente de monstrueux robots ménagers, tellement sophistiquée que je n’en ai d'ailleurs pas compris tous les tenants et les aboutissants. Sans y penser, pour faire plaisir à sa petite fille, il accepte de passer une audition dans un supermarché pour l’émission de téléréalité si bien et cyniquement nommée Grande fratello, Big brother, c’est-à dire le Secret Story français (il en existe une multitude de versions de par le monde reposant sur le même principe de la clôture et de l'exhibition permanente devant les caméras). Sa vie bascule alors, désormais entièrement vampirisée par le désir obsessionnel de se voir retenu comme concurrent sous les regards d’abord complices puis effarés de son entourage. La comédie, peu à peu, vire au cauchemar.

            Garrone a particulièrement soignée la langue, en ayant notamment recours à des acteurs de troupes de compagnies «dialectales » ; toutes les scènes en famille et dans le quartier sont jouées dans la langue, c’est-à-dire en « dialecte » plus ou moins « stretto » (étroit, reserré), et lorsque Luciano parle italien, notamment lors des auditions, il conserve un très fort accent et des tournures idiomatiques typiquement napolitaines.

            D’ailleurs, pour expliquer pourquoi il ne parvient pas à se faire engager dans l’émission, malgré son charisme, on pourrait faire l'hypothèse, me semble-t-il, de cet accent trop chargé et de ces formes de dire, qui correspondent mal au modèle linguistique associéà l’émission (une langue standard dégradée, bourrée de syntagmes issus de l’anglais). De manière étonnante, aucun critique italien n’a envisagé ce point : à savoir que le monde auquel appartient Luciano, qui regarde à Naples Grande fratello à la télévision, n’a pas (encore) incorporé le modèle au point d’en parler la langue, loin de là, même si l’on imagine bien que de telles influences télévisuelles, sur le « dialecte » lui-même, existent.

            C’est évidemment cette présence de la langue napolitaine qui m’intéresse ici et non pas les qualités et éventuellement les défauts du film, Grand Prix du Jury à Cannes, très malmené en France, très apprécié en Italie. Il y aurait là d’ailleurs matière à réflexion, car la confrontation des critiques français aux critiques italiens est rédhibitoire pour les premiers ; visiblement la plupart restent complètement étrangers aux codes d’expression exploités par Garrone, confondent l’objet de sa satire et son esthétique propre, passent complètement à côté des enjeux sociaux, voire philosophiques du film (Garrone parvient à nous faire croire un moment que le vieux modèle englobant de la religion catholique va pouvoir sauver Luciano de sombrer corps et âme dans le délire du modèle de la téléréalité), sans parler de la dimension linguistique qui, lorsqu’elle ne reste pas inaperçue, se limite à des fadaises (« dialecte napolitain haut en couleur… », « irrésistible cadence du dialecte… », « même le savoureux dialecte napolitain devient caricatural, grotesque… », telle blogueuse qui râle parce qu’elle n’a pas pu « réviser » son italien pendant le film, etc.).

            Pour être honnête, il faut reconnaître que l’on trouve aussi les mêmes lieux communs en Italie : tel critique parle de l’« extraordinaire musicalité du dialecte napolitain » et tel autre de « sa douce mélodie ». On trouve aussi des internautes italiens pour se plaindre du fait que le film soit tout « en dialecte napolitain », bien qu'il soit sous-titré. Cependant, la plupart soulignent, comme Arianna Pagliara, « l’usage efficace et expressif du dialecte » et le rôle essentiel qu’il joue à la fois dans les moments de comédie et lorsque le drame va crescendo.

            Mais on chercherait en vain la moindre analyse un tant soit peu approfondie de cet usage. Pourtant, le napolitain marque la plus grande différence, le plus grand divorce entre les conditions sociales des protagonistes, leur univers culturel immédiat (celui des conversations de café, des discussions en famille) et le monde enchanté des produits de téléréalité qui, en effet, sont au premier rang de leurs référents culturels médiatisés, et dont ils parlent, le cas échéant, au comptoir et à table, invariablement dans leur idiome propre.

 

Génocide et résistance

            Paolo Mereghetti, du Corriere della Sera, déclare que « le génocide d’un peuple et d’une culture, dont parlait Pasolini, est désormais accompli et [que] Garrone nous le raconte par un film intense et douloureux ». Le journaliste se réfère à une célèbre intervention de Pasolini en 1974, dans lequel le cinéaste et écrivain s’appuie sur un passage du Manifeste du Parti Communiste de Marx et Engels : «  la destruction et la substitution des valeurs dans la société italienne d’aujourd’hui conduit, sans massacres ni exécutions de masse, à la suppression de larges zones de la société elle-même ». Ce génocide advient clandestinement, à travers « une sorte de persuasion occulte » ; « les jeunes gens ont perdu leur antique modèle de vie […] et ils cherchent maintenant à imiter le modèle présenté par les classes dominantes en cachette ». Entre autres choses, ce génocide affecte le langage et conduit à l’aphasie, à la perte de « capacité linguistique. Toute l’Italie centre-méridionale avait ses propres traditions régionales ou citadines, d’une langue vive, d’un dialecte qui était une langue vivante, irriguée par de continuelles inventions poétiques ; il y avait une merveilleuse vitalité linguistique. Le modèle mis en place par la classe dominante les a désormais bloqués linguistiquement ».

            Près de quarante années ont passé et, à la vue du film de Garonne, on peut en effet avoir envie de dire que, désormais, tout est consommé ; que la substitution des valeurs a bien eu lieu, sauf que le modèle de la classe dominante a cessé d’être celui d’une bourgeoisie de petits messieurs bien éduqués pour devenir l’ignoble vulgarité berlusconienne qui s’étale partout : toute l’esthétique kitch du film de Garrone le montre suffisamment. Elle s’incarne en particulier dans le personnage de Enzo, star de tous les mariages et de toutes les rencontres publiques, parce que ex vainqueur… de Grande Fratello.

            Pourtant force est de constater, qu’à Naples au moins, le « dialecte » a résisté, alors que tout le monde ou presque continue de le considérer comme une stigmatisation sociale et non certes comme un vecteur de culture. Pourtant, son existence, sa présence seule montre que le modèle télévisuel échoue en partie à formater les hommes, même s’il peut les rendre fous. Certes, la plupart des dialectophones sont sans doute prêts à reconnaître l’infinie supériorité du modèle constitué par la langue standardisée des présentateurs et héros du Big brother télévisuel, synonyme de réussite et de modernité (sur ce plan aussi, l’émission de téléréalité réalise à sa manière le cauchemar d’Orwell) et jugée infiniment plus sexy, plus désirable que le dialecte des pauvres diables.

            Pourtant, Garrone montre aussi que les jugements sur l’émission de téléréalité ne sont pas unanimes ; dès le début certains, dans la famille, autour de Luciano, osent apporter un bémol, voire la contradiction à ses folles aspirations. De toute façon, chacun voit, sauf Luciano parce qu’il est justement devenu fou, que le modèle est bon pour la télé et donc pour les rêves (de réussite, de reconnaissance, etc.), mais que sa confusion avec une réalité que pourtant beaucoup aimerait fuir, est proprement destructeur. Cette résistance de la réalité est portée, incarnée par le « dialecte » ; il est la marque de la différence ontologique entre l’être et le paraître, la vie et les images. Certes la séparation, la partition est détruite par Enzo – le piège identificatoire de Luciano –, qui est la figure en chair en en os du héros de la banalité, l’homme quelconque transfiguré, exhaussé, déifié par la télévision, mais, justement, le type a perdu presque tout moyen linguistique ; son discours se limite à la répétition de quelques slogans stupides, de préférence en anglais : « Neverrrr give up ! », prononcé bien sûr avec un fort très accent italique.

            Le « dialecte » reste en tout cas attaché, rivé, condamné aux classes subalternes ; comme s’il portait en lui, irrémédiablement, la malédiction sociale. De ce point de vue, il n’est certes pas fortuit que l’acteur qui interprète Luciano, vraiment excellent, soit un prisonnier, Aniello Arena, incarcéré depuis 20 ans à la forteresse de Volterra pour un crime mafieux survenu à Naples. Il appartient à une troupe de théâtre désormais fameuse uniquement composée de détenus (Compagnia della Fortezza dirigée par Armando Punzo) et Garrone déjà avait cherchéà le faire jouer dans Gomorra.

 

« Dialectes » et prison

            Des articles sont consacrés à cet acteur hors du commun et retracent son itinéraire (dans le Monde, notamment). A travers lui, le lien est bien sûr une fois de plus établi entre le « dialecte » et le monde des bas fonds et du crime, que seul l’art peut sauver. Cette rédemption, par le théâtre et le cinéma, est celle du dialecte lui-même, en quelque sorte sublimé, arrachéà sa damnation sociale, racheté par la pratique artistique.

            C’est sans nul doute ce qui se passe avec le dernier film des frères Taviani, que je n’ai pas encore vu, César doit mourir, entièrement joué par des acteurs détenus dans le quartier de haute sécurité de Rebibbia à Rome. Il s’agit d’une interprétation, dans les murs de la prison, du Jules César de Shakespeare, qui vient se mêler à la vie quotidienne des acteurs prisonniers, tous condamnés à de très lourdes peines. En effet, dans cette prison aussi, il existe une troupe de théâtre, dirigée par Fabio Cavalli ; celui-ci adapte de grands textes comme la Tempête ou Hamlet de Shakespeare, ou encore l’Enfer de Dante, en faisant traduire les répliques par les acteurs dans leurs propres dialectes (romain, napolitain, pugliese, sicilien, ligure…). Cavalli explique : « Je ne voudrais pas passer pour un Leghiste [c'est devenue la formule obligée dès que l'on dit du bien des dialectes], mais les dialectes constituent un patrimoine inestimable de notre culture nationale. En outre, mes acteurs, qui sont parfaitement en mesure de jouer en italien, parviennent en leurs dialectes à transporter avec une plus grande force encore les discours élevés qui animent un grand drame comme Jules César. C’est une catharsis que j’ai pu expérimenter aussi avec d’autres classiques… ».

            Les spectateurs viennent assister aux spectacles dans la prison elle-même. Certains de ces spectacles ont connu de grand succès. Les frères Taviani ont été de ceux-là, qui racontent : « [les acteurs] avaient choisi certains chants de L’Enfer [de Dante] et c’était maintenant dans l’enfer de leur prison qu’ils revivaient la douleur et le tourment de Paolo et Francesca, du comte Ugolin, d’Ulysse... Ils racontaient, chacun dans leurs dialectes, comparant parfois l’histoire poétique qu’ils évoquaient, avec l’histoire de leur propre vie. […] Nous avons éprouvé le besoin de découvrir grâce à un film comment peut naître de ces cellules, de ces exclus éloignés presque toujours de la culture, la beauté de leurs représentations. ».

            Cette pratique du théâtre classique en prison est à l’extrême opposé du fantasme que le téléspectateur nourri pour Grande fratello. Le « dialecte » n’est pas ici ce qui sépare le monde réel du monde des fantasmes, rempart et obstacle qui, lorsqu’il tombe, conduit à l’anéantissement dans le spectacle ; il est ce qui permet de rejouer sur un autre plan, par le biais du texte classique, sa propre tragédie humaine ; sa fonction est rigoureusement cathartique, comme le dit Cavalli.

            La tâche culturelle attribuée au dialecte, dans cette opération, consiste à redonner force aux classiques, attiédis et affaiblis dans la langue noble de la culture supérieure ; en retour, le dialecte, par la traduction et l’appropriation des grands textes, devient une langue littéraire, il s’anoblit et en quelque sorte se surpasse… Cet échange est typique de la création dialectale italienne d’aujourd’hui, d’une remarquable vitalité. Il exploite et subvertit la diglossie, sans remettre en cause les fonctions et la hiérarchie séparant la« langue »des« dialectes ». Mais de ce fait même, les questions de la transmission scolaire et d’une pratique culturelle normalisée des « dialectes », comme « langues »à part entière (ce qu’ils sont évidemment d’un point de vue linguistique), ne sauraient véritablement se poser.

Jean-Pierre Cavaillé

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fotogramme de Cesare deve morire des frères Taviani

prison de Rebibbia

 

Marchois et Patois de Paris, un rapprochement pertinent ?

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Jean-Christophe Dourdet, spécialiste en linguistique occitane et poitevine-saintongeaise, également sociolinguiste réagit ici à un article récemment paru de J. -M. Monnet-Quelet « Le marchois : quelques traits linguistiques communs avec le "patois" parisien présents dans la littérature du XVIIe siècle »publiéMémoires de la Société des Sciences naturelles, archéologiques et historiques de la Creuse, t. 57, 2011-2012. pp. 267-278. Outre la thèse très discutable, à contre-courant de toutes les données linguistiques un tant soit peu sérieuses (le marchois n’aurait rien à voir avec l’occitan) défendue par l’auteur de l’article, son travail pose des problèmes de méthode, mis en évidence par Dourdet. Évidemment, comme à l’accoutumée, la discussion est ouverte. Je me permets également de renvoyer au compte rendu que l'on avait proposé ici d'un ouvrage de grande diffusion paru l'année dernière sur le marchois.

JP C

 

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Carte postale ancienne "Au pays marchois". Lou Chasseur :"Nio qué de las liébrès par eici ? Au y en o per lous peisans, màs pas per lous bourgès"

 

Marchois et Patois de Paris, un rapprochement pertinent ?

 

La linguistique qui a pour objet l'étude du langage à travers ses manifestations que sont les langues peut difficilement se passer de prendre aussi en compte des facteurs d'ordre social, c'est pourquoi s'est développée une approche du langage et des langues dite sociolinguistique, créant ainsi une nouvelle branche de la linguistique. La sociolinguistique s'occupe plus précisément des représentations que se font les locuteurs de leurs propres usages et pratiques linguistiques. Elle analyse ces représentations à travers le discours émis par les locuteurs dans une langue donnée.

Ainsi, aucun idiome, n'existant que dans la parole de chacun de ses locuteurs, n'échappe-t-il à ces représentations. En France, où la langue a souvent valeur d'identification à la nation, le français a servi et sert encore parfois de référent pour l'étude des idiomes présents sur le territoire national. C'est comme si en procédant de cette manière l'on exprimait sa loyautéà l'égard de la langue nationale et son attachement à la patrie en manifestant sa volonté sincère de ne surtout pas la trahir.

Pourtant, l'étude des langues de France ne peut, ni même ne doit systématiquement passer par le filtre du français. C'est l'évidence pour les langues non-romanes du territoire comme le breton ou le basque mais cela devrait l'être aussi pour ce vaste ensemble gallo-roman reconnu comme continuum, certes, mais subdivisé en deux ensembles bien caractérisés, au nord d'oïl, au sud d'oc. La Marche, comme son nom l'indique en matière géographique, se situe également, en matière linguistique, à la croisée de ces deux ensembles, incarnant deux langues, elles-mêmes sujettes à variation, c'est-à-dire parlées selon diverses variantes dialectales, ce qui est le lot de toutes les langues d'autant plus lorsqu'elles n'ont pas connu d'académie normalisatrice ou d'opération d'uniformisation par l'enseignement ou la diffusion médiatique.

La langue est également un vecteur d'identité fort. Il n'est pas étonnant de voir tel ou tel groupe revendiquer sa différence sur des bases langagières même lorsque l'idiome qu'il parle relève sur le plan linguistique de la même langue que celle du voisin. Il en est ainsi du cas du Pays Valencien en Espagne, qui, parlant une variante de catalan, revendique une altérité linguistique porteuse d'une identité nettement différenciée de celle de la Catalogne voisine. Le nom de la langue est bien entendu un enjeu majeur. C'est pourquoi à propos du catalan avait été proposée la dénomination de langue bacava (premières syllabes de Baléares, Catalogne et [Pays] Valencien) pour désigner le catalan dans toute sa diversité dans une tentative d'apaiser les tensions et de créer un consensus, tentative qui n'a manifestement pas rencontré le succès escompté. Il n'est donc pas non plus surprenant de voir, en Creuse, s'élever une voix contre l'entreprise linguistique de caractériser le "marchois" comme de l'occitan, du limousin ou de l'auvergnat, ces deux derniers étant parts intégrantes de la langue occitane ou ensemble d'oc.

La Marche n'est pourtant pas clairement identifiée à la Creuse en ceci que ses limites ont largement varié dans le temps. La Haute-Vienne comprend en outre dans sa partie nord la Basse-Marche qui déborde sur la Creuse. Quant à la Haute-Marche, si elle couvre la majeure partie du département, elle ne comprend pas les Combrailles par exemple. Parler de "marchois" pour désigner l'ensemble des parlers de la Creuse est malgré tout toujours possible moyennant quelques libertés avec les données linguistiques. Cela dit, on peut toujours trouver des points communs lexicaux ou même phonétiques entre tous les parlers de la Creuse. On peut néanmoins qualifier une telle démarche de démarche "marchiste" en ce sens qu'il s'agit de se différencier des régions voisines, limousine et auvergnate, essentiellement à travers la langue.

Quant aux parlers du nord de la Creuse, ils ont longtemps été assez mal définis, souvent décrits comme ni d'oc ni d'oïl ou encore plutôt d'oc ou plutôt d'oïl. Au cours du XXe siècle, après une période d'hésitation, l'occitanisme d'après-guerre a eu tendance à considérer ces parlers comme appartenant au domaine d'oc, sur le plan morphologique en tous cas, malgré une phonétique plus proche du français. D'autres rattachent ces parlers au domaine d'oïl bien qu'admettant des traits évolutifs vers l'oc, d'autres enfin les décrivent comme absolument originaux éventuellement reliés à une médio-romanie recouvrant l'espace central de la France d'est en ouest dans une large bande, depuis le franco-provençal de la région de Lyon jusqu'au poitevin-saintongeais en passant par l'Allier, le nord de la Creuse et de la Haute-Vienne. On ne peut nier que ces parlers manifestent une certaine originalité et qu'il est parfois difficile de les rattacher absolument à un domaine plutôt qu'à l'autre, encore que sur les marges nord et sud, les traits se fassent plus distincts, car on assiste dans ces parlers à des changements rapides quand on les parcourt du nord au sud. Il est indéniable que le parler de Guéret et ses environs, sur la marge sud, se rattache clairement à de l'oc, même phonétiquement "francisé", alors que le parler de Fresselines[1], sur la marge nord, pourra se révéler parfois plus proche de l'oïl.

Caractériser les parlers de la Creuse n'est donc pas seulement une question purement linguistique. Cela a trait également à l'identité. Si on ne peut que difficilement assimiler les parlers de la moitié  sud de la Creuse, et même un peu plus, à autre chose qu'à de l'oc, assimiler les parlers du nord à de l'oïl relève, inconsciemment on non, d'un affirmation identitaire. En m'insérant dans le domaine d'oïl, je ne trahis pas la patrie en somme. Revendiquer un caractère d'oc ne serait-il pas cacher de mauvaises arrière-pensées sinon séparatistes au moins différentialistes. C'est ainsi que rattacher les parlers nord-creusois à l'oïl de cette manière se doit d'être motivé sur le plan linguistique, d'où la recherche de traits communs au mieux avec les parlers d'oïl limitrophes, ce qui en soi, n'est pas  absurde, mais au-delà jusqu'au parler de la capitale séculaire de la France. Ce n'est pas par hasard que les regards se tournent alors vers Paris, horizon mythique de la belle langue. On ne saurait se rattacher directement au français tout de même mais au moins au "patois" de sa région qui, comme chacun le sait, est, dans l'imaginaire national républicain, à travers l'invention du francien, l'ancêtre direct du français, mythe toutefois déconstruit[2] depuis mais persistant malgré tout.

En Creuse, d'ailleurs, on ne peut qu'avoir toujours parlé français d'où l'affirmation qu'au XIXe siècle, tout le monde était déjà bilingue (ce qui, peut-être, est vrai, en partie du moins, pour une part de la Creuse) alors que dans le Limousin voisin, et les régions plus au sud, on en était manifestement encore à l'unilinguisme patoisant[3]. Il est vrai qu'en Creuse, on a connu une émigration très forte, notamment à travers l'émigration saisonnière des maçons de la Creuse. Le français a donc pu être ramené au pays plus tôt qu'en d'autres pays de moindre tradition d'émigration. Mais comment le patois de Paris pourrait-il avoir influencé d'une manière quelconque les parlers marchois (?) sauf peut-être de manière extrêmement marginale, quand on sait que les idiomes gallo-romans, et plus largement romans, connaissent tous des phénomènes linguistiques analogues très largement renseignés et décrits sans qu'il y ait besoin de faire appel à des interactions mutuelles, sauf exception, pour les expliquer. Si les parlers de Charente au contact avec le poitevin,  tout comme les parlers du nord et la Marche, connaissent la palatalisation de la latérale /l/ en attaque complexe (voir ci-après), il n'est nul besoin de faire appel pour autant au poitevin pour expliquer le phénomène mais simplement de faire mention d'une évolution parallèle.

Quoi qu'il en soit, les idiomes de la Creuse ont par le passé fait l'objet de plusieurs enquêtes linguistiques donnant lieu à des typologies parfois en désaccord (consulter à ce propos Guylaine Brun Trigaud, Les enquêtes dialectologiques sur les parlers du Croissant : corpus et témoins[4]). Les linguistes romanistes[5] s'accordent néanmoins aujourd'hui à présenter les idiomes de la Creuse selon une bi- voire tripartition, à savoir :

– un ensemble de parlers présentant des traits linguistiques caractérisés d'oc au sud d'une ligne Guéret - la Souterraine, eux-mêmes partitionnés en parlers de type auvergnat à l'est et en parlers de type limousin à l'ouest,

– un ensemble de parlers plus ou moins mixtes oc-oïl, dits du "Croissant", au nord de la ligne Guéret-La Souterraine, qui débordent sur les départements limitrophes de l'Indre et de l'Allier.

Le terme "marchois", ou encore "marcho-bourbonnais"[6], est parfois utilisé pour désigner le second ensemble de parlers dits du "Croissant". Parfois, le terme "marchois" s'utilise aussi pour caractériser plus finement soit les parlers creusois de type (haut-)limousin, soit les parlers creusois de type (bas-)auvergnat. Compte-tenu de son ambiguïté, il serait préférable de parler de limousin de la Marche, d'auvergnat de la Marche et de parlers du Croissant. Néanmoins, on peut aussi vouloir étudier les parlers de la Marche comme un ensemble de parlers, marchois par définition, sujets à variation mais présentant des points communs entre eux bien qu'il soit difficile d'éviter la problématique des affinités avec le haut-limousin à l'ouest, le bas-auvergnat à l'est et les proches parlers d'oïl au nord. Le terme "marchois" est donc à manier avec précaution.

L'invention du terme Croissant est l'œuvre de Jules Ronjat[7], chercheur de l'école montpelliéraine, qui, en 1913, a été le premier à proposer ce nom pour désigner un ensemble de parlers relativement mal défini, bien que repéré[8], jusqu'à cette époque, s'étirant d'est en ouest du nord de Confolens en Charente jusqu'à Vichy dans l'Allier, et du nord au sud, du sud d'Argenton-sur-Creuse (36) jusqu'au sud de La Souterraine (23) au plus large de la zone. L'Atlas Linguistique de la France (ALF) au XIXe puis les atlas linguistiques régionaux produits au XXe siècle ont également permis de mettre en évidence cette aire linguistique du Croissant.

 

Les traits linguistiques permettant de partitionner les parlers de la Creuse se fondent essentiellement sur des critères d'ordre phonétique et phonologique. On peut tenir compte également de variables lexicales ou grammaticales pour ce faire mais la romanistique accorde la primautéà la variation phonétique en matière de typologie des idiomes. Un ensemble de traits prédéfinis sert ainsi afin de rattacher chaque parler gallo-roman à l'ensemble d'oc, à l'ensemble d'oïl ou le cas échéant ni à l'un ni à l'autre.

Afin de pouvoir comparer de manière fiable les idiomes entre eux, il est avant tout nécessaire de tenir compte de différents types de variations : variation géographique dite diatopique, variation temporelle dite diachronique, variation selon les couches sociales dite diastratique, variation selon le canal utilisé, oral ou écrit, dite diamésique et enfin variation situationnelle dite diaphasique.

Comparer sur le plan linguistique les parlers actuels de la Creuse avec le "patois de Paris" du XVIIe siècle s'avère un exercice périlleux voire impossible, d'autant plus qu'il existe une absence de consensus sur ce qu'on nomme parfois le fait "francien"[9], dont le "patois de Paris" ferait éventuellement partie, à savoir que certains décrivent le "francien" comme le dialecte duquel le français aurait émergé, d'autres comme une modalité dialectale d'oïl avec ses propres traits différents du français académique mais généralement décrite en creux par rapport aux dialectes voisins mieux définis. Il s'avère donc compliqué de caractériser le "patois de Paris" du XVIIe dans la mesure où il cumulerait des traits dialectaux particuliers d'oïl, sans que cela ne soit vraiment avéré, et d'autres traits sociolectaux (voir ci-après), et davantage encore, de le faire à partir de sources littéraires. Bien entendu, on pourrait aussi viser à distinguer le "patois de Paris", que parleraient les Parisiens stricto-sensu, du dialecte d'oïl de la région de Paris, que parleraient hypothétiquement encore les paysans au XVIIe siècle.

Ainsi, les quelques traits linguistiques qui ressortent chez les paysans du Dom Juan de Molière doivent-ils être manipulés avec précaution et ne peuvent que difficilement servir à caractériser de manière absolue, en termes de traits distinctifs, la part de variation dialectale diatopique du "patois de Paris" et de sa région. Ces traits peuvent également être le fait d'une variation diastratique, c'est-à-dire sociale, part intégrante du français parléà Paris, et d'une mise en scène tendant à faire passer les paysans pour ridicules au travers d'une variation diaphasique, ou situationnelle, manifestement décalée. Comme le note Annie Moulin[10] (référence fournie par l'article de J. - M. Monnet-Quelet). les paysans de Paris savaient très certainement s'adresser également aux notables dans une variante de français plus acceptable par ces derniers de la même manière que les maçons de la Creuse montant à Paris ont dû apprendre sans trop grande difficultéà maîtriser une modalité moyenne du français. Par conséquent, si Molière fait à dessein parler ses paysans plus ou moins dans leur "jargon", on pourrait très bien voir là le fruit d'une variation sociolectale un peu comme ferait un jeune de la "téci" en s'adressant à un élu en verlan, situation hypothétique et improbable. Dans ce cas, parler de "patois" en ce qui concerne une variation diastratique serait inadéquat, même si l'expression a été utilisée plus ou moins en ce sens par le passé, notamment dans des textes de l'époque classique, sans oublier que l'appellation "patois" est déjà en soi évitée par la plupart des linguistes compte-tenu de ses connotation péjoratives. On utilisera donc plutôt l'expression "dialecte d'oïl de la région parisienne" pour désigner la modalité dialectale de la région parisienne.

Néanmoins, J.-M. Monnet-Quelet, auteur de l'article paru dans le T. 57 de Mémoires de la Société des Sciences naturelles, archéologiques et historiques de la Creuse, parviendrait à distinguer des caractéristiques propres à la modalité dialectale d'oïl de Paris et sa région dans une entreprise "d'archéologie du parler central"[11]à travers les écrits de trois auteurs du XVIIe qu'il met en lien avec les parlers creusois actuels. Cela relève d'une gageure étant donné qu'il s'agit de comparer des parlers de deux époques différentes et éventuellement de nature différente en terme de variation (du côté de la Creuse variation diatopique, de l'autre variation diastratique, diaphasique et éventuellement diatopique). J.-M. Monnet-Quelet note malgré tout pas moins de vingt traits linguistiques, dans les œuvres qu'il liste, qui seraient propres au dialecte d'oïl de la région parisienne et se retrouveraient dans les parlers de la Creuse. Il s'agit donc de les examiner de plus près. Les descriptions linguistiques qui suivent s'appuient sur des ouvrages que chacun pourra consulter, dont vous trouverez la liste à la fin de cet article.

Afin de comparer ce qui est comparable, il est nécessaire de s'en tenir à comparer des formes strictement phonétiques en évitant bien entendu les données orthographiques qui n'ont guère de sens en la matière sauf à représenter le cas échéant l'oral. C'est pourquoi on notera entre crochets la notation phonétique en Alphabet Phonétique International (API) des mots cités, entres accolades, au besoin, une version phonétique plus ou moins à la française, et parfois une version orthographique lorsqu'elle est transparente du point de vue de la prononciation.

 

Traits linguistiques extraits de Les agréables conférences de deux paysans de Saint-Ouen et de Montmorency sur les affaires du temps (Anonyme, 1649).

Ouverture de e [e] en a [a] devant r [r].

Ce trait existe également dans de nombreux parlers limousins et auvergnats. [per] devient [par], [fer] devient [far], dans tout le sud-ouest de la Haute-Vienne, dans le parler de Châlus dit parler en "ê", et déborde largement sur les parlers en "ê" de Charente limousine et de Dordogne. On retrouve également ce trait aussi bien en poitevin-saintongeais (langue d'oïl) qu'en bas-auvergnat (dialecte d'oc). Il n'a donc rien de définitoire des parlers de la Creuse ou du dialecte d'oïl de la région parisienne.

Quant au prénom Pierre qui se dit Piare [pjare] / {piarê} en "marchois" (avec plutôt un "e" muet en finale pour les parlers du Croissant, ou à proximité, et en partie pour les parlers de type auvergnat), il se dit également ainsi en haut-limousin (avec comme diminutif Piarou, Piarissou), Peire [pejre] / {pêirè} étant le plus souvent resté seulement dans les noms de lieux. Le cas de Piare ne résulte en outre pas du même phénomène d'ouverture de e [e] en a [a] devant r [r] mais de la transformation diphtongale en tonique de [ej] / {êy} d'abord en [je] / {yê} puis en [ja] / {ya}, un peu comme dans [mjaw] / {miâu} miel (du latin mel-). Une partie du bas-auvergnat, dont les parlers de l'est de la Creuse, ont généralisé cette solution : [gyara] / {guiarra} fr. guerre, [tjara] / {tiarra}  fr. terre, viala [vjala] / {viala} fr. ville, village, alors que le limousin a [gero] / {guerro}, [tero] / {têrro}, [vilo].

 

Yod de e [e] dans eau

Le "vieux-français" (ou ancien français) n'entretient bien entendu aucun lien en exclusivité avec ce phénomène. Pour mémoire, la période du vieux-français s'étale jusqu'au XIVe siècle seulement, le vieux-français, n'existant par ailleurs qu'au travers de ses dialectes, le picard et le normand étant ses plus illustres représentants, n'ayant jamais résonné en Creuse. Le moyen français s'arrête quant à lui au tout début du XVIIe siècle. La majorité du XVIIe siècle, siècle de Molière, présente donc un français moderne.

Le yod [j] / {y} de e [e] dans eau [eo]/[eaw]> [jo]/[jaw] n'est en rien non plus un trait exclusivement définitoire du dialecte d'oïl de la région parisienne dans la mesure où ce trait se retrouve en poitevin-saintongeais par exemple ainsi qu'en limousin. Ce n'est ni plus ni moins qu'un trait commun au limousin, à l'auvergnat et aux parlers du Croissant, et même au gallo-roman de manière générale. La diphtongue [jaw] est réduite [jo] dans les parlers du Croissant rapprochant la phonétique un peu plus de l'oïl. En limousin, on rencontre [mjaw] / {miâu}< [meaw]< [meal]< du latin mel- (miel).

La solution -iau< -ell- latin s'est généralisée dans les parlers bas-auvergnats de l'ouest (donc de la Creuse) et une partie des parlers limousins (région d'Eymoutiers en Haute-Vienne et Creuse) alors que le suffixe latin -ell- a majoritairement donné [ew] / {èou} puis [œö] / {ëeu} dans le reste du haut-limousin par vocalisation de la consonne finale, sauf à diphtonguer au voisinage de certaines consonnes, les labiales [m], [f], [p], comme signalé précedemment.

 

Fermeture de o [o] en ou [u]

Il s'agit d'une fermeture généralisée en gallo-roman (et en gallo-italique : piémontais...) de o latin prétonique : dolōr- a donné le fr. douleur et l'oc. [dulu(r)] / {doulou(r)} ; on relèvera aussile fr. couleur, trouver pour l'oc. [kulu(r)] / {coulou(r)}, [truba] / {trouba}. Quant àcouté, il se retrouve ainsi en poitevin-saintongeais et en limousin sous la forme [ku:ta] / {coûta} (à noter que le languedocien a [kustat] / {coustat}). Il n'existe donc aucune spécificité dialectale parisienne ou marchoise là-dedans.

De plus les mots fournis par J.-M. Monnet-Quelet correspondent à des exemples hétérogènes où cohabitent des exemples dans lesquels o tonique latin est passéà [u] / {u} comme dans houmme (qui est en l'occurrence plus spécifique et diffère du haut-limousin [ome])ou boune (de la même manière que le limousin a [buno] / {bouno}) et un exemple dans lequel o latin prétonique a donné [u] / {ou} douna.

 

Chute des consonnes finales r et f

Ce trait est largement partagé, en ce qui concerne l'amuïssement de [r], dans l'ensemble d'oc quoique irrégulièrement réparti : [musy] / {moussu} au lieu de [musyr] / {moussur} (fr. monsieur), forme que l'on rencontre également, ou encore [bwejradu] {boueiradou} pour [bwejradur] / {boueiradour} (fr. instrument pour enlever la deuxième peau des châtaignes dans l'opération qui consiste à blanchir les châtaignes, instrument que l'on appelle aussi en Creuse "las tanalhas")...

Quant à la chute éventuelle de [f] en finale, il reste à démontrer que [f] ait existé préalablement en marchois. Or on a de la même manière en haut-limousin [masi:] / {massî} < [masiw] / {massïou} où la finale héritée du latin -f- s'est vélarisée en [w] avant de s'amuïr dans les parlers haut-limousins et concomitamment dans les parlers marchois d'où [masi:] / {massî} (fr. massif). On a encore [masiw] / {massïou} en périgourdin entre autres.

Quant à"aveu"pour avec en dialecte d'oïl de la région parisienne du XVIIe, c'est, semble-t-il, sans grand rapport avec le marchois. Dans la mesure où le français du sud-ouest dit avépour avec, faudrait-il aussi y voir une influence parisienne ?!

 

e muet et syncopes

Il s'agit en effet d'un trait commun avec l'oïl dans la mesure où les parlers occitans dont les parlers limousins font partie ne connaissent pas ce genre de réduction syllabique. Cela dit, le phénomène n'est pas commun à l'ensemble des parlers de la Creuse car seuls les parlers du Croissant et des abords connaissent l'amuissement de [e] / {ê} final et d'éventuelles syncopes syllabiques.

 

Palatalisation de pl

En attaque complexe, [l] est susceptible d'être palatalisé c'est-à-dire mouillé[12]. C'est le cas de [p]+[l] (mais aussi de [f]+[l], [b]+[l], et a fortiori en présence d'occlusives : [k]+[l] et [g]+[l]), ce qui constitue un trait que l'on peut qualifier de médio-roman dans la mesure où il se rencontre en bas-auvergnat et dans les parlers d'oïl de la France centrale (poitevin-saintongeais, berrichon, bourbonnais). Le trait ne remonte théoriquement pas jusqu'à Paris[13]. C'est un trait qui n'est pas spécifiquement gallo-roman puisque l'italien connait le même phénomène. Le limousin ne connait pas ce trait sauf au voisinage du poitevin-saintongeais à l'exception de [k]+[l] et [g]+[l] où la mouillure est d'usage en limousin (ex. [kλjaw] / {c(l)iâu} fr. clé; [eλeizo] / {ê(l)iêiso} fr. église).

 

-au [aw] à la place de -al

Il s'agit d'un trait largement partagé en occitan que l'on retrouve aussi bien en provençal qu'en  vivarais, alpin, bas-auvergnat, haut-limousin ou gascon. Ce sont essentiellement les parlers languedociens qui ne vocalisent pas -al. Mais, en interne, nombre de parlers languedociens ont pauma, faus. Il s'avère insensé en matière de dialectologie de prendre comme référence pour l'ensemble occitan les parlers les plus méridionaux (Carcassonne, Narbonne...) pour affirmer que l'occitan dans son ensemble, et notamment le limousin, dirait plutôt comme ci ou plutôt comme ça.

Ce serait comme de prendre la forme française cheval comme représentative de l'oïl dans son ensemble afin de la comparer aux formes marchoises alors que nombre de parlers d'oïl ont chevau au singulier.

 

oi réaliséouai/ouay (on suppose que cela correspond essentiellement à [we(j)] / {oué(y)})

Cette solution s'achemine en effet petit à petit vers celle de l'oïl, sans en découler pour autant.

 

 

Traits linguistiques extraits de Le Pédant joué(Cyrano de Bergerac, 1654).

Chute des consonnes finales

La chute des consonnes finales, d'origine latine pour la plupart, est un trait commun avec l'ensemble nord-occitan dont le limousin bien entendu. Les mots sa (fr. sac)et be (fr. bec), cités en exemple, se disent tels quels en limousin. Il n'est nul besoin d'aller chercher dans le dialecte d'oïl de la région parisienne pour en trouver l'origine puisqu'il s'agit d'un trait commun du nord-occitan avec l'oïl qui a rendu les consonnes finales latines caduques sauf à leur rajouter parfois un [e] dit de soutien ou encore "é" paragogique pour les mots plus récents et de compositions dite savantes comme l'illustre l'exemple fisique [fizike].

 

Chute de l [l]

Il n'existe aucun rapport entre l'exemple de Paris avec chute de l dans "pus" (fr. plus) comme en français parlé aujourd'hui et la forme "y" pour la première personne marchoise, provenant d'une réduction diphtongale depuis le latin ego (ego>[ew]>[jew]>[jiw]>[ji:]>[i:]). A ce moment là, "pus" (fr. plus) qui se dit tel quel en limousin serait lui aussi issu du dialecte d'oïl de la région parisienne (?).

Quant à la forme avri (fr. avril), il s'agit à nouveau pour le marchois d'une réduction de la diphtongue [iw] / {îou} provenant de la vélarisation du latin -il plutôt que de l'amuissement de [l] final. Le haut-limousin dit le plus souvent [abri:], le périgourdin dit encore [abriw].

 

Disparition de v initial

Ce trait est très fréquent en limousin notamment au sud de Limoges, notamment du côté du pays arédien (pays de Saint-Yrieix-la-Perche), où l'on dira (graphie classique) 'autres 'atz 'os permenar ? pour vautres vatz vos permenar ? o encore las fa'as 'erdas pour las favas verdas.

 

Pronoms personnels sujets

Ils sont également fréquents en haut-limousin, bien que non systématiques, beaucoup moins en bas-limousin.

 

Passé simple en -i

Il s'agit d'un trait commun avec certains parlers d'oïl, notamment poitevins mais on le retrouve aussi en occitan de Charente par exemple jusque dans le nord de la Dordogne. Il n'existe par contre aucun rapport avec l'exemple donné"je tonbime" (?) En haut-limousin les formes chantíet chantei (fr. je chantai) cohabitent selon les parlers.

 

eur devient eux ([œ] / {eu})

Ce trait possède un caractère d'oïl non par le fait de la chute de [r] final qui est, comme il a été dit auparavant, un phénomène fréquent dans les parlers occitans, mais par la réalisation [œ] / {eu} de la finale quand l'occitan, dont le limousin, a [ur] / {our} ou encore les suffixes [adu(r)] / {adou(r)} et [ajre] / {ayre}.

 

Traits linguistiques extraits de Dom Juan (Molière, 1667).

Consonnes euphoniques

Quoi de plus commun en occitan que ces consonnes qui permettent d'éviter les hyatus ?

Tel parler limousin dira Quò z-a mordut ? (graphie classique pour ce qui se prononce co z-o mourdu ? fr. ça a mordu ?). Plus encore, c'est l'auvergnat qui présente un maximum de consonnes euphoniques mais les parlers languedociens ne sont pas étrangers non plus au phénomène : Vau a z-Albi (en graphie classique de l'occitan)(fr. je vais à Albi). Il n'est donc nul besoin du dialecte d'oïl de la région parisienne pour expliquer ce phénomène très commun. Même le français standard n'y échappe pas : Que mange-t-il ? avec un [t] euphonique.

 

étou

La Charente occitane dit exactement de même [etu] / {étou}. On trouve la forme proche [mejtu] / {meitou} en haut-limousin du sud Haute-Vienne. itou relevé chez Molière n'est malgré tout pas exactement la même forme que celle du limousin ou du marchois. Pourquoi aller chercher dans le dialecte d'oïl du XVIIe de la région parisienne ce qui se dit, de nos jours encore, dans des parlers proches ?

 

Nasalisations

La nasalisation des voyelles [a] et [i] au voisinage de [n] avec adjonction d'un suffixe phonétique [ñ] / {gn} se produit dans certains parlers marchois du Croissant : angne [ãñ], vingne[14]. Si le même phénomène se présente dans des parlers berrichons et morvandiau, il n'entretient néanmoins aucun rapport avec le dialecte d'oïl de la région parisienne. Les exemples ne mettent aucun lien en évidence. Le limousin nasalise aussi lorsque la finale latine s'est maintenue (résultat de géminées par exemple) mais ajoute [m], et non [ñ], comme suffixe phonétique : (graphie classique) an m], antannm], lapin [lapĩm], dedins [dedĩm] mais aussi font [fũm]...

 

Vocabulaire

bailler, quérir, affûtiaux, assoté, bouter sont présentés comme archaïques. Certains se disent pourtant tels quels en limousin sans qu'il n'existe aucun lien avec le dialecte d'oïl de la région parisienne du XVIIe.

Ainsi le limousin présente-t-il à ce jour encore (graphie classique) balhar [baλa:], querir [keri:], botar [buta:] / {boutâ}. En outre le français connaissait le verbe bailler dans le sens de donner il n'y a pas si longtemps sous la plume même d'auteurs comme Camus (cf. TLFi[15]). Le verbe [duna:] / {dounâ} (fr. donner) existe également depuis les troubadours en occitan, serait-il pour autant archaïque lui-aussi ?

 

Passage de -ienà-ian

Ce trait existe également en Corrèze du côté de Tulle où l'on dit bian.

 

"Déformations"

purésie pour pleurésie n'est pas une déformation mais une simplification. Le limousin dit [pyra:] / {purâ} pour le fr. pleurer, le languedocien dit [plura] / {plourâ}. Tous les parlers limousins disent pus (fr. plus)et non plus. Le français académique ne peut quoi qu'il en soit pas servir de référence pour expliquer les changements phonétiques qui ont cours en marchois. La seule méthode fiable pour expliquer les phénomènes linguistiques dans un idiome donné est de raisonner en diachronie soit depuis le latin, ou d'une autre langue substrat, soit depuis un état ancien de l'idiome, et en synchronie en explorant ce qui se produit dans les parlers voisins.

 

Passage àeu

Le passage de nous àne en marchois n'a à l'évidence aucun rapport avec le passage de avec àaveu en dialecte d'oïl de la région parisienne du XVIIe.

 

Mouillement (on parle plus souvent de mouillure ou de palatalisation) de l, n, d, t, k, g

La palatalisation est un phénomène fréquent dans de nombreuses langues. yèbre se retrouve en auvergnat, dié(chiffre 10) se dit tel quel en limousin, la mouillure dans onye (fr. ongle)est commune avec le limousin (voir supra [g]+[l]).

Les spécificités relevées par J.-M. Monnet-Quelet, quand elles sont pertinentes, ne s'avèrent en définitive en rien spécifiques ni au "marchois" ni au "patois de Paris". L'entreprise de comparaison ne pouvait qu'être vouée à l'échec faute de données suffisantes sur la variation diatopique en dialecte d'oïl de la région parisienne. La tentative d'archéologie linguistique de J.-M. Monnet-Quelet s'appuie sur des œuvres littéraires pour essayer d'extraire des traits distinctifs ce qui est en soi un problème méthodologique dans la mesure où une œuvre littéraire en français moderne du XVIIe comportant de rares traces de variation ne peut prétendre servir à une description linguistique pour un dialecte régional qui était sans doute déjà au XVIIe siècle en voie d'extinction. Le français parléà Paris est de plus à cette époque en pleine mutation vers une "créolisation" mêlant des survivances du dialecte d'oïl environnant, l'argot des classes populaires et des éléments des idiomes des nouveaux arrivants produisant ainsi un sociolecte particulièrement intéressant d'un point de vue linguistique.

Pour illustrer cette analyse, vous trouverez ci-après trois textes en "limousin" : le premier en marchois stricto-sensu, c'est-à-dire dans le parler de la Celle Dunoise (histoire recueillie par Jean-François Vignaud[16]), près de Dun-le-Palestel (23), un parler au beau milieu du Croissant donc ; le second dans un parler des environs de Bourganeuf (23), dans la graphie de l'auteur[17]; le troisième dans le parler des environs de Limoges (87), un texte de la plume du fameux Panazô extrait de Lu bouéradour din lu toupi numéro 2[18].

 

Le roussignô– Histoire de la Celle-Dunoise (parler du Croissant)

Au moué de mé quan le roussignô chant', la végétacion pouss' bioco. É, une neu, le roussignô dormav' sur une vigne bâtarde. Ma la vigne pousséé s'anroulé otour d' sa pat'é, le mati, o èr atacha é o adjé biein do mô par se sôva. Alor, qu'é dépeu quô tam tchi que le roussignô o chant' toute la neu é o di a la vigne : "pouss', pouss', pouss', tan qu'te pouss'ra, i durmiré pa !

 

Las soquas et le trin – Colette Vialle-Mariotat (parler de Bourganeuf)

La Rosalie, pas mouyen dé l’arrêta…la ne pouyo pas esta en plaço , un vrai cifer !…La traçâvo !…Sas socquas counnaichant toutas las charriras, toutas las routas, toutas las traversas, tous lous échallis !…Fendudas, arcéladas, farradas, défarradas, l’ayant marcha per tous lous timps, per toutas la sasous…l’ayant suqua toutas la perras daus chamis, l’ayant drailla toutas la tauillas et boula din tous lous gourgeaos !…

Lé moundé digean qué la Rosalie, aqué sas soquas, courio pus vité qué lé trin ! E vau vous expliqua parqué …Un jour dé féro à Bourgougnaud, la s’aro levado bien d’abouro per sé rindre à la garo de Saint Diji, mas, aqué sa pindulo qui prègno toujours dau retard, quand l’arrivait à la gare, lé trin vègno dè partir ! !…

L’ayo rata lé trin…què fas ? Qua fûtait vité décida :

« Auro què sé lançado, é chabaraï bé dè l’y na à pied ! »

Diès kilomètrès né lé fageant pas paû.

La véqui qué prè lous rails en pointo, las cabochas dé sas soquas farradas n’en pétavant lè fé ! Arrivado sur lè pount dau Mountarichard, la prêtait l’aureillo :

« Mas, è l’intindé, qué sé qué tûto, qua lè forço, o buffo mè qué mè, per mounta la côto…Padint n’en far dau cas, dè lur chami dè fer, o nè vaï pas tant vité, è vésè la fumado, lè rattrapparaï bé ! ! ! »

La ne crègeo pas si bien dirè, l’ayo bounno piéto, la marchait bè tant, què la rattrappait lé trin…à Basmoré ! ! !

 

Lo luno din l'étang – Panazô (parler limougeaud)

Erio dinguerra tout grapaud. Navo in cliasso et autreis mé creuré si autreis voulez erio bassei couquinard et io vio toutas las maliças dau diablé cougnadas din lu ventre.

L'histoiro qué vau vous counta sé passavo pendint las grandas vacanças. Io damouravo à Saint-Sinomoréjo din lu pais inté las graulas remplacint lous fatours et inté lous passeraux crevint de fam in pleino médasou.

Pendint quellas vacanças gardavo las vachas, coussavo lous nids, obé pêchavo las gueraudas, mas fojio putôt mai dau mau qué né rendio servicé.

A Saint-Sinomoréjo, li sé troubo n'étang qué s'appello l'étang d'Aigoproundo. Et lous seis dau mei d'aut quand lo luno raillavo, lo sé miravo din l'aigo. Auria gu dit in galetou d'or qu'un aurio fa bagna din no pechorio dé pailletas d'argin. Qu'erio trop brave lous amis !

...

 

Références

Jean-Pierre Baldit, Les parlers creusois. FOL Creuse / IEO Marche – Combraille, 1980.

Jean Pierre Baldit : nombreux articles concernant les parlers occitans creusois parus dans des revues régionales : La Clau Lemosina (n° 121, 1998 : A propos du dialecte marchois ; n°123, 1998 : La perception du dialecte marchois dans la Creuse ; n°129, 1999 : L’enquête de « l’enfant prodigue » 1806-1809), Lemouzi (n°119 : Quelques aperçus sur la langue d’oc en Creuse ), A tout bout d’champ (n°6, 1991 : dossier « chabatz d’entrar »)…

Pierre Bec, La langue occitane. Paris : Presses Universitaires de France, 1973.

Guylaine Brun-Trigaud, Le croissant : le concept et le mot. Université Lyon III-Jean Moulin / Centre d’Etudes Linguistiques Jacques Goudet, Lyon, 1990.

Guylaine Brun-Trigaud, Le parler de Lourdoueix-Saint-Michel (Indre). Mémoires de la Société des Sciences Naturelles et Archéologiques de la Creuse, supplément, 1993.

Jacques Chauvin, Petite grammaire des parlers occitans du sud de la Creuse. France.Édition : Guéret : Fédération des œuvres laïques de la Creuse, 1980.

Peir Desrozier et Joan Ros, L’ortografia occitana, lo lemosin. Montpelhièr : Centre d’Estudis Occitans, 1974.

Robert Lafont, Éléments de phonétique de l’occitan. Valence d’Albigeois : Vent Terral, 1983.

Yves Lavalade, Le limousin dialecte occitan. Limoges : La Clau lemosina, 1991.

Yves Lavalade, Dictionnaire occitan/français, Limousin-Marche-Périgord, étymologies occitanes. Saint-Paul : Lucien Souny, 1999.

Gilbert Pasty, Glossaire des dialectes marchois et haut limousin de la Creuse. Châteauneuf-sur-Loire : l'auteur, 1999.

Nicolas Quint, Grammaire du parler occitan nord-limousin marchois de Gartempe et de Saint-Sylvain-Montaigut (Creuse), La Clau Lemosina, Limoges, 1996.

Nicolas Quint, Le Parler marchois de Saint-Priest-la-Feuille (Creuse) : brève étude du parler nord-limousin de Saint-Priest-la-Feuille. Limoges : La Clau lemosina, 1991.

Antoine Thomas, Rapport sur une mission philologique dans le département de la Creuse. Archives des missions scientifiques et littéraires, 3ème série, tome V, 1879.

Charles De Tourtoulon et Octavien Bringuier, Limite géographique de la langue d'oc et de la langue d'oil. Paris, Imprimerie nationale, 1876, 63 p.

Charles De Tourtoulon et Octavien Bringuier, Etude sur la limite géographique de la langue d’oc et de la langue d’oïl. reprint IEO Lemosin / Lo chamin de Sent Jaume, Masseret-Meuzac, 2004.

François Vincent, Etude sur le patois de la Creuse. Mémoires de la Société des Sciences Naturelles et Archéologiques de la Creuse, tome V, 1885.



[1]    A ce propos, on pourra consulter en ligne le lexique patois (creusois de Fresselines) - françaisétabli par Mauice Roy, disponible à cette adresse :

http://membres.multimania.fr/fresselineshier/Patois/patois.pdf

[2] Cf. Bernard Cerquiglini, Sur l'origine de la langue Française : le prince ou le poète ? Compte-rendu de la conférence donnéà l'université d'Osaka le 25 octobre 1998. Disponible en ligne à l'adresse suivante : http://www.lang.osaka-u.ac.jp/~benoit/fle/conferences/cerquiglini2.html

[3] Mes grands-parents de Haute-Vienne et mes beaux-parents de Charente limousine n'ont-ils d'ailleurs pas appris le français seulement en entrant à l'école (?), preuve que leurs propres parents, sinon qu'ils savaient sans doute parler français, n'entretenaient manifestement pas avec le français d'affinités particulières. Et quid de leurs parents ?

[4] Guylaine BrunTrigaud, Les enquêtes dialectologiques sur les parlers du Croissant : corpus et témoins. In: Langue française. Vol. 93 N°1. Enquête, corpus et témoin. pp. 23-52. disponible en ligne.

[5] Cette analyse est celle présentée dans les travaux de Yves Lavalade, Pierre Bonnaud, Joan Ros et Peir Desroziers, Jean-Pierre Baldit, Jacques Chauvin, Gilbert Pasty et Nicolas Quint.

[6]  Jean-Pierre Baldit, Occitanie, Un país que vòl viure, Marabout, 1978, pp. 28-29.

[7]  Guylaine Brun Trigaud , Les enquêtes dialectologiques sur les parlers du Croissant : corpus et témoins. In: Langue française. Vol. 93 N°1. Enquête, corpus et témoin. p. 3.

[8]              Cf. Charles De Tourtoulon et Octavien Bringuier, Limite géographique de la langue d'oc et de la langue d'oil, Paris, Imprimerie nationale (réimprimé en 2004 par Masseret-Meuzac, IEO), 1876, 63 p.

[9]    On pourra consulter à ce propos l'article intituléL'invention du francien, une contribution de la linguistique historique à la mythologie nationale, disponible en ligne sur le blog Mescladis e còps de gulaà l'adresse suivante : http://taban.canalblog.com/archives/2008/08/09/10184389.html

[10]  Annie Moulin, Les maçons de la Creuse. Les origines du mouvement, Clermont-Ferrand, Institut d'études du Massif Central, 1994, p. 223 [1reédition, 1986 sous le titre Les maçons de la Haute-Marche au XVIIIe siècle].

[11]  Anthony Lodge, « Vers une histoire du dialecte urbain de Paris », Revue de linguistique romane, 62, 1998, p. 95-128.

[12]  Cf. Daniela Müller, Developments of the lateral in occitan dialects and their romance and cross-linguistic context. Université de Toulouse 2 Le Mirail, thèse soutenue le 1er décembre 2011. p. 101. Thèse accessible en ligne à l'adresse suivante : http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/67/45/30/PDF/Mueller_Daniela.pdf

[13] Cf. Otto Jänicke, Studien zur Palatalisierung des Nexus Kons. + [l] in der Galloromania, Kovač, 1997. "La situation des XVIe et XVIIe siècles du dialecte français parlé en Ile-de-France, sous l'influence directe de Paris et de la cour du Roi, était plutôt étrange : alors que cette variété de français n'a jamais connu de palatalisation de /l/, l'imitation de l'accent italien alors en vogue a néanmoins conduit en français à l'apparition de quelques groupes palatalisés. Ainsi, en 1578, le grammairien contemporain Henry Estienne relève-t-il des mots comme "plomb, pluie, plaisir" prononcés /pj/ à l'initiale."

[14]  Jean-François Vignaud, Michel Manville, Langue& mémoire du pays de Guéret, Éd. Conseil Général de la Creuse, 2007.

[15]  Trésor de la langue français informatisé accessible en ligne

[16]  L'histoire a étééditée en graphie classique dans : Jean-François Vignaud, Michel Manville, Langue& mémoire du pays de Guéret, Éd. Conseil Général de la Creuse, 2007.

[17]  Le texte a étéédité en graphie classique : Colette Vialle-Mariotat, Contes de l'échalier : Histoires de Teillet et d'ailleurs / Contes de l'eschalier : Istoiras de Telhet e d'alhors (livre et CD bilingues français-occitan), Institut d'estudis occitans dau Lemosin, 2010.

[18]  Panazô, Lu bouéradour din lu toupi, numéro 2, publication trimestrielle, n.d. (décembre 1956 ?).

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Paysan des environs de Paris, 1677

 

La France des langues dans le Grand Atlas Larousse. Ont es passat l'occitan ?

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Nous ouvrons ici une nouvelle section du blog, qui pourrait s’intituler « Existissem pas », consacrée à la non existence de l’occitan, ou quel que soit le nom qu’on lui donne, car ici, on ne prend même pas en compte les querelles (essentielles pourtant) de dénomination.

Je possède, comme beaucoup de francophones, je crois, le Grand Atlas Larousse, édition 2002. C’est la reprise (mise à jour ?) d’une édition précédente de 1998, elle-même traduite et adaptée de l’américain chez Hammond Incorporated, parue la même année. L’adaptation française a bénéficié de l’apport d’un géographe français, René Oizon, qui signe une introduction. Figurent également les noms de François Demay (direction éditoriale), François Trémolières (responsable éditorial) et de Nadine Martrès (cartographe).

Il contient une carte des langues du monde et une autre des langues d'Europe (p. 23), proprement calamiteuses (inutile de détailler, cela serait trop fastidieux). Sur la seconde, entre autres choses, le français apparaît comme la seule langue existante dans les territoires du sud de la France (hormis le catalan et le basque présentés graphiquement comme des débordements de la péninsule ibérique) et d’ailleurs aussi dans ceux du nord de la France (à l’exception de la pointe bretonne; autrement dit aucun dialecte d'oïl n'est mentionné, ni l'alsacien, ni le flamand de France, etc.). Les autres pays européens ne sont pas mieux traités, l'Italie par exemple, où l'on parle visiblement uniquement l'italien dans toute la péninsule et même en Sicile, à l'exception de la partie la plus septentrionale déclarée rhéto-romane.

Un arbre des langues indo-européennes est également présenté (p. 22, on ne le reproduit pas ici), où se trouve, sur la branche « latin italique- bas latin », juste après le rameau catalan, au même niveau que celui du castillan et avant donc le français, un rameau « provençal », lequel n'est pas considéré comme une langues morte (soulignées en marron). Mais ce « provençal », qui correspond sans doute à la vieille dénomination de la littérature romane et est donc mis à la place d'occitan, n’existe pas sur la carte.

J’ai montré cette carte autour de moi. Une voisine m’a expliqué, voyant que figuraient le breton, le basque, le catalan et le corse : « Pardi, ils n’ont pas mis les patois ! ». Il y a une raison à tout...

 

Jean-Pierre Cavaillé

PS) Sur cette question de l'occitan comme "non langue", langue fantôme, "masque de fer", etc, voir ici, entre autres, le compte rendu du n° de Langues et Cité de 2007 consacréà l'occitan.

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Quel occitan pour demain ?

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Je suis très heureux d’enrichir ce blog par la contribution que vient de me confier Éric Fraj, chanteur, musicien, enseignant d’occitan et de philosophie. Il est sans conteste une figure importante de la création occitane d’expression languedocienne, mais il chante aussi en catalan et en castillan. Son intervention nous permet de poursuivre et peut-être de recentrer nos discussions sur la question fondamentale de la relation entre la langue enseignée et promue par les milieux occitanistes (auquel Fraj appartient) et la langue parlée par les locuteurs dits « naturels ». Je parle de recentrage, parce que ce texte fait bien apparaître que la question graphique n’est certes pas la seule, et surtout n’est peut-être pas essentielle, ou en tout cas n’a de véritable intérêt que par rapport à la langue parlée, qui doit demeurer notre souci majeur. Il rejoint ainsi une problématique souvent traitée ici, par exemple, en occitan, par un nommé Joan del Causse : Lenga de la bòria / lenga referenciala). C'est aussi ce genre de question que j'ai tenté de poser au sujet de la langue enseignée à Calandreta, sans parvenir d'ailleurs à engager la discussion avec les intéressés (voir en particulier Lo bilanç linguistic de Calandreta). Fraj a écrit son article en français, pour que les gens intéressés par la langue, mais qui ne la maîtrisent pas encore, puissent le lire. Il travaille à une version en occitan, que je me ferai aussi un plaisir de publier. L’article étant un peu long, le lecteur trouvera ici même une version pdf de l’article qu’il pourra télécharger à loisir.

J.P. Cavaillé

 

Catarineta

télécharger le texte en format .rtf :

FrajCopie_de_Quel_occitan_pour_demain

 

Quel occitan pour demain ?

 

    S’il est vrai que l’occitanisme doit viser, non pas simplement la survie (plus ou moins symbolique), mais la vie effective de l’occitan, la resocialisation rapide et massive de cette langue est alors une nécessité absolue. Tout occitaniste se donnant un tel but, et un tant soit peu conséquent, ne peut qu’en être conscient, convaincu, et y travailler au mieux de ses capacités et possibilités. Cela étant, au vu de l’évolution de notre société et, surtout, du contexte actuel de l’occitanisme (« des occitanismes », devrions-nous dire pour être davantage en adéquation avec la réalité), on est en droit – et l’on a le devoir historique – de (se) poser la question : de quel occitan voulons-nous la resocialisation ? Quel occitan voulons-nous pour demain ?

    En effet, certaines pratiques linguistiques, à l’œuvre – consciemment ou pas – depuis quelques années déjà, ne laissent pas de sembler très alarmantes quant à la qualitéde la langue enseignée aux nouvelles générations (donc parlée et éventuellement transmise par elles), mais aussi quant àl’idéologieimplicite qui trop souvent préside à notre insu à l’apprentissage et à la remise en circulation sociale de la langue (par l’école, les centres de formation, les événements culturels, les médias occitanistes, etc.). Mon dessein n’est pas ici de faire le procès de tel ou telle, ou de jeter des anathèmes, mais d’expliciter et faire partager une prise de conscience : celle d’un danger qui, à l’heure où les derniers locuteurs « naturels » s’effacent ou vont s’effacer, peut s’avérer mortel pour la pratique de la Langue d’Oc mais aussi pour l’avenir du vivre-ensemble que cette pratique engendre ou, en tout cas, devrait engendrer. Ce péril n’existe que parce que nos bonnes intentions et actions ne sont que trop rarement accompagnées du recul et de la pensée nécessaires à une pratique éclairée, pris que nous sommes par les multiples urgences qui nous assaillent et par de fausses évidences. Il n’en est que plus impératif qu’une réflexion commune et bienveillante s’instaure sans attendre sur la nature de la langue que nous voulons promouvoir dans et par nos discours, quelque forme qu’ils prennent. Puissent les quelques remarques qui suivent contribuer à cette réflexion et au débat élargi et décisif que nous appelons de nos vœux :  

 

I. la qualité de la langue

    Ce qui saute d’abord à l’oreille de celles et ceux qui ont eu la chance d’entendre des locuteurs « naturels » dès l’enfance, c’est la perte d’une phonologie et d’une phonétique authentiquement occitanes. « L’occitan, c’est du catalan prononcé avec l’accent français », me disait il y a peu un étudiant aragonais qui venait de participer à un colloque occitaniste[1] ; on aurait tort de n’y voir qu’une boutade : c’est une vérité constatative[2]. Combien de nouveaux locuteurs du languedocien entendons-nous (souvent passés par une Calandreta et les cours du secondaire) qui le prononcent à la française, de l’ouverture des voyelles au déplacement d’accent tonique en passant par la non-assimilation entre deux consonnes à une frontière de mots ou la non-élision des polysyllabes déterminant un nom[3], pour se cantonner à des exemples flagrants. En l’occurrence, ces néo-locuteurs prononcent comme c’est écrit, ce qui signale alors une pédagogie inadaptée car trop basée sur l’écrit[4] et/ou un oral professoral lui-même déjà inauthentique. Quoi qu’il en soit, il est vrai que l’on pourrait appréhender cette inauthenticité comme un phénomène irréversible, un verdict de l’histoire, auquel il conviendrait – par réalisme – de se résigner. Mais le problème est que la perte de substance ne s’arrête pas là : trop souvent on impose aux apprenants des formes (lexicales, verbales, syntaxiques, etc.) totalement étrangères à leur environnement local et/ou régional[5], quand ce ne sont pas des syntaxes typiquement françaises (notre presse, hélas, en offre régulièrement de beaux spécimens) ou des néologismes tombés d’on ne sait quel ciel linguistique : ainsi m’a-t-il été permis de découvrir un incroyable « alesedor », censé désigner, dans au moins une de nos Calandretas, ce que les gens du cru nomment simplement et tout à fait légitimement « cort de recreacion » ou « pati ». Mais encore faut-il, ce qui est loin d’être toujours le cas, s’intéresser à ce que disent les gens du cru…

    Pour qui n’est pas sourd, le constat est plus que préoccupant. Mes pérégrinations de chanteur et de professeur de langue d’Oc m’ont mené en maints lieux d’enseignement de notre langue : j’ai souvent pu y constater que je ne comprenais rien, ou peu, aux questions de certains élèves tellement la prononciation en était défaillante ; que l’enseignant ne reprenait pas les erreurs pour les rectifier ; que le professeur lui-même – pourtant titulaire d’un C.A.P.E.S. d’occitan – ne maîtrisait pas vraiment la langue, au point de faire des fautes d’accord grossières, basiques, au point de se tromper dans la différence d’emploi entre le passé-composé et le passé simple, au point de ne pas savoir, parfois, utiliser correctement le mode subjonctif (y compris dans une phrase au présent). On le voit, ce constat – que je ne suis pas le seul à faire, loin de là– n’est pas reluisant et ne porte guère à l’optimisme. Or une telle constatation, qui vise à ce que nous nous interrogions vraiment sur nos méthodes et nos contenus d’enseignement et de transmission, je n’ai jamais eu à la faire à propos des locuteurs (maîtres et élèves) des deux Bressoles[6] qu’il m’a été donné de connaître depuis que je suis occitaniste[7]. Certes, ce n’est peut-être pas strictement le catalan roussillonnais qui y est toujours enseigné[8] mais, en tout cas, la maîtrise de la langue y est éclatante chez un corps professoral qui se montre d’une grande exigence quant à la qualité et à l’authenticité de la langue transmise. Cette double exigence doit être absolument la nôtre :

-         si nous ne voulons pas enseigner une langue « de farlabica », une langue qui n’existe pas ;

-         si nous voulons par conséquent créer ou maintenir un lien de compréhension linguistique et de reconnaissance mutuelle entre les néo-locuteurs et les locuteurs « héritiers » présents dans leur environnement habituel.

    A l’affirmation d’une telle exigence, je sais ce que d’aucuns vont rétorquer : peu importe la forme de la langue enseignée, ce qui compte c’est que les apprenants soient initiés à une culture par le biais de l’apprentissage de la langue[9]. Certes, aucune langue n’existe en dehors d’une culture et apprendre une langue c’est apprendre une culture, l’une n’allant pas sans l’autre[10]. Mais comment ne pas voir que la resocialisation de l’occitan ne peut passer, pour être effective, que par un apprentissage d’une langue-culture qui ne soit pas « hors-sol » mais, bien au contraire, tienne compte au maximum de l’ancrage de l’apprenant dans un contexte toujours spécifique? L’on ne sauvera la langue d’Oc que si l’on sait (re)tisser ce lien de compréhension linguistique et de reconnaissance mutuelle entre locuteurs « anciens » et « nouveaux », qui est aussi un lien entre générations. Concrètement : quel bénéfice de récupération sociale peut-on espérer tirer du fait d’enseigner une langue artificielle en vase clos ? Et qu’est-ce qui est finalement visé : l’instauration d’un idiome propre à quelques happy few (fussent-ils quelques milliers), l’établissement arbitraire d’une novlangue de l’entre-soi occitaniste, ou la revivification d’une langue historique et populaire, mal en point certes, mais encore réellement existante ? D’autre part, s’il est vrai que ce qui compte c’est l’initiation à la culture quelle que soit la forme de la langue enseignée (et enseignante), alors pourquoi ne pas pousser cette logique – absurde – jusqu’au bout et enseigner en/le gascon en pays limousin, en/le languedocien en Provence et en/le provençal en Gascogne ?

    Une des façons de noyer le poisson, de ne pas réfléchir ni répondre à ces questions, sera de les déclarer excessives, donc inexistantes. Pourtant, l’expérience (la mienne mais aussi celle de l’occitanisme) prouve – hélas – que l’excès n’est pas de mon fait : de plus illustres que moi ont déjà mis en évidence que la distance existant[11], au sein d’une même langue supposée, entre un système linguistique A et un système linguistique B, pouvait être telle que l’intercompréhension ne soit plus assurée. Ainsi en est-il de Robert Lafont quand il compare et oppose une phrase d’occitan populaire et authentique (« l’ibronha envoièt un còp de solièr al rainal ») à une phrase typique de l’hyper-correctisme caractéristique de certains occitanistes (« l’embriac mandèt un còp de sabaton a la volp »)[12]. Or cette distanceexcessive – produite par le trop grand éloignement de deux niveaux de langue entre eux ou par une trop grande différence syntaxique ou phonético-phonologique – si elle est mortelle pour l’intercompréhension, l’est par conséquent aussi pour le sentiment de reconnaissance mutuelle susceptible de s’installer entre le néo-locuteur et le locuteur héritier. Voici, par exemple, ce qu’un enseignement basé sur une telle distance peut concrètement donner : un lycéen, faisant part à son grand-père de ce qu’il a appris en occitan au collège, lui répète[13]: « Ai sempre fam». Qu’arrive-t-il si la langue en usage dans sa région dit plutôt et uniquement : « Èi totjorn talent » ? La réaction du grand-père ne se fait pas attendre : « Ce que tu dis toi, c’est de l’occitan, ici on parle le patois, ce n’est pas pareil… ». Le grand-père ne se reconnaît pas dans ce que parle son petit-fils, lequel en vient à penser que le patois familial n’est pas le « vrai » occitan ou du « bon » occitan, que c’est donc effectivement un « patois », un dérivé, une sous-langue, et qu’il y a bien une différence d’essence entre ce parler local et la langue enseignée à l’école. L’on comprend alors les ravages considérables, au plan des représentations et des pratiques sociales, liés à une telle « pédagogie ». Certains trouveront bien sûr que cet exemple est trop « taillé sur mesure », trop caricatural, ou qu’il ne renvoie qu’à de rares exceptions[14]. Croire cela serait se rassurer facilement et ne pas vouloir voir que ce genre d’enseignement est fréquent et totalement contre-productif : il ne fait que reconduire, dans l’esprit des gens, en toute inconscience et bonne foi, la vieille opposition entre « patois » et « occitan ». L’ironie de l’histoire c’est que l’occitanisme, et à juste titre, s’est échiné pendant des années – et s’échine souvent encore – à expliquer que le patois et l’occitan c’est pareil, c’est la même langue… Mais pourquoi la partie encore occitanophone du peuple le croirait-elle puisque, par ailleurs (à cause de la distance linguistique, et parfois culturelle, manifestée dans nombre de ses discours), ce même occitanisme lui démontre trop souvent, en pratique et en situation, le contraire ?

    Je le dis en pesant mes mots : les pratiques linguistiques de certains d’entre nous, certes pleins de bonnes intentions mais insuffisamment réfléchis, sont un frein à la (re)socialisation de la langue et même un repoussoir pour nombre de locuteurs potentiels qui seraient prêts à renouer avec elle. Si l’on n’y prend garde, ces pratiques véritablement anti-pédagogiques vont finir par inventer une vraie différence entre patois et occitan, dans la pratique comme dans les représentations mentales et sociales : en gros, à une certaine élite urbanisée : l’occitan ; à ce qu’il reste du peuple des faubourgs ou de la campagne : le patois. Bien sûr, cet apartheid linguistico-culturel sournois n’est ni généralisé ni irréversible[15], mais il est indéniablement en route. Aussi qu’il me soit permis d’être solennel : c’est maintenant, c’est-à-dire dans les quelques années qui viennent, à l’heure où vont s’éteindre les derniers locuteurs « naturels », à l’heure où beaucoup d’entre nous – ressentant le besoin d’une nouvelle étape dans la formalisation de la langue[16] - se  regroupent en Congrès de la Langue ou en Académie Occitane, à l’heure où l’on reparle du vote d’une loi décente pour les langues de France, c’est maintenant, donc, que tout se joue…

    Qu’on ne s’y trompe pas : ma prise de position se veut avant tout pédagogique. Y voir une charge anti-intellectualiste, ou un prurit populiste passager, serait non seulement une méprise quant à mes intentions et motivations mais aussi une façon d’ignorer à bon compte le problème exposé et, malheureusement, une façon de le pérenniser. Il n’est pas dans mon propos de nier ici le phénomène des niveaux de langue, pratiqué– si ce n’est consciemment reconnu – par tout un chacun[17] ; de même, il ne s’agit pas non plus de dénier à quiconque, notamment à l’artiste, le droit de parler et d’écrire comme il l’entend (y compris le droit de le faire mal, d’être abscons, incompris, pédant, ridicule, etc.). Loin de moi également l’illusion de prêcher l’enseignement d’un quelconque parler « rural » ; ne rêvons pas : les nouveaux locuteurs de l’occitan ne parleront jamais comme nos ancêtres paysans[18]. Il est simplement (si l’on peut dire…) question, tout d’abord, de logique et d’efficacité : vouloir (re)socialiser l’occitan en enseignant une langue « hors sol », coupée du vivier linguistique territorial (lequel n’est pas encore asséché, quoi qu’on en dise), est aussi vain et contreproductif que de vouloir apprendre à nager hors de l’eau, sans compter que c’est régresser en deçà des acquis pédagogiques d’un Antonin Perbosc ou d’un Célestin Freinet, lesquels ont su montrer toute l’importance et la pertinence de l’ouverture de l’école sur le milieu immédiat de l’élève. Or, outre le fait que quand le milieu culturel – donc affectif – de l’élève reste à la porte l’académisme et la haine de soi ne sont jamais loin, l’occitanisme peut-il se permettre, dans l’état actuel des choses, d’enseigner et/ou pratiquer en vase clos une langue sans assise dans le territoire réel concerné, c’est-à-dire sans accroche (linguistique, culturelle, historique, imaginaire, affective…) « dans la tête » de celles et ceux qui y vivent[19] ?

    Mais il est aussi question, et cela a également une portée pédagogique, de fidélitéet d’attachementà une histoire, à un peuple et un pays. L’inauthenticité que je dénonce fait fi (or l’occitanisme peut-il raisonnablement en faire fi ?), non seulement du legs de l’histoire, mais aussi de la langue encore parlée ici et là, c’est-à-dire tient dans le plus haut mépris – inaperçu, mais cela ne change rien à l’affaire – la réalité diachronique et synchronique qui est la nôtre. Combien d’occitanistes toulousains, dans la ville même de Goudouli, utilisent systématiquement l’article historique « le » (qui n’est pas un francisme), ou « dinquias » ou « lièit » ou « seré » ? On peut les compter, en étant optimiste, sur les doigts d’une main. L’immense majorité dit « lo », « duscas » (quand ce n’est pas, et de plus en plus, « fins »), « lièch » et « serai »[20]. Si l’on veut entendre l’occitan mondin, il faut aller écouter, dans les faubourgs et les campagnes environnantes, et quel paradoxe !, des occitanophones non-occitanistes. Tout se passe donc, dans notre petit monde occitaniste, comme si – quant à la langue – il n’y avait rien eu d’intéressant et de déterminant avant nous, comme s’il n’y avait rien d’intéressant et de déterminant autour de nous. Illusion et prétention de qui croit que tout commence avec lui… Pourtant, la plupart de mes camarades occitanistes trouveraient incongru, scandaleux et idéologiquement douteux, qu’une personne voulant faire sa vie au Maroc, par exemple, s’abstienne d’apprendre la langue du cru – arabe populaire et/ou berbère – et ne s’adresse aux autochtones qu’en arabe égyptien ou en arabe dit « littéraire », voire coranique[21]. Alors comment se fait-il qu’une telle pratique, jugée à bon droit élitiste, et pour le moins inadaptée, semble – aux mêmes – impossible au Maroc mais finalement possible ici, même si elle s’effectue la plupart du temps en toute inconscience[22] ? Et comment en est-on arrivé là ?

    Le manque de vraie pédagogie et de réflexion, le manque d’intelligence de situation, pour patents qu’ils soient, n’expliquent pas tout. Au fil des années et d’une régulière observation des mœurs langagières occitanistes[23], il appert que l’avènement progressif de cet occitan « hors sol », coupé du substrat populaire, correspond à la montée en puissance – au sein de l’occitanisme – d’un imaginaire sociopolitique bien déterminé, même s’il reste souvent inaperçu d’un grand nombre de militants, faute de recul suffisant[24], et parce qu’il n’est pas toujours évident, même avec la meilleure volonté, d’identifier la teneur de ce fameux « air du temps » que nous respirons bon gré mal gré dans la vie et l’action au jour le jour. « Assez d’actes, des mots ! » disait Merleau-Ponty : il est des moments où il faut savoir, en effet, se poser, sortir de l’activisme, pour réfléchir dialogiquement à ce que nous faisons, sommes et voulons être. Il est donc temps d’en venir à l’examen des soubassements idéologiques de ces pratiques langagières qui mèneront notre combat à la catastrophe si nous ne sortons pas de l’illusion dogmatique qu’ils représentent :  

 

II. l’idéologie sous-jacente

    Le concept qui me semble pouvoir englober et recouvrir les différentes modalités idéologiques qui se manifestent çà et là est celui de pureté. Une bonne part de l’occitanisme actuel se replie – et cela d’autant plus dangereusement que ce repli n’est ni perçu comme tel ni thématisé– sur une autre forme d’authenticité que celle que j’ai évoquée plus haut. On l’aura compris, en dénonçant l’inauthenticité d’une langue élaborée in vitro, je revendiquais en creux l’authenticité d’une langue existant in vivo. Or pour bon nombre d’entre nous la langue réelle, encore vivante dans le peuple, n’est pas la vraie langue : seule compte la langue telle qu’elle devrait être, c’est-à-dire telle que la Science linguistique ou la Littérature ou l’Histoire paraissent la définir à leurs yeux[25]dans sa pureté linguistique et/ou originelle. Ce qui a pour conséquence que l’on préfère enseigner ce qui devrait se dire plutôt que ce qui se dit. Il m’a souvent été donné de recueillir le témoignage meurtri de locuteurs héritiers qui s’étaient fait reprendre par un des jeunes missi dominici envoyés dans les campagnes pour y répandre la Bonne Parole linguistique : « Cal pas dire « la fòrma », cal dire « la forma »…»[26]. Qui ne voit le caractère prétentieux et repoussant d’un tel prosélytisme ?

    En fait, tout se passe comme si nous vivions imaginairement dans « le monde comme si »[27], qui correspond pratiquement à la formule des mathématiciens : « Supposons le problème résolu »… Et, en effet, trop souvent l’occitanisme se comporte comme si le problème était résolu : tout le monde, en ce pays, sait ce qu’est l’occitan, tout le monde a assimilé que l’oc et le patois c’est la même langue, tout le monde connaît l’histoire, dénonce le « génocide culturel » et demande la « réparation historique », comprend l’adoption de la graphie des Troubadours modernisée, maîtrise la problématique « graphie normalisée/graphie mistralienne », veut la resocialisation de la langue, acquiesce à la distinction dialecte/langue standard, domine une terminologie occitaniste pas toujours évidente et rarement neutre[28], et surtout : tout le monde veut absolument qu’on lui impose LaNorme, seule et unique, pour sortir d’une détestable pluralité linguistique qui ne cesse d’embarrasser tout le monde quand tout le monde veut s’exprimer, à l’oral comme à l’écrit. D’ailleurs, dans ce « monde comme si », il y a une puissance publique occitaniste capable d’imposer La Norme par voie académique ou politique, cette Norme que tout le monde attend comme une délivrance…

    Or, quiconque veut bien sortir de ce rêve éveillé sait que ce n’est pas vrai : le problème n’est pas résolu, loin de là, et il nous reste des années et des années de pédagogie devant nous si nous voulons vraiment sortir des impasses et des malentendus créés par l’ignorance, l’illusion, la peur et la caricature de l’autre. Et il n’est pas vrai non plus que « tout le monde », « les gens », notamment les occitanophones « naturels », souhaitent se rassurer, se dignifier et se normaliser par l’adoption d’une norme unique fonctionnant comme une koinê nationale occitane : le peuple occitanophone ne manifeste aucune volonté massive de transformer sa réalité langagière vivante et fluctuante en artefact unitaire et rigide. Pourquoi ? Parce que ce peuple vit depuis des siècles la pluralité linguistique, que c’est elle qui est vécue comme la normalité et pas le contraire. Cette pluralité n’a d’ailleurs jamais empêché la transmission ni l’expression, quelle qu’en soit la modalité, savante ou populaire[29]. Je vais même plus loin : si ce peuple, toujours de quelque part, donc toujours particulier, jamais homogène, ne demande qu’à parler l’occitan de chez lui, par habitude et par attachement, il n’en souhaite pas pour autant que l’autre, le voisin, le limitrophe, le cantonal ou le régional, soit « le même », l’identique. Tout au contraire : il y a, certes, la présence inégalée de la langue maternelle mais, en même temps, la présence reconnue et acceptée des autres modalités d’énonciation, et même le goût[30] de cette proximité dans la différence, de cette ressemblance dans la non-correspondance. « Pas de Je sans Tu » disait Martin Buber, et c’est vrai également pour les pratiques langagières et culturelles : pas d’identité sans altérité. Nous sommes là au cœur du processus dialectique de la pluralité, au cœur de cette mosaïque langagière qui manifeste – dans et par sa pratique même – l’« équivocité chancelante du monde » chère à Hannah Arendt[31]. C’est sans doute la plus intéressante des conditions humaines : cette chancelante équivocité, qui ne cesse d’interroger et de mettre en mouvement et la langue maternelle et le monde, empêche la promotion impérialiste de l’univoque, la transformation d’une des modalités langagières possibles en Essence, c’est-à-dire en Vérité une et unique, éternelle et obligatoire. Au fond, cette pluralité linguistique animant un même territoire installe une véritable démocratie langagière : pas de hiérarchie absolue ni de modèle unitaire tout-puissant qui viendraient verrouiller les discours en les normalisant[32], la pluralité nous garde de « la folie de l’Un », pour reprendre la profonde formule de Félix Castan.

    Qu’on ne s’y trompe pas : les variations langagières ne sont pas l’anarchie, elles sont en interaction avec les récurrences, avec lesquelles elles font système. Le rapport de la variation à la récurrence n’est pas celui du libre arbitre à l’obligation : il s’agit en réalité de deux composantes indissociables du même système[33] et toute langue humaine fonctionne sur cette interaction[34]. La variation linguistique, c’est la vie du langage. Elle nourrit, comme l’affluent le fait pour un fleuve, une norme d’usage, laquelle – toujours pratiquée implicitement d’abord – méconnaît l’homogénéité et le fixisme (que ce soit dans les prononciations, la syntaxe, le lexique et même la morphologie) et ne saurait se confondre avec ce qui s’oppose frontalement à elle, à savoir La Norme académique, forme linguistique homogène et fixe, unique et « pure » (parce que supposée purifiée par l’Histoire, ou la Littérature, ou la Religion[35], ou la Science, ou par tout cela à la fois), toujours théoriquement explicitée d’abord. Cette explicitation est, le plus souvent, en même temps, une revendication hégémonique, et précède – au moins dans l’esprit de ses partisans – la tentative d’une imposition. Elle est forcément a posteriori par rapport à la norme d’usage mais prétend s’y substituer, en réduisant la multiplicitéà l’Un et l’hétérogénéité au Même, c’est-à-dire en oeuvrant de manière totalitaire contre la vie même du langage, contre sa démocratie foncière. Or c’est le moment que nous vivons actuellement dans l’occitanisme ; le très pragmatique et très pédagogique « Use is meaning »[36], cher aux anglo-saxons, recule devant la religion de La Norme, religion très continentale et plus particulièrement, comme l’on sait, très française[37] : il nous est abondamment répété que pour la communication extra-locale, l’enseignement et les médias, il est mieux d’avoir un occitan « standard » ou une « langue commune » (quasiment le même argument que celui qui a servi à justifier l’uniformisation perpétrée par l’Ecole de la République). Pourquoi est-ce mieux ? On ne sait pas trop, l’argument est rarement développé, l’on a affaire à une idéologie de l’évidence, en laquelle les vérités ne se questionnent ni ne se contestent : le besoin d’une koinè se fait jour, c’est ce que reprend à l’envi la doxa occitaniste, alors à quoi bon s’interroger sur la réalité de ce besoin (existe-t-il vraiment ? Si oui, de qui ou de quoi est-il le besoin ?), sur son bien-fondé (faut-il y répondre ? Pourquoi ? Comment ?), sur notre capacitéà le combler, sur les conséquences éventuelles de sa satisfaction ou de sa non-satisfaction, etc.

    Toujours est-il que l’on est en droit de se demander : comment les occitanophones ont-ils donc fait pour s’entendre avant l’apparition de La Norme ? Comment avons-nous pu publier tant de revues pan-occitanes (Oc, Occitania Nòva, Talvèra, Gai Saber, Vida Nòstra, Per Noste, Reclams, Leberaubre, Jorn, Aquò d’aquí, j’en oublie et des meilleures) en nous passant de La Norme ? Et surtout : comment avons-nous pu enseigner et transmettre, depuis quelques générations maintenant, sans ce référent suprême ? Enfin, comment comprendre l’appel actuel à l’établissement (artificiel) d’une « langue commune » ? Nous n’en n’avions donc pas auparavant ? Les locuteurs du languedocien ne partageaient donc pas une langue commune avec les locuteurs du provençal, du gascon, du limousin, de l’auvergnat, du vivaro-alpin, etc. ? L’absence de Norme absolue a-t-elle jamais empêché le maintien et/ou la réappropriation de la langue, sa défense, son illustration, a-t-elle jamais empêché l’intercompréhension, l’expression, la diffusion et la création ? Bref, nous vivions dans le péché, dans une espèce de paganisme d’avant la Transcendance Unique, mais les grands prêtres de la Langue sont venus nous sauver des ténèbres…

    D’aucuns trouveront sans doute déplacé, exagéré, l’adjectif « totalitaire » avancé ci-dessus. Les tenants occitanistes de La Norme sont, bien évidemment, de gentils démocrates pétris des meilleures intentions (sauver la langue-culture occitane) : loin d’eux la volonté d’acclimater des camps de rééducation linguistique à nos latitudes tempérées, loin de moi toute velléité de les en accuser ! Rappelons-nous pourtant que l’adjectif totalitario, né au coeur du fascisme italien, sert d’abord à désigner le désir d’en finir avec le frammentario, le fragmentaire[38], et à s’opposer à toutes celles et ceux qui « du fait même de leur mentalité sont disposés à ne pas être eux-mêmes, mais àêtre capables d’accueillir la parole d’autrui – il verbo altrui. »[39]. Il n’est donc pas incongru de qualifier de totalitaire toute volonté de réduire par la force la différence et le différend, d’instaurer par la contrainte le règne du Même, de l’uniformité[40]. Mais quelle force, me dira-t-on ? Quelle contrainte ? L’occitanisme ne dispose d’aucun organe de législation ni de répression ! C’est vrai, et vu la mentalité de commissaire politique, pardon : linguistique, affichée par certains d’entre nous, l’on ne peut que s’en féliciter… En fait, les choses se font, chez nous, en douce et en douceur : point n’est besoin de violences, l’exclusion subreptice suffira. Et, en effet, il suffit d’exclure sans le dire – des dictionnaires, des diverses publications, des discours radiophoniques et télévisuels – ce qui sera considéré comme trop dialectal (mais en quoi cette pratique se distingue-t-elle alors de celle qui fut menée pendant des siècles par la si décriée Académie Française ?), trop allogène (mais curieusement seuls les francismes – ou considérés comme tels – font les frais de cette allergie-là, on ne se formalise pas des catalanismes ou des hispanismes de fait qui nous sont imposés ici ou là, notamment sous couvert d’étymologie[41]). En clair et en résumé : il faut se débarrasser de ce qui est trop populaire. C’est que le peuple est peu fiable, tout contaminé qu’il est par le virus du français, c’est-à-dire par le virus français, tout parasité qu’il est par un conditionnement sociopolitique et culturel pluriséculaire qui le rend défaillant et ignorant (la fameuse « aliénation », perçue comme consubstantielle aux classes laborieuses et à laquelle échappent, bien sûr, les élites éclairées)…

    Cette vision implicite du peuple et du populaire trahit le mépris dans lesquels on les tient en fait[42]. Ici encore, rien que de très nouveau et de très classique : le peuple est le « gros animal » menaçant, selon la formule de Platon, qu’il faut savoir tenir d’une main de fer (l’Ancien Régime) ou il est ce grand enfant qui ne sait pas et qu’il convient d’éduquer (la République). Ainsi, vu comme un matériau plastique qu’il faut, quoi qu’il en soit, modeler au gré des impératifs idéologiques et/ou des nécessités étatiques, le peuple – quantitativement majoritaire – n’en est pas moins constamment perçu comme marqué par la minorité ; pessimisme éthique sous-jacent : à la plèbe, incapable d’autonomie et de lucidité, il faut des tuteurs, des patriciens capables de la purger, quand besoin est, de ses passions mauvaises, y compris de ses humeurs langagières. Etrangement, les zélateurs de cette prophylaxie linguistique ne semblent en rien gênés par les gallicismes pouvant exister dans d’autres langues latines : que l’hispanophone dise « chantaje » ou « coche », que le catalanophone dise « xantatge », « croissant », « crupier », que le barcelonais puisse dire « Mèrci » au lieu de « Mercès » ou de « Gràcies », etc., tout cela leur paraît relever des échanges interculturels établis par l’Histoire et sera jugé« normal », c’est-à-dire inévitable, et plutôt positif (les militants occitanistes sont en général et en théorie des partisans du métissage culturel). De même ne s’étonneront-ils pas qu’une langue aussi prestigieuse et mondialement répandue que l’espagnol puisse ne pas connaître La Norme, une et unique : on peut y dire et écrire, en effet, « periodo » ou « período », pour ne prendre qu’un exemple parmi bien d’autres, et la question « Y tú, ¿qué haces ? » peut, dans cette langue, varier en « Y vos, ¿qué hacés ? », et vice versa. D’ailleurs, ils seront souvent capables de dire que la seconde formulation est « en espagnol d’Argentine » et il ne leur viendrait jamais à l’esprit de parler de « dialecte argentin ». Que l’espagnol, ou l’italien, soit un et multiple à la fois, que cette langue connaisse normalement la variation, la fluctuation, est pour eux une affaire entendue. On a là une attitude quasiment phénoménologique : on constate et décrit ce qui est, plus exactement : les phénomènes, c’est-à-dire les choses telles qu’elles nous apparaissent. Mais cette attitude change dès qu’il est question de l’occitan : ce qui est bel et bon à l’extérieur des frontières, et pour les autres, ne l’est plus à l’intérieur du pays et pour nous-mêmes[43]. C’est que l’on touche làà ce qui ressortit à l’identité propre et à l’image que l’on se fait de soi. Or celles-ci ne sont apparemment pas vécues positivement : une grande partie de l’occitanisme actuel n’assume plus la fragmentation inhérente au langage, cette variation qui en est le « fait nucléaire »[44] et dont les enfants prennent conscience dès qu’ils se frottent aux structures essentielles d’une langue. Dès lors l’on délaisse la description phénoménologie pour promouvoir avec force l’idéalisme, la norme idéale, et l’académisme – qui n’était jusque là qu’une tentation permanente, présente, par exemple, chez Alibert[45]– est en passe de triompher. Cet académisme, à la fois instrument et symptôme, charrie tous les hypercorrectismes, les étymologismes, les néologismes et les archaïsmes qui, dans l’occitanisme contemporain, caractérisent nombre d’énonciations régies par un indéniable principe de plaisir et sont autant d’esquives, de fuites, par rapport à un principe de réalité(linguistique) actuellement affaibli : la langue qui devrait être tend à s’imposer (hélas, pas seulement sur le mode imaginaire) à la langue qui est, et ce qui n’était jusque là que normalisation graphique se mue en normalisation linguistique[46]… Soyons clairs : il est normal que la Linguistique mène ses recherches et en fasse part. Cela n’est absolument pas remis en cause ici ; ce qui l’est c’est la prétention d’utiliser le savoir acquis à des fins de dirigisme linguistique, lequel vise le rétablissement d’une mythique pureté de la langue et la consécration (au moins symbolique) de la minorité ayant fait le choix du purisme. Or ce dirigisme a comme corrélat l’idée implicite – et c’est là un second constat de pessimisme éthique – que le langage populaire, ordinaire et impur, est sans avenir. Ce dernier serait la grande affaire des normalisateurs, de celles et ceux qui légifèrent au nom de la Science. Mais, nourri dans ma prime jeunesse à la philosophie du soupçon, je ne puis me retenir de penser : tout ce beau monde ne légifère-il, en vérité, qu’au nom de la Science ?

    La défiance envers la pluralité de la langue-culture populaire, envers sa capacité créatrice, est tout sauf neutre. Pourtant, les faits sont là[47] : de « monsieur », par exemple, le peuple a fait « mossur », puis les dérivés « mossuròt », « mossuradas », « mossuralhas », « mossurejar », etc. Pour remplacer cet affreux gallicisme, La Norme veut nous imposer « Sénher » que le peuple emploie exclusivement pour parler de Dieu ou à Dieu (cf. « Nòstre Sénher »). Pourquoi vouloir abolir cette vérité linguistique et mentale de fait (la distinction et opposition « mossur/Sénher »), vérité qui a le mérite d’exister et de fonctionner, au profit d’une « pure » vérité supposée de droit (l’unique « sénher »), porteuse de confusion (la désignation de l’homme = la désignation de Dieu) et que personne ne comprendrait ? Comment ne pas voir que ça serait bouleverser une certaine vision du monde, vision que le discours instaure, que de désigner un être humain par un vocable depuis longtemps réservéà Dieu ? Serait-ce, pour le locuteur « naturel », héritier, le même monde mental, la même langue ? Et quel effet cela produirait-il sur lui d’être appelé ainsi par un néo-locuteur? Ces questions ne sont pas d’actualité pour le normalisateur ; pour lui, comme je l’ai dit, l’urgence est à recoudre ce qui a été déchiré. Et « Sénher » a beaucoup de mérites à ses yeux, qui sont autant d’enjeux idéologiques :

- il renoue avec l’Age d’Or médiéval, troubadouresque, et représente une revanche symbolique sur l’Histoire d’après la catastrophe ;

-  il appartient par là même à l’écrit le plus noble (pour le normalisateur, qui est un lettré, l’écrit est supérieur à l’oral[48]) ;

-  il s’abrège en « En » - ce qui l’identifie au catalan, idiome frère, noble, prestigieux, quasi étatique, symbole de sérieux et de réussite, sorte de double ultra-positif et d’ange gardien de l’occitan (l’arrimage à la Catalogne est lui aussi vécu comme une revanche symbolique sur les vicissitudes de l’Histoire[49]) ;

-  il ressemble à« senyor », « señor », « signor », etc., ce qui le rapproche d’autres langues latines et l’éloigne du bâtard « mossur », donc l’éloigne du français…

    Dans cet exemple, au fond, tout est dit : il s’agit bien de purifier la langue en supprimant au maximum ces effets néfastes de l’histoire que sont les francismes. Où l’on voit que, d’une certaine façon, purifier la langue c’est aussi purifier l’Histoire, en la réécrivant, en la jouant contre elle-même. « Mossur » est un produit de l’Histoire ? Qu’importe, on ira chercher dans l’Histoire de quoi effacer cette erreur de l’Histoire[50] : il suffit de remonter aux origines, c’est-à-dire à l’époque mythique d’avant la France. Elle est là, au fond, la pureté : dans la non-France, l’a-France, le hors-France, l’anti-France, comme on voudra dire… Le mot occitan d’origine française n’est pas considéré comme un vrai mot occitan mais comme une tache qu’il convient d’effacer. Ainsi la forme « mème » sera-t-elle rejetée, alors qu’elle est utilisée dans l’inter-système, c’est-à-dire dans la langue parlée majoritairement ; on optera pour « meteis », pour l’idéal contre la réalité, pour la pureté transcendante contre l’impureté immanente, c’est-à-dire : contre la copulation (historique) avec le français. Pauvreté de l’occitanisme quand il croit trouver son identité dans la rage qu’il déploie contre la France et le français ! Médiocrité de l’occitanisme quand il n’est que réactif, c’est-à-dire n’existe que contre, que « par rapport à… », non pas dans une affirmation positive et première de soi mais dans une réaction réflexe et non-réflexive, seconde, à l’épouvantail francimand ! Aveuglement de l’occitanisme qui s’inféode alors sans s’en rendre compte au modèle négatif tant honni, ne vit que par un combat qui le subordonne ! Errement de l’occitanisme qui croit faire acte de liberté au moment même où il renonce de manière insue à exister pour soi et s’enferme dans une relation mortifère, de type répulsion-fascination, avec ce qu’il est censé rejeter (la souillure française) mais dont il a besoin, au final, pour tenir debout...

    L’ironie de l’histoire est que cet occitanisme du ressentiment ne peut vivre qu’en mimant inconsciemment le pouvoir français : l’Occitanie a été l’une des victimes du centralisme (monarchique puis républicain) ? L’occitanisme veut se donner un occitan « central » (on en déduit donc qu’il y aura des occitans périphériques, secondaires) ; elle a souffert de l’uniformisation culturelle ? Il ne rêve plus que d’un occitan « standard » (la standardisation, c’est quoi exactement déjà ?) ; elle a connu le corset de l’académisme ? Il va chercher à endiguer et assagir la vie du langage dans de très sérieuses Académies[51] ; elle porte les stigmates du mépris de l’élitisme français envers le peuple ? Il va produire certaines élites locales et régionales qui, parlant – comme il se doit – au nom du peuple, inventeront le mépris soft (par l’indifférence, l’évitement, le contournement) ; elle a subi la hiérarchisation des parlers et l’essentialisation de La Langue inhérentes à la constitution de l’Etat-Nation ? Il va reconduire cette hiérarchie et cette essentialisation au sein même de la langue minorée qu’il prétend défendre : la position de cet occitanisme quant à la question des « dialectes » me semble à cet égard tout à fait parlante. La notion de dialecte fait partie, chez nous, de ce matelas d’évidences sur lequel repose une vision des choses amplement partagée et ne faisant jamais l’objet de la moindre remise en cause. Pourtant, l’existence en soi du dialecte n’est pas une évidence. L’occitanisme des années 70 présentait souvent – et à juste titre – la langue comme « un dialecte qui a réussi », ce qui sous-entendait qu’il n’y avait pas de différence d’essence entre langue et dialecte mais une distinction somme toute circonstancielle et toute relative – parce que politique. Il n’en est plus de même maintenant où, même sous la plume des plus éminents de nos linguistes, l’on parle du dialecte comme s’il avait une existence objective. Or cette dernière est loin d’être vérifiée, si l’on en croit Ferdinand de Saussure lui-même : « Il est difficile de dire en quoi consiste la différence entre une langue et un dialecte.  Souvent un dialecte porte le nom de langue parce qu’il a produit une littérature ; c’est le cas du portugais et du hollandais.[52] ». On croirait entendre parler un gauchiste de l’après 68, tant son propos détonne par rapport au dogmatisme qui domine en notre saison : « Les idiomes qui ne divergent qu’à un très faible degré sont appelés dialectes ; mais il ne faut pas donner à ce terme un sens rigoureusement exact ; nous verrons (…) qu’il y a entre les dialectes et les langues une différence de quantité, non de nature. ». Les divergences dont il parle sont simplement les variations ou fluctuations, géographiques et/ou sociales, que j’ai évoquées précédemment à maintes reprises. Pour lui, c’est la différence dans la quantité de divergences qui fait la différence entre le dialecte et la langue. Celle-ci est donc alors logiquement beaucoup moins marquée par la variation énonciative et connaît une unité formelle du code : elle est normée, standardisée ; en cela, elle est considérée comme plus « commune » et peut être le véhicule, entre autres, de la littérature et de l’administration. C’est aussi ce que nous dit n’importe quel dictionnaire basique de linguistique[53]. Mais dans le cas qui nous occupe (l’occitan), et puisqu’il y a apparemment une solidarité nécessaire entre la langue et le dialecte[54], si le languedocien, le gascon, le provençal, le limousin, l’auvergnat, le vivaro-alpin, etc., sont des dialectes occitans ou des dialectes de l’occitan (comme il est coutume de dire), alors où est l’occitan ? Où est l’occitan proprement dit ? Où est-il en tant que langue existant et fonctionnant à part de ses dialectes ? Où est-il en tant qu’idiome réellement existant et donc comme référence par rapport à laquelle se détacheraient ses dialectes ?

    En réalité, l’occitan est nulle part ailleurs que dans cette pluralité linguistique pratiquée à l’oral comme à l’écrit sur son territoire historique. Je parle languedocien, gascon, limousin, provençal, auvergnat, vivaro-alpin, etc., alors je parle l’occitan, c’est-à-dire obligatoirement un occitan, et non pas un dialecte (de l’) occitan ; alors je parle une langue dans une de ses modalités géographiques et/ou sociales car, être de situation, je ne peux parler qu’une langue en situation. En réalité, je ne peux pas parler la Langue, parce que c’est une abstraction ; je parle une certaine langue, une langue toujours particulière, toujours singulière même : la mienne. C’est cela qui discourt et pas autre chose. En réalité, le dialecte est une vue de l’esprit du linguiste[55], au mieux c’est un concept opératoire, c’est-à-dire une idée générale qui lui permet de travailler, en l’occurrence : d’analyser (de séparer, distinguer) les divers composants d’une seule et même langue. Mais l’on peut très bien sortir de cette approche scientifique, c’est-à-dire abstraite (n’ayant de réalité que mentale, détachée du vécu qu’elle étudie et toujours seconde par rapport à lui), et cesser de confondre la carte et le territoire. Si l’on opte pour le territoire, on renoue avec une approche phénoménologique des choses, avec l’expérience que nous avons du monde, expérience qui pour être familière n’en est pas moins vraie – sur un autre plan – que l’examen ou l’expérimentation scientifique, et qui a l’avantage sur eux d’être première, c’est-à-dire fondamentale et originaire. C’est cette approche qui anime le regard pénétrant d’un Thomas d’Aquin, puis d’un Nicolas de Lyre, dont le témoignage, aux XIIIe et XIVe siècles, me paraît mieux rendre compte de la réalité linguistique que bien des analyses « objectives » du scientisme contemporain[56] :

« Dans une même langue [lingua] on trouve diverses façons de parler [diversa locutio], comme il apparaît en français [parler de l’Île de France], en picard, et en bourguignon ; pourtant il s’agit d’une même langue [loquela]. »

« Bien que la langue française soit une, ceux qui sont de Picardie la parlent différemment de ceux qui habitent Paris ; et par cette diversité [varietas en latin], on peut percevoir d’où quelqu’un vient. »

    Arrêtons donc de considérer l’occitan comme une forme supra-dialectale, alors qu’il ne se tient pas en dehors de ces modalités que l’on ne cesse de présenter comme des dialectes, ce qu’elles ne sont pas. Elles sont le réel même de la langue – son inhérence, sa consistance – pas des extériorités ou des excroissances. Il faut rompre salutairement avec un schéma très français, au sens où il nous est légué par l’histoire de la France : celui de la hiérarchisation des idiomes, donc des individus et des peuples qui les parlent. Sait-on que « C’est Ronsard qui emploie le premier le mot dialecte pour désigner le parler du Vendômois, sa région d’origine, sans doute parce que le mot patoisétait trop péjoratif. »[57] ? Ce mot savant fonctionne donc, dès le départ, comme un cache-sexe : l’organe honteux et puant qu’il faut occulter, c’est le patois. Et c’est sur ce rejet linguistique-là, rejet géographique et social, que s’est construit au fil des siècles l’élitisme culturel français…

    Est-ce ce schéma que nous désirons reproduire inconsciemment avec ce fantasme de « l’occitan standard », de la « langue commune », de la koinè salvatrice[58] qui viendrait tout à la fois chapeauter et dépasser les « dialectes » ? Est-ce ce schéma hiérarchique, élitiste, que nous voulons continuer à envoyer comme signal d’avenir aux locuteurs héritiers (et aux autres) ? Car il ne faut pas se raconter d’histoires, le mot « dialecte » n’est jamais neutre, il est toujours connoté péjorativement, y compris quand il est utilisé dans le cadre de la science : le dialecte est pensé comme exclu de certaines fonctions linguistiques à cause de sa prétendue portée limitée et d’une inscription dans le registre écrit jugée faible. Il est donc perçu comme rustique, voire rudimentaire, culturellement inférieur, restreint, sans statut enviable. Bref, le « dialecte » ce n’est guère mieux que le patois ; et c’est l’irrespirable, l’insupportable, pour qui rêve de reconnaissance, de prestige, d’ascension sociale et … d’identité pure. Il représente en effet l’altérité au cœur même de la langue, c’est-à-dire de ce qui est perçu comme facteur primordial d’identité. Or comment ne pas voir, à ce stade, que la volonté déclarée de dépasser cette altérité, laquelle ne cesse de se manifester dans la pluralité langagière effective, cache mal le désir fantasmatique de se débarrasser de la langue elle-même, de la langue telle qu’elle vit, trop impure, pour s’en donner une meilleure : unie, homogène, donc objet d’une plus grande fierté jouissive ?  Je le disais précédemment : tout un pan de l’occitanisme actuel ne peut plus assumer l’image – à ses yeux négative – que semble lui renvoyer la différence interne propre à notre langue-culture. C’est peut-être ce qui explique qu’il puisse ringardiser et provincialiser un peu plus celles et ceux qui s’obstinent à rester fidèles àla vièlha que vòl pas crebar[59], c’est-à-dire à la langue réelle, en leur faisant savoir qu’ils se perdent dans un usage linguistique subalterne[60] et qu’il conviendrait – pour en finir avec cette honteuse condition-là– qu’ils s’assujettissent à un usage supérieur, moderne, celui de La Langue, la seule, la vraie.

    Cependant, nos prétendus « dialectes » n’ont-ils pas été des idiomes administratifs et/ou scientifiques, ici ou là, dans un passé lointain ? Ne sont-ils pas depuis des années et des années langues enseignées et enseignantes ? Surtout : ne sont-ils pas porteurs d’une immense littérature, à la fois savante et populaire, des Troubadours à nos jours ? Et si koinè il doit y avoir, quel est ce manque de confiance en nous, et en la force du langage, qui ne nous permet pas d’envisager que cette variété nouvelle de la langue puisse naître – non pas de l’artefact – mais du commerce d’autres variétés de la même langue entre elles ? C’est pourtant de leur combinaison dans une situation de contact permanent qu’émergera éventuellement cette nouvelle variété linguistique. Mais cette « koinèsation » ne se fera que si chacun ou chacune a la possibilité de pratiquer de manière libre et décomplexée la ou les variantes dont il a l’habitude…

    Le moment occitaniste que nous vivons, celui qui se projette déjà, au-delà de l’hétérogénéité langagière présente, dans un futur linguistique homogène et conforme, débarrassé du boulet dialectal, me renvoie irrésistiblement à la fin du XVIIIe siècle et à son double schéma de négation culturelle du peuple :

-         sous l’Ancien Régime d’abord, pour des raisons de prestige, de distinction sociale, les élites françaises vont reléguer les parlers populaires dans les marges : elles les comprennent, mais ne se commettent plus officiellement avec le langage ouvrier ou paysan. C’est par le haut que s’efface et se nie la différence culturelle interne au pays. Fidèles à Vaugelas, les élites considèrent l’usage du patois comme un stigmate social incompatible avec « le bon usage ». L’Etat, qui a fort à faire avec l’hétérogénéité sociale, a établi l’homogénéité de son administration. Et l’on conçoit de moins en moins facilement la nation comme une entité impure ;

-         sous la Révolution ensuite, qui veut inventer un monde nouveau et une nouvelle langue pour des idées nouvelles, mais ne va finalement rien changer à ce mépris et à cette méprise culturels, au contraire : pour les nouvelles élites, le patois devient un obstacle passif ou une résistance active à la liberté qui s’est mise en route. L’Abbé Grégoire croit que les patois ne sont pas des langues, que leur grossièreté incline au fanatisme et ne peut exprimer ni l’abstraction, ni l’universel, ni la fraternité. La République confond unité nationale et homogénéité culturelle, égalité politique et uniformisation linguistique, et des décennies d’instruction scolaire feront le reste…

    La doxa bien-pensante considère que la France républicaine s’est ainsi donné les moyens d’inventer un demos, c’est-à-dire un peuple au sens politique, un corps de citoyens ; ce n’est évidemment pas faux mais c’est ne voir que la moitié des choses, car l’invention de ce demos s’appuie incontestablement sur l’invention d’un ethnos, un peuple au sens ethnique, un groupement humain caractérisé principalement par une même culture, une même langue. Mais, me dira-t-on, quel rapport entre ces élites françaises du XVIIIe et certaines élites occitanistes actuelles ? Pourquoi ce parallèle entre des périodes historiques si dissemblables, entre des pratiques en apparence si opposées ?  L’occitanisme n’est-il pas l’autre de l’élitisme français, son opposé ? N’est-il pas l’antidote absolu à toute politique uniformisatrice hégémonique, à toute négation de l’altérité, de la pluralité ?

    Le rapport est le suivant : j’émets l’hypothèse que nous sommes toujours collectivement et inconsciemment tentés de reproduire, à notre échelle, dans notre sphère, et dans les circonstances particulières que nous vivons, le schéma politico-culturel appliqué par le pouvoir français à la fin du Siècle des Lumières. Non pas à cause d’un goût immodéré pour le XVIIIesiècle, bien sûr, mais parce que ce double schéma – fondateur – nous hante, parce que sa logique nous détermine, même si c’est sur un mode négatif, même si c’est « en creux » ; parce que nous restons dépendants de ce que nous combattons et que, à l’image du colonisé qui s’empresse de mimer son ex-oppresseur dès qu’il a recouvré sa liberté, nous ne pouvons nous empêcher de répéter implicitement un schéma qui est finalement le seul que nous connaissions et qui nous apparaît confusément comme un recours à la crise : celle, protéiforme, que vit notre société ; et celle que vit l’occitanisme, confrontéà la disparition programmée des derniers locuteurs occitanophones « naturels », aux derniers souffles d’une altérité paysanne qui représentait un véritable vivier culturel, à la francisation massive, au piétinement de l’occitanisme politique, aux difficultés et aux succès mitigés de l’occitanisme culturel et d’une reconquête des esprits et des cœurs qui arrive difficilement à dépasser le stade du symbolique…

    Ce double schéma occitaniste actuel, je le qualifie de nationaliste, sans aucune intention péjorative[61]. Il est le pendant du nationalisme français, malgré une dissymétrie évidente. Après le moment de gauche que furent les années 70 et 80, s’installe, à petits pas d’abord, puis d’une foulée plus décidée, le moment nationaliste qui gagne en importance dorénavant[62]. Il me faut ici, pour mieux éclairer la suite de mon propos, mettre ces deux moments – le gauchiste, puis le nationaliste – en perspective ; une comparaison globale de ces deux moments s’impose si l’on veut comprendre d’où procède le double schéma nationaliste caractérisant l’époque que nous vivons (et j’ai bien conscience que cette comparaison rapide trouvera toujours ses exceptions) :

-         le moment de gauche : que demande globalement l’occitanisme de l’après-guerre, en grande partie issu de la Résistance et/ou de son esprit  ? Moins de République, plus de démocratie effective. Celle-ci passe par les luttes pour l’émancipation, donc la réhabilitation, du pays réel et de son peuple : les classes laborieuses (mineurs, viticulteurs, Larzac, etc.). Le mot d’ordre est « Autonomia ! » mais l’autonomie dont nous rêvons, au fond, c’est l’autogestion généralisée, le principe de subsidiarité généralisé, un développement économique équilibré pour le pays, l’autonomie telle que Castoriadis la théorise, pas l’indépendance sur des bases ethniques (Fontan et son P. N. O. restent à la marge). Une affichette proclame : « Los borgeses mespresan la lenga del pòble. Parlar occitan es un acte revolucionari ! ». Elle dit beaucoup : l’illusion lyrique (si parler occitan est vraiment un acte révolutionnaire, alors les campagnes regorgent de dangereux bolchéviques !), mais surtout la volonté d’en finir avec le mépris dont la langue du peuple est l’objet de la part des élites. L’occitan est défendu, revendiqué, en tant qu’il est la langue du peuple. Quand Martí chante « Occitania saluda Cuba », l’Occitanie dont il parle c’est le peuple « que parla coma un torrent », sa dignité, sa liberté. Quand il chante sa terre, ce n’est pas du mythique terroir des Félibres dont il s’agit mais d’un pays qui subit l’exode rural, la mise en désert de régions entières, le tourisme de masse, l’exploitation éhontée, la pollution, la déculturation, etc. Aucun chauvinisme interclassiste dans tout cela, la « nacion » c’est d’abord le peuple des petits qui souffrent, on parle de « socialisme », Jòrdi Blanc traduit et publie en occitan Lo Manifèst del Partit Comunista de Marx et Engels[63], et la « descolonizacion » que l’on appelle de ses vœux tient plus du bouleversement des mentalités, des pratiques et des structures traditionnelles que de l’arrachement sécessionniste. Bref, comme l’écrit à l’époque Roland Pécout, l’Occitanie « (…) est le nom que nous donnons, dans ce coin d’Europe, et à partir d’une situation donnée, à l’aventure des hommes pour en finir avec le vieux monde. »[64]. Cet occitanisme qui se voulait « de classe » est sans doute critiquable sur bien des points, à commencer par sa rhétorique tiers-mondiste, mais il est quelque chose que l’on ne peut lui enlever : sa référence constante au peuple comme centralité de son combat, dans un souci permanent d’identifier lutte pour l’occitan et défense des classes populaires. Il a compris, malgré toutes les mythifications et les erreurs tactiques qu’il peut produire par ailleurs, que les aléas de l’Histoire ne permettent pas à l’occitanisme contemporain de se dissocier de ces petites gens qui portent encore la langue-culture d’Oc. Pour ce moment, le sacré et le légitime, c’est le peuple ;

-          le moment nationaliste : nous y sommes, même s’il n’est pas thématisé comme tel. Je ne veux pas dire que l’immense majorité des occitanistes actuels s’est affiliée au Partide la Nation Occitane ou se proclame spontanément nationaliste en toute connaissance de cause. Je veux dire que, pour cet occitanisme-là, le sacré ce n’est plus le peuple et que le mot nacion n’a plus la connotation sociale, de classe, qu’il avait précédemment. Ce mot a désormais une valeur plus classique : il s’agit certes toujours d’un groupement humain déterminé par un territoire, une langue, une culture, une histoire, mais ce groupe n’est plus identifié aux classes laborieuses, il a une connotation large, interclassiste ou dépassant même la problématique classiste, voire niant l’idée que la lutte des classes soit déterminante dans la vie des hommes. Ce qui est mis désormais en avant c’est la vision d’une communauté historique unie autour de sa langue, sa culture, ses traditions, ses souvenirs (traumatiques ou heureux), son patrimoine, son génie, ses valeurs spécifiques : on remonte du Moyen Âge les concepts de jòi, paratge, convivéncia, mercé, etc., pour les recycler selon les besoins du temps. Montségur est toujours un symbole de liberté, de résistance à l’oppression, mais tout autant celui d’une civilisation. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’Occitanie est avant tout perçue comme une civilisation, c’est-à-dire une continuité historique, une culture et une spiritualité durables et à part, une nation en puissance, en devenir permanent[65]. Ce sentiment s’exacerbe d’autant plus que nous nous identifions davantage encore à la Catalogne : au « Som una nació ! » catalan répond en écho notre mimétique « Sèm e serem ! ». L’Occitanie est pensée maintenant comme une identité transhistorique constituée de longue date (un ethnos que certains font remonter à l’Antiquité[66]) qui a besoin d’une inscription culturelle, mais aussi politique, dans les faits. Le transfrontaliérisme européen paraît lui donner une chance de s’affirmer en échappant au corset hexagonal. Le hic de l’affaire, c’est le peuple. Cet occitanisme a beau manifester que son nationalisme est ouvert, humaniste, le contraire d’une crispation identitaire, d’une fermeture à l’autre, le peuple n’est pas vraiment au rendez-vous. Il veut bien être occitanophone, voire culturellement occitaniste, sympathisant de la cause culturelle, mais ne se revendique pas massivement occitan. Il n’est pas prêt à troquer sa carte d’identité française pour une carte d’identité occitane, fût-elle symbolique. Il tient à l’idéal républicain mais ne veut pas qu’on lui refasse le coup de l’identité unique et univoque. Il semble se contenter d’une pluralité de fait et a par ailleurs beaucoup d’autres chats à fouetter. Comme le dit Claude Sicre : « Le peuple ne veut pas un monde, il veut des mondes »…

    C’est donc parce que le peuple est jugé défaillant par rapport à cette Occitaniae perennis, par rapport à cette nacion plus que millénaire – culturellement défaillant (sa langue est impure) et politiquement défaillant (il persiste à se sentir français, malgré tout) – que les tenants du nationalisme soft vont opter pour deux attitudes fondamentales par rapport à lui. Où l’on retrouve le double schéma caractérisant les élites françaises de la fin du XVIIIe siècle :

-         la tentation du Même : c’est la version Ancien régime, le repli sur le pré carré du littéraire, de la belle langue prestigieuse, du plaisir de l’entre-soi : on n’écrit plus pour le peuple mais pour soi et pour ses pairs, dans une langue d’Oc de laboratoire qui n’a plus rien de populaire ni de pluriel, ce dont justement on s’enorgueillit (plus question de se commettre avec le paysan, l’employé, l’ouvrier, etc., qui de toutes les façons s’en fichent). Cet élitisme peut être involontaire ou pas, c’est selon, et il permet de multiples distinctions : par rapport à l’élite francophone, par rapport au militant occitaniste de base, enfin par rapport au peuple. On est là dans la pureté de l’homogénéité sociologique mais aussi culturelle et linguistique : la langue est désormais sans scories dialectales et le parler ordinaire est banni. Le « dialecte » peut survivre à titre de curiosité ethnologique, objet d’une curiosité passagère. C’est enfin l’avènement de La Langue, comme divinité, royaume immatériel, immaculée conception pour jouissance en vase clos ;

-         la tentation du Tout-Autre : c’est la version révolutionnaire ou réformiste radicale, l’invention d’une nouvelle langue pour dire un monde nouveau. Malheureusement, le peuple est un boulet, son langage n’est plus adapté, trop ringard, trop dispersé, changeant, perturbant, pas assez passe-partout, unifié, homogène, cool, rapide (pour « textoter » ou surfer sur Internet), sérieux (les variations dialectales, est-ce bien raisonnable ?), souple, enseignable… L’occitan n’est plus qu’un prétexte, une pâte à modeler à volonté, servant à la création d’un Volapük sur mesure. Pour la liberté linguistique future, pour La Langue pure de demain, sacrifions le grossier patois d’aujourd’hui ! Et vive l’Artefact Suprême !

    Dans les deux cas, c’est l’abandon du peuple. Curieux nationalisme qui est prêt à se passer de son peuple : il n’est pas conforme, oublions-le ! Et ce vers quoi nous nous acheminons tranquillement, nous les tenants du pluralisme linguistique, les irréductibles de la différence, c’est l’instauration douce mais irréversible, à coups de « normativisation » linguistique, d’un unilinguisme interne à l’occitan. Joli retour du refoulé franco-jacobin ! Mais si cet unilinguisme est un projet, comme la norme et son bon usage unitaire, il est surtout une illusion. Le réel du langage est autre ! Et que dire des locuteurs héritiers ? Ils sont le vrai créateur collectif, le moteur de l’évolution langagière ; peut-on réformer la langue, mener une entreprise néologique sans eux ou contre eux ? Il y a un sacré paradoxe, pour le linguiste, à vouloir intervenir transitivement sur la langue alors que toute sa science repose sur l’idée, mise en évidence par l’histoire des langues, que cette évolution est principalement le fait de l’action des locuteurs et du temps. L’occitanisme est-il né pour qu’une minorité de normalisateurs impose ses choix à une majorité de « normalisés » ou bien pour que le peuple prenne enfin la parole dans sa langue? L’imposition, même symbolique, d’une norme autre que la véritable norme, la norme d’usage, est non seulement une grave erreur pédagogique, qui réinstaure dans l’esprit des gens la funeste distinction patois/occitan, mais aussi une méprise de taille sur le sens de l’engagement occitaniste. Pour ma part, on l’aura compris, je ne participerai à aucune entreprise visant à faire du locuteur occitanophone un « unilingue del dedins » (pour parodier Joan Larzac). Quand je suis entré en occitanisme, en 1971, je n’ai pas signé pour ça…

   Eric Fraj

emplega-la-lenga

 emp(l)ega la lenga, òc, mas quina lenga ?



[1] Seule l’intervenante s’exprimant en limousin avait trouvé grâce à ses yeux…

[2] Ce constat nous ne sommes pas, bien sûr, les premiers à le faire. Voir par ex. ce qu’en disent les linguistes Xavier Lamuela et Joan Fulhet dans l’excellent, L’occitan de viva votz, Edicions IEO 31, Tolosa, 2008.

[3] Ils prononcent bien séparément « cada /an », par ex., ce qui devrait se dire « cad’an ».

[4] Or une langue vivante n’est-elle pas d’abord une langue qui se parle ?

[5] Quel sens cela a-t-il d’imposer « lo lach », « enebit », « en cantar », dans des zones qui méconnaissent ces formes et ne disent – depuis des siècles – que « la lait/la lèit », « interdit », « en cantant » ?

[6] La Bressola est l’équivalent de la Calandreta, en Catalogne-Nord.

[7] C’est-à-dire depuis 1970.

[8] Cf., à propos de la problématique catalan du Roussillon/catalan standard, la très instructive contribution de Joan Peytaví Deixona : « Quelle langue (ré)apprendre ? » in L’école, instrument de sauvegarde des langues menacées ?, Actes du colloque du 30/09 et 01/10/05 à l’Université de Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2007, pp.148-165.

[9] C’est l’argument que m’opposa le président d’une de nos Calandretas il y a quelques années.

[10] A propos de cette réalité une qu’est la langue-culture, voir l’œuvre d’Henri Meschonnic.

[11] Inévitable quand l’on se complaît dans la fabrication d’un langage élitiste…

[12] In Quasèrns pedagogics, n°53, 1971. Cité par Rogièr Teulat dans Uèi l’occitan, I. E. O., 1985, p. 40.

[13] Imaginons, pour ne pas charger la barque, qu’il le prononce bien, ce qui est loin d’être garanti…

[14] Des exemples de cette sorte je peux – hélas ! – en citer à foison et en renouveler régulièrement le stock puisque l’épreuve orale d’occitan au Baccalauréat m’en fournit tous les ans, et non des moindres. La grande majorité des candidats qui me disent entendre peu ou prou la langue chez eux ne font pas la liaison entre « le patois » de la famille et l’occitan appris à l’école. Et ça se comprend : on leur enseigne « lo can » (parfois même prononcé [ko]) et « lo fach » quand le milieu dit « le gos » et « le fèit ». Pour peu que le professeur n’explicite pas le lien patois/occitan, le (mauvais) tour est joué ! Comment des adolescents ou des adultes peu férus de linguistique pourraient-ils comprendre qu’il s’agit de la même langue quand tout semble leur indiquer le contraire, à commencer par l’archaïque et très littéraire « Dòna » ou « Sénher » (la plupart du temps prononcé« Senhèrr») dont ils gratifient l’examinatrice ou l’examinateur alors que l’usage social réel ne connaît que « Madama » et « Mossur » ?

[15] S’il l’était, quel sens y aurait-il pour moi à rester occitaniste ? Il me faudrait alors entamer un autre combat, avec en tête la programmatique et joyeuse interjection qu’une main réfractaire, généreuse, et peut-être prémonitoire, avait tracée dans les années 70 sur un mur de la rue Jacques Darréà Toulouse, non loin de l’entrée du bienheureux Conservatoire Occitan : « Vive la patoisie libre ! ».

[16] Avec, notamment, l’éventuelle mise au point d’un occitan « standard », vis à vis duquel je n’ai dans l’absolu aucun a priori, ni négatif ni positif. En revanche, dès que je quitte la position de surplomb de l’absolu et considère le ras-de-terre socio-historique et ses exigences, je ne peux m’empêcher de me demander – au vu de l’abondance des variantes de la langue – si rechercher artificiellement une langue standard ne revient pas à rechercher la quadrature du cercle. De plus, si koiné (langue commune) il doit y avoir un jour, ne naîtra-t-elle pas plutôt du commerce langagier des humains d’ici au jour le jour, du frottement entre elles de leurs différentes modalités d’énonciation? Ce sont les paroles, les discours qui finissent par faire la langue, pas l’inverse, contrairement à ce que croit la doxa, y compris à l’Université. Pour en finir avec la religion – très française – de la Langue en soi et transcendante, voir là encore toute l’œuvre d’Henri Meschonnic.

[17] Qui d’entre nous s’adresserait en effet à un Président de la République, au Percepteur ou à une personne inconnue mais désirée, exactement comme il s’adresserait à un de ses proches (frère ou soeur, copain, enfant, animal domestique, etc.) ?

[18] J’ai depuis longtemps remarqué que même ceux d’entre nous qui ont appris le français à l’école ne s’expriment pas ou plus tout à fait, en occitan, comme le faisaient leurs parents et grands-parents…

[19] Méditons à ce propos les sages paroles du linguiste Rogièr Teulat, opus cité, p. 113 : « Dins l’expression, la compausanta sociala es totjorn presenta. Lo problèma per una lenga coma l’occitan es de pas oblidar los critèris subjectius dins la formacion de la nòrma : aquò’s la condicion fondamentala per que la nòrma eventuala siá acceptada pels utilisaires, e donc capite mai rapidament, valent a dire avant que los occitanofònes natius sián en nombre derisòri. »

[20] Ce ne sont là que quelques exemples, on pourrait les multiplier, y compris au plan de la syntaxe, ce qui aggrave davantage encore la distance fatale évoquée plus haut.

[21] J’ai été instituteur au Maroc, de 1976 à 1978. J’y ai vu et entendu un speaker de la télévision nationale traduire en arabe populaire marocain le discours télévisé que le roi Hassan II venait de prononcer en arabe « classique ». Un étudiant marocain, issu d’un des bidonvilles de Casablanca, m’a expliqué que cette traduction était nécessaire si l’on voulait que le peuple comprenne ce qu’avait dit le roi. Cette dichotomie entre arabe populaire et arabe classique (ou littéraire) est niée par certains universitaires français enseignant l’arabe, sous prétexte qu’il s’agirait de « la même langue ». Curieuse « même langue » où la compréhension minimale ne passe pas ! Il faut être sacrément sourd à la réalité, ou aveuglé par l’idéologie, pour persister à voir « une même langue » là où les individus ne se comprennent à l’évidence pas. C’est de cette dichotomie liquidatrice de toute vraie souveraineté populaire que l’occitanisme doit absolument se garder.

[22] Psychique et morale.

[23] Que l’on se rassure : ces mœurs restent encore, pour l’instant, plurielles et je ne mets pas tout le monde dans le même sac ; mais des tendances lourdes ne s’en dessinent pas moins…

[24] L’on sait combien il est difficile d’être sur le vélo et d’en descendre pour se regarder pédaler.

[25] Je dis bien « à leurs yeux » car souvent l’on ne retiendra – inconsciemment ou consciemment - des enseignements de la linguistique, de la littérature ou encore de l’histoire, que ce qui sert et alimente l’idéologie en question, qui est toujours a priori, comme un voile que l’on jette sur le réel et en sera le prisme, quoi qu’il arrive. Ainsi, quand on se persuade que la seule forme légitime est « meteis » et la forme «  mème » un affreux gallicisme, peu importe que des textes anciens puissent porter « mesme » ou « misme », l’affaire est entendue. Et à« rétablir » pour rétablir, pourquoi ne pas reprendre alors, dans le toulousain, la forme populaire « metís » ou « medís », pourtant présente chez Goudouli ? Parce qu’elle a le tort d’être local, de ne pas appartenir au registre du « standard », parce que « meteis » est attesté par les textes les plus anciens et surtout parce qu’il a l’insigne avantage d’être très proche du catalan « mateix ». Or dans l’esprit de beaucoup c’est cette proximité qui est un vrai gage d’authenticité de la langue, quand ce n’est pas de dignité : le catalan n’est-il pas pour eux, et imaginairement, un occitan qui a réussi ? Et l’article « lo », que nous partageons avec le catalan, n’est-il quand même pas plus noble, plus présentable, que ce bâtard de « le », mi-languedocien mi-gascon, mi-rural mi-urbain, mi-populaire mi-savant, et plus gênant qu’autre chose, finalement, comme tous les bâtards ?

[26] Cet exemple-là, le premier d’une longue série qui m’a fait réfléchir, je le tiens du regretté Jean Guilhèm à Carbonne, qui avait appris le français à l’école et parlait un occitan fluide et populaire. Il ne s’était jamais imaginé que les cours d’occitan qu’il prendrait sur le tard se révèleraient aussi dogmatiques que ceux qui l’avaient initié au français, dans son enfance, à l’école de la République…  Mais qui nous garantit que demain ces missi dominici s’en tiendront au lexique et n’iront pas jusqu’à nous dire : « Non cal dire « cal pas… », cal dire « Non cal »… » ?

[27] Cf. la théorie philosophique de Vainiger du « Monde comme si » (« die Welt als ob »), effectif quand des adultes se retrouvent dans l’état affectif et mental d’enfants captivés par un conte, une représentation de Guignol, un film ou un jeu vidéo.

[28] S’est-on déjà demandé ce que, par ex., l’expression « grafia sucursalista francesa » (pour qualifier la graphie dite mistralienne), expression très politiquement orientée, pouvait bien signifier pour un quidam peu instruit du jargon occitaniste et qui la rencontre pour la première fois dans l’introduction à un dictionnaire d’occitan régional, en l’occurrence le très salutaire dictionnaire de gascon toulousain de Nicolau Rei-Bèthvéder  (IEO Edicions, 2004, p. 11)?

[29] Pierre Bec me racontait il y a une trentaine d’années que son père, pharmacien au Fousseret, pratiquait quotidiennement le gascon du lieu, y compris dans son officine, mais qu’il écrivait et envoyait des poèmes en languedocien de Toulouse quand il s’agissait de participer au concours littéraire des Jeux Floraux de cette ville. Bel exemple de pluralité linguistique, même s’il s’inscrit dans le cadre d’une perception quasi diglossique de la langue, l’occitan mondin, celui de Goudouli, étant perçu sans doute ici comme plus urbain (au sens de « policé »), et plus littéraire, que le gascon du cru. Mais qui n’a connu de ces Ariégeois capables de parler languedocien à Foix et gascon à Saint-Girons ? Il en existe encore, soit dit en passant, comme existent encore de ces locuteurs héritiers capables de préciser comment l’on dit ou prononce (différemment) à tel ou tel endroit. Preuve que le locuteur local n’était pas enfermé dans une sorte d’autisme linguistique, que la pluralité linguistique n’était pas vécue comme un obstacle à la compréhension et à l’échange, que – si la langue n’était pas théorisée comme un seul et même système linguistique – elle était néanmoins ressentie et pratiquée comme telle, au sein même de ses variations d’énonciation. Où l’on voit s’opposer la vérité phénoménologique de la vie (ici, langagière) à la véritééternelle, mais désincarnée, figée et stérile, de l’idée abstraite de Langue, de ce qu’elle devrait être…

[30] Lequel goût, c’est connu, peut aller jusqu’à s’exprimer parfois par la (gentille) moquerie, reconnaissance indirecte, implicite, de la différence de l’autre…

[31] Citée par Barbara Cassin dans Plus d’une langue, Bayard, Coll. « Les petites conférences », 2012, p. 64.

[32] Le linguiste Jacques Taupiac explicite très pédagogiquement, depuis les années 70, comment et pourquoi la normalisation graphique ne doit pas être une normalisation linguistique. Et des pédagogues comme André Lagarde savent rassurer les locuteurs héritiers qui craignent de ne pas parler « le vrai occitan » : « Çò que parlatz es de bon occitan, tot parlar es d’occitan e de bon occitan ». Il semble que cette vision des choses ne soit plus dominante : désormais l’on n’hésite plus à faire savoir aux locuteurs naturels qu’ils ne parlent pas selon la sacro-sainte Norme, ce qui les renvoie illico presto à une anormalité qu’ils ont la plupart du temps déjà vécue à l’école de la République, soit parce qu’ils ne parlaient pas français, soit parce qu’ils ne parlaient pas le « bon français ». Ainsi donc ils n’auront jamais, de toute leur vie, parlé« comme il faut ». Si l’occitanisme actuel n’est pas pour eux le lieu de la revanche sociale, de la fierté récupérée, d’un vivre-ensemble non-hiérarchique dans lequel ils puissent se retrouver, ils s’en détournent – à juste titre – et laissent les nouveaux petits-maîtres à leurs affaires.

[33]« C’est précisément parce que les concepts chomskyens de compétence (connaissance intériorisée de la langue) et performance (emploi de la langue tel qu’on l’observe), tout comme les concepts saussuriens de langue et parole, correspondent à deux modalités d’un réel unique, et non aux fondements de deux linguistiques incompatibles, que l’étude de la variation n’est d’aucune manière en contradiction avec la notion de système. Si un système est caractérisé par sa cohérence, au moins globale, et par son organisation en unités discrètes (opposables les unes aux autres par des différences de nature et non de degré), comme le sont les phonèmes, il ne s’ensuit pas que ces unités soient immuables. Justement parce qu’elles se définissent d’abord par des différences, leur contenu peut se diversifier, pourvu que ces différences soient maintenues. La variation est, en dépit de l’apparence, liée à la notion de système », Claude Hagège, L’homme de paroles, Fayard, 1986, p.277.

[34] Pour être plus exact, c’est tout discours humain qui fonctionne sur ce schéma : « L’homme inscrit indéfiniment sa différence dans les plis de la langue, malgré les incontournables de la grammaire. Les oscillations de sa parole sont une autre trace de sa singularité. », C. Hagège, op. cit. , p.282.

[35] C’est le cas de l’arabe coranique, référence suprême du nationalisme (pan-) arabe, comme nous le rappelle Mohamed Benrabah, in Langue et pouvoir en Algérie, Séguier, 1999, p. 84 : « Le miracle, selon lui [Zaki al-Arsouzi, idéologue syrien], ne date pas de Mahomet mais d’Adam, et l’idiome coranique est celui des origines précédant Babel. Arsouzi est en fait pétri de mythes et croyances véhiculés par la tradition arabo-islamique qui décrit l’arabe classique comme divin pour deux raisons : la première est qu’Allah a dicté le Coran en « pur arabe » ; la deuxième tient du caractère « inimitable » (el i’jaz) de cet idiome. C’est donc l’aspect linguistique du Coran qui fait de l’arabe une « langue miraculeuse ». De ce fait, le « nationalisme » arabe se conçoit difficilement sans l’islam. »

[36]« C’est l’usage qui fait sens ».

[37] Est-il besoin de reprendre ici les nombreuses et édifiantes analyses montrant tout ce que le centralisme français et sa mythologie nationale doivent à l’imposition hégémonique d’une Norme unitariste ? Cf., entre autres, Le  mythe national, de Suzanne Citron, Les Editions ouvrières/EDI, 1991.

[38] Cf. Jean-Pierre Faye,  Théorie du récit, introduction aux langages totalitaires, Hermann,  Coll. Savoir, Paris, 1972, p. 62.

[39] Idem, p. 60.

[40] Sur le concept de « totalitarisme », tel que nous l’envisageons ici, voir L’invention démocratique de Claude Lefort, Fayard, 1981.

[41] Ainsi Josiana Ubaud donne-t-elle « ceremònia », dans son Diccionari ortografic, gramatical e morfologic de l’occitan (Editions Trabucaire, 2011, p. 373), là où le francophone dit « cérémonie » et où le locuteur héritier occitanophone dit spontanément – et depuis des siècles maintenant – « ceremonia ». En cela elle est d’accord avec Alibert, dont elle dénonce par ailleurs – et avec pertinence, me semble-t-il – certaines erreurs et certains choix contestables car dictés par l’idéologie. Mais n’y a-t-il pas la manifestation d’un choix idéologique sous-jacent, et sans doute involontaire, dans le fait de choisir le très étymologique et très lettré« ceremònia » comme seule référence valable, contre le très populaire et plus que très répandu « ceremonia » ? Il en va de même pour le couple « Occitània/Occitania » : pourquoi la forme « Occitània » fait-elle quasiment l’unanimité dans l’occitanisme actuel ? Parce que l’on n’enseigne pas l’autre forme – la populaire – aux nouveaux apprenants, parce que l’étymologisme fait florès dès lors qu’il éloigne du français et semble rétablir par là même la Langue dans sa pureté originelle, pureté qu’elle est censée avoir perdue au contact de l’intrus francimand. Ainsi, contre un usage populaire massif, mais aussi contre le témoignage de la littérature elle-même, où les occurrences de « Occitania » se comptent par dizaines, l’imaginaire fondamentaliste d’un certain occitanisme – qui a hélas le vent en poupe – va-t-il peut-être réussir à faire croire que la forme « Occitània » est la seule àêtre légitime. Mais pourquoi seules les formes étymologiques repérées ou les reconstructions opérées par la Linguistique seraient-elles porteuses de légitimité ? C’est importer une sorte d’impératif catégorique dans un domaine qui ne relève pas de la morale. Où l’on voit que la Langue « pure » est le Bien, non pas tant pour des raisons afférentes à l’objectivité de la Science linguistique que pour des raisons morales : la Langue purifiée recoud ce qui avait été déchiré, elle rétablit le juste face à ce qui est considéré comme une injustice perpétrée par l’Histoire, elle remet le Français à sa place ( : dehors !), elle renoue avec la pureté des origines, celle de l’époque des Troubadours, de l’Age d’Or d’avant la catastrophe (les Croisades contre les Cathares et l’annexion à la France), elle efface des siècles de malheur. L’étymologie et l’archaïsme nous vengent et rétablissent ce qui doit être (l’impératif catégorique, la seule légitimité qui vaille aux yeux du moraliste) contre ce qui est. Or il ne va pas de soi que ce schéma, qui vaut pour la morale, soit exportable et valable dans d’autres domaines, notamment dans celui – éminemment pédagogique – de la resocialisation éventuelle de l’occitan. En effet, dans ce domaine, ce qui compte, nous l’avons vu, c’est ce qui est, la langue réellement parlée, pas la langue rêvée. Mais tant que l’hebdomadaire La Setmana utilisera exclusivement la forme « Colòmbia », et tant que Josiana Ubaud ne mentionnera que la forme « Colómbia » (op. cit., p. 400), alors que le peuple occitanophone ne connaît que « Colombia », l’hiatus mortel entre la langue réelle et la langue fantasmée par certains occitanistes ne fera que s’approfondir. Prétendre rétablir la transcendance de la Norme Pure contre l’immanence d’une norme d’usage, c’est prétendre qu’il n’y a pas eu de verdict de l’Histoire, que l’oïl et l’oc ne se sont pas fécondés l’un l’autre, qu’il n’y pas eu métissage des peuples et des cultures, c’est nier le réel, sa pluralité et sa complexité. Il est plus que temps d’en finir avec « le monde comme si… ».

[42] Il n’est que de constater combien les expressions artistiques véritablement populaires (par ex. Catinou et Jacouti, en pays toulousain) sont méprisées ou snobées par nombre d’occitanistes, combien de longues années il a fallu avant que le personnage comique de Padena ne soit reconnu par une intelligentsia occitaniste qui ne voyait en lui que du négatif (« Mais quelle image de nous donne-t-il ! ») et puisse enfin accéder à la scène d’un festival comme L’Estivada… Pourtant, Padena – personnage porteur de marqueurs identitaires éminemment populaires, à commencer par le parler, et qu’il réhabilite, a rassemblé et rassemble encore des milliers et des milliers de personnes, est l’artiste occitanophone qui vend le plus de cd ou cassettes (dont un grand nombre sur les marchés et les foires, à côté de ceux d’Yvette Horner, Mireille Mathieu, les Beatles ou M6 Solar). Il représente une vraie réussite populaire. Qui peut en dire autant ?

[43] Ce qui est somme toute une posture française très classique. Qui ne se souvient d’un Jacques Chirac plaidant pour la défense et l’instauration de la pluralité culturelle dans le monde mais ne faisant pas grand chose pour la rendre effective dans son propre pays ?   

[44] Claude Hagège, opus cité, p. 276.

[45] Rogièr Teulat évoque cette tentation alibertine (op. cit., p. 126) : « Un exemple entre autres : Gramatica p. 82 : « Los parlars conéisson pro variable. Aquelas fòrmas convénon pas dins la lenga escrita ». Òm vei pas per de qué convénon pas senon que en francés i a que assez de, fòrma invariabla ; mentre que la tendéncia de la lenga vertadièra es justament a l’expression del genre e del nombre pels determinatius indefinits : paucas gents, tròpa pauretat… Notar l’oposicion parlars/lenga escrita».

[46] C’est ce qui vient d’arriver à un extrait de Al temps que te parli d’André Lagarde, extrait reproduit par le tout récent manuel scolaire Tu tanben !, édité par le CNDP de Montpellier, et dont la langue a été normalisée. Ainsi les élèves n’auront pas accès à cet occitan sud-languedocien, si particulier, qui était inhérent à la parole de la grand-mère de l’auteur. Son altérité leur est par là même refusée, ils ne sauront même pas qu’une normalisation linguistique a eu lieu et pourront continuer à croire que l’on parle et écrit le languedocien de la même façon dans le piémont pyrénéen qu’à Agen, Aurillac, ou sur la côte méditerranéenne.  

[47]« Le langage est l’invention du langage, continûment. Au marché comme dans un poème. Simplement, il ne s’invente pas de la même façon ici ou là.», Gérard Dessons, La force du langage, Honoré Champion, Paris, 2000, p. 88.  

[48] On ne peut évoquer cette idéologie sans renvoyer à ses soubassements les plus solides : «per Alibèrt, i a dos nivèls d’expression : la lenga parlada, a l’estat salvatge, e la lenga escricha, qu’es corrècta, clara. Aquel nivèl escrich es totjorn apelat lenga literària (autre signe del temps) ; e praquò la lenga emplegada dins la Gramatica es una lenga tecnica, pas una lenga literària. (…) Alibèrt definís pas clarament los nivèls d’expression (sa teoria normativa es fondada sus la teoria normativa francesa de l’epòca), çò qu’entraina lo gost de l’arcaïsme e del catalanisme. », R. Teulat, op. cit., p.111. 

[49] Cf., sur ce point encore, R.Teulat, id., p. 111 : « Aital tanben del manlèu a una nòrma estrangièra, per parlar clar los manlèus faches per Alibèrt a la lenga catalana. Lo catalanisme es situat dins l’istòria e es una marca de l’ideologia del normalisaire. Lo catalanisme èra a la mòda avant la guèrra (…). La nòrma catalana èra concebida coma la nòrma tipica, la nòrma qu’a capitat, mentre que la lenga occitana èra encara a l’estat salvatge. Critèri purament subjectiu, la lingüistica modèrna nos aprenent que totas las lengas se vàlon, foncionalament parlant. Aital, quand Alibèrt preconisa comprar contra crompar (general en occitan), daissa veire (inconscientament) son ideologia catalanofila. (…) Quand Alibèrt preconisa particular e comprar, qu’existísson pas dins l’intèrsistèma occitan, s’agís efectivament d’una lenga fargada. Lo problèma es diferent del manlèu de fonèma al grecòlatin per çò que lo concèpte de « fonèma » existís pas al sens precís dins l’usança quotidiana, mentre que particulièr e crompar i son al nivèl del concèpte e al nivèl de l’expression (s’agís quitament de vocables dels mai utilisats). » Est-ce à nouveau si différent ?

[50] La recherche d’une légitimité linguistique octroyée par l’Histoire peut parfois prendre un tour cocasse, qui ferait rire si les choses n’étaient pas, en vérité, si dramatiques. Il nous a été donné de lire, dans les toilettes de l’Ostal d’Occitania, à Toulouse, l’annonce suivante : « Prèc d’escampar pas de papièr dins lo bachàs ». Le contexte de la phrase fait comprendre que « prèc » se veut ici l’équivalent de « pregària ». Mais le mot « pregària » a dû paraître trop religieux ou trop calqué sur le français « prière »à la personne qui a écrit cette demande insistante. Alors elle s’est tournée vers le trésor sans fond des raretés, des cultismes, des archaïsmes, etc., certaine d’accéder ainsi à la pureté essentielle et d’échapper à la contamination par le français. Las, le rarissime « prec » - qui n’est pas moins religieux que « pregària » mais désigne aussi au Moyen Âge les prières que l’on adresse à une dame ! – ne sauve pas la phrase de l’influence française car c’est sa syntaxe, par sa nominalisation initiale, qui est un calque du français. Une connaissance pragmatique de la langue réelle eût été plus utile, et plus efficace, que le désir idéologique : en l’occurrence, et comme dans beaucoup de langues latines, le locuteur « naturel » aurait préféré l’emploi d’une forme verbale (« Vos pregam de.. », « Vos demandam de… », « Sètz pregats de… », etc.). Seule la pratique régulière d’une langue peut donner au locuteur ce que l’on appelle communément « le sens de la langue » et qui est plus la conscience de la manière dont les discours des uns et des autres sont habituellement tournés qu’autre chose…  C’est cette même pratique qui nous fera préférer « Se prohibe fumar »  à« Prohibición de fumar » (calque du français). Encore faut-il, pour maîtriser à peu près une langue, s’intéresser à sa pratique effective… 

[51]« (…) siègui Max Allier quora protèsta que la lenga d’Òc carreja dins sos ressons una sentida especificament populara, e que lo poèta d’ara la causís per sa libertat a regard de tot passat academic. », Fèlix-Marcèl Castan, Argumentari, I. E. O., coll. Ensages n°2, 1994, p. 34.

[52] In Cours de linguistique générale, Payot, 1984, p. 278.

[53] Ainsi le Dictionnaire de linguistique de Larousse, Paris, 1972, à la page 149 : « Employé couramment pour dialecte régional par opposition à« langue », le dialecte est un système de signes de règles combinatoires de même origine qu’un autre système considéré comme la langue, mais n’ayant pas acquis le statut culturel et social de cette langue indépendamment de laquelle il s’est développé : quand on dit que le picard est un dialecte français, cela ne signifie pas que le picard est né de l’évolution (ou à plus forte raison de la « déformation ») du français. »

[54] Qu’il soit notion ou pratique langagière effective, l’un – le dialecte – n’existe pas sans l’autre – la langue.

[55]« (…) disi « parlar », l’unitat de basa, e non pas « dialècte », qu’es una construccion mentala (…). », Joan Penent, correspondance privée.

[56] Cités par Frédéric Duval in Mille ans de langue française, histoire d’une passion, Perrin, Paris, 2010, p. 127.

[57] Frédéric Duval, op. cit., p. 104.

[58] Mais qui nous sauve de quoi ?

[59] Ils seront bientôt doublement ringards et provinciaux : par rapport à La Norme unitariste française et, désormais, par rapport à La Norme unitariste occitane.

[60] Il m’a été donné d’entendre, à Foix, un professeur certifié d’occitan déclarer : « Je n’enseigne pas le dialecte ariégeois ».  Mais pourquoi donc ? Ce parler n’est pas assez digne, noble, esthétique, littéraire, facile ? On ne sait trop. Ce qui est sûr c’est que d’abord l’expression « le dialecte ariégeois » ne veut rien dire pour qui s’intéresse un tant soit peu aux variations linguistiques caractérisant ce département ; ce qui est sûr aussi c’est que ce collègue, ariégeois en poste en Ariège, ne pratique pas le « bas usage », par incompétence supposée (ce n’est pourtant pas très difficile de repérer les principales caractéristiques des dites variations), par haine de soi, par souci d’initier ses élèves au « beau langage », à cet occitan standard qui seul semble trouver grâce à ses yeux (standard qui, néanmoins, notons-le au passage, n’existe pas encore officiellement ; chacun peut donc se faire son petit standard à soi, ce qui est quand même assez paradoxal…). Comment et pourquoi ce collègue, au demeurant sincèrement dévouéà la cause occitaniste, ne voit-il pas qu’il applique là le schéma hiérarchique et normalisateur dont les langues de France et leurs locuteurs ont tant souffert ?

[61] Même si pour moi le nationalisme occitan, aussi respectable qu’il puisse être, est tout autant une impasse que le nationalisme français.

[62] Je laisse de côté l’occitanisme version Castan et Sicre qui n’entre dans aucune de ces deux catégories.

[63] Aux éditions Vent Terral, coll. Documents n°1, 1976.

[64] In Claude Martí, Seghers, coll. Poésie et Chansons, Paris, 1975, p. 63.

[65] David Grosclaude, à qui je faisais remarquer un jour que l’Occitanie ne s’était jamais constituée historiquement comme nation, m’a répondu : « Si elle ne l’a jamais été, alors il faut faire en sorte qu’elle le devienne. »

[66] Cf. le livre de  Jean Penent : Occitanie - L'épopée des origines, éditions Cairn, 2012.


L’engagement des linguistes pour les langues en danger

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Le linguisque Alex François au travail... (illustration stéréotypique)

 (copie à télécharger en format rtf : Observatoire)

 

L’engagement des linguistes pour les langues en danger

Une lecture de : Cahiers de l’Observatoire des pratiques linguistiques, n° 3 « Langues de France, langues en danger : aménagement et rôle des linguistes »

 

            Ce recueil, dont vous trouvez la version pdf en ligne, contient un ensemble d’articles traitant des diverses formes d’engagement des linguistes de terrain pour les langues en danger (LED, il y aurait pas mal à dire des effets sémantiques induits par l’adoption de cet acronyme[1]), c’est-à-dire, évidemment, pour leurs locuteurs. Plus précisément, des linguistes y parlent de leur propre engagement de terrain. Il s’agit donc d’analyses internes à la profession et d’autoanalyses. Il y manque ainsi, c’est la première observation critique que je ferai, des regards extérieurs, non filtrés par le linguiste[2].

            Le recueil n’en demeure pas moins très intéressant (je parlerai ici surtout des articles qui se concentrent sur le sujet principal). Est mise en avant l’implication du linguiste de terrain dans la reconnaissance des situations de multilinguisme et de plurilinguisme et surtout des entreprises de revitalisation. Cet engagement ne va pas sans négociations permanentes avec les « idéologies » (entendu par làà la fois les « idéologies, croyances, attitudes et représentations ») en présence, aux différents niveaux local, régional, national, international, selon le schéma proposé par Colette Ginevald et Michel Bert dans l'introduction de leur article de présentation («Langues en danger, idéologies, revitalisation »), où l’on voit du premier coup d’œil que le monde académique, ironiquement représenté par une tour d’ivoire, dont le sommet touche au ciel du transnational, s’il daigne faire du terrain, interagit avec les locuteurs, et il faudrait en fait aussi dire, avec les autres niveaux (la clôture de la tour étant, quoi qu’on dise, largement fictive), ne serait-ce qu’à travers les subsides qui lui permettent de travailler (le schéma est reproduit ci-dessous). Très généralement rémunéré par un État (plus rarement par des organisations internationales ou des fondations privées) qui est souvent réticent voire hostile au développement des LED et ne compte guère aller au-delà de la reconnaissance symbolique et si possible muséographique, le linguiste qui manifeste un engagement à la fois théorique et pratique en faveur des langues en danger est voué, ou plutôt condamnéà l’ambiguïté. C’est tout particulièrement le cas des linguistes de terrain français, forcément confrontés au peu d’enthousiasme (c’est le moins que l’on puisse dire) des administrations nationales ou mêmes locales et de certains partenaires sociaux (syndicats d’enseignants, etc.), dès lors que leur travail excède la description pour s’engager dans la voie ne fût-ce que de la reconnaissance publique des langues sur lesquelles ils travaillent, sans parler de revitalisation, concept à peu près absent des déclarations de politiques linguistique en France. Cette remarque se veut simplement lucide ; il s’agit de souligner avant tout les difficultés auxquelles sont confrontées les linguistes de terrain et dont ils témoignent d’ailleurs abondamment dans leurs articles respectifs.

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            Cette condition peu confortable est d’ailleurs immédiatement visible à la lecture de la préface d’une demi-page du délégué général à la langue française et aux langues de France Xavier North (présentée en français, en allemand, en anglais, et certes pas dans l’une de ces langues pouilleuses de France dont il a la charge). Cet éminent fonctionnaire de la République, dans une parfaite langue de bois, y déclare que les études présentées dans le recueil « fournissent des éléments pour une politique linguistique dont l’État entend assumer pleinement la responsabilité ». Pourtant, les textes qui suivent la préface démentent largement cet énoncé ronflant, en soulignant plus d’une fois l’extrême difficulté de la mise en place, sur le territoire français, de politiques linguistiques favorables aux LED (puisque tel est le terme).

            Mais, je m’aperçois aussitôt que, emporté par la passion, j’ai mal lu la déclaration du haut fonctionnaire, qui connaît son travail et, si puis dire, ne perd pas le nord : aux linguistes à proposer des « éléments » ; à l’État d’assumer ses « responsabilités » régaliennes en décidant d’en tenir ou non compte dans une politique linguistique qui demeure largement axée sur le French Only. Ainsi avons-nous d’emblée, dès le seuil du livre, un concentré de la situation de dépendance du linguiste professionnel qui, ravalant son amour propre, doit accepter de publier son article à la suite de ce qui semble bien être un simple rappel de sa position subalterne (il propose, l’État dispose).

 

En Guyane, au « service » de l’éducation nationale

            De toute façon, il n’a pas le choix ; s’il veut agir, au-delà du travail de documentation et de description, il lui faut en permanence batailler, négocier, concéder et ruser, c’est-à-dire démontrer encore et toujours son innocuité, voire persuader qu’il peut être « utile », le cas échéant contre ses propres convictions. Un beau cas est offert par Michel Launey, qui explique son action et celle de ses confrères chercheurs, dans « un contexte glottophobe » de la Guyane.

            La Guyane est fameuse pour son plurilinguisme, avec ses six langues amérindiennes des familles arawak et caribe, ses créoles (guyannais et bushinenge), ses langues issues de migrations très diversifiées parmi lesquelles le hmong du Laos que Cerquiglini a rangé dans la liste des langues de France, et où, surtout, le français est souvent langue seconde, une situation qui n’existe plus dans l’hexagone mais qui reste affrontée en Guyane, comme elle l’était autrefois partout sur le territoire national et colonial, par l’exclusion de la langue première de l’école, non sans des effets négatifs sur les résultats scolaires, d’ailleurs connus et reconnus de tous.

            Les propositions du linguiste font désormais l’unanimité dans la profession, mais certes pas dans l’administration ni, disons-le, dans la société, qui plus est lorsque la langue première est socialement dévaluée : « comme la première expérience du langage faite à travers la langue première doit être soutenue plutôt qu’entravée, il faut, chaque fois que c’est possible, intégrer une certaine présence de cette langue première, pour aider l’enfant à se construire comme bilingue, en exploitant les potentialités intellectuelles du bilinguisme, plutôt qu’exclure symboliquement sa langue en faisant comme si elle ne faisait pas partie du monde et en lui donnant l’impression que le plurilinguisme est un domaine conflictuel dans lequel il est du côté des perdants. » (p. 133).

            Le linguiste est cependant réaliste, il sait que « le monde (avec la Guyane dans le monde) étant ce qu’il est, il serait indécent de prôner un retrait du français », mais au moins devrait-on renoncer à l’exclusion de la langue première, dès lors que la reconnaissance au moins symbolique de celle-ci favorise « la maitrise du français dans un bilinguisme équilibré et, à sa suite, la réussite scolaire. » (p. 134).

            C’est pour améliorer la réussite scolaire, c’est-à-dire la maîtrise du français, et certes pas pour l’amour des langues premières, que les linguistes du CÉLIA furent sollicités à la fin des années 90 : ils se trouvèrent « dans la situation un peu douloureuse d’être sommés d’être utiles (et ce dès le début de leur travail !), tout en voyant que ledit travail était considéré avec méfiance. » (p. 134). Les interventions ont commencé en 1998 à l’IUFM par un cycle de conférences sur les langues et cultures de Guyane, qui se transforma à partir de 2001 en module de formation de FLS (Français langue seconde) assuré par Michel Launey lui-même, auquel s’ajoutèrent des interventions dans la formation permanente des enseignants. Cette activité de formation déboucha sur le recrutement de médiateurs bilingues (devenus en 2007 ILM – Intervenants en langue maternelle).

            Les linguistes et intervenants durent faire face aux fortes réticences du « principal syndicat » et à l’« hostilité déclarée d’une partie du rectorat ». Le dispositif aujourd’hui se trouve amoindri et fragilisé et le constat final est quelque peu désabusé : l’idée de la valorisation du bilinguisme pour favoriser la réussite scolaire et pour l’intégration sociale (ne parlons bien sûr pas des droits linguistiques bafoués des locuteurs, discours infiniment moins audible encore), ne passe toujours pas (p. 139).

 

En Rhône-Alpes, au « service » de la région

            Un cas apparemment plus gratifiant est présenté par Michel Bert et Jean-Baptiste Martin qui parlent de leur participation à la genèse d’une politique linguistique régionale à travers le projet FORA (Francoprovençal – Occitan – Rhône-Alpes). Au départ, une études commanditée par la région Rhône-Alpes visant à« dresser un bilan réaliste de la situation des pratiques sociolinguistiques », à« rendre compte des attentes et espoirs des habitants […] en la matière », et enfin à« préconiser les termes d’une politique » linguistique.

            A l’issu de ce travail, une partie importante des préconisations sont devenues des dispositions de la politique linguistique régionale ; sensibilisation des Rhônalpins à leurs langues régionales, aide à l’étude et à la valorisation du patrimoine linguistique, promotion de l’enseignement en concertation avec les autorités académiques… L’un des gros problèmes irrésolus étant constitué par le fait que le francoprovençal n’est toujours pas reconnu par le ministère de l’Éducation nationale. Les linguistes semblent donc avoir ici favorisé l’adoption d’une politique linguistique, somme toute assez modeste, mais apparemment conséquente.

            Certains détails de l’article interpellent cependant, comme cette phrase-ci, qui montre avec une naïveté qu’il faut saluer, le type de contraintes auxquelles le linguiste de terrain est soumis : « Les services de la Région avec qui nous avons travaillé nous ont […] conseillé de ne pas proposer de carte de la vitalité des langues régionales en Rhône-Alpes pour éviter d’éventuelles réactions défavorables de certains élus locaux ou régionaux » (p. 71). Donc point de carte… et le lecteur n’a pas même le moyen de comprendre si ces cartes risquaient d’être litigieuses du fait d’un excès ou d’un déficit de vitalité.

            Je ne peux non plus résister à citer la conclusion : « Rhône-Alpes n’a peut-être pas été la première Région à défendre très activement ses langues régionales […], mais il y a désormais une réelle et forte volonté de les soutenir. Les actions qui seront conduites devraient permettre d’enrayer leur déclin et de leur donner une nouvelle vie » (p. 77). Là, pour le coup, le linguiste va au-delà de l’ambiguïté qui est son lot, puisqu’il renonce à sa position critique pour conclure par une formule qui aurait parfaitement sa place dans un document d’autopromotion (j’évite par pudeur le mot de propagande) du conseil régional.

 

Malvenu chez les Chtis

            Les exemples précédents montrent que les résistances, voire l’hostilitéà l’engagement du linguiste est susceptible de venir aussi bien des locuteurs et des populations locales que de l’appareil administratif ou des élus.

            Alain Dawson s’interroge opportunément « sur le degré admissible d’implication du linguiste en milieu hostile ». Le milieu hostile, en l’occurrence, est le Nord-Pas de Calais, où les locuteurs utilisent le glossonyme issue des tranchées de la Grande guerre, chtimi ou chti et affirment sa distinction la plus nette d’avec le picard, parlé chez les voisins de Picardie. Il ne s’agit pas seulement d’un conflit de dénominations mais d’opinions sur le statut même de ce qui est parlé : le chti serait un « patois », populaire, festif, drôle (telle est l’image véhiculée par le fameux film) et destinéà disparaître à brève échéance, alors que le Picard est présenté comme une « vraie langue », qui n’intéresserait que les élites, donc quelque chose de sérieux, qui s’enseigne…

            Or, pour le linguiste, il s’agit, indiscutablement de la même langue, avec certes, d’importantes variations, qui s’étend jusque dans le Hainaut belge (où l’identification au picard est revendiquée). Le picard est reconnu comme « langue de France », mais en tant qu’il englobe ce qui est populairement nommé chti.

            La « réintégration du « fait chti » dans « l’aménagement linguistique du picard », exige, de la part du linguiste, argumente Dawson, quelque souplesse et concession ; surtout elle donne toute sa crédibilité et éventuellement une certaine efficacité persuasive aux concepts de langue polynomique ou de langue à standardisation polycentrique (avec ce que ces procès de standardisation, pour polycentrique qu’il soit, peut éventuellement avoir de discutable – voir ici le texte d’Éric Fraj).

            Ainsi, Dawson n’a-t-il pas hésitéà réaliser deux méthodes Assimil ; une en « chtimi » et l’autre en picard. Sa conclusion me paraît des plus sages, engageant à des ruses qui, comme je l’ai souvent dit sur ce blog, ont trop souvent fait défaut à nos linguistes militants occitans : « S’il considère sérieusement comme faisant partie de son rôle social le devoir de restituer à la communauté des locuteurs le résultat de ses recherches, le linguiste attachéà l’étude du picard en Nord-Pas de Calais doit soigneusement tenir compte de ces représentations, sans céder en rien sur son propre corpus de connaissance, qui peut être distinct du corpus de croyances en cours dans la société » (p. 52).

 

Bretonnants

            C’est un constat similaire, me semble-t-il, que fait Ronan Calvez pour le breton (« De quoi breton est-il le nom ? »), c’est-à-dire dans une situation sociolinguistique entièrement différente. En Bretagne, certes, la conscience linguistique est très élevée (89 % des Bretons, selon un sondage, affirment qu’il faut maintenir la langue, non autrement nommée « breton »). Le breton des bretonnants « naturels » est cependant tantôt perçu comme une langue méprisable (surtout hors de Bretagne, dans les médias nationaux par exemple), tantôt exalté (caractère « populaire et essentiel de la langue paysanne »), tantôt considéré comme devant être dépassé (dans la recherche d’un standard unificateur).

            Il existe un discours revitalisateur dominant, selon l’auteur, qui est promu, entre autres, par l’Office de la langue bretonne, alors que « ce que disent les bretonnants de leurs pratiques langagières fait l’objet de peu d’études […] et n’est que rarement pris en compte par les cadres politiques ou bien par les promoteurs de la langue. ». Il me semble, pour ma part, qu’en effet, les locuteurs « natifs », pour le cas que je connais (l’occitan), ne sont pas suffisamment ou mal pris en compte, à la fois par les chercheurs, les élus et les militants. Généralement âgés et non-revendicatifs, ils sont si faciles à oublier… Mais dans une perspective de revitalisation, il est clair qu’il est tout aussi important de s’intéresser aux « néo-locuteurs » et, justement à la complexité de leur relation avec les locuteurs « natifs » ; et le fait même que Calvez réserve, comme on le voit, le mot de bretonnants pour ces derniers me paraît éminemment problématique. Je viens de lire à ce sujet un article passionnant, en anglais (et à paraître), de James Costa (« New speakers, new language: on being a legitimate speaker of a minority language in Provence »).

 

Sociolinguistique impliquée de périphérie

            Mais en effet, le linguiste de terrain lui-même engagé dans la revitalisation peut avoir tendance à focaliser ses efforts sur une langue d’avenir conforme à ses vœux de pleine reconnaissance linguistique. Cela se comprend parfaitement : puisqu’il travaille à lever la malédiction du « patois » et à combattre la vision diglossique de la langue, il ne peut pas, finalement, tout comme les autres militants engagés pour la sauvegarde de la langue, ne pas entretenir une relation ambiguë (peut-être parfois même négative) avec les locuteurs qui affirment parler patois et ont entièrement incorporé le fonctionnement diglossique. C’est là un autre niveau d’ambiguïté.

            Cette conception du linguiste engagé est assumée, pour l’occitan, dans leurs articles respectifs par Henri Boyer et Patrick Sauzet.

               Henri Boyer (« L’implication du sociolinguiste ‘périphérique’ »), revient sur l’engagement des linguistes dans la sociolinguistique dite souvent « périphérique » (ou encore parfois « des chercheurs natifs »), qui, dès les années soixante s’est appropriée le concept de diglossie en lui donnant un sens fortement conflictuel. Dans cette approche, en parfaite cohérence avec les convictions théoriques qu’elle développe, le sociolinguiste, face au conflit diglossique, ne peut être neutre, soit il participe au travail de substitution des « patois » par le français, soit il s’inscrit dans la revendication linguistique. Boyer renvoie évidemment à ce propos aux contributions majeures de Robert Lafont et cite l’un des premiers numéros de la revue Lengas (n. 5), dont les rédacteurs déclarent : « la connaissance […] fait de nous nécessairement des acteurs, dans l’élucidation d’une situation conflictuelle et donc dans sa transformation ». Et en effet, la tâche d’élucidation porte d’abord sur la mise en évidence de « l’idéologisation du conflit diglossique (dont la fonction première est de l’occulter aux yeux des dominés), et en premier lieu du pouvoir des représentations-attitudes (et de leur version figée : stéréotypes-préjugés), qui ont un impact décisif sur la situation de dominance et sa logique substitutive ». De ce point de vue, accomplir le travail d’élucidation et s'engager en faveur de la langue dominée ne font qu’un.

            Mais, précise Boyer, cet engagement « n’autorise en contrepartie aucune faiblesse. Et dans sa démarche scientifique, le sociolinguiste impliqué doit donc, me semble-t-il, établir un diagnostic irréprochable sur la base d’un impératif catégorique d’ordre théorique et méthodologique : la loi du terrain ». Boyer cite, à titre d’exemple, le travail accompli sur d’anciens élèves de Calandreta, dont j’avais ici rendu compte et qui valut à son auteur des remarques courroucées et à mon avis déplacées de Jean-Louis Blénet.

            En conclusion, Boyer évoque un article de Françoise Gadet (Langage et société, 2004), qui se plaint de la « marginalisation » et « ancillarisation » des sociolinguistes français, tout en ignorant « ostensiblement la mouvance qui, au sein du champ en question, a fait de l’implication sociale l’une de ses lignes de force épistémologiques ». Je suis allé voir cet article sur la plate-forme de CAIRN (« Mais que font les sociolinguistes ? »), où on lit en effet une déploration de l’« exception française » telle qu’Antony Lodge la dénonçait en 1998, « une toujours vivace soumission à la norme, écrit Gadet, qui me semble produire des effets même chez ceux qui devraient en être les premiers libérés, les linguistes ». Et en effet, après avoir lu cela, il est sidérant de ne pas trouver la moindre référence aux « disciples » de Lafont, comme Boyer et Sauzet, ostracisés, du fait même de leur revendication (et relégation) périphérique. Ainsi Gadet performe très exactement cela même qu’elle dénonce.

            Patrick Sauzet (« Occitan : de l’importance d’être une langue ») insiste sur la responsabilité des linguistes, qui ont longtemps utilisé le mot de patois (Albert Dauzat, etc.), en en faisant un concept linguistique : le patois est « le langage humain comme objet naturel étudiable » ; c’est pourquoi les locuteurs, idéalement, ne doivent pas le lire ni l’étudier. Les linguistes qui donnent encore un sens « scientifique » au concept de « patois » (Henriette Walter en particulier), s’inscrivent nécessairement dans cette filiation intellectuelle.

            Mais une autre position se dessinait déjà dès l’époque de Jules Ronjat (1864-1925), linguiste et félibre, qui associait « description scientifique et revendication linguistique et culturelle ». En effet, « le premier rôle que peuvent jouer les linguistes est de briser l’opposition entre description scientifique de l’occitan et pratique de la langue. »

            Et l'on doit bien reconnaître que l’affirmation de la dignité de langue est redevable, très largement, aux travaux des linguistes eux-mêmes ; la prise de conscience du fait que ce que l’on appelle patois est une « langue nue », privée d’État, faute de bénéficier d’une « marine de guerre » selon la formule de Weinrich (voir ici même mes réflexions à propos d’un autre article de Sauzet).

            Mais Sauzet va plus loin, assignant au linguiste la participation à une tâche collective de relai, de porteur de flambeau, dans la transmission de la langue, malgré la tendance lourde de substitution, par l’aménagement des conditions de possibilité d’une réappropriation de la langue. « Le militantisme, les efforts des collectivités, l’activité enseignante ne peuvent pas inverser la substitution à court terme, mais peuvent maintenir et développer un réseau ouvert de pratique vivante de la langue. Tant qu’une pratique existera qui puisse accueillir des locuteurs, la force des contenus disponibles auxquels la langue donne accès peut un jour induire une réactivation inattendue, inespérée de la pratique de l’occitan. » (p. 103-104). Le linguiste a incontestablement un rôle important à jouer, à la fois par l’acquisition et la diffusion des connaissances, en forgeant aussi des outils pour sa transmission dans la situation actuelle, et surtout, finalement, en participant lui-même à la pratique de la langue, dans son activité d’enseignant, mas tanben, benlèu subretot, dins la vida vidanta.

 

Médecine et biodiversité linguistique

            Mais d’abord, les locuteurs engagés, les militants, occitans en l’occurrence, veulent-ils des linguistes ? Il est sûr que, dans l’occitanisme, le compagnonnage est ancien ; Sauzet a raison de rappeler le nom de Ronjat ; il fut même un moment ou le leader du mouvement, Robert Lafont, était, entre autres choses, un linguiste de premier plan.

            Mais qu’en est-il aujourd’hui ? James Costa, dans son article pour le recueil (« Mythologie(s) occitane(s) et figures de l’autorité »), croit constater l’effacement de la figure du linguiste et du sociolinguiste dans le discours militant au profit de celles du psycholinguiste et du médecin ; la revendication, de plus en plus, devient dans les textes militants (par exemple dans la revue de l’IEO Anem ! Occitans), celle d’un droit à retrouver une langue dont la perte est appréhendée du point de vue de ses effets pathologiques sur les sujets. Costa fait ici état d’une tendance lourde de l’appréhension de toutes les questions sociales, du point de vue de la psychopathologie et plus généralement de la médecine, associées ou nom à une approche en termes d’écologie.

            Mais notons bien que le linguiste lui-même travaille à son propre recyclage ! Comme on le sait, on parle de plus en plus aujourd’hui d’« écologie des langues », laquelle d’ailleurs, comme il apparaît à la lecture de l’article de Nadège Lechevrel (« langues en danger et écologie du langage ») qui a consacré une thèse à cette question, l’assomption par le linguiste d’un modèle d’écologie des langues et des cultures inspiré directement des études sur la biodiversité, est certes susceptible de conduire à une position non interventionniste (il serait néfaste, pour certains[3], d’intervenir « artificiellement » dans les rééquilibrages « naturels » entre langues), mais surtout, sur le modèle là encore d’un engagement des chercheurs en faveur de la préservation des écosystèmes menacés, d’une position active et participante : « Les travaux d’écologie des langues dans le domaine des langues en danger vont vers la recherche d’un équilibre linguistique, qui, pour être atteint, nécessite une part d’intervention ou des formes d’action de la part des linguistes. Cela implique une réflexion sur les liens entre recherche et action, c’est-à-dire sur le rôle du linguiste dans la cité, sa capacité d’action, et la notion d’expertise en général ». Lechevrel cite à l’appui des auteurs (Skutnabb-kangas et Philippson) qui « ont fait remarquer que trop peu de sociolinguistes associaient dans leur pratique travail de terrain et posture contestataire face aux politiques linguistiques, ou osaient contester les textes des lois sur les droits linguistiques » (p. 38).

 

Expérience rama et plurilinguisme kanak

            Pourtant, c’est apparemment de plus en plus souvent le cas, et « notre » sociolinguistique impliquée de « périphérie » n’est pas une exception. Colette Grinevald et Michel Bert (« Langues en danger, idéologies, revitalisation ») rappellent comment à partir des années 80 du siècle passé, les linguistes d’Amérique du Nord ont apporté leur soutien aux langues autochtones des USA contre le mouvement English Only et ont participé aux protestations contre les célébrations prévues de la « découverte » de l’Amérique.

            Grinevald relate comment elle-même a participé, entre 1984 et 2010, à un projet de revitalisation du rama, une langue indigène du Nicaragua en très grand danger de disparition, qui aujourd’hui apparaît comme une expérience positive, puisque la langue qui était presque éteinte est à nouveau pratiquée (voir la page qui lui est dédiée sur le site Sorosoro[4]). Mais le linguiste, à travers ce bel exemple, ne peut que constater qu’il ne peut rien à lui seul : dans le cas du rama, en effet, la processus fut rendu possible à la fois du fait d’une volonté politique, avec l’adoption d’une législation très favorable (loi 162 « sur l’Utilisation Officielle des Langues des Communautés de la Côte Atlantique du Nicaragua » 1996) et d’une mobilisation conséquente de la population concernée, désireuse de pratiquer la langue et surtout de la transmettre. Les ramas en effet se sont appropriés le projet, qui « est devenu un support pour la construction de l’identité rama, apparemment d’une importance cruciale pour toutes les générations », avec l’émergence de nombreux « semi-locuteurs », et la prise en charge les activités de revitalisation par des néo-locuteurs (p. 27). Car, pour autant, une nouvelle génération de locuteurs natifs n’est pas apparue ; on assiste plutôt de l’« attribution d’une valeur démonstrative à une langue « trésor » dans le cadre d’un territoire menacé », ainsi qu’on peut l’observer ailleurs ; Grinevald renvoyant à la thèse de James Costa (2010) consacrée aux mouvements de revitalisation linguistique en Provence et en Écosse, dont on espère qu’elle sera prochainement publiée.

            Cette notion de langue « trésor » est sans nul doute intéressante d’un point de vue analytique, même si lorsque nous parlons nous aimerions tant que la langue serve d’abord à ce pourquoi elle est faite, c’est-à-dire, tout simplement, à la communication usuelle, en effet de plus en plus rare et difficile.

 

            Comme nous ne pouvons nous empêcher de rêver, sinon il y aurait beau jeu que nous aurions renoncé, j’ai même trouvé dans le recueil ce qui m’est apparu comme une magnifique utopie, dont on peut pourtant dire : « cela a été », et qui reste donc un possible, en réserve pour l’avenir de l’humanité. Dans son article consacré aux difficultés d’établir une documentation sur une langue kanak ultra-minoritaire (l’haméa), Claire Moyse-Faurie m’a appris, qu’en Nouvelle Calédonie, « jusqu’à une date récente, on avait affaire à ce que A.-G. Haudricourt a appelé un plurilinguisme égalitaire puisqu’aucune langue n’était plus prestigieuse qu’une autre : avant la colonisation, il n’y avait ni langue dominante, ni pôle social prédominant. ». Et cela non pas du tout du fait de la juxtaposition de microsociétés autarciques, closes sur elles-mêmes : « Ce n’est donc pas à cause d’un isolement supposé dans chaque vallée que les langues kanak se sont différenciées. Au contraire, les textes de tradition orale mettent en évidence que les échanges entre groupes ont toujours été intenses » (p. 144). Il y a là, certes, quelque chose à apprendre, pour l’invention d’une culture linguistique et bien sûr sociale, qui en aurait vraiment fini avec le colonialisme. Je l’ai dit, on peut, on doit toujours rêver.

Jean-Pierre Cavaillé

 

Colette-Grinevald-parmi-des-locuteurs-de-rama-au-Nicaragua

Colette Grinevald parmi les locuteurs de rama au Nicaragua



[1] Il me paraît en effet évident que l’adoption de l’acronyme neutralise une grande partie de ce que la formule « langues en dangers » peut avoir de dramatique et dérangeant. Il mes semble intéressant d’y réfléchir.

[2] Certaines citations sont cependant bien intéressantes comme celle-ci, que donne Claire Moyse-Faurie dans son article sur la documentation d’une langue kanak : « À la question «quel est pour toi le rôle du linguiste ? », voici la réponse de Marie-Adèle Jorédié (enseignante de xârâcùù au collège de Canala, avec qui je collabore pourtant depuis plus de 20 ans…) : «Les linguistes, jusqu’à présent, ont été par leur travail les meilleurs défenseurs et porte-drapeau des langues minoritaires du monde. Cependant, j’aurai un tout petit reproche à leur faire, c’est qu’ils sont souvent ’spécialistes’ et que le commun des mortels (enseignant, locuteur, simple curieux d’une autre langue) ne trouve pas souvent son compte dans les écrits et ou descriptions qu’ils font des langues. Une description normale, correcte, précise d’une langue devrait permettre la création d’outils didactiques. D’où, j’attends du linguiste d’être toujours ’très spécialiste’ non plus uniquement pour des spécialistes comme lui, mais également pour les profanes comme nous, les locuteurs.»

[3] Lechevrel renvoie à Salikoko S. Mufwene, Language Evolution : Contact, Competition and Change, London, New-York, Continuum, 2008.

[4] Cependant le site dédiéà la langue rama signalé par la page de Sorosoro et par Grinevald n’est manifestement plus actif et les moteurs de recherche n’en proposent pas d’autres.

Il napoletano alla prova del reality show

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Troverete qui sotto la traduzione e l’aggiornamento in italiano del post Le napolitain à l’épreuve de la téléréalité.

 

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Il napoletano alla prova del reality show

Una volta ancora, il miglior cinema italiano, quello fedele all’eredità del neo-realismo, parla in “dialetto” (virgolette da non trascurare), in questo caso il napoletano. Sono in fatti andato a vedere e a sentire Reality, il film di Matteo Garrone, il regista di Gomorra, di cui si èra già parlato qui.

 

Grande fratello e ildialetto”

Realityè una commedia amara, una favola cupa sull’Italia (post-) berlusconiana in cui il modello dominante – un modello globale, sociale, economico, etico e culturale –, sarebbe quello proposto e imposto dai reality show. È la storia di Luciano, un modesto pescivendolo del centro storico. Vive in un appartamento misero e sovraffollato nel cortile di un palazzo tanto signorile quanto scadente, circondato da una famiglia e da un vicinato più veri del vero, vale a dire nella migliore tradizione del teatro napoletano (dei fratelli De Filippo, tra tanti altri). Con l’aiuto della moglie e del suo impiegato, Luciano cerca di arrotondarsi lo stipendio con una truffa alla vendita di robot da cucina, così sofistica che non sono sicuro di averne nemmeno ben capito il segreto. Senza pensarci, per compiacere la figlia più piccola, accetta di partecipare ad un provino in un supermercato per la trasmissione Grande fratello (il reality chiamato Secret story in Francia, Big brother un pò dovunque; ne esiste una moltitudine di versioni intorno al mondo, tutte basate sullo stesso principio della clausura e dell’esibizione permanente davanti alle telecamere). La sua vita ne rimane completamente sconvolta, vampirizzata ormai dal desiderio ossessivo di vedersi assunto nello show, sotto gli occhi prima complici, poi inorriditi della famiglia. La commedia, a poco a poco, si trasforma in un incubo.

Garrone ha particolarmente curato la lingua, facendo ricorso ad attori di varie compagnie “dialettali” campane; tutte le scene in famiglia e nel quartiere vengono recitate nel’idioma partenopeo, vale a dire in “dialetto” più o meno “stretto”. Quando Luciano poi parla italiano, ad esempio nei provini, conserva un accento molto forte e tratti idiomatici tipicamente napoletani.

D’altronde, la ragione per cui non riesce a farsi coinvolgere nella trasmissione, nonostante il suo carisma, potrebbe essere proprio questo suo accento troppo marcato e questi suoi modi di dire, che corrispondono male al modello linguistico associato allo show: un italiano standard degradato, strapieno di parole e espressioni prese in prestito all’inglese. Sono un pò sorpreso che nessun critico italiano abbia considerato questo aspetto: cioè che il mondo a cui Luciano appartiene, gli ambienti popolari napoletani che guardano Grande fratello in TV, non hanno (ancora) incorporato il modello fino al punto di parlarne la lingua, anche se tali influenze sull’italiano colloquiale e sullo stesso “dialetto” sono innegabili.

È ovviamente questa presenza della lingua napoletana che mi interessa qui e non le qualità o gli eventuali difetti del film, gran premio della giuria al Festival di Cannes, trattato molto male dalla stampa francese e invece piuttosto elogiato in Italia. Ci sarebbe qui molto da riflettere, perché il confronto dei critici francesi ai critici italiani è di gran lungo sfavorevole ai primi; questi, il più spesso, rimangono completamente estranei ai codici espressivi sfruttati da Garrone, confondono l'oggetto della sua satira con la sua estetica e trascurano del tutto la portata sociale, anzi filosofica del film (Garrone riesce a farci credere per un momento che il vecchio modello complessivo de la religione cattolica sarà in grado di salvare Luciano dall’affogamento nel delirio del reality show), per non parlare della dimensione linguistica che, quando non rimane inosservata, si limita a delle sciocchezze (“dialetto napoletano alquanto colorato...”, “ritmo irresistibile del dialetto...”, “anche il gustoso dialetto napoletano diventa caricaturale, grottesco...”, tale blogger si lamenta perché non può nemmeno “rivedere” il suo italiano, il film essendo in “dialetto”, ecc.).

Per essere onesto, devo ammettere che gli stessi luoghi comuni si ritrovano anche nella stampa italiana: un critico parla della “straordinaria musicalità del dialetto napoletano” e un altro della sua “dolce melodia”. C’è chi anche, tra gli internauti italiani, si lamenta perché il film è tutto “in dialetto napoletano”, anche se sottotitolato. Tuttavia, la maggior parte, come Arianna Pagliara, insiste sull’ “uso efficace ed espressivo del dialetto” e sul suo ruolo essenziale nei momenti di commedia, ma anche quando il dramma va crescendo.

Si cercherebbe però invano una qualsiasi analisi un pò approfondita di questa scelta del “dialetto”. Eppure, il napoletano traccia la più grande differenza, tradisce il divorzio più radicale tra le condizioni sociali dei protagonisti, il loro universo culturale immediato (quello delle conversazioni al caffè, delle discussioni in famiglia) e il mondo incantato dei prodotti del reality show che, di fatto, sono forse diventati ormai tra i loro più importanti referenti culturali, e di cui parlano, caso mai, a tavola e al banco, invariabilmente nel loro proprio idioma.

 

Genocidio e resistenza

Paolo Mereghetti, nel Corriere della Sera, dichiara: “il genocidio di un popolo e di una cultura, di cui parlava Pasolini, si è ormai compiuto e Garrone ce lo racconta con un film intenso e dolente”. Il giornalista rimanda ad un famoso intervento del 1974 in cui Paolini si rifa ad un passo del Manifesto del Partito Comunista di Marx ed Engels: “la distruzione e sostituzione di valori nella società italiana di oggi porti, anche senza carneficine e fucilazioni di massa, alla soppressione di larghe zone della società stessa”. Questo genocidio avviene clandestinamente, attraverso “una sorta di persuasione occulta”; “I giovani hanno perduto il loro antico modello di vita […] e adesso cercano di imitare il modello messo lì dalla classe dominante di nascosto”.

Tra le altre cose, questo genocidio colpisce il linguaggio e porta all’afasia, alla “perdita di capacità linguistica. Tutta l’Italia centro-meridionale aveva proprie tradizioni regionali o cittadine, di una lingua viva, di un dialetto che era una lingua vivente, rinsanguata da continue invenzioni quasi poetiche; c’era una meravigliosa vitalità linguistica. Il modello messo lì dalla classe dominante li ha ora bloccati linguisticamente”.

Sono passati pressappoco quarant’anni. Alla vista del film di Garrone, si può effettivamente aver voglia di dire che, ormai, tutto è consumato; la sostituzione dei valori si è davvero verificata. L’unica differenza è che il modello della classe dominante non è più quello della borghesia dei signorini educati per bene; è diventato quello dell’ignobile volgarità berlusconiana diffusa dovunque: l’estetica kitsch di Garrone lo dimostra abbastanza. Si incarna soprattutto nel carattere di Enzo, protagonista di tutti i matrimoni e festeggiamenti pubblici, perché ex vincitore del Grande Fratello, ammirato e desiderato da tutti.

Eppure bisogna costatare, almeno a Napoli, che il “dialetto” ha resistito, mentre tutti, o quasi, continuano a considerarlo uno stigma sociale e non certamente un vettore di cultura. Tuttavia, la sua esistenza, la sua sola presenza basta a dimostrare che il modello televisivo non riesce, almeno in parte, a formattare del tutto gli uomini, anche se gli può rendere pazzi. È molto probabile che la maggior parte dei locutori, ahimè, sono pronti a riconoscere la superiorità infinita del modello offerto dalla lingua standardizzata dei presentatori e eroi del Grande Fratello, sinonima di successo e di modernità (anche su questo piano la trasmissione realizza al suo modo l’incubo di Orwel) e giudicata molto più sexy, più desiderabile del dialetto dei poveri disgraziati.

Tuttavia, Garrone mostra anche che tutti i giudizi sullo show non sono unanimi; fin dall’inizio alcuni membri della famiglia hanno il coraggio, di fronte a Luciano e alla sua nuova religione, di prendersi gioco della trasmissione e di opporsi alle pazzesche aspirazioni del pescivendolo. In ogni caso, tutti vedono, eccetto Luciano perché per l’appunto è diventato pazzo, che il mondo del Grande Fratello è un mondo televisivo, un mondo dei sogni (di successo, di riconoscimento, di lussuria, ecc.), ma che la sua confusione con una realtà che tutti vorrebbero fuggire è di per se distruttiva. Questa resistenza della realtà viene rappresentata, anzi incarnata dal “dialetto”; è il segno della differenza ontologica tra essere e apparenza, tra la vita e le immagini. Anche se la separazione, la scissione viene distrutta da Enzo – la trappola identificatoria di Luciano – che è la figura in carne e osso dell’eroe della banalità, un uomo qualunque trasfigurato, esaltato, deificato dalla televisione, ma egli ha addirittura quasi perso ogni mezzo linguistico; il suo discorso si limita alla ripetizione di alcuni slogan stupidi, preferibilmente in inglese: “Neverrrr give up ! pronunciato ovviamente con une fortissimo accento italico.

Il “dialetto” è in ogni caso legato, inchiodato, condannato alle classi subalterne; come se portasse irrimediabilmente su di se il marchio della maledizione sociale. Da questo punto di vista, non è certo un caso se l’attore che interpreta Luciano, Aniello Arena, davvero bravissimo, sia detenuto nella fortezza di Volterra, ergastolo per la sua partecipazione ad un crimine mafioso successo a Napoli quasi 20 anni fa (strage di piazza Crocelle a Barra). È membro della Compagnia della Fortezza diretta da Armando Punzo, composta dai carcerati (Garrone già aveva tentato di farlo recitare in Gomorra).

 

“Dialetti” e prigione

Chi lo desidera troverà on line vari articoli dedicati alla storia personale di questo attore fuori del comune (ad esempio sul sito di Cinema Fanpage). Attraverso di lui, si insiste ancora una volta sul legame tra il “dialetto” e il mondo dei bassifondi e del crimine, che solo l'arte può salvare. Questa redenzione attraverso il teatro e il cinema, è quella dello stesso dialetto, in qualche modo sublimato, salvato dalla sua dannazione sociale, riscattato tramite la sua pratica artistica.

Ed è esattamente quello che succede con l’ultimo opus dei fratelli Taviani, Cesare deve morire, interamente recitato da attori detenuti nella sezione di massima sicurezza del carcere romano di Rebibbia. Provo difficoltà ad esprimere quanto questo film, di grandissima intensità e bellezza (direi quasi pasoliniano), mi ha commosso. Si tratta di una interpretazione, dietro le mura della prigione, di Giulio Cesare di Shakespeare, che incontra, si mischia e si confonde con la vita quotidiana dei detenuti attori, tutti quanti condannati a pene lunghissime. Anche in questa prigione, in effetti, esiste una compagnia teatrale, diretta da Fabio Cavalli. Il regista adatta opere classiche come Amleto o La Tempesta di Shakespeare o ancora l’Inferno di Dante, chiedendo agli attori di tradurne i passi e le battute nei loro propri dialetti (romano, napoletano pugliese, siciliano, ligure...). Spiega Cavalli: “Non vorrei sembrare leghista [appena uno parla bene dei “dialetti” in Italia, sente purtroppo la necessità di fare questa precisazione], ma i dialetti rappresentano un patrimonio inestimabile della nostra cultura nazionale. Inoltre i miei attori, che sono perfettamente in grado di recitare in italiano, nel loro dialetto riescono ad traslare con una forza ancora maggiore i linguaggi alti che animano un grande dramma come il Giulio Cesare. Una catarsi che ho potuto sperimentare anche con altri classici…”.

Gli spettatori vengono ad assistere agli spettacoli nel carcere stesso. Alcuni di questi hanno avuto un grande successo. I fratelli Taviani hanno assistito ad una rappresentazione, e non ne sono usciti illesi: “[gli attori] avevano scelto alcuni canti dell'Inferno e ora nell'inferno del loro carcere rivivevano il dolore e il tormento di Paolo e Francesca, del conte Ugolino, di Ulisse... Li raccontavano ciascuno nel proprio dialetto, confrontando a tratti la storia poetica che evocavano con la storia della propria vita. […] Sentimmo il bisogno di scoprire con un film come può nascere da quelle celle, da quegli esclusi, lontani quasi sempre dalla cultura, la bellezza delle loro rappresentazioni”.

Questa pratica del teatro classico in carcere è agli antipodi del fantasma alimentato dallo spettatore per la trasmissione Grande fratello. Il “dialetto” non è più qui ciò che separa il mondo reale dal mondo dei fantasmi, baluardo e ostacolo che, quando casca, conduce all’anientamento nello spettacolo; diventa piuttosto quello che permette di replicare su un altro piano, tramite il testo classico, la sua propria tragedia umana; la sua funzione è davvero catartica, così come lo dice Cavalli.

         Il compito culturale assegnato al dialetto, in questa operazione, è quello di restituire ai classici la loro forza originaria, affievolita nella lingua nobile della cultura alta; a sua volta, il dialetto, con la traduzione e l’appropriazione dei grandi testi, diventa una lingua letteraria, si nobilita e in qualche modo supera se stesso... Questo scambio è tipico della creazione dialettale italiana odierna, di sorprendente vitalità. Sfrutta e sovverte la diglossia, senza però mettere in causa le funzioni e le gerarchie che dividono e oppongono la lingua e i“dialetti”. Per questa ragione, le questioni cruciali della trasmissione scolastica e della pratica culturale normalizzata dei “dialetti” in quanto “lingue” (e ovviamente lingue sono da un punto di vista prettamente linguistico) non possono nemmeno essere formulate.

Jean-Pierre Cavaillé

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Camisets revolucionaris made in Lemosin

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Camisets revolucionaris made in Lemosin

 

       En Lemosin, sèm pas de capons, sèm pas de colhas mòlas, òc, avèm una armada clandestina de liberacion : la Comunautat Revolucionària Independentista dau Lemosin, la terribla e valorosa CRIL, esconduda dins l’escurina, presta a sorgir per afrancar Occitania !

           Enfin, aquò es l’idèa luminosa qu’un jove tipe trobèt i a dos o tres ans per vendre de camisets e de casquetas a Lemòtges e dins tota la region. Ara se vei d’en pertot, i a pas una veitura sens un pega-solet de la CRIL que fa la concuréncia amb los de Groland e de la fuelha de castanha del Conselh Regional dau Lemosin. La CRIL se presenta (en francés) coma « la marca identitaria lemosina » que joga sus « la provocacion e l’umor », e « reivendica la fiertat d’èsser Lemosin pel biais de sos produches ». Vertat que lo Lemosin, coma se sap plan, es una granda productriz de coton e de camisets...

          Sus la veirina de la botica se pòt legir un tèxte (en francés) en lètras gròssas, un tèxte infantil, bestia e maladreit a ne’n plorar. Vos en fau la revirada en lengadocian (que degus la faguèt pas en lemosin) : « Un còp èra i aviá una tèrra dins lo naut d’Occitania… / Un cunh del monde escondut, un monde de tradicions./ Una tèrra verda de castanhièrs e rica de bestial. / Coma per totas las causas raras, aqueste païs venguèt en pauc de temps una riquesa als uèlhs dels òmis. / E coma tota riquesa, aqueste païs aviá sos enfants protectors. La Comunautat Revolucionària Independentista dau Lemosin. Vaquí l’armada esconduda del « Limouzi » [sic]… La CRIL » Te sembla la pagina d’acuèlh d’un marrit jòc videò a basa d’eroïc fantasiá, sabes, amb una musica pomposa a la Wagner en darrèr. Mas aquí se tracha puslèu d’un clinhet, d’una mena d’ironia ; la tòca es de far moderne sens se prene tròp al serios ; lo valat, lo gorc, l’avenc entre lo Senher dels anels e aquesta prosa malbiassuda es aital prigond, tanben (digam lo per caritat), per desamorçar lo mai possible aquel sigle que se vòl provocant, mas solament un chic, solament çò que cal per vendre bonetas, calcetas e bavarèls.

          E lo monde s’enganan pas, si que non botarián pas de reclama per la CRIL sus lor veitura e comprarián pas aquels vestits, plan segur. Çò que lor agrada, çò me sembla, es la reivendicacion umoristica e ironica d’una identitat regionala, e donca culturala, forçadament, amai aquò foguesse pas tròp clar. Perqué lo messatge que passa sul sicut amb la CRIL es que se podèm utilisar aital de mòts pesantament cargats coma « independéncia » e « revolucion » amb tant d’inocéncia es qu’aquí sèm als antipòdes d’una reivendicacion politica, o puslèu la reivendicacion politica es qu’aquí sèm plan contents d’èsser de franceses de França, amai se servissem solament d’escabèu per montar a la capitala. Aital, dins la CRIL, lo Lemosin es presentat, d’un biais subliminal, coma l’anti-Païs Basca o l’anti-Corsega, un païs d’adesion, disèm a 99 per cent, al modèl indentitari nacional francés e francimand, si que non, evidentement digus podriá pas rire de se amb la CRIL. Demora fin finala aqueste 1 per cent ont se pòt benlèu trabalhar a servar de tròces, o puslèu de micas de cultura e de lenga sens èsser vists coma de terroristas separatistas en poténcia. La CRIL es lo melhor testimòni del gras subrelevat d’alienacion centralista del Lemosin. Perqué soscatz i, de que vòl dire, rire aital de se, dins una simulacion ironica de las accions independistas qu’an existit e qu’existisson totjorn endacomai, a mai dins la doça França ? Qualcun d’un pauc assabentat sul sicut podriá trapar aquel rire de marrit gost : cossi doblidar que las luchas per l’independéncia en Euskadi o en Corsica rebalan lor catenas de mòrts e de centenats de prisonièrs politics escampilhats dins las centralas francesas. Cadun rís de çò que vòl, mas lo rire a totjorn un sens e dins aqueste afar, totjorn per caritat cristiana, cercarai pas a mai aprigondir la significacion d’aquesta parodia lemosina del terrorisme e de la clandestinitat.

          De tot biais, zo ai dich, las causas son claras, almens ; totis rison, digun s’engana pas, digun pren pas la CRIL per çò qu’es pas… Enfin, quora disi que lo monde s’enganan pas, me cal apondre que i a almens una exepcion notabla e aquí voli mercejar l’amic Tiston que me l’a senhalada. Avètz benlèu (segurament) ausit parlat del GPO (Govern Provisòri per la Republica Federala Occitana), amb son president, sa republica, sa monèda, mas – notatz plan – pas son armada (es tota la diferéncia amb la CRIL !). Aqueste govern fantauma del país fantauma se recampèt a Limòtges al mes de julhet 2011, amai i ajèt un article dins lo Populari del centre. Vòli pas me mocar, que seriá trop simple, qualcun de mal intencionat podriá benlèu dire qu’es lo topin qu’escarnís l’ola e l’apela cuol negre ! Mas cossí far per pas venir mocandièr o almens per pas èsser pres de compacion, quora s’ausís – sus una video de propaganda pel GPO – lo president actual Cristou Daurore que ditz aital (podètz controlar) : « Quora sem anatz a Limòtges avem ditz : ‘es al Lemosin de crear la sieu republica’ e quora i sèm anats, avem agut la suspresa de veire que s’èra ja creat un moviment per l’independéncia de la republica del Limosin ». Òc, avètz plan legit, e es pas brica una galejada, es pas bric auna nhòrla ! Aquels d’aquí an pres la CRIL al pè de la letra ! An cambiats los Lemosins que portan naut lo sigle sul porta clau e sul parabrisa per d’independentistas acarnassits ! Es çò que s’apela prendre de botarigas per de lanternas, o sos desirs per la realitat.

            Mas tornem encara un pauc a la CRIL vertadièra, vendairitz de camisets identitaris « made in Limouzi » (sic ! es escrit aital sus mai d’una nipa, amai se los camisets de coton venon segurament d’un pauc mai lenh !). Lo legeire nos demandarà : e la lenga dins tot aquò ? Ben, disèm qu’es pas completament escafada : lo tipe qu’a trobat – puslèu inventat – lo filon, per çò qu’ai aprés, parla pas brica la lenga, mas venguèt s’assabentar e prendre de conselhs de grafia quora aviá deja depausada la marca jos la fòrma « Limouzi ». Tenguèt pr’aquò plan compte d’aquels conselhs, coma zo prova las frasòtas que, de còps que i a, se trapan suls camisets : « Mesfia te ! », çò ditz una femna que mòstra lo biceps ; « Minja ta sopa pitit Limouzi » (sus un bavarel) o encara la mai longa e desesperanta declaracion : « Ses la 1000 persona que me damanda la revirada de queu chamison !!!! ». Desesperanta perqué evidentament, supausa que lo portaire o la portairitz trobarà quasiment pas digun per comprene çò qu’es escrit, çò que, malastrosament, es pas fals… Se trapan tanben de frasas mescladas, anglés / lemosin : « Limouzi sea sex and sun. Sai assedrada ». Assedrada de que ? Vist qu’en Lemosin i a ni mar ni solelh, demora pas que lo sèxe ! Declaracion donca un pauc embarassanta de portar sul pitre per una domaisela plan coma cal, mas vist que degun dèu pas comprene, compta pas ! Fin finala lo monde comprendran melhor l’anglés blos : « Choose your life », ditz un camiset adobat de vacas, d’autres, non sens ironia, dison « Limouzi boss » o « Limouzi beach » e plan segur totis entendran lo francés ont se pòt far de jòcs de paraulas coma « 100 pur sang Limouzi ».

            Bon, la CRIL, se pòt pas zo negar, balha un pauc de visibilitat a la lenga, mas ironicament, coma un lenga que, almens aital escrita, digun sap pas legir. Es puslèu, fin finala, l’idèa de la lenga coma part virtuala de l’identitat, una idèa de lenga mai qu’una presença reala, e çò que m’estona, es lo pauc d’esfòrç per usar de biaisses de dire vertadièrament lemosins (quals en defòra de nosautres, en Lemosin, a pas jamais utilisat per exemple lo verbe « revirar » ?), que se podrián, amb un pauc d’adrèça, botar tanben en francés lemosinat (en francitan lemosin), per far lo ligam amb la lenga encara parlada pel campestre. Mas aqueste ligam es trencat, los bocins de lenga de la CRIL son de simulacres de lenga, de signes de lenga ; los que ne’n fan mòstra sul pitre, sus l’esquina o sul cuol la parlan e coneissan pas mai, çò que lor agrada es d’arborar, d’exibir lo signe d’una lenga pantaissada, idealizada e completament exteriora, estrangièra en fait, sens aver quitament una clara consciénça de la perdia de la lenga vertadièra, la que se parla, non pas la qu’es escrita sus de camisets a la mòda.

            Vertat tanben que se trapa totjorn quicòm de pièger… e de mai plasent. Figuratz vos qu’ai descobert tota una linha de camisets en çò d’Idakoos amb d’eslogans que viran totis a l’entorn de la lenga, mas que son totis, totis vos disi… en anglés. Vaquí d’exemples : « Urgent. Occitan translator lady required » ; « I speak occitan » ; « Occitan is my identity » ; « … say it in occitan » ; « Occitan is a piece of me » ; « I don’t want to talk if it is not in occitan » ; « Does anybody know occitan ? Please… » ; « I can teach you the Dark side of occitan » ; « Anything you want, but ask me in occitan », etc. Vaquí, enfin, un occitan vertadièrament moderne, brevetat interament dins la lenga mondiala ! Es quitament pas mai la pena de far finta d'en saber lo mendre mòt, a mai tanben de francés… un anglés de farlabica vos sufís per plastronar plaça de la Mòta o carrièra del Clochièr, o mielh encara, en zona nòrd a… cossí s’apela ? òc, Family village !

 

Joan Peire Cavalièr

Idakoos

 

Brève excursion en terre mirandaise, via Euskadi

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Brève excursion en terre mirandaise, via Euskadi

 

Entre Noël et le premier de l’an, je suis retourné, un peu à l’improviste, dans la région de Miranda do Douro au nord du Portugal, près de la frontière espagnole, où l’on parle le mirandais (voir mon post d’août dernier). Mon objectif n’était pas, en si peu de temps, d’en apprendre plus sur la langue. J’ai quand même eu la confirmation que celle-ci est en grand danger, n’y ayant pratiquement plus, nulle part, selon les personnes que j’ai rencontrées, de transmission familiale, y compris dans les petites aldeias (villages). Sa présence à l’école n’est que purement symbolique (un cours optionnel de trois quart d’heure par semaine et un seul maître pour toute la région !).

Par contre les personnes d’un certain âge ne se font pas prier pour vous montrer comment les choses se disent en mirandais… la fierté est évidente d’avoir une langue reconnue comme telle (« officielle »), même si tout le monde semble résignéà sa disparition, ou plutôt à une sauvegarde purement symbolique. J’ai rencontré aussi par hasard (enfin pas exactement, presque par hasard, comme je dirai plus loin), l’un des acteurs de la blogosphère mirandaise, Thierry Tiégui, du village de Cicourou, qui vit en France et a appris la langue à Lyon, au sein de sa famille (voir par exemple son blog You que sei...). Parfois l’émigration ou l’exil offrent paradoxalement des opportunités de transmission qui ont presque disparu in situ.

 

Haltes en Euskadi

Lorsqu’on part du Limousin, où la langue vernaculaire est moribonde, pour gagner la région de Trás-os-Montes, où le mirandais ne se porte guère mieux, malgré la reconnaissance dont elle bénéficie, quel choc, en tout cas, que de faire halte en Euskadi, côté Espagnol. La longueur du voyage nous y convie. Mais aussi, quel bonheur ! Car, en ce pays – je dis une trivialité, excusez-moi –, c’est vraiment autre chose ! A Donostia / San Sebastian, où je me suis arrêtéà l’aller, même si le castillan domine, la langue basque est présente partout, et pas seulement parce que Zorionak (Bonnes fêtes) s’affiche en lettres de 20 m de haut sur le palais des congrès flambant neuf. C’est bien le basque qui est parlé dans les cafés de jeunes de la vieille ville. Et je garderai un souvenir ému de ce bistrot, au matin, où la serveuse discutait avec des enfants de sa famille et leur mère, dans un basque troué de mots et d’expressions espagnoles. Cette scène tout à fait banale, évidente, se charge pour nous de la plus grande émotion… Des enfants bascophones, s’exprimant naturellement dans une langue qui circule dans l’intimité familiale et ne se cache pas. Une scène que nous n’osons même plus imaginer ici. Et cela, oui, comparativement, nous remplit de tristesse ; ce n’est pas seulement que la langue puisse être parlée en bouches enfantines mais aussi et plus encore qu’elle puisse être celle du lien entre les âges.

Au retour, j’ai fait une halte à Zizurkil, près de Tolosa, où toutes les indications urbaines sont d’abord en basque, dans un gite de la vallée d'Aiztondo, tenu par la ferme d’à côté. Dans cet espace, le basque était partout ; langue là aussi de toute la famille, et omniprésente dans ce gite destiné pourtant aux touristes : dans la bibliothèque, qui comprenait notamment les œuvres de Fernando Artola Sagarzazu alias Bordari (Bakoitzak berea), romancier et grand poète improvisateur, et trois monographies entièrement en basque ou bilingues sur l’histoire et l’habitat de Zizurkil ; sur le mur, où trônait une grande carte en relief d’Euskal Herria aux couleurs passées d’où toute frontière entre France et Espagne était ostentatoirement absente... A la radio, plusieurs stations émettaient en Euskadi et, au moins, une chaîne de télévision.

Et vous ne voudriez pas que je trouvasse (!) les fadaises de la CRIL de Limoges affligeantes !

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Souvenir de Zizurkil : dans le gite

 

La fête de Constantim (Miranda do Douro)

Mais je ne suis pas allé au Portugal via Euskadi pour comparer les situations socio-linguistiques et comparer le limousin au mirandais… Je signale seulement à l’attention des Limousins que, s’ils vont à Zamora, à quelques encablures de Miranda, ils pourront visiter une chapelle romane dédiée à… San Leonardo de Noblat. Ils se sentiront moins perdus.

Même si le motif principal du voyage n’avait pas de rapport immédiat avec la thématique du blog, j’en dirai quelque mots, car il montre au moins que la diversité linguistique ne fait pas obstacle à la circulation de pratiques culturelles communes, indéfiniment adaptables et transformables, d’un bout à l’autre de l’Europe (et en fait bien au-delà). En écrivant cette phrase, je pensais aux contes et à des formes comme celle du duel poétique. Mais c’est d’autre chose qu’il s’agit. J’avais été fasciné, à Bragança, au musée du masque, par les tenus incroyables, incroyablement belles, chamarrées et étranges, des personnages masqués qui se produisent dans les villages de la région, côté portugais et côté espagnol, pour les fêtes de la période du solstice d’hiver. J’avais parcouru, avec le même émerveillement, le livre de photographies de Charles Fréger, Wilder Mann, consacréà la figure qui se trouve au centre des rituels de solstice aux quatre coins de l’Europe, celle de l’homme sauvage : homme-monstre, l’homme-diable, l’homme-animal (ours, cerf, sanglier), homme-végétal, souvent ceint de cloches et de grelots. Fréger était aussi passé par le Portugal.

C’est ainsi que je me suis retrouvé, le 27 décembre, dans le village de Constantim, tout près de Miranda, sur le plateau granitique des confins, de la « raia » (frontière), le matin de la fête du saint patron, Jean l’Évangéliste, fête aussi de la jeunesse (festa dos moços).

Jamais je ne vis fête votive plus discrète. En arrivant dans la rue principale du village embrumé, quasiment désert, dénué de toute décoration ou d’un quelconque autre signe, j’étais sûr de m’être trompé de jour. Mais ces villages ne sont pas comme les nôtres ; ils sont composés de différents quartiers, et un passant m’indiqua vers où je devais me diriger pour rencontrer la petite troupe des quêteurs qui donnait l’aubade de maison en maison.

Chemin faisant, entre les vieilles et belles maisons de granit souvent mal en point, voire ruinées, les maisons modernes que l’on appelle en France « de maçons portugais » et les jardins enserrés dans leurs murets de pierre grise où sont encore plantés les hauts pals des balanciers destinés à tirer de l’eau, on voyait sur une place excentrée les restes d’un grand brasier, un peu comme un feu de la saint Jean (de l’autre Jean, le baptiste), mais avec de très grosses bûches capables de brûler plusieurs jours. J’en en avais vu un de semblable la veille à Miranda do Douro devant l’église avec les charriots décorés qui servent à récolter le bois, tirés – ai-je lu –, par la jeunesse du lieu.

A Constantim le feu est allumé le soir du 26 décembre et accompagné d’un rituel précis : une troupe de jeunes du village (pauliteiros, il y en a dans toute la région), costumés, exécutent des danses de bâtons, comme on en voit justement au Pays Basque et en bien d’autres lieux d’Europe, accompagnés d’une bande musicale (gaiteiros), avec cornemuses et percussions. Près du feu, on boit du vin et de l’eau de vie et on mange des lupins et des châtaignes cuites, offertes par les deux masques centraux de la fête : le « carocho » et la « belha » (la vieille).

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o Carocho (al Carochu)

Le « carocho » est la version locale de l’homme sauvage. Il porte un masque hirsute en cuir, mais il est vêtu d’une espèce d’uniforme, dont le référent historique ne peut être très ancien ; sur ce vêtement, il porte des pièces d’étoffe et des rubans et tout autour du haut du corps des sortes de longs colliers constitués de pièces de bois. Il est choisi chaque année en secret par la commission qui organise la fête, et, en théorie au moins, son anonymat est préservé.

La « belha » est un jeune travesti masculin maquillé agréablement, en robe longue colorée et en fichu portant un collier de châtaignes cuites (bellos) et une fourche de bois sur laquelle est pendue quelques plis de saucisse sèche.

C’est dans cette tenue que les deux masques participent à la longue quête, de maison en maison, qui commence au matin suivant, accompagnés des huit danseurs et des musiciens. Ils se présentent comme une famille nombreuse (le père, la mère et leurs huit enfants), affamée, quémandant de porte en porte.

J’ai fini par trouver la petite troupe, au fond du village, attiré par la musique et le jet d’une fusée. Un homme de la troupe est en effet préposéà lancer par intermittence des fusées de joie dans le ciel gris de décembre. Deux autres portent un grand seau en plastique plein de lupins cuits. Quelques curieux suivent (à peine une vingtaine de personnes tout au plus), parmi lesquels des photographes et – je les reconnais de loin – des chercheurs.

Celui que l’on voit tout de suite, qui est vraiment au centre de toute la performance de déambulation, c’est le carocho, dont le comportement est ostentatoirement, vigoureusement, résolument anomique, désordonné, déréglé. Il est affublé d’une pince en bois télescopique avec laquelle il saisit les jambes des enfants et les appareils photos, il court, ouvre les barrières, renverse et jette tout ce qu’il peut (mais m’a-t-il semblé sans jamais rien briser ou gâcher d’important), arrête et rançonne les voitures. Il affecte d’être libidineux au dernier degré, se saisit des femmes et surtout des jeunes filles, les couche sur la route en simulant plus ou moins l’union sexuelle, monte sur un tonneau et fait semblant de se masturber… Il se précipite dans les maisons, où, à ce qu’on dit (les spectateurs n’entrent pas), il a le « droit » de voler de la nourriture s’il n’est pas satisfait de ce qu’on lui offre, utilisant sa pince à cet effet. Par contre, il ne parle pas, il ne dit pas un mot. Pour préserver son anonymat ? Parce qu’il est hors civilisation et donc hors langage ? (ce que j’ai vu sur ce point n’est pas exactement en accord avec ce que j’avais lu, un anthropologue affirmant que le carocho se permet de critiquer les gens et de lancer des plaisanteries grasses ; y a-t-il eu un changement récent du rituel ?).

Le rituel est le suivant : la troupe joue et danse devant la porte, pendant que le carocho et sa « vieille » entrent dans la maison où on leur donne de la nourriture et de l’argent ; généralement toute la troupe des danseurs est invitée à se restaurer et à boire. En retour, un bol de lupins cuits est offert à chaque maison. On aperçoit en passant devant les habitations que les entrées sont apprêtées avec des napperons et des bouquets pour recevoir le groupe de quête.

Avec l’argent et les victuailles récoltées, le lendemain a lieu un festin où ne peuvent participer que les habitants du village et peut-être, tout au plus, quelques voisins proches.

Quand le tour du village est achevé, vers deux heures de l’après midi, toute la troupe, avec une grande partie des habitants, se retrouve à l’église pour la messe votive. Seul le carocho n’a pas le droit d’entrer. Tous les autres y viennent en grande tenue, y compris la « belha », parfaitement à sa place dans sa tenue de travesti ! Les pauliteiros exécutent une danse avec les musiciens au beau milieu de la messe, suivie d’une procession avec la statue du saint.

Je ne tenterai pas ici, surtout pas, de reprendre et de résumer les analyses que les folkloristes et les anthropologues ont pu faire de ces fêtes, comme survivances de rituels de solstices païens, héritage lointain des saturnales, sur les conditions de leur persistance à travers une intégration au rituel catholique, etc. le sujet est à mon avis complexe et demande une érudition et des outils critiques dont je ne dispose pas. Il serait par contre très intéressant de demander dans quel état d’esprit exactement les masques, les danseurs et les habitants exécutent aujourd’hui ces rituels (il existe un bouquin de ce type pour le carnaval du village de Podence, dans la même région[1]).

 Pour ma part – c’est donc l’œil d’un spectateur étranger mal averti – à Constantim, j’ai trouvé ces rituels très émouvants. J’ai eu le sentiment d’une grande simplicité, de discrétion presque – rien de tonitruant, rien finalement de vraiment spectaculaire – et surtout d’une grande humanité, car ce qui se dégageait surtout était la relation de chaleur et de sympathie entre la troupe des masques, danseurs et musiciens et les personnes visitées, surtout les plus âgées d’entre elles, principalement des vieilles dames vêtues de noir qui, pour la plupart, m’ont paru recevoir les quêteurs avec gentillesse, bonheur et même gratitude.

Je n’ai pas parlé des spectateurs étrangers au village, la petite formation des chercheurs, preneurs d’image et de son accompagnant la troupe, dont j’étais (en pur dilettante). Ceux, sans doute, qui passent pour des touristes et n'en sont pas vraiment. Il y avait là un homme de grande taille, vêtu de l’une de ses grandes pèlerines de feutre que les bergers portaient autrefois, dont j’avais lu le livre (Inverno mágico. Ritos e Mistérios Transmontanos, 2004) qui m’avait donné envie de venir, un anthropologue nommé António Pinelo Tiza, visiblement un habitué, qui serrait les mains de tous. Il y avait là aussi la photographe espagnole mondialement connue Cristina García Rodero (voir son livre Rituels). J’y ai fait la connaissance du blogueur franco-mirandais Thierry Tiégi, venu en voisin, dont j’ai parlé plus haut et qui m'a expliqué plein de choses… Quelques autres suivaient, l’appareil photo parfois beaucoup trop intrusif (c'est ce que Tiégui déplore dans son post, avec raison), généralement ignorés par les masques continuant leur imperturbablement chemin. La scène m’a fait penséà ce quei se passe lors de la fête de la poésie improvisée de Ribolla, en Toscane, où les chercheurs constituent aussi une partie considérable du public et interviennent d’ailleurs dans l’événement lui-même. Ainsi, des formes de culture populaire complètement décalées par rapport à la culture de masse contemporaine, et donc largement négligées ou méprisées par les classes populaires et d'ailleurs aussi les élites d’aujourd’hui, survivent aussi à travers cette présence, cet accompagnement, des chercheurs, qui sont les seuls à pouvoir en affirmer publiquement l’intérêt et la dignité. Des puristes, qui sont eux-mêmes d'ailleurs des "savants" (ou des savantasses), trouvent cette présence et cette implication délétères et contre-nature, mais c'est qu'ils se font une idée totalement fausse des traditions et des cultures (dites) populaires.

C’est largement ce qui se passe aussi pour les langues minorées, lorsqu’elles ont la chance (ce qui n’est certes pas toujours le cas) que des linguistes s’intéressent à elles, et au-delà, militent (bien ou mal, c’est une autre question) pour assurer le maintien de leur pratique. Cette nouvelle alliance objective est sans doute largement fondée, de part et d’autre, sur certains malentendus qui peuvent s'avérer très dommageables, mais elle est indéniable et globalement, me semble-t-il, bénéfique, même si elle mérite d’être soumise, bien sûr, à l’analyse critique.

Jean-Pierre cavaillé

 

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la Belha

Pour de meilleures photographies de la fête de Constantim que les miennes, voyez celles de Manuel Fonseca prises à en 2010. Aussi une belle photographie de Carlo Jimenez prise 2008 et une série intéressante de Antero de Alda prises en 2006 et 2009 (il montre surtout des intérieurs), avec des commentaires, je ne sais pourquoi, en anglais (avec en plus un petit bout de musique prise sur le vif). Voir aussi les deux posts de Thierry Tiégui avec photos (cliquer pour l'agrandir) de la fête de cette année (1 et 2), en mirandais (mais parfaitement lisibles, vous verrez). Je n'ai trouvé aucune vidéo valable en ligne, sinon un service de la télévision en ligne SIC, qui mérite d'être vu.

Enfin, il faut visiter le site de l’Academia Iberica Mascara, consacrée à toutes les fêtes similaires, au Portugal et en Espagne.



[1] Paolo Raposo, Por detrás da Máscara: ensaio de antropologia da performance sobre os Caretos de Podence, Instituto dos Museus e da Conservação, 2011.

La langue des victimes : L’uomo che verrà (L'Homme qui viendra)

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 Je prends la liberté, une fois n'est pas coutume, de remonter ici cet article mis en ligne le 25 février 2010, consacréà L'Homme qui viendra, de Giorgio Diritti, qui était sorti en Italie quelques mois avant. En effet, le film est enfin distribué en France.

 

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La langue des victimes : L’uomo che verrà(L'Homme qui viendra)

 

 Une fois de plus[1], un film important vient de sortir en Italie, entièrement tourné en « dialecte », puisque tel est le mot utilisé par tous, et sous-titré en italien. En l’occurrence il s’agit de l’idiome parlé dans les Apennins au-dessus de Bologne, dialecte, cette fois sans guillemets, non de l’italien mais de cette langue minorée de la famille gallo-italique, expressément reconnue par l’Unesco et la communauté européenne comme langue en grande difficulté, nommée emiliàn-rumagnòl (« emiliano-romagnolo », en italien[2]), du nom des deux provinces concernées. Le film qui porte un titre bien italien, L’uomo che verrà (L’homme qui viendra) est dûà Giorgio Diritti, dont on avait tant aiméL’aura fai son vir (Il vento fa il suo giro), tourné lui aussi de bout en bout en cet occitan provençal parlé dans les vallées de Cuneo.

 Ce nouveau film est lui aussi consacréà une communauté paysanne, mais cette fois le réalisateur fait un saut dans le temps, jusqu’en la terrible année de guerre 1944. C’est donc un film en costume, centré sur une famille, vue par les yeux du personnage principal, une fillette de huit ans, Martina, muette depuis la mort de son petit frère et dont la mère attend un nouvel enfant (d’où le titre). Dans ce regard empathique, les paysans sont saisis dans leur vie quotidienne, les gestes du travail, les relations familiales, avec leurs hiérarchies indiscutées, leurs affects aussi bien sûr, et ils parlent – du moins sont censées parler – leur langue maternelle. La guerre est là, une ombre menaçante d’abord qui, progressivement, devient une présence envahissante, avec les actions des «partigiani» (les résistants) de la zone (le groupe de La Stella Rossa : l’Étoile rouge), et les représailles allemandes, avec ses victimes de part et d’autre (on ramène le corps du frère dans la famille, un allemand creuse sa tombe avant d’être exécuté), jusqu’à l’horreur absolue, vécue et vue par Martina, témoin muet et à la fois héroïque. Car le film montre le massacre de Marzabotto (dit aussi de Monte Sole), où plus de 770 civils ont été exécutés entre le 29 septembre et le 5 octobre 1944 en représailles aux actions de résistance, dans des conditions qui font immédiatement penser à Oradour-sur-Glane où, le 10 juin de la même année, la division SS Das Reich fit 642 victimes civiles. C’est dire si ce film, qui ne sera peut-être, pas plus que le précédent[3], visible en Limousin, parle à notre mémoire locale (et nationale). Il s’agit sans nul doute d’une œuvre remarquable, d’une extrême densité dramatique, jamais complaisante, jamais larmoyante, d’une grande poésie aussi, servie par des acteurs magnifiques, presque tous non professionnels[4], une image très belle, peut-être trop léchée, parfois à la limite de l’académisme.

 Le film, en Italie, est encensé par la critique ; je n’ai à ce jour trouvé aucune voix dissonante : beaucoup saluent ce travail de mémoire longtemps attendu, bienvenu en ces temps de révisionnisme quasi officiel, certains insistent sur ce qui leur apparaît un éloge de l’Église et de la foi (chacun voit midi à sa porte), Diritti montrant – sur une base historique irréprochable – le rôle des curés de paroisse aux côtés de leurs fidèles jusque dans les massacres. Il est vrai cependant que le titre a quelque chose de messianique et d’un peu grandiloquent[5]

 Il n’est pas un critique qui ne souligne l’insistance du réalisateur (chose, j’en suis sûr, qui disparaîtra des critiques françaises, lorsqu’il sortira ici, s’il sort un jour) à tourner en « dialecte ». Certains regrettent qu’une telle décision, irrévocablement selon eux, condamne le film à un maigre diffusion[6] et parlent même de « folie commerciale »[7], mais ils sont démentis par le succès national du film : je l’ai vu à Rome à salle pleine, trois semaines après sa sortie (il est encore présent dans une quarantaine de salles). D’autres disent que le sous-titrage salit l’image (on n’aime guère en Italie, pas même les critiques, le sous-titrage) et ils engagent à aller voir le film en « oubliant » qu’il est tourné en dialecte et accompagné de sous-titres. Personne, sinon ici ou là un internaute qui réagit à tel ou tel papier, ne parle de langue (pas même, on le verra le réalisateur), et il vaut la peine de noter comment l’idiome est appréhendé par les critiques, car la chose est à mon avis très révélatrice d’une relation extrêmement ambiguë avec cette réalité culturelle encore importante dans le pays et d’une réaction en fait de refoulement. L’expression qui revient le plus souvent est « ancien dialecte » («dialetto antico») : « ancien dialecte bolonais », « ancien dialecte du lieu », « bolonais antique », etc.[8] D’autres insistent sur le fait qu’il s’agit d’un dialecte non mitigé d’italien, «stretto» (serré), et même l’un d’entre eux ne peut s’empêcher de répéter plusieurs fois qu’il est « incompréhensible » (sans préciser évidemment que  c’est « lui », apparemment un toscan, qui ne le comprend pas – mais il ne comprendrait pas plus les autres dialectes de la langue d’Émilie-Romagne –, et puis, il ne lui viendrait jamais à l’idée de dire que l’allemand, parlé par les SS dans le film, est « incompréhensible » !)[9], ce qui montre la surprise de ces spectateurs, qui s’attendaient plutôt à entendre au cinéma un italien plus ou moins dialectalisé, auquel une certaine veine comique les a habituéà Bologne, par exemple, avec les films «vintage» de Pupi Avati (le dernier en date s’intitulant Gli Amici di bar Margheritta). Il s’agit d’insister ainsi sur l’exotisme historique de la langue ancienne, de la vieille langue, qui ne serait plus parlée, et appartient au passé et à la montagne qui, loin de la ville, conserverait intacte un idiome antique. La chose amusante est que l’on trouve en ligne une étude savante qui montre combien le « dialecte » en question, à la différence de celui parlé en d’autres zones, a reçu l’influence du dialecte urbain de la ville de Bologne[10]. Sur la disparition, ou du moins l’extrême raréfaction de la langue dans la zone de Monte Sole, je ne peux ici apporter de données fiables, faute d’en avoir trouvé. Diritti dit en tout cas qu’il a eu beaucoup de mal à rencontrer de bons locuteurs et il donne comme raison la déconsidération dont les dialectophones auraient souffert, surtout, ajoute-t-il bizarrement, dans les zones de montage[11]. Il ajoute qu’il s’est servi de l’un d’entre eux, un survivant du massacre, pour enseigner aux autres. Il précise aussi qu’en d’autres zones, le parler s’est beaucoup mieux maintenu.

 On a cependant la sensation étrange que, pour beaucoup de critiques, il s’agit de faire comme si la langue était définitivement morte, et la force de Diritti serait de nous replonger, ainsi qu’il se propose en effet de le faire, dans un temps et une société révolus, en utilisant un idiome éteint. Le fait est pourtant qu’il a pu trouver des gens pour le parler, et l’on peut s’interroger sur cette hâte d’enterrer la langue alors même que l’objectif du film est de revivifier la mémoire de ce qui s’est passéà Monte Sole, d’en faire un drame agissant au présent et non simplement l’objet d’un film historique (Diritti insiste bien sur le fait qu’il ne voulait surtout pas faire « un film historique », avec ce que cela suppose de distanciation et d’objectivation). Évidemment les deux choses n’ont rien à voir et il serait absurde de considérer la langue comme un mémorial du massacre (quoiqu’il y ait quelque chose de très important à rappeler que c’est en cet idiome et non en un autre que les victimes ont vécu l’horreur et les derniers gestes d’humanité avant leur exécution), mais cela n’explique pas pourquoi il serait si important de s’empresser de décréter l’extinction définitive de la langue, au prétexte que le monde paysan auquel elle appartenait a disparu, sous la forme du moins qu’il pouvait avoir il y a soixante ans. Il y a là un malaise évident, distinct de la question que le film affronte vraiment. Ce que le film déclare haut et fort, sans même avoir à le rendre explicite par la parole, est qu’il est plus que jamais urgent de faire les comptes avec un passé fasciste, complice des massacres nazis, quand la mode, dans l’Italie berlusconienne, serait plutôt de dénigrer de façon plus ou moins ouverte ou subreptice la résistance, qui par son inconséquence prétendue se serait finalement rendue responsable de ce massacre. Mais cet autre malaise, que je veux pointer, est le refoulement et la relégation des cultures dialectales, qui ne datent pas d’hier, véritable mur auquel se heurtent les tentatives multiples de réhabilitation.

 Telle n’est pas d’ailleurs l’intention du cinéaste ; de ce point de vue les critiques l’ont bien compris : le choix de la langue est motivé par le réalisme, par la volonté de plonger le spectateur dans ce monde disparu, non par une volonté de promotion du dialecte. Diritti s’en est en effet expliquéà de nombreuses reprises, car tous ceux qui l’ont interviewé lui ont posé la question du choix linguistique. Celui-ci, répète-t-il, obéit à la « recherche de l’implication émotive et du réalisme pour entrer dans l’atmosphère de l’époque. C’est une langue étrangère au quotidien [des spectateurs évidemment !] qui permet de faire un saut dans le temps »[12]. Aussi la démarche est-elle tout autre que celle du précédant film. Dans Il vento fa il suo giro, « la différence linguistique est le signe de l’identité d’un peuple qui cherche à survivre, de résister à une extinction quasi inévitable », dans ce nouveau film, il s’agit par contre de « faire sentir le saut dans le temps, et de donner la sensation d’un rapport aux mots qui était différent, d’une façon d’agir et de parler... »[13] La dimension de la réflexion de Diritti est alors proprement anthropologique : quelque chose selon lui a radicalement changé dans la façon de parler et de se rapporter à autrui, que le « dialecte » permet de restituer (ce qui veut bien sûr dire que le « dialecte », pour lui, est irréductiblement attachéà un temps révolu de la société) : « Aujourd’hui, souvent nous parlons énormément, nous sommes dans la société de la communication, on prononce tant de mots, mais on ne donne pas le sens fort et incisif de ce qui se dit. En ces temps, il y avait moins de mots, et parfois il n’y avait que des regards. Les répliques étaient directes, à la limite de la grossièreté, mais très efficaces, du point de vue de la communication, à créer les rapports entre les personnes »[14]. Dans un autre entretien, le réalisateur insiste sur le fait que ce choix est « juste », « fondamental », parce qu’il « te fait sentir des sons qui sont d’un autre temps mais aussi il te donne le sens des hiérarchies familiales, qui deviennent différentes, les dialogues sont plus serrés : peu de chose dites, claires, sèches et déterminées »[15]. Mais c’est aussi l’impression que l’on a devant les dialogues du film précédent, dont les personnages sont pourtant d’aujourd’hui ; beaucoup sont d’ailleurs de jeunes gens et c’est alors le lieu (les hautes vallées alpines) et le mode de vie qui semblent déterminants, plutôt que l’époque… et finalement plutôt que la langue en elle même, c’est son usage qui diffère complètement selon les temps certes, mais tout autant selon les lieux (à la fois géographiques et sociaux) et les activités.

 

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 Mais surtout, surtout, il y a le fait, que Diritti ne cherche pas du tout à cacher, que ce choix du dialecte, pour ce film-ci, n’était pas prémédité de longue date. Le cinéaste voulait, cette fois, tourner en italien, avec l’apport de l’accent bolonais pour ancrer l’action dans la région. Mais il se rendit compte que cela allait fatalement tirer le film du côté de la comédie de genre, puisque telle est la connotation spontanée au cinéma de l’accent bolonais, et il risquait ainsi de rendre les échanges ridicules et le film, en quelque sorte, étranger à lui-même. Emilio Marese, le critique de la Repubblicaà Bologne lui en sait grée, le remerciant de n’avoir pas laissé passer le moindre «sòcmel» (interjection grossière des plus communes à Bologne[16]) en deux heures de film, d’avoir évité toute connotation cabaret et tout lien avec le masque du docteur Balanzone, auquel la ville de Bologne est, volens nolens, associée[17]. Il ajoute que, ce faisant, Diritti fait « franchir la barrière » au dialecte, en le détachant du rôle culturel peu gratifiant auquel il était jusque là cantonné par le cinéma[18]. Il est en effet évident que son usage, dans un film de cette ampleur et de cette gravité, ne peut qu’être valorisant, même si cet exhaussement a tous les traits d’un éloge funèbre.

 Le choix de dernière minute ne fut pas « facile », comme on l’imagine bien. Diritti confesse que le producteur (la Rai) et le distributeur (Mikado), dans un premier temps, réagirent avec bien peu d’enthousiasme[19]. Le réalisateur s’empressa de trouver un ancien de la zone susceptible d’enseigner aux acteurs non bolonais, ou qui ne connaissaient guère le dialecte, la juste prononciation et d’abord la juste forme des répliques. Il est en tout cas notable de voir des actrices fort connues comme Maya Sansa et Alba Rohrwacher acceptant le défi de parler dans un idiome qu’elles ne connaissaient pas. Évidemment, des spectateurs bolonais se sont plaints de l’imperfection de leur prononciation (ce qui prouve une fois encore, que cette langue dite perdue est bien encore dans les oreilles !).

 Il est une autre critique de cet usage impromptu du « dialecte », cette fois venue de ceux qui le pratiquent et en défendent l’usage. Aussi est-il intéressant de rapporter leurs propos, car ce sont, il me semble, des juges légitimes pour cet aspect du film. Je les ai trouvés sur le Sit Bulgnais  : « On peut comprendre que la prononciation des enfants et des jeunes filles ne soient pas bonne, s’agissant de locuteurs n’ayant pas le dialecte comme langue maternelle (même si l’on pourrait attendre plus de soin de la part d’acteurs professionnels). Non, la vraie critique concerne la morphosyntaxe : certains acteurs utilisaient le pluriel métaphonétique alors que d’autres, suivant la règle de diverses parties de la montagne, le maintenait inchangé par rapport au singulier, certains utilisaient des diphtongues et d’autres non, à la va comme je te pousse, et tous, presque sans exception, se trompaient dans les questions : dans les dialectes de l’Émilie-Romagne, et sans aucun doute en bolonais et dans ceux de la moyenne montagne, les questions exigent l’inversion, et ne pas la pratiquer est une erreur pure et simple que, sans doute, les habitants de Monte Sole, ne faisaient pas. […] une question s’impose alors : dans ces cas, ne serait-il pas mieux de suivre l’exemple des américains, qui emploient un «dialect coach», c’est-à-dire un professionnel qui enseigne aux acteurs les divers accents de l’anglais ? Dans notre cas, cela aurait été même plus important, vu qu’ici dialecte ne signifiait pas une prononciation différente, mais un système linguistique entier distinct de l’italien. On voit que la philologie n’est pas assez prise au sérieux […] Aujourd’hui enfin, le subjonctif s’efface, mais l’italien teinté d’émilien l’a toujours utilisé, et en grande partie l’utilise encore, ce qui aurait dû s’entendre, même si les personnages du film sont d’extraction populaire. Félicitations, Giorgio Diritti, en faisant parler tes personnages en dialecte plutôt qu’en un italien régional peu crédible, tu as donné plus de vie au récit qu’il n’y en a dans tous les films pourtant excellents de Pupi Avati. Mais la prochaine fois, n’oublie pas que, faisant une reconstruction, il faut aussi mieux refléter la vraie langue utilisée par les protagonistes des faits ! »[20]

 Peut-être, je ne peux moi en juger, ces remarques pèchent-elles par un excès de purisme, mais il semble probable qu’en effet, même en recrutant un «dialect coach», puisque c’est bien ce qu’a fait Diritti, il n’a pas été possible, en s’y prenant à la veille du tournage, de parvenir à une solution linguistique optimale. A qui me dira, que ces « détails » sont tout à fait secondaires, je lui répondrai qu’ils ne le lui paraîtraient nullement s’il s’agissait de sa propre langue maternelle.

 Il n’en demeure pas moins que Diritti a fait passer une idée forte, reprise par plusieurs critiques : loin d’enfermer l’histoire racontée dans son localisme, le « dialecte », parce qu’il contribue à conférer une densité existentielle aux personnages, contribue du même coup à lui donner une portée universelle et au lieu de nous les rendre lointains et étrangers, nous rapproche d’eux[21]. Voilà une leçon essentielle de ce film, malgré ses possibles imperfections sur le plan de la maîtrise de la langue par les acteurs. Je me contenterai de constater qu’un tel choix, une telle démarche sont à peu près inconcevables en France où, dans les films en costume, on ne cherche même pas à rendre les accents, et où la grande majorité des acteurs, jamais ne condescendraiten à abandonner le bon air de Paris pour adopter celui des provinces (il leur paraîtrait moins dégradant, j’en suis sûr, de s’abandonner devant la caméra à d’affreuses turpitudes sexuelles !)... Imaginez-vous donc, si on leur demandait de parler limousin pour jouer dans un film retraçant la tragédie d’Oradour ! Et pourtant les victimes d’Oradour, pour la plupart, parlaient cette langue. Lorsque la seule rescapée de l’église, Margueritte Rouffanche, qui gisait blessée entre deux rangées de petits pois, au petit matin du 11 juin 1944, entendit parler « patois », selon son propre récit, elle sut qu’elle était sauvée… Il n’y aurait rien d’absurde, il serait même normal, « juste », de faire intervenir, dans un film sur Oradour, le limousin aux côté du français, et bien sûr de l’allemand (et de l’alsacien ! plusieurs témoins ayant décrit ces « malgré-nous » qui parlaient « patois alsacien »[22]). Mais il faut bien comprendre que nous sommes dans un pays où un « critique littéraire » assistant à une cérémonie en l’honneur de Gingouin et de ses hommes en 2001 à Saint-Gilles-les-Forêts peut déclarer, qu’en entendant un « groupe d’hommes » parler « le patois limougeaud » (sic !), il jugea qu’il s’agissait d’un « drôle d’hommage [...] à la Résistance »[23]. Car, vous comprenez bien, il n’est d’autre hommage digne de ce nom à la résistance que dans le français de De Gaulle[24]... et de Pétain. Peu importe si les résistants en question, pour la plupart, parlaient limousin ! Décidément, en matière de préjugés, nous n’avons aucune leçon à donner aux italiens.

Jean-Pierre Cavaillé

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Marzabotto...

 

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Oradour...

 

 

 

 


[1] Voir les posts consacrés sur ce blog àNuovomondo, d’Emanuele Crialese et àGomorra, de Matteo Garrone.

[2] code EML dans ISO 639-3.

[3]Il vento fa il suo giro, malgré ses nombreux prix, n’a d’ailleurs pas été distribué en France ; c’est uniquement à travers les réseaux occitanistes, que quelques rares visionnages en ont été possibles.

[4] Quelques grands noms cependant : Maya Sansa, Alba Rohrwacher et Claudio Casadio.

[5] Le réalisateur dit lui-même qu’un livre écrit par l’évêque Luciano Gherardi, Le Quercie di Monte Sole (1986), est à l’origine de son projet.

[6]«È un film ostico e coraggioso, sul piano commerciale non sarà facile imporre al mercato una pellicola tutta in bolognese sottotitolato in italiano », Emilio Marrese, 22 ottobre 2009.

[7]« Coraggioso fino in fondo, Dirittiha voluto ripetere la ‘follia commerciale’ del dialetto antico, incomprensibile », sur le site Il cinema che « blogga ».

[8] Voici quelques formules galnées sur la toile, dont on retrouvera facilement la source : « dialetto quasi scomparso, il bolognese antico », « incomprensibile dialetto antico del luogo », « dialetto antico », « antico dialetto bolognese »...

[9] Il cinema che « blogga ».

[10] Daniele Vitali, « Il dialetto di Porretta Terme (BO) ».

[11]« Il dialetto è ancora vivo nell’area? Giorgio Diritti : Molto poco, e soprattutto nelle zone di montagne, perchè chi lo parlava era considerato ignorante. In altre regioni si è mantenuto più forte », Interview  du 21 octobre 2009 par Federico Raponi.

[12]«Perchè l'utilizzo del dialetto? – Giorgio Diritti : Per una ricerca del coinvolgimento emotivo e del realismo, per entrare nell'atmosfera di quell'epoca. E' una lingua estranea alla quotidianità che permette di fare un salto nel tempo », Interview  du 21 octobre 2009 par Federico Raponi.

[13]« In entrambe le vicende la lingua è un elemento fondante, addirittura ne Il vento fa il suo giro la differenza linguistica è segno dell’identità di un popolo che cerca di sopravvivere, di resistere a un’estinzione quasi inevitabile. Qui è un modo per far sentire il salto del tempo, e per dare la sensazione di un rapporto con le parole che era diverso, di un modo di agire e di parlare », Interview réalisée par Maurizio Emersino, le 27, 10, 2009.

[14]« Oggi spesso parliamo tantissimo, siamo nella società della comunicazione, si dicono tante parole ma non si dà il senso forte e incisivo di ciò che si dice. Allora erano meno le parole, e certe volte c’erano solo gli sguardi. Le battute erano dirette, quasi sgarbate, ma molto efficaci, dal punto di vista della comunicazione, a creare i rapporti tra le persone »Interview réalisée par Maurizio Emersino, le 27, 10, 2009 ; « L’idea che ho sempre havuto era di regalare la sensazione allo spettatore di entrare nel 1944, di fare una specie di viaggio nel tempo, come dicevo prima, di diventare parte della famiglia », Interview réalisée par Emanuela Martina, vidéo.

[15] [suite immédiate du même entretien] « A quel punto la dimensione linguistica era giusta, fondamentale, perché ti fa sentire dei suoni che sono di un altro tempo ma anche ti dà un senso delle gierarchie familiari, che diventano diverse, i dialoghi sono più stretti : poche cose dette chiare, secche e definite ».

[16] Soit, cette présentation du mot, au détour d’un forum en ligne : « Per dire "Uffa! Che palle!"... noi alle volte (fra amici) sbuffiamo: "Sòcmel! Du maròn!!".
E' il suono delle parole che a la differenza (Il vero significato di "Sòcmel" sarebbe un pò volgare da spiegare, ma nel linguaggio comune è ormai utilizzato come imprecazione generica) ».

[17]« Non c´è neanche un sòcmel in due ore recitate tutte in dialetto bolognese. [...] È un film ostico e coraggioso, sul piano commerciale non sarà facile imporre al mercato una pellicola tutta in bolognese sottotitolato in italiano. Ma, per il bolognese cui non è mai stata riconosciuta una dignità artistica aldilà di qualche macchietta da cabaret, è un bel salto dello steccato. [...] L´umanità dipinta con tinte livide da Diritti - che ha preferito il solco dell´altro suo maestro Olmi - è dolente e aspra come la lingua che parla, senza esse sibilanti, senza cliché balanzoniani, senza caricature da bar Margherita, senza tette, senza alcuna indulgenza al luogo comune » , Emilio Marese, ibid.

[18]« per il bolognese cui non è mai stata riconosciuta una dignità artistica aldilà di qualche macchietta da cabaret, è un bel salto dello steccato.  », Emilio Marese, ibid.

[19]« In Rai, come alla Mikado che ci distribuisce, all’inizio c’è stato un certo disagio », entretien avec Gabriele Barcaro, 14.10.2010.

[20] Cette critique est donnée à la fois en italien et en bolonais. Je cite ici en bolonais, pour donner enfin une idée de la langue : « Che pò la prunónzia di cínno o däl ragâzi żåuvni la n fóss brîṡa bôna, quall lé as pôl capîr parché as trâta ed żänt ch'i n én brîṡa nèd in dialàtt (anc se, da di atûr profesionéssta, as pôl pretànnder ch'i i stâg-n un pô pió drî). Nå, la créttica vaira l'é par la gramâtica: ai êra di atûr ch'i adruvèven al plurèl metafonêtic, di èter al plurèl invariè (come, defâti as fà in socuànti pèrt dla muntâgna), ai êra chi dscurêva coi ditóng e chi sänza, acsé bâsta ch'séppa, e tótt, sänza eceziån o quèṡi, i ṡbaglièven a fèr äl dmand: int i dialétt dl'Emégglia-Rumâgna, e sicuramänt a Bulåggna e int la sô muntâgna ed mèż, äl dmand äl vôlen l'inversiån, siché an fèrla brîṡa l é un eråur, e l é inpusébbil che i mèrtir ed Månt Såul i féssen di ṡbâli acsé int la sô längua mèder. [...]. Insåmma, i n la fèven brîṡa in duv la i vlêva, es i la fèven in dóvv n inpurtèva brîṡa. Alåura, as vén na dmanda: mo in sti chèṡ che qué, an srêv méi fèr cunpâgna i americàn, ch'i tôlen l amaestradåur dialetèl pr insgnèr a imitèr äl prunónzi difaränti dl inglaiṡ ai sû atûr? Int al nòster chèṡ al srêv stè anc pió inpurtànt, pòst ch'as vlêva adruvèr una längua difaränta da qualla ufizièl. Mo as vadd che la filologî la n é mâi tôlta tròp só l sêri [...] Masmamänt a cal tänp... Incû pò in itagliàn la żänt i adrôven sänper manc al congiuntîv, mo l itagliàn dl'Emégglia d una vôlta (e anc d adès) al l à ecómm, siché dånca al vlêva adruvè, anc se i parsunâg' i véṅnen dal pòpol. Brèvo Giorgio Diritti, fagànd dscårrer i tû parsunâg' in dialàtt in pòst d un itagliàn culurè ed dialàtt (e pôc credébbil) t è fât vîver la tô stòria pió che tótti äl bèli peléccol ed Pûpi Avèti, però st'ètra vôlta brîṡa dscurdèret che, s'as fà una ricostruziån, biṡugnarà pûr che anc la längua adruvè la séppa cla gióssta! »

[21] Soit par exemple la remarque de Gad Lerner dans la livraison italienne de Vanity Fair : « L’uso del dialetto della montagna appenninica, invece che distanziarci rende a noi più familiare la triangolazione dei contadini alle prese con un padrone non ancora sganciato dai fascisti... ».

[22] Voir par exemple, l’un de ces témoignages sur le site d’Ouest-France.

[23] Bernard Daguerre, dont j’ai trouvé sur Google, qu’il est “cadre de la fonction publique territoriale, critique littéraire et de cinéma”, s'exprimant dans la revue en ligne Passant Ordinaire. Il s’est attiré la réponse suivante, de la part de Christian Champaud : « L'auteur est surpris d'entendre le "patois limougeaud". Hors, le mot "limougeaud" fait référence à la ville de Limoges, alors que le mot "Limousin" fait référence à l'ensemble de la région. Il a sans doute entendu parler "limousin", un dialecte prestigieux de l’occitan dans lequel ont étéécrites, dès le XIIème siècle, des oeuvres qui ont honoré l’Europe de cette époque. Je m’honore moi-même de le parler, de l'écrire, et de l'avoir transmis à mes enfants. Il n'y a pas de quoi faire la fine bouche ».

[24] Je n’oublie bien sûr pas que Charles De Gaulle avait un oncle homonyme qui prit fait et cause pour la langue bretonne !

 

 

 

La Grafia es mai que la grafia. Patric Sauzet

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Dins lo fial de la discussion del tèxt aquí publicat d’Eric Fraj (Quel occitan pour demain ?), s’es trobat un discutaire per citar, d’un biais fòrça critic, la frasòta seguenta : « S’ensenham pas una lenga unificada, los qu'aprenon aprenon una borbolhada sens nom o pas res » en balhant lo nom del linguista e insenhiaire Patric Sauzet. Ai cercat lo tèxt d’origina e l’ai trobat sus una pagina mal adobada, e en mai, embranada de marridas publicitats. Ai demandat la permission a Sauzet de lo tornar publicar tot entièr sus aqueste blòg, perqué, çò me sembla, es la melhora defensa possibla de la promocion d’un estandard per ensenhar la lenga occitana als neòaprenents e tanben, d’un biais non exclusiu, als autres. La demonstracion es clara, rigorosa, fòrça plan argumentada ; Sauzet se pèrd pas dins la teoria ni mai dins l’ideologia : a totjorn los uèlhs sus la pratica concreta d’ensenhament e de transmission pedagogica ; sa tòca es de far surtir la lenga de la malediccion de la diglossia e de li balhar un avenir. Lo tèxt es del 1987 e foguèt tornat presentat en 1989, mas Sauzet, çò me sembla, a pas cambiadas sas idèas sul sicut ; es donca totjorn d’actualitat.

Me disi que benlèu, foguèssi demorat en Lengadòc, foguèssi pas anat me perdre dins las brumas lemosinas, auriái benlèu pogut partejar sas analisis e lors consequéncias praticas. Encara uèi, podriái èsser, sul fons almens, èsser d’accòrdi amb la proposicion de dobla estandardisacion, l’una « regionala », l’autra « centrala » (de que ensenhar per exemple dins la talvèra parisenca ?). Mas aquí, dins aqueste tèxt, tot o quasi m’es ara problematic ; en primièr la concepcion de la grafia classica coma instrument per menar a un estandard unic, e l’idèa que los dialectes se debon escafar – e m’es semblat, lo mai regde possible – per daissar tota sa plaça a l’occitan estandard (en mai d’aquò a basa de lengadocian). L’exemple de la television (que deuriá pertot èsser tra ara en lenga estandard) me faguèt saltar al plafond : es exactament uèi çò que se pòt far de pieger per la lenga, lo signe de la mai granda rompadura amb los parlaires « naturals » (amai a-z-Albi,  lo paire me ditz : « de còps que i a sus França 3 parlan en catalan »). Per ièu, uèi, aqueste tèxt es l’expression de quicòm que mes embla mal fonccionar dins la relacion de l’ « elita » - o almens minoritat – militanta occitanista amb lo demai del monde, locutors occitans o pas, dins la situacion objectiva ont sèm, de denegacion dels nòstres dreits linguistics e cuturals fondamentals ; un problema de legitimitat democratica de nòstra lucha e de nòstras accions per e amb la lenga.

Mas pòdi pas presentar aquí lo tèxt de Sauzet e lo criticar en mèma temps : se merita una analisi aprigondida e, s’es possible, depassionada. Me daissi evidentament la possibilitat, de còps que i a, d’intervenir dins la discussion. Coma pel tèxt de Fraj, traparètz aquí una version que se pòt aisidament descargar.

Simonin

Sent Zimbombom (gravadura de Jan Marc Simeonin)

 

Lo tèxt de Patric Sauzet en format RTF

Patric SAUZET

LA GRAFIA ES MAI QUE LA GRAFIA

ABANS-DIRE DE 1989

Escriguèri l'article que seguís en 1987. Lo publiqui coma foguèt escrich (a las nòtas prèp, qu'apondi amb l'abans-dire). Uèi, l'escriuriái mens polemic, e mai radical.

Mens polemic, perque mens pessimista. Los esperits evoluissson. De tancas se lèvan. Un novèl vam de la practica pedagogica, culturala e intellectuala fa montar una demanda de nòrma. Podèm rasonablament esperar que d'iniciativas dins lo sens que disi per claure aqueste avant-dire se prengan dins la pontannada que sèm.

Mai radical perque m'avisi de mai en mai que la practica de la lenga que correspond a l'esperit de la Gramatica d'Alibèrt e a la realitat de las generacions d'occitanistas fins a l'aprèp-guèrra pòt pas mai fonccionar. Per doas rasons. La primièira que la situacion dominanta ara es pas la de gents que sabon la lenga dins una forma eiretada e n'adòban l'usatge segon de principis normatius. Pas mai la d'una nòrma que corregís un usatge dialectal establit e mestrejat. La segonda es que la difusion de l'occitanisme i implica de mai en mai de gents que son pas linguistas, ni per mestièr ni tanpauc per tissa. Escriure l'occitan dins l'esperit de la gramatica d'Alibèrt, digam del dialectalisme castigat, demanda d'aver primièr la coheréncia d'un parlar total e mai d'èsser capable de l'esperlongar condrechament. Sens comptar que sovent Alibèrt dona de principis (e mai dins lo diccionari) quand lo public d'ara demanda de responsas "un cas per un". L'occitan dins la logica d'Alibèrt es dins la forma "do it yourself". Lo public, li cal de "ready made".

Avèm ara una generacion d'occitanistas (parli per exemple dels estudiants de l'Universitat Paul Valéry) que li fa mestièr d'aprene una lenga coherenta e qu'an pas vocacion, per la màger part, a se far linguistas o dialectològs. S'ensenham pas una lenga unificada, los qu'aprenon aprenon una borbolhada sens nom o pas res. L'atencion a la forma locala a pas de sens que dins las situacions ont los enfants la mestrejan ja. Si que non "ensenhi la lenga de l'endrech" vòl tròp sovent dire "ensenhi çò que parli ieu, qué que siá, e me pausi pas de questions".

Se prenèm al seriós l'idèa de tornar far nàisser una practica significativa de l'occitan, pòt pas que passar per la lenga normada (estandard, referenciala, unificada). Es la sola possibilitat pedagogica, materiala, umana. Pedagogica, perque la repeticion necessària a l'aprendissatge demanda l'unitat. Se prepausam una sola forma de lenga als "apreneires" podèm rasonablament comptar que n'aquesiscan una competéncia activa (e tanben mai autentica, perque de se negar pas dins lo polimorfisme permet d'insistir sul fonccionament de la lenga: es mai important de saber se servir del subjonctiu que de conóisser las variacions dialectalas de sas formas). Si que non esperlongam la situacion diglossica d'uèi que condemna los occitans joves a, pel melhor, entendre sa lenga e a demorar muts. Materiala, perque mancan las aisinas, que podèm trabalhar a las fargar, mas pas dins cinquanta versions. Per aisinas entendi pas solament los manuals de lenga, inclusi tot çò que forma l'univèrs textual que deu dobrir l'aprendissatge de la lenga. Umana, perque l'estandard es la sola practica legitima que podèm prepausar a los que l'aprenon uèi, venguts de familha desoccitanizadas e sovent pas occitanas. Podèm pas nos resgaudir de veire d'enfants del quatre cantons d'Euròpa, del Maurèb, d'Africa o d'Asia aprene l'occitan, e li demandar de parlar coma son grand o coma dins son vilatge. L'universalitat de la lenga occitana es a l'òrdre del jorn. Entendi per aquesta formula que la lenga occitana s'identifica a una cultura dobèrta e que per èsser dobèrta deu èsser explicita, donc codificada.

Cal, e es aicí que soi ara mai radical, que la massa de la practica orala e escricha publica de l'occitan se faga ara dins una forma linguisticament normada. L'error es de creire que los parlaires dialectofòns acceptaràn la promocion de la lenga se la forma que li es prepausada es exactament la sieuna. Sens parlar de l'embarrament practic que suspausa, es prene las causas a rebors. Acceptar la dignitat e la promocion de la lenga es afar de consciéncia culturala e politica. Pausada aquesta, la distància indefugibla de l'estandard s'accepta naturalament. Qu'existisca un "bon occitan" (çò es l'usatge segon la nòrma) es sai que la condicion de la promocion de la lenga. L'existéncia d'un estandard (d'una lenga normada practicada) pausa l'occitan coma una lenga vesiblament instituida e permet una autra consciéncia linguistica que la consciéncia patesa.

La conversion de practica que pensi necessària s'aplica e mai a la literatura. Dins l'article que seguís insistissi (insistissiái) sur la libertat de l'escrivan. Renègui pas lo principi (qual o fariá?). Mas convidi los qu'escrivon a se pausar la question de sa legibilitat. La literatura occitana a longtemps mancat de public per tal de l'analfabetisme dels Occitans dins sa lenga. Dins las classas d'occitan se forman de legeires. Mas tròp sovent l'estudi d'un tèxt occitan chaucha dins l'explicacion de la lenga del tèxt. Nos cal una literatura trasparenta, que sa lenga siá la que s'ensenha. Trobam en gròs l'adequacion en cò de Bodon pel lengadocian, en cò de Lafont pel provençal. S'i apondan d'equivalents gascon e nòrd occitan e aurem quatre formas de lenga culta. Çò que ja fa pro de diversitat per manejar a una escala de massa. Que s'escriga, disi pas dins la lenga (encara mens dins l'estil) de Bodon o de Lafont, mas dins sa gramatica (dins sa morfologia per l'essencial), adralharà devèrs la mesa en plaça d'una practica de lectura e d'escritura que sortisca de la gramaticocentria. La practica de massa demanda l'omogeneïtat.

Es ora d'avançar. D'acabar de definir, dins un luòc investit d'autoritat (e donc que trespasse los organismes actuals), la lenga normada-referenciala-estandard. De trabalhar a la far disponibla per d'usancièrs sens gost per la gramatica o la linguistica, çò es en particular per de diccionaris. Es temps que la practica de l'occitan quite d'èsser esoterica. Que la nòrma visca e siáçò que deu èstre: la definicion admesa per totes de la lenga de totes. E que los linguistas fagan de linguistica (e pas de castèls de nòrma dins l'aire) e estúdien las varietats de l'occitan eiretat.

Nimes, julh de 1989 LA GRAFIA ES MAI QUE LA GRAFIA

Coma totes percebi un quicòm de malaise o de crisi dins l'occitanisme. Impression d'un movement que se cerca, per dire pas que se desfà o se subreviu. Impression ges entemenada per las capitadas, quand n'i a, per las causas que se fan, que se'n fa.

Ai pas lo projècte, ni mai los mejans, d'argumentar aqueste sentiment. Volriái pas que parlar que de lenga: de las formas que s'emplegan, de la grafia que se vestisson. Perque m'es de grèu veire los usatges de l'occitan uèi. I legissi la manca d'ambicion, la manca de rigor, fin finala la manca de fe. D'òbras segur n'i a. Son occitanas. Se dison occitanistas tot còp. Mas lo mot arriba que sembla pas qu'un tilhet pegat e lèu doblidat. L'occitanisme suspausa de pensar e de viure la cultura occitana coma totala e autonòma. Non pas esperlongar un donat, gerir un patrimòni, mas si ben inventar de fonccionaments ont aquel donat, aqueles tròces de patrimòni que totes avèm (e que nos fan occitans, nascuts o noirits, d'azard o de causida) luòga de dormir escampilhats, se recampen e deslarguen sas potencialitats. Prengan sens.

S'agís pas de far un sendicat de particularismes associats, mas, sus de basas objectivas de comunitat, e mai foscament viscuda, de bastir una unitat. La fe aquí se rejonh amb lo realisme. Una cultura occitana que siá pas totala e unitària, dins l'espaci e lo temps, es de paure interès e vesi pas que pòsca capitar.

Una cultura totala e unitària es un prètzfach gigantal. Suspausa lo recampament e la difusion d'una literatura, d'una istòria, d'una geografia, l'integracion tanben de la cultura universala. Tota la recerca e la creacion que se son fachas, e de longa se fan, sus e dins la matèria occitana son gaireben perdudas se son pas apoderadas a una escala panoccitana.

L'aisina primièira e fondamentala es linguistica. Nòstra lenga, que fonda nòstra cultura coma gaireben totas, es mestièr de l'elaborar que siá a l'auçada d'aquel prètzfach. Avèm las aisinas de l'elaboracion. Totas las entrepresas fòrtas d'escritura occitana, de l'Edat Mejana al Felibritge inclús, la reforma linguistica que corrís d'Onorat a Alibèrt, en passar per Ros, Estieu, Perbòsc, e qu'esperlonguèron, fa pauc, Bèc, Lafont e d'autres nos donan los mejans linguistics de nòstras ambicions culturalas. Cal mesurar l'astre de los possedir. Los cal subretot far servir.

1 Qué se passa?

Los mejans los avèm. Sa mesa en òbra doblidam. Qualques faches, ensenharèls çò'm par.

La revista Occitans (4, 1984) publiquèt la letra d'un legeire, J. Taupiac, que notava las errors de lenga e de grafia que i son nombrosas. La redaccion publica e nòta qu'aquelas "remarcas saràn interessantas per de legeires". Ges de justificacion o de reflexion sus las practicas linguisticas de la revista. Sens comptar que la responsa, dins tres regas que la fan, emplega un "dècas" problematic e un "saràn" gaire estandard. La revista, es clar que la letra de Taupiac la concernís pas. Concernís los legeires (de legeires, e mai). La letra se publica coma una leiçon de lenga, pas coma una escasença d'interrogacion sus lo biais que la revista s'escriu.

Dins L'Occitan (61, 1986), revista que se vòl, e es, al mens graficament, coherenta, e mai i aja de dire sus lo contengut d'aquela coheréncia, se publiquèt un article de sociologia. M. Audoièr rendiá compte d'un libre d'O. Todd. Escriviá l'autor: "son entretengudas per ziths (occitan referencial: 'son entretengudas per eles')". Tenèm un revelator aicí. Li es mestièr, l'autor, d'esclairar son occitan local per l'estandard. Perqué l'a pas emplegat dirèctament? La question es de bastir una practica d'escritura e de lectura scientifica en occitan. Es lo luòc per se servir de l'estandard, lenga-aisina de pensada e de comunicacion claras, que sa vocacion es de s'escafar dins çò dich. O sentís ben l'autor que l'aisina existís: explica son dialècte per l'occitan referencial (e non pel francés). Mas perqué voler a l'encòp escriure un article scientific e porgir un testimòni etnolinguistic?

Dos exemples donats per ensenhar dos nivèls de problèmas. Lo primièr es que dins fòrça cases lo trabalh de correccion d'espròvas es pas fach, e qu'admetèm per l'occitan una frequéncia de decas que jamai en francés. Es vertat dins las revistas, dins los libres tanben. Sens parlar de las paginas occitanas de publicacions francesas que se donan quitament pas los mejans tipografics d'estampar degudament l'occitan .

Lo segond nivèl de problèmas, mai fons, que rescontram dins las revistas citadas ja, e dins d'autras (un esfòrç es estat fach dins Amiras, quand publicava d'occitan), es qu'an ges de principi d'emplec de la lenga.

Lo dialectalisme apareis sens rasons autras que la tissa del qu'escriu, quin que siá lo subjècte, apareis e mai dins las partidas redaccionalas. Semblan los responsables de revistas se pausar solament pas la question quin occitan, quina forma d'occitan, s'emplegarà dins la revista, segon quines principis aquelas formas se distribuiràn (part redaccionala vs. articles, subjèctes tractats...).

Sus lo fons d'abséncia de principis d'emplec que veni de dire, la grafia poiriá demorar lo fèrme minimal que demorèsse. Mas lo fèrme s'esboldra.

Un cranc que lo rosega es la tissa de simplificar. L'idèa falsa ont nais aquela tissa es que, a dicha de simplificar la grafia, la socializarem melhor. En fach per socializar la grafia occitana i cal avesar las gents. E l'avesament ven de la repeticion e de la constància. Es aital tanben que formam de legeires de l'occitan. Las "dificultats", apèlan aquò, dintradas dins l'uèlh, fondamentan la lectura ideografica, rapida doncas, de la lenga.

Lo cranc simplificador se faguèt las dents sus "consí", "-izar" e "vehicul" (cf. las remarcas justas que justas de R. Lafont dins son Nani, Monsur, 1979, Vent Terral.).

R. Lafont que critica per rason lo procès aital entemenat i entrèt pas mens el tanben. Entreprenguèt, seguit per d'autres, d'escampar los accents sus las e. Escriu "podem" dos còps dins "Cal que podem la vinha, se podèm." L'ambiguitat, e d'autras de la mena, es pas grèva en se. Çò grèu es de s'impausar pas de se téner a la grafia coma es estada definida. D'acceptar pas que la grafia siá exteriora al que n'usa. Se los autors mai conscients e sabents donan l'exemple, ont s'arrestarà lo procès?

De fach trobam de tèxtes provençals (pr'exemple lo metòde Lo provençau dei vaus e dei còlas, 1982, Centre culturau cucuronenc, e l'usatge se rescontra dins d'autres tèxtes) que tot planièr escrivon "disié" per "disiá", "foncion" per "fonccion", "pareisse" per "paréisser", "conscienci" per "consciéncia", "aicì" per "aicí", "anada" per "annada"... (e parli pas que de la grafia, i auriá mai de dire sus las causidas linguisticas).

D'autre latz, lo sector linguistic de l'I.E.O., que dins d'operacions aital i perdrà sai que lo pauc d'autoritat que li demòra, nos a escutlat una reforma ont "cantan" ven "càntan" e "cantaràn", "cantaran". Perqué pas "bedígas" per "bedigas", e "bedigas" per "bedigàs"? Me demandi. Sufitz benlèu d'esperar un pauc.

E d'autres reformators mai acarnassits e alobatits espèran de nos far escriure "calitat" per "qualitat", "vert" per "verd", "Gèsus" per "Jèsus". Que sabi encara? Tot aquò, clar que se pòt justificar. Se pòt ennegresir de paginas de rasonaments. A la caça de la santa simplicitat. Mas d'una simplicitat inutila.

2 Logica normativa de la grafia classica.

La practica de la simpla grafia trai tan mal, o vesèm, coma la practica de la lenga.

La rason es que la grafia es pas, contràriament a çò que se pensan d'unes, independenta de l'entrepresa totala de normalizacion linguistica.

Afortissi doncas de lanç la tèsi que seguís:

- la grafia occitana s'intègra a un projècte global de normalizacion linguistica.

Deuriáèsser evident. O cal pas mens tornar dire, coma calrà tornar expausar l'entrepresa de normalizacion, qu'aquelas causas semblan uèi desbrembadas de totes.

La grafia occitana escafa de diferéncias dialectalas. "Disiá que tot aquò s'adobariá deman", pòt cobrir [dizjoketutakosadubarjodema], o [dizjeketutakosadubarjedeman], o [dizjoketutokosoduborjodemo] e d'autres que passi. O fa impossible de sarrar explicitament la prononciacion locala. Es una bona causa. Mas vòl dire que la grafia occitana s'aquesís coma presa de consciéncia d'un sistèma fonologic, e non coma representacion dels sons d'un parlar. Un parlar notat en grafia occitana se reconois pas sul pic, mas a travèrs un saber minimal dels fonccionaments fonologics e morfologics.

Per un que pronóncia [dizje], la grafia "disiá" a tres justificacions:

- intèrna al parlar: "disiá" altèrna amb "disiam", "disiatz" ([dizjan], [dizjas]).

- trasdialectala: "disiá" es un supòrt de las realizacions [dizje] e [dizjo] sens cambiar, lo cambiament menor "disia" supòrta [dizio] o [dizi].

- istorica "disiá" esperlonga las formas medievalas "disia" o "dizia".

La primièira rason val pas que dins la mesura que se causís una grafia fonologica pro abstracha e non fonetizanta. Val que permet d'integrar racionalament las doas autras. Las doas autras valon pas que dins la mesura que tot parlar es pensat de lanç, e de longa, coma element de la comunitat linguistica occitana.

La lenga es, per part, desdialectalizada per la grafia. Lo legeire d'un tèxt aital escrich ne percep pas las infleccions localas. Ne percep pas la distància s'es, lo legeire, de defòra, ni la proximitat s'es de dedins .

La grafia, ça que la, desdialectaliza pas d'a fons. Se seriá poscut pensar benlèu de cobrir [ustaw] e [ustal] per "ostal", de cobrir [henno] e [fenno] per "hemna". Se fa pas. Aital çò que la grafia escafa pas (valent a dire en general de fenomèns ancians e prigonds) aquesís un estatut de marca de dialectalitat.

L'us de la grafia occitana estala un fonccionament de la lenga ont la dialectalitat se redusís a de marcas sus fons d'indiferenciacion.

Lo fons indiferenciat esperlongat d'una seleccion morfologica e de la causida de talas o talas marcas de dialectalitat establís las formas dialectalas referencialas o estandards regionals.

Segondàriament de consideracions geograficas (centralitat), istoricas e linguisticas (conservatisme) suggerisson de far del lengadocian referencial l'occitan estandard.

Cort: la grafia fa sentir l'unitat de la lenga, fa sentir la possibilitat d'un provençal, d'un gascon, d'un lengadocian que non sián pas autrament localizats, e mai d'un occitan. La grafia entemena lo procès de desdialectalizacion que de causidas normativas permeton de li donar còs e cara.

La grafia occitana pòt notar los dialèctes, los parlars, totes, amb de còps que i a per d'unes parlars esquerrièrs o reguèrgues de solucions de detalh encara benlèu per trobar. Mas l'ofici de notacion se complís dins una mena de tension: l'especificitat notada es pasmens sempre per part escafada. Sempre la grafia occitana establís dins l'escritura dialectala (per tant estacada que siá a respechar menimosament l'usatge d'un luòc) la consciéncia de l'unitat de la lenga. D'aquí un malaise de l'escritura locala en grafia classica: malaise que cal assumir creativament.

La tension al contrari desapareis entre que s'agís d'escriure una forma de lenga referenciala.

3 Lenga e normalizacion.

La tèsi que defendi es (un) que tot occitanista conscient deu acceptar la normalizacion linguistica e (dos) que la normalizacion es pas una tanca o una constrencha, mas dobrís a la lenga e als sieus usancièrs de possibilitats e de camps nòus d'usatge, d'un mot qu'es una liberacion.

Vòli notar primièr que lo refut d'anar mai luènh que la normalizacion grafica mena a servar pas completament la grafia classica. De "Res que la grafia", se resquilha a "Pas tota la grafia". Es tipic lo cas del metòde cucuronenc. Dins la mesura que l'emplec de la grafia classica nos pausa dins una dinamica que va cap a l'estandardizacion, lo refut de l'estandardizacion mena a de concessions graficas. La tension que disiái tot ara es entre la notacion de l'oralitat locala e la dinamica unitària. Se tomba la dinamica unitària, la grafia se replega sus la notacion sarrada de l'oral.

Las formas referencialas, o ai dich en passar, suspausan de causidas per acabar l'unitat suggerida per la grafia. Aquí lo ponch critic. Se cal pausar la question del sens e de la legitimitat d'un trabalh sus la lenga, de son elaboracion artificiala.

Lo refut de tota forma referenciala o estandardizada la volontat e se'n téner als parlars locals, pòt èsser una simpla crispacion instinctala (o pretenduda tala). Un afar de tripas que romegan.

Pòt èsser mai elaborada.

Un document de trabalh de l'Ecole normale d'instituteurs de Bocas de Ròse, titolat Langue, dialecte, patois. Eléments de réflexion, dona una formulacion clara de çò qu'es sovent pas dich qu'a mièjas.

Ne resumissi l'argumentacion:

- tot sistèma de comunicacion umana vocala emplegat per una comunitat es una lenga. Doncas tot parlar occitan es una lenga. Totes se valon. La paraula "patés" deu èsser rebutada per sas conotacions pejorativas. Las paraulas "dialècte", "josdialècte" son de denominacions de la tòca classificadoira, sens mai.

- las formas localas son las solas formas naturalas de la lenga, doncas las solas que siá legitim de n'usar.

- una forma normada o estandard es pas qu'una forma linguistica pròpria a un grop (geografic o social), que pòt èsser e mai l'objècte d'una codificacion artificiala, e qu'es promoguda coma superiora, sens rasons intrinsècas. Tota nòrma s'atanh a un sistèma d'inegalitat linguistica que tend a exclure e a culpabilizar las practicas espontanèas. Lo francés es un cas tipic d'imposicion d'una forma normada referenciala (la lenga dels elèits parisencs en gròs) contra las autras varietats. L'occitan (los parlars occitans) an patit d'aquela imposicion normativa. L'occitan deu pas reprodusir aqueste mecanisme. Deu respechar la diversitat dels parlars e, per aquò far, valorizar pas cap de practica a regard de las autras.

Resumiscam lo resum: tota forma de l'occitan es bona e l'occitan es pas que sas varietats. Tot assag d'estandardizacion es artificial e immoral (o reaccionari, o alienador, a vòstre agrat).

3.1 Lo concèpte de lenga.

Lo rasonament qu'acabi d'expausar patís d'una manca de reflexion sul concèpte de lenga. Cal destriar dos sens d'aquesta paraula:

- la lenga pels linguistas. Per un linguista, cada òme que parla parla una lenga. Aquela se pòt estudiar, caracterizar dins sa sintaxi, son lexic, sa morfologia, sa fonologia, sa semantica. Aicí daissam completament per caire la question dels ligams de la lenga, definida coma la competéncia d'un parlaire o lo sistèma d'un grop omogenèu, amb los autres usatges linguistics, d'autres parlaires, d'autras comunitats omogenèas. (Dins aqueste primièr sens de lenga N. Chomsky, rasonablament e per levar tota ambiguitat, parla de gramatica (mentala)).

- la lenga pel sens comun. Quand parlam de lenga cada jorn o fasèm pas dins lo sens subre-dich. Disèm "lo francés", "l'anglés", "lo chinés" son de lengas. Disèm "En Belgica se parlan doas lengas". Disèm la lenga occitana (o provençala). Aquí pensam pas a un parlaire, ni mai a una comunitat omogenèa. Pensam a una institucion sociala. Un grop uman se reconois parlar la meteissa lenga. Cal una basa a aquesta reconoissença: una intercompreneson minimala (encara que "lo" chinés foncciona pas que dins l'intercompreneson escricha mercé als ideograms). Aquò's de matissar pel fach que l'intercompreneson es afar de semblança objectiva dels biaisses de parlar, e tanben d'acostumança a la diferéncia, de volontat de se comprene. Sus aquesta basa minimala se bastisson tot un escach d'institucions e de practicas linguisticas (o linguisticas per part): literatura comuna, escòla, lengas administrativa, juridica, tecnicas...

Pausada aquesta distinccion, vesèm lo sofisma del rasonament del tèxt qu'ai resumit: l'occitan es una lenga dins lo primièr sens. Es evident. Lo problèma es que ne siá una dins lo segond sens. Disi problèma per doas rasons:

- d'unes pausan que la lenga es pas l'occitan, mas lo provençal, per exemple (e lo lengadocian, l'alvernhàs, lo gascon...). Que i a de lengas d'òc.

- dire "l'occitan es una lenga, e non un patés, perque tot çò que se parla es una lenga" convencís escassament. L'argument a ges d'eficacitat contra la minoracion efectiva que marca l'emplec del mot "patés". Patés vòl dire d'un biais "non-lenga". Mas "non-lenga" dins lo segond (e ordinari) sens de lenga. Lo que ditz: "Parli (un) patés", vòl pas dire que çò que parla siá pas un sistèma de comunicacion eficaç. Vòl dire qu'es pas instituit coma o es lo francés.

Mostrar l'occitan qu'es una lenga, es pas son qu'un afar de demonstracion logica (coma se fa quand se pren lenga dins lo primièr sens, lo de "gramatica mentala"), mas de pròva en actes. Lo fach de l'intercompreneson, qu'existís espontanèament, que pòt èsser desenvolopada per la practica, o fonda tot. Mas l'occitan a de se mostrar lenga dins de fonccionaments autres.

3.2 La situacion diglossica.

La confusion sus los senses de la paraula "lenga" escurzís d'a fons la situacion de l'occitan a regard del francés. Empacha de comprene la situacion diglossica, l'inferiorizacion de l'occitan. Empacha de pensar clarament lo "restropament de la diglossia", segon la formula lafontiana, e la promocion de l'occitan.

L'occitan es marcat (macat diriam pateticament) per la diglossia, per son inferiorizacion. La marca mai clara es l'estrechiment dels fonccionaments linguistics. La lenga s'emplega mai que mai dins las comunicacions de proximitat, vilatgesa o familhala. Es embarrada tanben dins las convèrsas quotidianas, las activitats tradicionalas de trabalh o de léser. Es acantonada dins qualques genres literaris admeses, carnavalèsques o estetizants.

Totas las lengas se valon. Es verai dins lo primièr sens de lenga. Dins lo segond es fals. L'occitan a pas lo pes del francés. N'a pas l'evidéncia d'institucion. A pas a posita las formas elaboradas per la comunicacion de massa, la sasida de la modernitat, de las sciéncias, de las tecnicas, de la pensada. Sufitz d'aver l'experiéncia (e mai un occitanofòn de naissença) de parlar occitan per un cors o per una emission de ràdia que siá pas imitacion de la convèrsa quotidiana. Sufitz de l'experiéncia d'una escritura que sortisca dels modèls literaris reconoguts, subretot que sortisca de la literatura, per aver esprovat las mancas de la lenga e saber que cal l'elaborar perque venga aisina eficaça e plegadissa.

La situacion diglossica a fach mancar a l'occitan de sègles d'elaboracion ont lo francés s'es fach e instituit. Se volèm començar de tirar l'occitan de sa situacion diglossica cal far per nòstra lenga çò que s'es fach per lo francés. Coma avèm perdut de temps, l'artifici es mai vesedor. Mas l'artifici es comun a tota comunitat linguistica. Es un fach que las lengas umanas son apresas naturalament, mas elaboradas socialament. Es suicidari d'embarrar l'occitan dins la sola natura.

Que vòl dire elaborar e instituir. Tota lenga a de formas referencialas, un estandard. Son las formas dels usatges comuns e neutres. "Una lenga, çò-ditz lo document de l'E.N.I. de Bocas de Ròse, es sempre parlada dins de formas que vàrian". Vertat. Mas lo gra de variacion es variable. Dins totas las comunitats linguisticas d'uèi, los dialèctes, que se mantengan coma en Soïssa alemanica o en Itàlia, que desaparescan coma dins lo domeni francés, que se recompausen coma dins d'unes ròdols anglofòns, s'articulan sus la practica d'una estandardizacion.

Se l'occitan eiretat es pas que dialectal, s'apren al fach que la comunicacion en occitan es primièr intèrna a de comunitats pichonas. La comunicacion en defòra, e mai existisca totjorn mai o mens, es segondària e sèrva la marca de l'origina dels parlaires. Parlar dialectalament vòl dire que lo que parla, de longa, en parlar, ditz d'ont ven, qual es. La dialectalizacion de l'occitan correspond a son emplec tradicional, e diglossic dins la mesura que daissa al francés las comunicacions de massa e l'escambi linguistic sus una basa autra que l'apartenéncia a una comunitat pichona. L'occitan pre-diglossic (d'Edat-Mejana), es pas per còp d'astre qu'aviá produsit de koinès, literària e administrativas.

S'arrapar per principi a la dialectalitat es s'arrapar a un biais de practicar l'occitan qu'es pas superior dins l'òrdre de l'etica o de l'estetica o de la natura, mas que resulta de la situacion de la lenga. Cubem cadun de la quantitat d'usatge de la lenga que fasèm d'un latz dins lo vesinatge estrech (basa del fonccionament dialectal), d'autre latz en defòra d'aquel vesinatge: dins de vilas de populacion mesclada e que passan de centenats de còps l'efectiu d'una comunitat dialectala classica, al telefòn, a legir o escriure, a comunicar, sus ràdia e TV, a l'escala de la region, d'Occitània, del mond (potencialament). Simplament, que compte un occitanista lo temps qu'emplega l'occitan amb los de son vilatge e amb d'autres occitanistas de totas borras. L'artifici, çò'm par, es ben dins l'arrapament exclusiu a una dialectalitat que correspond pas mai a las condicions que la faguèron espelir (l'identificacion comunitària estrecha). Parlar dialectal es parlar a sa plaça dins un òrdre: revèrta l'estacament a la gleva. Conquistar de practicas qu'escapan a la dialectalitat es conquistar los fonccionaments culturals dobèrts que son estats longtemps enebits a la lenga.

3.3 Una lenga referenciala.

Los catalans an criticat l'emplec ambigú de "normalizacion". Destrian la "normalització", fach de (r)establir una lenga dins la normalitat, valent a dire dins totes los usatges que pòt aver una lenga, e la "normativització", trabalh tecnic de tria e de causida ont s'amagestran las formas estandard de la lenga. La distinccion conceptuala es bona. Mas en practica la normalizacion suspausa la normativizacion. Nos es mestièr, dins los usatges que l'occitan deu conquistar per subreviure, d'una lenga morfologicament unificada, amb una neologia coherenta e rasonada. Aital se forma la lenga que nos cal emplegar quand volèm escriure sens qu'aja de sens de referir a quin luòc que siá, autre qu'un espaci occitan larg. Es la lenga que pòdon aprene los que se sentisson occitans sens referéncia a una practica dialectala de la lenga, que la lenga se redusís per eles a qualques laissas de francitan. Es la lenga que podèm emplegar per prene la paraula davant un public mesclat, per l'escritura utilitària, la comunicacion de massa.

Cal doncas assumir l'artifici de la normalizacion- normativizacion. O cal afortir primièr que l'artifici es relatiu. Las formas referencialas de l'occitan demòran d'occitan. La causida es mai que mai morfologica. Causida, per exemple, d'un paradigma al vèrb "èsser", d'una formacion de subjonctiu... Pel lengadocian, çò essencial es estat fach per Alibèrt (Gramatica occitana segon los parlars lengadocians, 1976, Montpelhièr, Centre d'Estudis Occitans). Ai suggerit un biais, volontàriament desprovesit d'originalitat, d'esperlongar las causidas (Compendi practic de l'occitan normat, 1985, Montpelhièr, C.E.O.). Pel provençal, lo trabalh dels felibres, de Mistral bèl primièr, pòt èsser représ pels occitanistas. S'agís tanben de far una tria demest las evolucions fonologicas, de daissar caire las mai localas o destorbantas. Es afar de mesura e de sens, d'anar-venir entre causida e mesa en practica. Lo lexic es pas un problèma contràriament a çò que comunament se pensa. Çò mèstre lexicalament es d'avançar una neologia coherenta, concertada, panoccitana. D'aquí la valor capitala de las règlas qu'Alibèrt pausa per formar los mots sabents amb de rasics grègas o latinas. Se pòdon admetre coma panoccitanas, sens cambiar. Lo polimorfisme eiretat de la mena "escoba"/"engranièira", "padena"/"sartan"... pausa pas de problèmas. Lo cal daissar se reglar per l'usatge.

La sintaxi es liura. Tota possibilitat sintaxica localament constatada pòt servir dins la lenga referenciala. Lo polimorfisme sintaxic lai se torna interpretar en possibilitats estilisticas. Simplament, cal pas confondre sintaxi e expressivitat orala. L'autenticitat sintaxica de l'occitan ten pas dins lo salpicatge de "qué!", de "bòta", de "a mai"... Mas aquí sortissi de l'analisi de la lenga referenciala per suggerir un biais d'escriure. La marrida literatura participa tanben de l'estandardizacion, encara que l'occitan perilha mai d'èsser tuat pel ridicul d'unas practicas que non lo francés, que pòt n'engolir. Es afar de proporcions.

Cal destriar lo simple fach d'admetre que d'emplecs normats son necessaris e lo biais que se règla l'emplec de la lenga referenciala. Se l'occitan deu demorar viu, deu, coma tota lenga, se servir de formas referencialas. Vòl pas dire que dega fonccionar exactament coma lo francés. S'agís pas de far desaparéisser los usatges dialectals. Se son amenaçats es pel francés, pas per l'occitan estandard. Primièr, la practica dialectala, e mai fòrça caracterizada, es legitima dins l'usatge quotidian, dins tota òbra tanben de creacion literària. Segond, l'estandardizacion es a dos nivèls. Remandi aquí a l'article decisiu de P. Bèc ("Per una dinamica novèla de la lenga de referéncia: dialectalitat de basa e diasistèma occitan", Annales de l'institut d'études occitanes, 4-2-6, 1972, Nimes). I son pausats de principis tròp sovent desbrembats dels occitanistas. Cresi, e sèm qualques uns d'o creire, que l'asuèlh de tota practica de l'occitan es Occitània dins l'espaci e lo temps. Una comunitat linguistica ont jòga l'intercompreneson (amb la (bona) volontat adequata), una tradicion d'escritura longa de dètz sègles. Es dins aqueste asuèlh larg que me sentissi lo drech de prepausar a d'autres, escolans, liceans, estudiants, de dintrar e s'emprigondir dins la cultura occitana. I trobaràn per noirir una vida intellectuala, une sensibilitat e l'enveja de crear. Avèm pas lo drech de los embarrar dins la micro-cultura de son rodelet. La lenga referenciala, generala, a basa de lengadocian, respond a las necessitats de las comunicacions per la comunitat tota: que se parle a ela meteissa coma un tot, o que se presente al defòra.

Es vertat qu'Occitània es bèla e larga. I cabon de consciéncias regionalas. Una consciéncia provençala per exemple. D'unes l'enduresisson en separacion linguistica. La lenga (dins lo segond sens, d'institucion, qu'ai dich), es per eles lo provençal, pas l'occitan. Non i a pas de demonstracion possibla qu'ajan tòrt (o qu'ajan rason). Simplament me sembla un apauriment e la negacion de practicas realas, a travèrs dels sègles, e dins lo quite Felibritge, que faguèron fonccionar la lenga d'òc coma ensems efectiu. La consequéncia e la sanccion practica de las consciéncias regionalas, o provincialas, dins la consciéncia occitana, es qu'es essenciala l'elaboracion d'estandards regionals que respièchen las particularitats de las regions linguisticas, istoricas e umanas d'Occitània.

Lo provençal referencial deu aprofechar l'elaboracion felibrenca, traspausada graficament. Ne pòt reprene en gròs la seleccion morfologica. La cal per part sarrar de las causidas lengadocianas, coma o fan d'unes bons autors que destrian las marcas de tresena persona de "cantan" e de "dison", que substituisson, segon la lenga classica, de subjonctius en "-a" per las formas en "-e" als segond e tresen grops ("sortiga/sortisca", "venga"), qu'emplegan "siá" coma subjonctiu d'"èsser"...

Resumissi las practicas de l'occitan que me semblan uèi anar dins lo sens d'un fonccionament cultural viu o simplament vivable:

- la practica dialectala, que, quand passa a l'escrich, o deu far dins la grafia classica ben compresa e respechada que i introdusís la tension cap a l'unitat linguistica,

- la practica de formas referencialas regionalas que me semblan l'ais del trabalh pedagogic (subretot dins las vilas bèlas, desoccitanizadas e ont lo dialectalisme vira a l'artifici arqueologic) e dels usatges publics, orals coma escriches.

- la practica de l'occitan referencial general que deu correspondre a l'enantiment de comunicacions de la vocacion panoccitana. Per exemple, la part redaccionala d'una revista panoccitana, un jornal televisat panoccitan... deurián èsser en occitan referencial. Per exemple encara, un article de quina disciplina que siá, d'umanitats, de sciéncias umanas, de sciéncias duras... lo problèma es de far venir realitat sociala admesa que s'escriga en occitan. Lo dialectalisme i a ges de justificacion. E mai es contra-productiu.

Sovent (dins lo Felibritge, e encara Alibèrt) s'es pensat a las formas referencialas coma a la lenga literària. En fach la literatura es lo luòc ont la dialectalitat demanda lo mens de defugir. La lenga utilitària e vehiculària, es mestièr de normar. Empacha pas, ça que la, que las formas normadas pòdon tanben èsser aisinas d'expressions literàrias, solas o en articulacion amb las formas dialectalas.

***

L'occitan per morir pas, deu conquistar d'usatges nòus. O poirà pas far qu'en se servir de las aisinas que ja s'es donadas. Una nòrma grafica e, articulada sus aquesta, de formas de lenga estandardizadas. Refudar aquò es esperlongar la diglossia, non la combatre.

Podèm, devèm, contunhar de dire que tota forma d'occitan es bona. Mas devèm nos demandar a qué es bona. Se volèm que l'idèa que l'occitan es de patés desaparesca, se farà pas en defendre l'idèa falsa que l'occitan dialectal es, tal coma es, una aisina totala. Se farà en mostrar qu'es la meteissa lenga coma las formas referencialas que lo completan.

Ai agut fach de corses de francés en França a d'escolans que son francés èra pas totjorn d'estandard. Totjorn me tenguèri a li dire que çò que parlavan èra de francés, ni cort ni costièr, mas que pasmens avián de mestrejar d'autras formas d'aquela lenga, se volián poder s'exprimir, èsser legits, ausits, entenduts. Se pòt pas escriure un jornal o far una emission informativa dins la lenga de la Mère Denis, ni mai dins la de Zazie. La distinccion, dins lo sens de Bourdieu, per me servir d'un concèpte que los autors del document de l'E.N.I. de Bocas de Ròse i s'apuèjan per refudar l'estandardizacion, es pas tan solament fondamentada per de marcas arbitràrias. Çò qu'i es grèu e indefugible es que los còdes valorizats son tanben d'aisinas mai eficaças per tota una tièira d'activitats ont la lenga interven. Aviái pas lo drech de refudar aquelas aisinas a mos escolans de Beauce. Avèm pas lo drech de refudar als Occitans lo mestreg de formas de sa lenga que li permetan de sasir las causas, lo mond e son avenidor.

 

Tourtoulon et Bringuier, explorateurs de la limite

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Tourtoulon

Un bout de la carte établie par Tourtoulon et Bringuier

 

Tourtoulon et Bringuier, explorateurs de la limite

 

         S’il nous est possible aujourd’hui d’affirmer l’existence d’une langue occitane, c’est, pour une part non négligeable, grâce au travail de terrain du baron Charles de Tourtoulon et d’Octavien Bringuier en 1873 et à la publication qui s’en suivit : Étude sur la limite géographique de la langue d’oc et de la langue d’oïl. Ce  Rapport destiné au ministre de l’instruction publique des cultes et des beaux-arts, daté de 1875 publié en 1876 a fait l’objet d’une opportune et belle réédition par l’Institut d’Estudis Occitans dau Lemosin et Lo Chamin de Sent Jaume (la maison d’édition de Jan dau Melhau). Elle contient notamment une reproduction impeccable (qualité de l’imprimerie Plein Chant à Bassac) de la carte établie par les auteurs au long de leur périple interrompu de Blaye jusqu’à Ajain, peu après Guéret. Comme le disent les auteurs, « … il ne paraîtra-t-il pas étonnant qu'après un mois et demi de courses continuelles par les chaleurs de juillet et d'août, après avoir visité cent cinquante communes, interrogé près de cinq cents personnes, parcouru plus de 1,500 kilomètres pour tracer notre limite sur une longueur d'environ 400, il nous ait été impossible de pousser, plus loin notre travail. Mais il reste démontré qu’avec quelque activité et quelque amour de la science la tâche entreprise par nous peut être menée à bonne fin ». Tourtoulon, après le décès de Bringuier, travailla seul, un mois encore, en octobre 1875.

         Mais l’étude ne fut jamais complétée ; il faut dire qu’elle suscita des réactions très négatives de la part des mandarins de la capitale qui, au départ, l’avait favorisée : Gaston Paris et Paul Meyer, pour lesquels il était inadmissible, inimaginable qu’il y eût d’autre langue en France que le français et préférèrent considérer les travaux de Tourtoulon, félibre montpelliérain forméà l’école de Chabaneau, comme des  « recherches d’amateurs ».

         Ce qui frappe pourtant est la rigueur de l’enquête, conduite sur le terrain (ce dont s’exemptait les professeurs de Sorbonne)[1] et la pertinence des réflexions méthodologiques de Tourtoulon et de son coéquipier.

        Tantôt la frontière, comme dans le cas du gascon et du « gabach » est on ne peut plus nette, les locuteurs parlant toujours l’un ou l’autre, fût-ce sur un même territoire en certaines enclaves.

          En pays marchois les choses sont plus compliquées, puisqu’il y a bien une zone où les parlers d’oïl et d’oc sont mêlés (certes les enquêteurs ne parviennent pas à saisir le marchois autrement que comme mixité instable[2], c’est-à-dire en lui-même, de manière positive ainsi que le remarque Jean-Pierre Baldit) et pourtant tous les faits linguistiques qui y sont observés confirment la distinction : « les Marchois ne sont pas mieux compris des habitants des pays d'oïl situés sur leur frontière que de ceux des pays d'oc, et par conséquent que leur langage, tout mélangé qu’il est, a des limites géographiques très-nettes tant du côté des Limousins et des Charabias, suivant leur expression, que de celui des Angoumois, des Poitevins et des Berrichous. […] L'existence de cet idiome mixte, qui semblerait tout d'abord un argument en faveur de la fusion graduelle et insensible des langues, peut donc au contraire être invoquée contre cette hypothèse. La population marchoise (en donnant à ce mot son acception linguistique), dont les aptitudes phoniques sont tout à fait conformes à celles des habitants des pays d’oïl, mais qui use d’un vocabulaire et d’une grammaire d’oc, est enfermée dans des limites très-précises. » (Tourtoulon et Bringuier, 1877)[3]

         Face à la critique sans appel de Gaston Paris et de Meyer, pleine de condescendance et – il faut le dire – de légèreté (mais alourdie de tout le poids de l’autorité institutionnelle), Tourtoulon, nullement impressionné (fort peut-être de sa conscience aristocratique), se montre d’une grande pugnacité, alors qu’il sait ne pouvoir prétendre à la légitimité scientifique de ses adversaires parisiens. Il leur répond en des textes qu’il eut été judicieux de joindre à la réédition du rapport ; en particulier une conférence donnée au Congrès de philologie romane de Montpellier en 1890 (c'est pourquoi j'en ai repris une partie sur ce blog) et un discours de réception à l’Académie des sciences, agriculture, arts et belles-lettres d'Aix en 1897.

         Gaston Paris, non content d’être l’inventeur du très imaginaire francien (voir mon compte rendu du bouquin de Cerquiglini, La Langue orpheline), affirme l’inexistence des « dialectes » ; il est partisan d’une fusion graduelle de tous les parlers de France : il n’y aurait en France qu’une seule langue soumise à d’innombrables variations internes (les « patois »), mais contenues, comme par miracle, à l’intérieur des frontières nationales. Gaston Paris évoque avec condescendance ces « vaillants et consciencieux explorateurs » qui prétendirent dégager la frontière linguistique entre langue d’oïl et langue d’oc : « Cette muraille imaginaire, la science, aujourd’hui mieux armée, la renverse et nous apprend que d’une bout à l’autre du sol national nos parlers populaires étendent une vaste tapisserie dont les couleurs variées se fondent sur tous les points en nuances insensiblement dégradées ». La scientificité est pour le coup affirmée mais non démontrée, et surtout entièrement au service de la patrie, l’auteur déclarant que sa propre théorie présente « d’immenses avantages pour la civilisation et pour l’unité nationale » (Paris, 1889).

         Tourtoulon oppose les faits linguistiques observés et décrits sur place à la théorie nationale conçue dans les livres et nourrie de la métaphore de la tapisserie : « N'en déplaise à M. G. Paris, dit-il, il y a bien deux langues françaises séparées par une frontière non imaginaire. « Et comment, dit-il, s’expliquerait cette étrange frontière qui, de l’est à l’ouest, couperait la France en deux en passant par des points absolument fortuits ? » Explicable ou non, un fait est ou n'est pas, et lorsqu'il s'agit seulement de constater s'il existe ou n'existe pas, c'est une déplorable disposition d'esprit pour un observateur que de se préoccuper de l'explication à donner. Il serait un étrange savant celui qui éliminerait de la science tout ce qu’il n’explique pas » (Tourtoulon, 1890). Du reste, en attendant de plus sûres connaissances, l’enquêteurs faits quelques hypothèses géographiques, dont il reconnaît lui-même l’insuffisance (la présence notamment de forêts séparant les zones linguistiques) et appelle de ses vœux des études approfondies sur les coutumes et les « mœurs » (ce que nous appellerions aujourd’hui « culture ») de ces populations limitrophes.

         Tourtoulon s’en prend vivement aux théoriciens en chambre de la langue, qui travaillent de loin et qui plus est, exclusivement sur de l’écrit, ce qui ne peut être que désastreux. « Pour se faire une idée juste d'un être quelconque, il ne suffit pas, — on ne saurait trop le répéter, — de l'étudier à l'aide du scalpel et du microscope ; il faut aussi l'observer à l'état vivant et agissant. Pour juger de l'importance et du rôle d'un organe, il faut voir cet organe en jeu. Or, il arrive trop souvent que les philologues n’ont pas vu assez vivre le parler qu'ils étudient sur des échantillons écrits, c'est-à-dire dans un état voisin de la mort » (Tourtoulon 1890). Il enfonce le clou dans son Discours de réception à l’académie aixoise : « une langue est faite pour être parlée, non pour être écrite. Faire de la linguistique sur des textes, c’est faire de la botanique sur un herbier, de la zoologie sur des dépouilles d’animaux plus ou moins conservées » (Tourtoulon, 1897).

         Il devient ainsi de prime importance d’être familier, par l’oreille et la bouche, des langues sur lesquelles on travaille et, surtout, de ne pas se contenter d’écouter parler les locuteurs, mais aussi de les interroger sur leurs propres perceptions des parlers voisins ou d’ailleurs lointains. Tourtoulon et Bringuier le disent  dans leur rapport, « Nous avons remarqué que les auteurs partisans plus ou  moins avoués de la théorie de la fusion graduelle des deux langues sont ceux qui considèrent la limite dans toute son étendue. Au contraire, ceux qui se bornent à donner un tracé partiel pour le pays qu'ils habitent et dont ils connaissent le langage croient à peu près tous à la possibilité d'établir une ligne de démarcation suffisamment précise ».

         Mais alors, bien sûr, le statut du locuteur change complètement : un savoir non seulement de la langue mais sur la langue lui est pleinement reconnu, dont la science ne saurait faire l’économie. Il n’y a pas là seulement un souci d’empiricité ; il s’agit bien d’une révolution copernicienne dans la science linguistique elle-même qui renverse tous les préjugés sur le clivage traditionnel entre l’enquêteur qui, étrangement est toujours supposé savoir, et l’enquêté, qui devient ici sujet de savoir : « Je ne saurais trop le redire, c'est dans le peuple, parmi les illettrés, qu'il faut chercher des renseignements exacts et sur l'idiome local et sur les traits qui le distinguent des idiomes voisins. Mais tout le monde n'est pas apte à recueillir de bonnes observations phonétiques ; la science acquise dans les écoles et dans les livres est pour cela d'un bien faible secours... L'incapacité de parole provient souvent d'une incapacité d'ouïe et se remarque chez les plus lettrés. Ce n'est pas un des moindres obstacles que rencontrent les Français du Nord dans la pratique des langues étrangères » (Tourtoulon, 1890). Ainsi donne-t-il par exemple une grande place, dans son article, à la cuisinière montpelliéraine qui l’accompagne dans ses voyages et chez qui il observe attentivement la compréhension interdialectale et ses limites : « les gens de bon sens […] ne seront pas étonnés de me voir donner cet exemple de classement instinctif des langages. Ils savent que, pour saisir l'allure et la physionomie des parlers populaires vivants qu'elle comprend, une cuisinière vaut dix élèves de l'École des Chartes, comme pour relever à première vue certaines particularités de la faune ou de la flore locales, un paysan vaut dix citadins, fussent-ils membres de l’Institut » (ibid.).

         Et toc ! On le voit, Tourtoulon ne s’en laisse pas conter, mais cette vigueur rebelle, je le répète, s’accompagne d’enjeux épistémologiques considérables. Jean-Claude Chevalier, qui fonda en 68 le département de linguistique à Vincenne, affirme dans un article de 1999 que ce débat n’était nullement négligeable, et surtout qu’il n’est hélas pas aussi dépassé que ce que l’on pourrait croire :  « jusqu’à aujourd’hui on retrouvera les mêmes traits chez les maîtres parisiens, philologues et linguistes, par ailleurs compétents : un savoir livresque hanté par l’analyse de texte, base des succès universitaires, une arrogance de grand notable fondée sur ces titres universitaires et les relations au plus haut niveau, une minimisation des études de terrain qui supposent un style de vie tout à fait étranger au « savant » » (Chevalier, 1999). C’est sans doute pour cela, que malgré l’indéniable caution scientifique donnée par le temps à Tourtoulon contre Paris, la thèse de celui-ci réapparaît en fait si souvent, spontanément, sous la plume de pseudo-savants et d’érudits en chambre.

         Pour terminer, en guise de conclusion, je citerai en entier une note du rapport de 1975, une longue, courageuse et belle note (4, p. 44), qui n’est pas sans susciter rage et tristesse, quand on sait que 138 ans plus tard, nous n’avons presque pas avancé d’un pouce sur le plan légal, et reculé jusqu’aux dernières limites dans les pratiques : « La destruction des idiomes locaux et leur remplacement par la langue officielle est un de ces préjugés qui dominent encore beaucoup trop dans les écoles primaires. On voit qu'il est des localités où ce résultat peut être obtenu d'une manière plus ou moins imparfaite; mais le défaut d’imagination, d'originalité, d'initiative de ces populations n’est pas sans relation avec le défaut d'une vraie langue maternelle, dans l’acception la plus exacte et la plus intime de ce moi. Ce n’est pas sans un sentiment pénible que nous avons vu ces villages privés de coutumes caractérisées, de poésies populaires, de chansons locales, de tout ce qui donne tant de charme et de fraicheur à la vie du peuple des campagnes. Quant aux pays de pure langue d'oc, le temps seul pourra détruire ou transformer leur langage; la proscription administrative dont on a essayé aboutirait tout au plus à substituer un jargon sec et informe à une langue riche, souple, imagée, parfaitement adaptée à l’esprit et aux besoins de ceux qui la parlent. Les douloureux événements de 1870 ont seuls empêché l’envoi au Corps législatif d'une pétition dont MM. de Charencey, Gaidoz et de Gaulle avaient pris l'initiative[4], et qui avait pour but de demander que les idiomes locaux, loin d'être proscrits des écoles, fussent employés à l'enseignement du français. Nous connaissons des instituteurs qui ont obtenu par ce moyen d'excellents résultats. Il est facile de remarquer d'ailleurs que les paysans du Languedoc qui parlent le plus correctement le français sont précisément ceux qui ont conservé leur langue maternelle moins altérée. »

Jean-Pierre Cavaillé

 

 

Bibliographie

 

Brun Trigaud, Guylaine, Le Croissant, Contribution à l'histoire de la dialectologie française au XIXe siècle, Université Lyon III, 1990.

          – « Un aspect de la dualité Paris / Montpellier, l’enquête Tourtoulon et Bringuier », Lengas, vol. 21, no 42, 1997, p. 153-162.

Chevalier, Jean-Claude, « Le prophète et le roi. Tourtoulon devant G. Paris », Peter Wunderli et Edeltraud Werner, éds, Et Multum et Multa: Festschrift Für Peter Wunderli Zum 60. Geburtstag, 1998, p. 45-55.

– « Le baron de Tourtoulon et la constitution d’une géographie linguistique », in De François Raynouard à Auguste Brun. La contribution des Méridionaux aux premières études de linguistique romane, Lengas, vol. 21, no 42, 1997, p. 163-170.

Desmet P., Lauwers, Peter, Swiggers, Pierre, « Le développement de la dialectologie française avant et après Gilliéron »  in Lauwers, Peter, Simoni-Aurembou, Marie-Rose, Swiggers, Pierre, Géographie linguistique et biologie du langage : autour de Jules Giliéron, Louvain-Paris, Peeters, 2002, p. 17-64.

Galimard, Kalinka, « L'enquête, l'enquêteur, l'enquêté (le témoin) », Langue française, n°93, 1992. p. 53-73.

Martel, Philippe, Les félibres et leurs temps. Renaissance d'oc et opinion (1850-1914), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2010.

Paris, Gaston, « Les Parlers de France », Histoire et philologie du comité des travaux historiques, 1887, Paris, 1889, p. 131-187.

Pop, Sever, La dialectologie : aperçu historique et méthodes d'enquêtes linguistiques, Louvain, Chez l'auteur, [19..?], 2 vol. vol. 1.

Tourtoulon, Ch. de, « Des Dialectes, de leur classification et de leur délimitation géographique », communication faite au Congrès de philologie romane de Montpellier, le 26 mai 1890, Revue des langues romanes, t. XXXIV, 1890, p. 130-175. (§ 5 repris sur ce blog)

       – Discours de réception (M. Joseph Foncin - Les parlers locaux), Académie des sciences, agriculture, arts et belles lettres (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône), 1897.

Tourtoulon, Charles de et Bringuier, Octavien, Étude sur la limite géographique de la langue d’oc et de la langue d’oïl. Rapport destiné au ministre de l’instruction publique des cultes et des beaux-arts, Paris, Imprimerie nationale, 1876 ; reprint Institut d’Estudis Occitans dau Lemosin & Lo Chamin de Sent Jaume, Masseret-Meuzac, 2007.

Zantedeschi, Francesco, « La Dialectologie avant sa disciplinarisation : la Société pour l’étude des langues romane, et le statut de la langue d’oc », European University Institute, Florence, 2012.

 


[1]« son discours est celui d’un empirique qui se constitue peu à peu une théorie »  (Chevalier, 1999). Soit en effet cet exposé de méthode : « Je prends au hasard une phrase du nouveau dialecte et je me demande à quels caractères je reconnais que cette phrase appartient à un parler différent de celui que je viens de quitter ; en d'autres termes, je recherche en quoi cette phrase diffère de la phrase exactement correspondante du précédent idiome, et je note avec soin toutes les différences. Je renouvelle la même expérience sur un très grand nombre de phrases toutes usuelles, recueillies pour la plupart de la bouche de gens du peuple dont j'ai préalablement constaté l'origine indigène, et j'ai ainsi le plus grand nombre des caractères qui, dans l'usage, servent à distinguer ce parler du parler voisin, caractères que je classe d'après leur fréquence et non d'après leur valeur intrinsèque. Une flexion du verbe peut avoir scientifiquement plus d'importance que la transformation d'une voyelle ; mais s'il s'agit d'une voyelle d'un usage fréquent, a ou o, par exemple, et si la transformation est constante, ce caractère frappera dès la première phrase entendue et marquera le changement d'idiome, tandis que le temps ou la personne du verbe affectée d'une flexion spéciale se présentera peut-être si rarement dans le discours que, si ce caractère était le seul, on pourrait entendre une longue conversation sans se douter qu'on a changé de dialecte » (Tourtoulon, 1890).

[2]« Une autre particularité de cette région, c'est l'existence sur le même sol d'un idiome d'oïl, qui n'est pas, comme le gabaï de la Guienne, parlé par certains individus à l'exclusion de la langue d'oc; mais qui se trouve mêléà celle-ci dans toutes les bouches et en proportions très variables, suivant les personnes et les localités. Il serait assez difficile, par exemple, de déterminer la langue à laquelle appartiennent les deux phrases suivantes, recueillies par nous dans la même commune (Magnac-Laval) :

Vaqui des femmes que passan; elles vandan de l’oli

Véci de la fannâ qui passan; a vandan de l’eule,

On peut cependant, avec les éléments qu'elles fournissent, reconstituer une phrase d'oc et une phrase d'oïl parfaitement reconnaissables. »

Sur le marchois, outre le compte rendu de l'oufrage collectif déjà signalé ("Des papillons morts bien aplatis"), lire ici le compte rendu critique de Jean-Cristophe Dourdet consacréà une article de J. -M. Monnet-Quelet ("Marchois et Patois de Paris, un rapprochement pertinent ?").

[3] Il n’est donc pas exacts d’affirmer que les auteurs auraient utilisé pour décrire le contraste Nord-Sud, « un vocabulaire de géographie politique (« frontière », « ligne de démarcation ») qui ne laissait de place ni à la mobilité de la limité, ni à sa nuance », comme l’affirme Antoine Paillet, « L’apport des techniques agraires à la définition d’une « limite nord-sud » en France », in Jean-Luc Fray et Céline Pérol, L'historien en quête d'espaces, Presses Univ Blaise Pascal, 1 janv. 2004, p. 141

[4] Sur cette pétition, voir les ouvrages de Philippe Martel et Hervé Terral, dont on a rendu compte ici.

 


« Une cuisinière vaut dix élèves de l'École des Chartes ». Charles de Tourtoulon, 1890

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« Une cuisinière vaut dix élèves de l'École des Chartes ». Charles de Tourtoulon, 1890

 

Je publie ici quelques pages de la communication de Charles de Tourtoulon au Congrès de philologie romane de Montpellier, le 26 mai 1890, « Des Dialectes, de leur classification et de leur délimitation géographique »[1] et je renvoie le lecteur àmon précédent billet, consacré aux idées et à la pratique de Tourtoulon qui, avec Octavien Bringuier, était parti à la découverte de la frontière linguistique entre oc et oïl, contestant ainsi de manière empirique la théorie officielle de la fusion de tous les parlers de France soutenue par Gaston Paris et Paul Meyer. J’ai choisi ces pages parce que Tourtoulon y érigent les locuteurs en référence absolue, non seulement parce qu’évidemment ils parlent la langue, même s’ils sont illettrés, et qu’une langue est « faite pour être parlée », mais aussi parce que la manière dont ils se rapportent aux autres parlers autour d’eux, proches ou lointains, est essentielle au linguiste pour percevoir avec quelque scientificité les limites des langues, dialectes et sous-dialectes. Le sujet parlant, quel que soit son statut social, est ainsi mis au centre de l’observation du linguiste, il est considéré comme le plus compétent pour dire la langue et ses différences. Du même coup, ce que met au jour Tourtoulon est, tout simplement, le critère de l’intercompréhension pour définir une langue et ses dialectes.

Incidemment, on y découvre un monde, celui de la fin du XIXe siècle, où la plupart des locuteurs, de fait, sont en contact avec des parlers nombreux et variés, plus ou moins familiers, un monde où des colporteurs de Perpignan s’expriment en catalan à Saint-Girons. C’est aussi un monde où, spontanément, auditeurs et lecteurs, même peu chevronnés, se plaisent au contact d’œuvres en divers dialectes d’oc que le linguiste leur prête ou leur lit ; ils s’y plaisent parce qu’ils reconnaissent en fait leur langue et s’y reconnaissent eux-mêmes. Ce qui se dégage des observations de Tourtoulon, c’est ainsi toute une koinè linguistique populaire, mais aussi un univers de culture occitane écrite virtuelle, à portée de main et d’oreille pour toutes les populations concernées de toutes les classes sociales, mais qui ne s’est jamais réalisé par choix et volonté politiques.

J-P. C.

 

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Pour se faire une idée juste d’un être quelconque, il ne suffit pas, — on ne saurait trop le répéter, — de l’étudier à l’aide du scalpel et du microscope ; il faut aussi l’observer à l’état vivant et agissant. Pour juger de l’importance et du rôle d’un organe, il faut voir cet organe en jeu. Or, il arrive trop souvent que les philologues n’ont pas vu assez vivre le parler qu’ils étudient sur des échantillons écrits, c'est-à-dire dans un état voisin de la mort.

[…]

         Il est superflu, je crois, de faire remarquer que les caractères ne doivent pas être comptés, mais pesés ; et (qu’on pardonne l’étrangeté de l’expression) on ne peut les peser qu’à l’oreille, la langue étant faite d’abord pour être parlée. Les traits que la prononciation ne marque pas doivent être comptés pour rien ou à peu près rien dans la classification. Parmi ceux qu’elle marque, il en est qui modifient plus ou moins profondément la physionomie du langage, et auxquels les indigènes ne se trompent jamais lorsqu’ils veulent distinguer leur parler de ceux des régions voisines.

Je rappellerai ici, comme corollaire de ce qui précède, ce qui a été dit dans le rapport sur la limite géographique da la langue d’oc et de la langue d’oil au sujet de la nécessité d’étudier les patois dans les pays mêmes où ils sont parlés, et des précautions à prendre pour être assuré qu’on s’adresse à des personnes parlant le vrai langage indigène. Je ne saurais trop le redire, c’est dans le peuple, parmi les illettrés, qu’il faut chercher des renseignements exacts et sur l’idiome local et sur les traits qui les distinguent des idiomes voisins. Mais tout le monde n'est pas apte à recueillir de bonnes observations phonétiques ; la science acquise dans les écoles et dans les livres est pour cela d’un bien faible secours. J’ai connu plus d’un philologue distingué qui, n’ayant pas été familiarisé dès l’enfance avec les langues à paroxytons et à proparoxytons, était incapable de reconnaître, autrement qu’en théorie, la place de l’accent tonique et encore plus de la marquer en parlant. M. G. Paris, dans son Traité du rôle de l’accent latin, a signalé cette « incapacité de l’organe des Français à porter l’accent autre part que sur la dernière syllabe ». L'incapacité de parole provient souvent d’une incapacité d’ouïe et se remarque chez les plus lettrés. Ce n’est pas un des moindres obstacles que rencontrent les Français du Nord dans la pratique des langues étrangères.

         Pour démontrer d’une manière absolue la possibilité de délimiter les dialectes et les sous-dialectes, il faudrait procéder au tracé géographique de tous les parlers dépendant d’une même langue, de tous les patois d’oc, par exemple, ce qui serait tout à fait hors de proportion avec le cadre du présent travail. Je dois me borner ici àétablir, en premier lieu, que les gens du peuple classent d’instinct les parlers qu’ils comprennent ; en second lieu, que l’observation scientifique justifie ce classement, tout au moins dans ses principaux traits. Je vais donc faire connaître tout d’abord quelques-unes des observations qui m’ont conduit à réclamer l’application à l’étude des patois d’une méthode naturelle de classification […].

 

         Première Observation. – La femme P…, née en 1810, à Montpellier ; d’intelligence moyenne ; sait lire, presque pas écrire ; connaît parfaitement le patois de sa ville natale et malheureusement assez bien le français pour une femme du peuple de ce pays. Pendant plus de trente ans, cette femme est restée attachée successivement à deux personnes de ma famille avec qui j’ai voyagé en France et en Espagne.

         A Nice, la femme P… est un peu surprise par l’idiome local et demande tout d’abord qu’on le lui parle lentement. Après quelques heures, elle le comprend facilement et se fait comprendre d’un assez grand nombre de Niçois sans trop de difficulté en leur parlant montpelliérain. Dès que son oreille est habituée aux sons niçois, les flexions, les tournures de phrase, la grammaire en un mot, ne lui offre aucune difficulté. Le vocabulaire est ce qui la gêne le plus. Bien qu’en contact, durant près de trois ans, avec personnes parlant l’italien officiel, le gênois et le piémontais, la femme P… ne parvient à comprendre aucun de ces trois idiomes ; elle en apprend quelques mots isolés, mais ne parvient jamais à construire ni à comprendre une phrase. Il faut reconnaître que, n’étant pas absolument obligée de communiquer à l’aide de ces langues, mon sujet ne fait aucun effort sérieux pour se familiariser avec elles.

         Je crois pouvoir affirmer que la femme P… comprend également toutes les variétés de niçois parlées depuis Sospel[2] jusqu’au Var, limite de ce sous-dialecte. Du Var, en suivant le littoral jusqu’aux limites du catalan et, plus haut, jusqu’au Var, limite de ce sous-dialecte. Du Var, en suivant le littoral jusqu’aux limites du catalan et, plus haut, jusqu’aux parlers gascons caractérisés par l’emploi de h pour f initial, elle entend aisément tout les idiomes, à quelques vocables près aussitôt expliqués. Dans les conversations entre femmes, la volubilité méridionale ne souffre nullement de la différence des parlers. Vers Toulouse et vers Foix, il est nécessaire cependant de quelques heures d’accoutumance ; la femme P… doit « se mettre dans l’oreille » les sons, l’accent dans le sens vulgaire de ce mot. Je ne parle pas des divergences du vocabulaire qui commencent plus ou moins à quelques lieues de Montpellier et ne constituent jamais une vraie difficulté.

         En pays gascon, la femme P… a assez de peine à s’habituer à l’h tenant la place de l’f ; mais il est facile de voir que c’est à peu près tout ce qui la gêne dans ce nouveau dialecte. Si l’on remet l’f à la place de l’h, toute hésitation disparaît.

         Sur les limites de l’ancien Roussillon, entre Leucate et Salces, petites villes qui ne sont séparées que par une distance de 13 kilomètres, le catalan succède brusquement au languedocien. Ici deux des principes posés par M. G. Paris sont nettement contredits par les faits : il n’y a pas de fusion entre les deux idiomes juxtaposés et la limite linguistique coïncide avec une limite politique. C’est une exception, dira-t-on. Il y aurait à vérifier si les exceptions de ce genre ne se renouvellent pas si souvent qu’elles finissent par devenir plus fréquentes que la prétendue règle. Cette limite franchie, notre voyageuse et les indigènes ne se comprennent qu’avec de grands efforts d’attention. J’essaie de prononcer des phrases catalanes avec l’accent (sens vulgaire) de Montpellier, et des phrases de montpelliérain en imitant de mon mieux l’accent catalan, je suis à peu près compris des deux côtés. Après quelques jours passés à Barcelone, le catalan courant n’a plus guère de difficultés pour la femme P… Il en est tout autrement du catalan littéraire et même en général du catalan écrit. Tandis qu’elle éprouve toujours une véritable joie à lire ou entendre lire les œuvres du montpelliérain Favre, du toulousain Goudouli, du rouergat Peyrot, du niçois Rancher et des félibres provençaux, le rector de Vallfogona et les contes en prose catalane lui donnent trop de peine à comprendre pour qu’elle les écoute avec plaisir. Cependant, pour tout ce qui est usuel, elle communique parfaitement avec les personnes de Barcelone, de Valence, d’Alicante et de Lerida.

         Entre le catalan et l’aragonais, la transition est aussi brusque qu’entre le languedocien et le catalan, et, après un intervalle à peu près inhabité de 18 kilomètres, on rencontre Binefar, premier village aragonais. Sur ce nouveau territoire, il est impossible à la femme P… de communiquer avec les habitants autrement par signes. « Ce n’est plus, dit-elle, le même espagnol qu’à Barcelone ». J’essaie quelques explications ; elles servent de peu : il aurait fallu faire un cours complet de langue espagnole. Après un séjour à Madrid de plus de deux mois, la bonne femme ne fait d’autres progrès dans la langue de Cervantes que l’acquisition d’un certain nombre de vocables, à l’aide desquels elle essaie de parler petit nègre en castillan.

         Si, partant de Montpellier, nous nous dirigeons vers le Nord, la femme P… comprend très aisément le parler des Cévennes, le lozérien, le rouergat ; avec un peu plus de peine, mais encore assez bien, le dauphinois, l’auvergnat, le limousin de la Creuse.

         Sur les confins de la langue d’oil, l’expérience devient plus difficile : le français appris rend le contraste des langues moins appréciable. Cependant ce que Bringuier et moi avons appelé le sous-dialecte marchois est traité de franchiman (français du Nord) par mon sujet. En revoyant et classant d’anciennes notes relatives à cette observation, je constate que la femme P… appelle franchiman tout parler où les paroxytons d’oc sont devenus oxytons, soit le déplacement de l’accent tonique, soit par la substitution de l’e muet aux voyelles post-toniques. Dans le limousin bien parlé, elle reconnaît la place de l’accent tonique même lorsque la finale post-tonique est longue, puisqu’elle range ce dialecte dans la catégorie des parlers gabachs. Il faut noter encore que, pour l’usage courant, le français lui est aussi familier que le montpelliérain ; mais tandis que rien ne lui échappe des idées les plus hautes exprimées dans les beaux vers de Mirèio, la lecture du français lui laisse beaucoup d’impressions incertaines et souvent fausses ; elle ne paraît jamais bien assurée d’avoir compris, tout ce qui n’est pas terre à terre, et en effet elle se trompe sur le sens de phrases assez simples. En résumé, pour cette femme, les langages sur lesquels son attention a été appelée se divisent ainsi : 1° son patois montpelliérain ; 2° le provençal ; 3° le niçard (niçois) ; 4° les parlers gabachs (patois de Béziers, de l’Aude, de Toulouse, de l’Ariège, cévenol, lozérien, rouergat, auvergnat, dauphinois, limousin), qu’elle distingue presque tous les uns des autres ; 5° le parler de Bordeaux (h pour f initial) ; 6° le catalan ; 7° les parlers franchimans ; 8° les langues qu’elle ne comprend pas. Tout ce qui n’est pas langues étrangère, catalan ou franchiman, est pour elle « notre patois ou un patois qui ressemble au nôtre ».

         Je sais avec quels sourires dédaigneux et quelles fines plaisanteries certains théoriciens vont accueillir cette classification des parlers par une femme du peuple. Mais les gens de bon sens, qui savent combien d’indications précieuses sur des nuances de structure animale ou végétale les naturalistes doivent à des remarques de paysans, ne seront pas étonnés de me voir donner cet exemple de classement instinctif des langages. Ils savent que, pour saisir l’allure et la physionomie des parlers populaires vivants qu’elle comprend, une cuisinière vaut dix élèves de l’École des Chartes, comme pour relever à première vue certaines particularités de la faune ou de la flore locales, un paysan vaut dix citadins, fussent-ils membres de l’Institut.

         2e Observation. – Augustine R…, âgée de douze ans, née dans un petit village de Lozère, éloigné de tout grand centre et de toute voie importante de communication ; n’a jamais quitté son village. Instruction de l’école primaire ; intelligence au-dessus de la moyenne ; parle presque toujours patois ; sait bien lire.

         Elle a sous les yeux un conte en dialecte de Montpellier et le lit couramment en transformant sans hésitation les formes du texte en formes lozériennes, n’ayant pas l’air de se douter que les mots imprimés sont sensiblement différents de ceux qu’elle prononce. Elle lit, par exemple : pièi pour pioi, fremigeto pour fournigueta, souguel pour sourel, anat pour anas. Elle comprend parfaitement tous les mots pris isolément et toutes les nuances des phrases. Elle transforme ainsi en lozérien tous les textes de langue d’oc de diverses régions, toutes les fois qu’elle les comprend à première lecture. Jamais d’hésitation pour les désinences ; elle les remplace toutes par les désinences exactement correspondantes de son parler lorsqu’elle saisit le sens du mot. Le vocabulaire la fait souvent hésiter ; mais l’absence d’un mot n’obscurcit jamais le sens grammatical de la phrase. Elle lit ainsi le provençal des bords du Rhône (Oubreto en proso de Roumanille), le dauphinois, le toulousain, le rouergat, l’auvergnat, le limousin. Pour plusieurs, il est nécessaire de lui expliquer parfois le vocabulaire, jamais la grammaire. L’h initial des parlers pyrénéens la déroute, ainsi que l’orthographe italienne du niçois. Si je remplace l’h par f, et si j’écris le niçois à la manière provençale, elle n’y voit pas plus de difficulté que pour les autres dialectes d’oc. Elle renonce à lire le catalan et le comprend peu si je le lui parle. Elle est déconcertée par les textes en langue d’oil vulgaire qu’on lui met sous les yeux. Ne pouvant plus les lires à sa manière, et ne reconnaissant pas le français de l’école, elle demande quelle est cette langue. Elle saisit bien tous les contes en langue d’oc, quel que soit le dialecte, et y prend grand plaisir. Les contes en français nécessitent chez elle de grands efforts d’intelligence. Alors même qu’elle comprend bien tous les mots pris isolément, elle se trompe souvent sur le sens de la phrase.

         3e Observation.– La veuve A…, née en 1850, à Saint-Girons (Ariège), parlant médiocrement le français usuel, ne sachant ni lire ni écrie ; intelligence au-dessous de la moyenne.

         On lui parle le langage de Saint-Girons qu’elle reconnaît pour celui de son pays. Puis, prenant pour centre la région où domine cet idiome, on lui parle successivement les patois des régions environnantes, en procédant par cercles concentriques. Si, comme on le prétend, les parlers de toute la France se perdent les uns dans les autres par des nuances insensibles, la différence entre un parler quelconque pris pour centre, et chacun des patois qui l’entourent à la même distance, devra être égale en intensité bien que ne portant pas sur les mêmes traits. En d’autres termes, si l’on prend successivement chacun des hommes formant les longues chaînes imaginées par M. G. Paris, chacun doit comprendre avec la même facilité son voisin de droite et son voisin de gauche. Mais si, en quelques points, le voisin de gauche est mieux compris que celui de droite ou réciproquement, la fusion ne sera plus insensible et ce point marquera une limite linguistique. Or, c’est ce qui arrive pour la veuve A… ; elle considère l’idiome du Médoc, éloigné de plus de 350 kilomètres de Saint-Girons, comme plus voisin de son parler que celui de Foix, qui commence à quatre ou cinq lieues de chez elle. Je ne dis pas que la femme A… comprend mieux le premier que le second ; car, d’une part, le langage de Foix et celui de Saint-Girons sont parlés concurremment, mais non mêlés, à Saint-Girons même et par conséquent également compris ; et, d’un autre côté, il y a dans le dialecte du Médoc des mots inconnus dans l’Ariège ; mais la veuve A… reconnaît la parenté du médocain et de son propre idiome, s’étonnant qu’on parle presque comme chez elle dans un pays aussi éloigné. C’est l’h initial pour f, la vocalisation du b dans certains cas qui m’ont semblé constituer aux yeux de cette femme la ressemblance entre son dialecte et celui du Médoc. Elle distingue les patois de Foix, ceux de Pamiers et de Cintegabelle (Haute-Garonne) ; elle donne à tous le nom de toulousain. Elle comprend un peu le catalan de Perpignan, qu’elle a entendu parler par des colporteurs ; mais pas du tout l’espagnol. Elle distingue, parmi les dialectes d’oc, le provençal et le montpelliérain du toulousain et de son patois ; le limousin lui paraît un parler gabach ; elle le comprend avec quelque difficulté. Elle n’entend à peu près rien aux dialectes d’oil, elle les appelle du franchiman ; c’est l’accent tonique qui paraît la dérouter. Le français d’école qu’elle comprend tant qu’il exprime des idées qui lui sont familières, lui échappe complètement sinon quant à la signification des mots isolés, du moins quant au sens des phrases, même quand on lui lit de simples faits-divers.

 

         Les trois observations qui précèdent, données à titre d’exemple, sont corroborées par des centaines d’autres. Le procédé qui consiste à prendre comme centre l’idiome d’une localité et à lui comparer successivement, en suivant des cercles concentriques de plus en plus grands, les parlers qui l’environnent, ma toujours donné le même résultat sur divers points des pays d’oc et des pays mixtes. Jamais l’idiome central n’a été en se dégradant également dans toutes les directions. Tandis que ses caractères saillants se prolongeaient souvent fort loin dans un sens, ils s’arrêtaient brusquement à une courte distance dans un autre sens. Ce fait a été signalé dans le rapport sur la limite des deux langues de France[3] : il a servi de base à la délimitation de ces langues et des dialectes mixtes. C’est le résultat absolument contraire à celui que M. G. Paris donne comme constant. D’où vient cette divergence radicale sur un point de fait qu’il semble facile de vérifier ? C’est, je crois, que MM. P. Meyer et G. Paris dissèquent dans leur cabinet des échantillons écrits des parlers vulgaires, les décomposent, en séparent les éléments et concluent, par exemple, que si l’idiome a renferme dix traits qui lui sont communs avec l’idiome b, dix traits qui se retrouvent dans l’idiome c et dix traits qu’on remarque également dans l’idiome d, il y a parentéégale entre a et chacun des idiomes b, c, d. C’est là une erreur que l’observation sur le vif rend évidente. La physionomie d’un parler est constituée par les traits les plus saillants, c’est-à-dire qui se reproduisent le plus souvent dans le discours et frappent à chaque instant l’oreille.

[…] je constante les résultats suivants des trois observations que je viens de résumer qu’un très grand nombre d’autres, je le répète, pourraient confirmer au besoin :

      1° Les gens du peuple du midi de la France distinguent très nettement la langue d’oc des parlers étrangers environnants (piémontais, gênois, italien, espagnol) et aussi des patois d’oil ou franchimans ;

      2° Ils reconnaissent une parenté intime entre tous les parlers qui s’étendent de la frontière italienne à Salces (Pyrénées-Orientales), à l’Océan et à Guéret, avec certaines différences suivant les régions. Ils reconnaissent une parenté moins rapprochée entre les patois du midi de la France et le catalan ;

         3° Ils distinguent les principaux dialectes d’oc considérés dans leurs types (provençal, niçois, languedocien, gascon, rouergat, etc.), bien qu’ils ne sachent pas toujours le nom qui convient de donner à chacun de ces dialectes ;

         4e Ils distinguent leur parler des parlers d’oc qui l’entourent et, parmi ces derniers, ils signalent ceux qui sont plus ou moins apparentés avec leur propre parler. Ils constatent qu’il n’y a pas de rapport constant entre le degré de parenté et la distance géographique.

         5° Ils ne sont point déroutés par les différences grammaticales entre les idiomes d’oc. Les principales difficultés proviennent pour eux du vocabulaire. Lorsqu’il s’agit de langues étrangères et même du français d’école, c’est la grammaire qui les déconcerte surtout ; de là leur tendance à parler petit nègre les langues étrangères et même le français, ce qui ne leur arrive jamais lorsqu’ils veulent se faire comprendre dans un dialecte d’oc, qui ne leur est pas familier ;

         6° Le vocabulaire ne fournit probablement aucun caractère pour la distinction des dialectes. Il importe peu, en effet, qu’un radical ait disparu d’une région et se soit conservé dans une autre ; les faits de ce genre ne sont jamais assez nombreux pour influer sur l’ensemble du langage, sur sa physionomie.



[1]Revue des langues romanes, t. XXXIV, 1890, p. 130-175. J’ai choisi de reproduire les p. 145-152, soit la quasi intégralité de la section 5.

[2] Je prends Sospel comme point frontière et non Vintimille parce qu’entre cette dernière ville et Nice, se trouve, outre le gênois de Monaco, le dialecte mentonais sensiblement différent du niçois, et sur lequel l’attention de la femme P… n’a jamais été appelée.[...]

[3] Voir notamment la note 2 de la page 16 du rapport.

Fòra la dictada, visca la parlada !

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Fòra la dictada, visca la parlada !

 

Un còp de mai, un pauc d’en pertot en Occitania, amai a Paris e a Barcelona, lo 28 de genièr de 2013 se debanèt la grand messa de la dictada occitana. Pel segond còp (vesetz mon compte rendut en francés sus la cuvada 2010) participèri, a Lemòtge. Ongan, las ovelhas èran vengudas en nombre. Benlèu un centenat de fidèles s’èran recampat per celebrar amassa la santa grafia alibertina, lo cap clinat sus la taula, religiosament, coma se dèu. Faguèri finta, ièu tanben, de m’aplicar coma a la gleisa quora fasiái lo clerjon, e m’escriguèri una plena pagina que n’en acabava jamai (lo det me dòl encara, qu’ai perdu lo biais d’escriure a man !), tirada del conte dels Sèt  Auvernhàts, que, dins tot autra situacion, auríá pogut èsser plasent. Vertat qu’aviái un pauc vergonha de mon ipocrisia : mas l’amistat occitanista val plan una messa !

Çò que m’amusèt lo mai, foguèt d’entendre tot aqueste monde se parlar en francés (a qualquas exceptions prèp) dins la sala granda de la mediatèca de Lemòtge. Benlèu que la dictada « occitana » es un eveniment tròp important per i poder parlar « patés » ! O alara, mai probablament, es que sem arrivats al punt que lo monde sabon mai escriure la lenga que non pas la parlar. De tot biais, la lenga celebrada per la dictada, escrita « coma cal », es una lenga monument, una lenga de gleisa o puslèu, per demorar en republica, una lenga panteonisada. L’oralitat servís pas mai qu’a legir la lètra del Vangeli, vist que lo sermon, el, se fa en vulgari francés per que totis poguesson comprene… (aquò me fa pensar qu’i agèt un temps ont los capelans disián la messa en latin e lo pròna en bon occitan).

Mas subretot, Occitans, vos rendetz compte qu’en fasent de la dictada l’eveniment màger de vòstra fiertat culturala, fasetz pas que replicar lo ritual mai important de la quite escòla que fòrabandiguèt a tot jamai lo patés ? L’ortografia franchimanda, amb sas règlas, sas excepcions e trapèlas de tota mena, es un ritual de sanctificacion de La lenga unenca de la nacion francesa, lenga mistica, lenga de la Lei e de la Literatura (totjorn en majuscula sioplet !), e per aquò volontadament subremalaisida a escriure, es a dire amb una grafia fargada exprès per emmerdar lo mai possible lo monde, lo faire expiar qui sap quala deca prigonda, quala fauta originala (la, benlèu, justadament de parlar patés ?). La dictada es un usatge de l’escritura, pel biais de la grafia concebuda coma instrument de tortura per far confessar al paure monde son pecat d’ignoráncia. Un còp èra, la lenga de la dictada èra una lenga que lo mestre fasiá dintrar dins los caps dels escolans a còps de règlas e de linhas. Encara, ensajan de zo far, amb de metòdi mai suaus, que lo mai fondamentau de l’ensenhament fondamentau es de mestrejar la lenga mai malaisida d’ortografiar al mond. Mas lo còr i es pas mai, los quites mestres soven an perduda la fè e, subretot, la quite coneissença ortografica. Fin finala, la dictada es estada – e fatalament demora, vist que i a un consensus academic per refusar tota simplificacion consistenta , un aplech de discriminacion sociala, qu’ajudèt plan a destriar lo filh del medecin de la filha del pacan.

De tot biais, la dictada es una obsession francesa. Occitans, zo sabètz almens que, pertot dins lo monde, i a de païses ont la dictada existís pas, perqué lors pòbles an agut l’intelligéncia de fargar de grafias que la rendon inutila ? Zo sabètz que se pòt viure sens dictada ? Que se pòt aver una escòla, una literatura, de leis escritas, sens far de dictada ? Per aquò, plan segur, diretz-vos, caldriá una grafia fòrça mai simplificada e adaptada al parlar. Amb la grafia alibertina, stupidament etimologica, colhonament istòrica, ne sèm fòrça lenh. Bon, soi d’acòrdi, almens l’avèm, aquela d’aquí, de grafia, e nos podèm comprene entre nosautres d’un cap à l’autre d’Occitania. Vertat tanben, malgrat tot, que la nòstra es fòrça mai simpla que la del francés… Una rason en mai per pas en far tota un istòria de la dictada, e la tractar benlèu come un exercici come un autre, un mal pedagogic necessari (encara que dins lo païses anglofònes, amb la puta de grafia que se son meritats elis tanben, la dictada es un exercici fòrça pauc utilisat), mas es pas una rason, de segur, d’en tirar glòria. Aquò es pura vanitat pedantesca.

Vist l’estat de la lenga, çò que nos fa mestier en primièr son de lòcs e d’eveniments per parlar, que la vida de la lenga es lo parlar e non pas l’escriure. Se pòt totjorn al jorn d’uèi escriure lo latin, mas ne demoran pas gaire per lo barjacar ! Me faguèt rire l’afar del papa qu’en fasen son anóncia de demission en latin, foguèt sul còp mescompres de la quite curia !

Ièu fau la proposicion sacrilegi d'abandonar las dictadas e d’organizar enluòc de « parladas », d’adobar de luòcs e de preveire de jorns e d’oras ont aquelas e aqueles que volràn, poiràn venir charrar, barjacar, platussar, es a dire praticar e, evidentament, aprene aital la lenga. O alara, se volètz escriure vòstra lenga, çò qu'es evidentament es important, organisatz puslèu de seradas de composicion de tèxtes, de sesilhas de creative writing, coma dison los americans, mas per caritat, daissatz tombar lo mai pèc, esterile, enutjós e crudel exercici escolar que la maissantisa e la bestiesa umanas an pas jamai inventat.

 

Joan Peire Cavalièr

 

 

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Tan Ba’n ti ! Péril en la demeure bretonne. Les cris d’alarme de Yannig Baron et Paotrgarz

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© José F. Poblete/CORBIS/José F. Poblete

 

Tan Ba’n ti ! Péril en la demeure bretonne. Les cris d’alarme de Yannig Baron et Paotrgarz

 

La Bretagne est souvent considérée chez nous, dans les régions occitanophones, comme un modèle. D’abord pour ce qui nous apparaît comme une réussite indéniable, nous renvoyant à notre propre échec : au terme d’un long et difficile travail l’image de la langue est en effet devenue pour les bretons massivement positive (90 % lit on souvent se prononcent pour l’importance de sa conservation). Ensuite, nous envions à la Bretagne le développement de ses filières bilingues et de ce qui, de loin, nous apparaît comme le succès de son Ofis publik ar Brezhoneg (Office public de la langue bretonne) ; les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées s’apprêtant à créer à son exemple, un Office public de la langue occitane, prévu pour cette année même. Le gallo semble aussi bénéficier de cet apparent dynamisme.

Pourtant, les nouvelles qui nous parviennent de Bretagne, au-delà de la langue de bois des organismes officiels et de l’optimisme béat d’une presse locale désormais rompue à cet exercice obligé, sont très alarmantes. J’en donnerai deux exemples – mais il y en a bien d’autres – qui foncièrement nous ramènent à notre propre misère, même si, pourtant, la Bretagne est infiniment mieux lotie que notre Limousin (je suis fatigué de répéter combien la situation est ici désespérée, en l’absence de toute forme de reconnaissance, d’aide et de politique linguistique).

Yannig Baron : sonnette d’alarme

Je viens de recevoir un opuscule très récemment paru à compte d’auteur (sans lieu ni date, mais 2013), de Yannig Baron, qui tire la sonnette d’alarme[1]. Baron est un vieux de la vieille, un militant associatif de première importance en Bretagne, fondateur de Dihun, association de parents d’élèves pour l’enseignement du breton dans les écoles catholiques ; elle est l’équivalent de Diwan pour l’enseignement associatif laïque et de Div yezh pour l'enseignement public. Baron est connu, entre autres choses, pour ses grèves de la faim visant au développement de l’enseignement bilingue et à la signature de la charte européenne des langues régionales et minoritaires.

            Le constat qu’il dresse est centré sur l’enseignement, mais il se veut plus global : à l’heure où le contact direct avec la pratique sociale du breton et du gallo a presque disparu, le militantisme culturel et la dynamique associative et politique lui apparaissent profondément en crise : Baron observe le problème du renouvellement générationnel des associatifs, la diminution du nombre des militants, la baisse d’attractivité générale de la culture bretonne (moindre fréquentation des festivals et des fest-noz, etc.), le manque d’implication des élus qui, par exemple, ne se rendent plus aux colloques organisés à leur intention (Baron prend un exemple qui m’a rappelé le fiasco politique des Assises régionale de la langue occitane à Limoges en 2006[2]). Sur le plan de l’enseignement, Baron note que la croissance globale du nombre d’enfants scolarisés dans les filières bilingues fléchit, avec une baisse sectorielle sensible (« pour la première fois depuis 1997, on observe une baisse, je dis bien une baisse, de 144 élèves au niveau des maternelles de l’enseignement public »). Il y a certes 14676 élèves dans les 3 DI (Diwan, Dihun, Div yezh), mais, remarque-t-il, cela ne fait certes pas de ces élèves de futurs bretonnants ; en 2012-2013 en effet, 468 élèves seulement sont présents dans les filières bilingues des lycées ; et Baron d’en conclure : « en fin d’année scolaire il ne sortira donc que 150 élèves bretonnants ». Le calcul est étonnant : seuls ceux qui arrivent à la fin de leurs études secondaires semblent pouvoir être considérés comme bretonnants. Serait-ce donc l’obtention d’un bac bilingue qui ferait de vous un bretonnant homologué ? Si tel est le critère, la maîtrise de la langue est désormais indexée sur la réussite scolaire, ce qui me semble spécieux et très inquiétant, car l’obtention d’un diplôme démontre, au mieux, la maîtrise de la langue dans les attendus scolaires et nullement sa pratique sociale et effective.

Il est vrai que nous n’avons pas à nous poser ces problèmes, puisque le bilinguisme, chez nous, où que ce soit en Occitanie, n’existe pas au lycée.

Baron ne se contente pas du constat ; il désigne des responsables. Il met d’abord en cause le Conseil Culturel de Bretagne (assemblée consultative attachée au Conseil régional de Bretagne) dont il déplore la baisse de participation et le manque de combattivité, en particulier dans ses avis sur le Projet de contribution au débat national sur le nouvel acte de la décentralisation, soumis par le Conseil régional, lui-même, selon lui, d’une affligeante timidité (Baron fournit en effet en annexe toutes les pièces qu’il évoque et cite dans le texte) et nous lui donnerions en effet volontiers raison, si nous n’étions tellement plus mal logés nous-mêmes !

Il s’attaque ensuite à L’Ofis publik ar Brezhoneg, auquel il reproche, depuis que cet organisme s’est doté d’une structure plus  institutionnelle (en devenant en 2010 Établissement Public de Coopération Culturelle), d’être de plus en plus détaché du milieu associatif et en particulier des associations de parents d’élève (« l’Ofis a voulu tout prendre en main, sans concertation réelle avec la base, autre que celle autoproclamé, sachant tout mieux que les parents concernés »). Il déplore la confusion engendrée par le fait qu’il y a une même présidence pour la politique de la Région et pour l’Ofis, et la décision de la part de l’Ofis, de casser le Programme Multilingue Breton, crééà l’initiative de Dihun (et donc de la sienne propre) pour l’enseignement articulé du breton, du gallo et de l’anglais (au motif que « la région n’a pas à financer l’anglais »).

Enfin, il dresse un état des lieux sur ce que font les voisins, destinéà faire honte aux Bretons : Luxembourg, Alsace, Corse, Euskadi nord, Pays Basque sud et… Bouche du Rhône. Pour ce dernier cas au moins, on est pourtant très loin de la panacée (et très loin des offres en Bretagne !), avec 23 écoles primaires (dites « centres d’enseignement continu de la langue régionale ») où se pratiquent environ 3 heures de provençal (voir à ce sujet l’analyse de François Courtray publiée par la Felco). Il est cependant révélateur que le reste des régions occitanophones ne soient pas mentionnées, lesquelles, vues de Bretagne, sont sans doute pour l’enseignement une espèce de désert linguistique.

Il se montre parfois très véhéments dans ses propos, parle d’« accaparement de la cause par des seules officines institutionnalisées », ajoutant que, « concrètement, en Bretagne, tout est entre les mains de moins de 10 personnes qui bloquent tout ». Celles-là, dit-il, « se reconnaîtront »… Cette façon de personnaliser la polémique, à mon avis, dessert le propos, ou alors il faudrait produire une analyse critique rapprochée des statuts, fonctions et idéologies des 10 personnes en question. Vu d’ici, et n’étant pas au fait des affaires de Bretagne, on a bien de la peine à se faire une idée précise et donc une opinion. La polémique est à suivre sur internet et ailleurs… car ce que met en avant Baron – le divorce quasi fatal entre les associations militantes et les institutions émanant directement des pouvoirs régionaux –, nous intéresse aussi au premier chef.

Mais on a surtout l’impression que l’auteur est tellement fixé sur les problèmes scolaires ; en particulier de développement des effectifs, mais aussi par la question du trilinguisme (français, breton, anglais), qu’il manque, malgré sa contextualisation initiale, de vue d’ensemble. Par exemple, il ne s’arrête guère (ce n’est pas le problème auquel il s’attaque ici, mais après tout, on peut en déplorer l’absence) sur la question de l’articulation de la langue des nouveaux apprenants avec celle des locuteurs « naturels » qui restent encore les plus nombreux, même si, comme chez nous, ils disparaissent à grande vitesse.

Au bord du précipice : Paotrgarz

Je passerai plus vite sur le second cri d’alarme, car chacun peut lire le texte en un clic sur le net. Il s’agit d’un texte d’un blogueur qui signe Paotrgarz et se définit lui-même comme un indépendantiste de gauche. Dans ce post de juillet 2012, intitulé, La langue bretonne en perdition, l’auteur s’efforce de dresser un état des lieux lucide et sans concession. Le constat indépassable étant que si la langue en effet « gagne pas à pas du terrain dans la vie publique, sa pratique n’en recule pas moins de façon dramatique » (200.000 locuteurs environ dont la majorité a plus de 60 ans). La transmission familiale, comme ici, n’existe plus ou n’est plus que résiduelle. La langue est à ce point absente des échanges sociaux, qu’il est extrêmement difficile, alors même qu’on le souhaite ardemment, d’en assurer la transmission : « étant moi-même parent, je peux confirmer que parler breton à son enfant est largement perçu comme une excentricité » y compris dans un milieu bretonnant. Nous en sommes ici au même point : il est très difficile de faire passer des rudiments d’un savoir linguistique qui n’est pas partagé hors du cercle familial et de l’école.

C’est donc principalement par l’école que se fait la transmission et cela explique, justifie même d’une certaine façon, la focalisation scolaire de Yannig Baron. Mais quel est d’abord le poids de l’enseignement du breton ? Les 14.676 élèves scolarisés dans les trois DI (voir supra) ne représentent en effet que 5 % des effectifs globaux, les 95 % restant n’ayant aucun contact avec la langue, ou au mieux une lointaine teinture ne leur en permettant pas la maîtrise et pas même une bonne compréhension. Ne cherchons pas à comparer avec notre propre situation (et pourtant il faudrait le faire !), même envisagée à l’échelle pannoccitane ; il est sûr que nous tomberions bien en deçà de 1 %, c’est-à-dire infiniment en deçà de toute chance de survie de la langue, supposé que les élèves en contact avec l’occitan soient en mesure de le parler, ce qui trop souvent n’est pas le cas.

L’auteur souligne ensuite les problèmes concernant la qualité de la langue. Comme chez nous, ils sont plus ou moins tabous dans les milieux militants (je ne saurais trop remercier Éric Fraj, d’avoir mis ici même les pieds dans le plat) : «  Si le vocabulaire des locuteurs naturels est largement francisé, il n’en reste pas moins la référence sur le plan de la prononciation, de l’intonation, de la syntaxe et surtout de l’esprit de la langue ». Chez les néo-bretonnants le vocabulaire est certes purgé des emprunts au français, mais les autres composantes sont « dramatiquement francisées ». De cela, chacun peut se rendre compte, chez nous aussi, au moins s’il a entendu parler des locuteurs dits « naturels », ce qui est de moins en moins le cas (malgré tous les outils qui pourtant le permettent). Du reste, l’auteur fait justement le parallèle avec l’occitan.

Ainsi, ose-t-il dire tout haut, pour le breton et le gallo, une chose qu’il est si difficile d’avouer et de s’avouer ici : à savoir que même parmi les enseignants, beaucoup trop n’ont « qu’une maîtrise très insuffisante de la langue » (il renvoie à ce sujet au constat dressé par Mikael Madeg dans un livre qui doit être J’élève mon enfant en breton publié en 2011 ; sur le site de Madeg, on lit en effet que cet auteur, à la fois linguiste et écrivain bretonnant prolifique, qui parle de lui à la 3e personne, est « très critique à l’égard du breton déconnecté de ses racines que pratique une frange importante des militants et autres bretonnants de métier actuels »).

Au vu des problèmes et difficultés du breton parlé, l’auteur, déplore la vanité des querelles autour de la graphie, tout comme nous le faisons régulièrement ici (sauf que nous insistons aussi, malgré tout, sur l’importance de la question) et il balaie d’un revers de main, comme l’ânerie des âneries, l’idée si souvent défendue (et promue par des amis des langues comme Mélenchon), selon laquelle toutes les difficultés de la langue viendrait de l’orthographe peurunvan utilisée par la grande majorité des bretonnants (de ceux qui lisent et écrivent, évidemment). Nous en disons autant de la graphie alibertienne pour l'occitan, que l’on charge de tous les maux, comme si l’on pouvait sérieusement imaginer qu’une orthographe, aussi déficiente soit-elle, pouvait suffire à détruire une langue ! Il faut vraiment être français et vivre dans la religion de la graphie droite, orthonormée, avec son grand cérémonial de la dictée, pour soutenir en effet une telle ânerie (voir à ce sujet mon dernier post).

Ainsi Paotrgarz conclut-il que, derrière l’écran de fumée de l’image extrêmement positive de la langue, qui chez nous en effet n’existe pas, « le breton est aujourd’hui au bord du précipice ». Certes, ajoute-t-il, « on trouvera plus mal en point que nous », car certaines des langues de France « sont proches du choc final, comme l’occitan limousin » et il renvoie au «  splendide livre » de Jan dau Melhau, Ma lenga, sur lequel il promet un compte rendu (en attendant, voir ici même celui de Baptiste Chrétien).

Le constat est amer. Il est aussi très utile, car il nous montre qu’il ne suffit pas de créer l’écran de fumée de l’Occitan is beautiful pour sauver la langue ; il nous montre la vanité des opérations de communication autour de la langue, lorsque la langue n’est pas elle-même directement mobilisée, ce qui est de plus en plus souvent le cas. Il est urgent de se recentrer sur l’essentiel : la pratique et la transmission effectives de la langue parlée ; sans quoi ni la com, ni l’agit-prop auprès des politiques, ni même l’engagement politique lui-même (toutes choses pourtant nécessaires) ne servent à rien.

 

Jean-Pierre Cavaillé



[1] 10 euros, sans frais de port, à commander directement à Y Baron 72 b rue Texier Lahoulle 56000-Vannes. Est associé au livret, un dvd consacré au bilinguisme et multilingusime dans l’enseignement catholique breton – gallo – anglais (PMB)

[2] Mes propres considérations, à distance, ici même, dans un texte de janvier 2010.

 

Le cartulaire en vernaculaire

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Janvier 1246, accord sur le cens à verser pour un étal de boucher. Château de Limoges"Notice occitane sous un sceau consulaire" (Limousin). Archives Départementale Haute-Vienne, Fonds de Saint-Martial, H 8146. Cliché piqué sur le site de l'Ecole des Chartes Thélème, vous trouverez, sur ce document, une notice    le Fac-similé interactif    le Texte et sa traduction   un Commentaire diplomatique    un Commentaire linguistique)


Le cartulaire en vernaculaire

 

         Le cartulaire du consulat de Limoges, dont l’original est conservé aux Archives municipales de la ville (ms AA1), est un texte de première importance pour l’histoire de Limoges et de sa langue. En effet, ce registre des consuls de la ville haute (dite « le Château »), constitué de pièces en apparence hétéroclites (textes liturgiques, extraits des Évangiles, miniatures, coutumes de Limoges, serments des consuls et des habitants, décisions consulaires sur toutes les questions de vie commune) s’étendant sur plusieurs siècles (XIIIe-XVIIe) est, dans sa plus grande partie, rédigé en occitan limousin.

          C’est d’ailleurs ainsi qu’il est présenté par un élève de l’École des Chartes, Aubin Leroy, dans une thèse soutenue en 2005, intitulée précisément : Le cartulaire du consulat de Limoges. Un livre juratoire en occitan limousin. On trouve ses positions de thèse sur internet, faute d’avoir un accès à la thèse elle-même (les thèses de l’École des Chartes sont de consultation fort malaisée) : il s’agit, nous explique-t-il, non d’un recueil factice, comme certains l’ont cru, mais d’un livre juratoire, comme il en existait dans toutes les villes des pays d’expression occitane (voir l’article de Henri Gilles, « Les livres juratoires des consulats languedociens », Cahiers de Fanjeaux, n° 31, 1996 et surtout il faut consulter à titre d’exemple le magnifique registre municipal d’Agen, également en oc, consultable en ligne), c’est-à-dire un ouvrage qui servait à« supporter la prestation du serment des consuls et des habitants à chaque élection ou en cas de danger », mais qui rassemblait diverses pièces importantes pour la vie municipale, et constituait la « mémoire de la communauté urbaine » ; une archive vivante, immédiatement mobilisable dans tous les moments qui comptaient pour la ville.

        Tout comme sur le plan de l’histoire de la ville, sur le plan linguistique, ce livre est d’une valeur inestimable. En effet, si la plus grande des documents politiques, juridiques et économiques de l’époque étaient rédigés en occitan, les archives de Limoges ont subi d’énormes pertes depuis le XVIIe siècle. Selon les estimations d’Aubin Leroy, ces disparitions s’élèveraient à plus de 90 % (« Des originaux, vidimus et contrats privés rédigés en majorité entre 1200 et 1400, et inventoriés au XVIe siècle, il ne nous reste rien aujourd’hui, ce qui ajoute à l’importance du cartulaire »). A travers lui, il est possible de connaître la langue parlée, ou du moins écrite à Limoges à la fin de l’époque médiévale, et d’observer son évolution au cours du temps. Du reste, pour qui connaît la langue encore parlée aujourd’hui, la proximité est saisissante.

          C’est à ce titre, c’est-à-dire principalement comme monument linguistique, que le grand Camille Chabanneau en a publié la plus grande partie en 1895, et c’est encore cette édition qui permet aujourd’hui d’accéder au texte. On peut espérer qu’Aubin Leroy en donnera l’édition critique (quoique 2005 soit déjà bien loin) et que la Ville de Limoges fera la même chose que celle d’Agen (voir supra). Ainsi, depuis Chabanneau, plus d’un siècle ce sera passé sans que ce document n’ait apparemment attiré suffisamment l’attention pour qu’il fût réédité et donnât lieu à des études approfondies.

           Il est d’ailleurs présenté comme « une découverte » dans un récent reportage de la chaîne municipale 7 A Limoges, qui lui est entièrement consacré. Chacun peut ainsi se reporter en ligne àcette vidéo d’une dizaine de minutes, pour une sérieuse présentation du document assurée par les soins de l’historienne Sarah Louis.

         Mais si, comme moi, vous aviez eu vent de l’édition Chabanneau et du travail de Leroy, vous aurez alors la surprise de ne pas rencontrer une seule fois dans cet exposé le mot d’ « occitan ». La question de la langue est à peine effleurée à travers les formules suivantes : « c’est la langue vernaculaire de tous les jours parlée à Limoges à la fin du Moyen-âge, c’est-à-dire, pour aller très vite, l’ancêtre du patois parlé encore actuellement » et une autre fois, est évoquée la « langue limousine de la fin du Moyen-âge ». « Vernaculaire », « patois », « langue limousine », tous les mots sont bons sauf celui d’occitan. Mais qu’est-ce qui fait donc si peur dans ce mot ? J’ai écouté cette émission alors que je lisais des choses sur la Bretagne et le Pays Basque, régions où une telle tradition d’écriture municipale en « langue vernaculaire » n’a pas existé, mais où, en tout cas, il serait impensable de présenter un texte ancien, du XVIIe siècle par exemple puisqu’il y en a quelques uns, comme étant écrit dans « la langue vernaculaire qui est l’ancêtre du patois ». Sûr que, dans ces contextes différents, Mme Sarah Louis aurait parlé sans sourciller de breton ou de basque, trop heureuse de montrer ainsi l’intérêt et la valeur de son document. Mais ici, voyez-vous les choses sont différentes, très différentes.

         A cela s’ajoute enfin une chose fort gênante, mais ô combien révélatrice : les quelques brefs exemples de lecture que la chercheuse fait du texte à voix haute – les incipits « Conoguda chausa sia que » et «Renembransa sia que »[1]–, est un désastre : on entend comme une sorte de latin énoncé sans accent tonique (ou si l’on veut, lu à la française), alors que l’on aperçoit la belle graphie médiévale occitane régulière, si proche (et pour cause) de la graphie alibertine, laquelle présente au moins le mérite majeur en effet de montrer l’étroite continuité de la langue parlée entre l’époque médiévale et la nôtre. Mais pour lire ces textes à voix haute autrement que comme une langue morte, évidemment, il faudrait commencer par reconnaître que la langue parlée aujourd’hui encore mérite que l’on s’y intéresse et qu’elle est justement quelque chose d’un peu plus précis et d’un peu plus noble qu’un « patois ». A ce sujet, du reste, et j’y reviendrai dans un post prochain, il faut saluer l’excellente initiative de 7 A Limoges, de diffuser les films documentaires réalisés par l’IEO du Limousin. Et dire que dans ces films, tournés en 2011-2012, la langue parlée est celle des plus vieilles archives de Limoges ; la langue vernaculaire de son cartulaire !

Jean-Pierre Cavaillé

[1] On trouve les mêmes formules, graphiées à l’identique ou presque (selon les zones, on trouve par contre plutôt "causa" que "chausa"), introduisant les décisions municipales ou seigneuriales, mais aussi les entrées des livres de raisons et de tant d'autres pièces rédigées en occitan à l’époque médiévale. On voit d'ailleurs par là qu'il s’agit bien d’une graphie pannoccitane très régulière dans l'ensemble, mais le souci de conformité avec la langue orale dans ses spécificités locales est très présent dans le registre de Limoges (d'où"chausa" etc.). C'est d'ailleurs par cette même formule "conoguda chausa sia" que commence le texte qui sert d'illustration à ce post.

 

Eric Fraj : Quin occitan per deman ?

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Vaquí (enfin !) la version occitana prometuda del tèxt que nos balhèt Eric Fraj al mes de novembre passat, una reflexion critica sus la qualitat mas tanben sus la concepcion de la lenga que volèm (voldriam) transmetre a nòstres nebots, qu’a pas acabat de provocar de discussions. JP C

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Piquéà FR 3 Viure al Païs

le document en .doc : Quin_occitan_per_deman1


 Quin occitan per deman ?

     Si es vertat que l’occitanisme diu voler, non pas simplament la subrevida (mès o mens simbolica), mes la vida efectiva de l’occitan, la resocializacion rapida e massiva d’aquesta lenga es alavetz una necessitat absoluda. Tot occitanista que se dona una tala finalitat, e qu’es un pauc consequent, ne sirà conscient, convençut, e i trabalharà pel milhor de sas capacitats e possibilitats. Aquò estant, compte tengut de l’evolucion de nòstra societat e, sustot, del contèxte actual de l’occitanisme (« dels occitanismes », caldriá dire per èsser mès en adeqüacion ambe la realitat), òm a le dreit – e le dever istoric – de (se) pausar la question : de quin occitan volèm la resocializacion ? Quin occitan volèm per deman ?

     D’efèit, unas practicas lingüisticas, conscientas o pas, e qu’existissen dempuèi ja qualques annadas, semblan mès qu’alarmantas  per çò qu’es de la qualitat de la lenga ensenhada a las generacions novèlas (doncas parlada e eventualament transmesa per elas), mes tanben quant a l’ideologia implicita que tròp sovent baileja a l’amagat l’aprendissatge e la remesa en circulacion sociala de la lenga (per l’escòla, les centres de formacion, les eveniments culturals, les mediàs occitanistas, etc.). Ma tòca es pas ací de fèr le procès de qualqu’un, o de lançar anatèmas, mes d’explicitar e fèr partejar una presa de consciéncia : la d’un perilh que, a l’ora que s’esfaçan o se van esfaçar les darrièrs locutors « naturals », pòt èsser mortal per la practica de la Lenga d’Òc mes tanben per l’avenidor de la vida comuna qu’aquela practica engendra o, al mens, diuriá engendrar. Aquel dangièr existís sonque perque nòstras bonas intencions e accions s’acompanhan rarament de la distància e de la pensada necessàrias a una practica instruida, preses que sèm per las multiplas urgéncias que nos assautan e per faussas evidéncias. Es d’autant mès imperatiu qu’una soscadissa comuna e benvolenta s’instaure, sens demorar, sus la natura de la lenga que volèm promaure dins nòstres discorses e per elis, quina fòrma que prengan. Las qualques remarcas que seguissen vòlen solament ajudar a-n-aquela reflexion e al debat espandit e decisiu que se fa necessari :  

I. La qualitat de la lenga

     Çò qu’ausissen en primièr les astrucs qu’escotèren de parlaires « naturals » desempuèi l’enfància, es la pèrda d’una fonologia e d’una fonetica autenticament occitanas. « L’occitan, aquò’s de catalan prononciat ambe l’accent francés», me disiá i a gaire un estudiant aragonés que sortiá d’un collòqui occitanista  ; òm auriá tòrt d’i véser pas qu’una galejada : es una vertat constatativa . N’entendèm de locutors novèls del lengadocian (sovent passats per una Calandreta e pels corses del segondari) que le pronóncian a la francesa, de la dubèrtura de las vocalas al desplaçament d’accent tonic en passant per l’abséncia d’assimilacion entre duas consonantas a una frontièra de mots o l’abséncia d’elision de las polisillabas que determinan un nom , eca. ! Dins aquel cas, les locutors novèls pronóncian coma es escrit, çò que senhala alavetz una pedagogia inadaptada perque tròp fondada sus l’escrit  e/o un oral professoral ja inautentic. Aquò dit, es vertat qu’òm poiriá considerar aquela inautenticitat coma un fenomèn irreversible, un veredicte de l’istòria, que – per realisme – siriá bon de s’i resignar. Mes le problèma es que la pèrda de substància s’arrèsta pas aquí : tròp sovent les aprenents se vesen impausar fòrmas (lexicalas, verbalas, sintaxicas, eca.) totalament estrangièras al lor environament local e/o regional, quand s’agís pas de sintaxis tipicament francesas (nòstra premsa, ailàs, ne balha regulàriament de polits especimèns) o neologismes tombats de sabèm pas quin cèl lingüistic : atal posquèri descubrir un incredible « alesedor », que designava, dins al mens una de nòstras Calandretas, çò que le monde del parçan nomenan simplament e plan legitimament « cort de recreacion » o « pati ». Mes si se cal interessar tanben a çò que disen le monde del vilatge d’al costat… !

     Pel monde que son pas sords, le constat es mès que preocupant. Mas peregrinacions de cantaire e de professor de lenga d’Òc me menèren en mantun lòc d’ensenhament de nòstra lenga : i constatèri sovent que compreniá pas res, o pauc, a las questions d’unis escolans, talament la prononciacion èra defalhenta ; que l’ensenhaire corregissiá pas las errors per las rectificar ; que le quiti professor – titulari, pasmens, d’un C.A.P.E.S. d’occitan – mestrejava pas vertadièrament la lenga, al punt de fèr fautas d’acòrdi grossièras, basicas, al punt de s’enganar dins la diferéncia d’emplec entre passat compausat e passat simple (preterit), al punt de saber pas, de còps, utilizar corrèctament le mòde subjonctiu (quitament dins una frasa al present). Se vetz, aquel constat – qu’es pas sonque le miu, se’n manca plan – es pas gaire relusent e rend pas gaire optimista. Ara, aquela constatacion, fèita per que nos interroguèm vertadièrament suls nòstris metòdes e contenguts d’ensenhament e de transmission, la fasquèri pas jamès per çò qu’es dels locutors (escolans e mèstres) de las duas Bressòlas  que me fosquèt donat de conéisher dempuèi que som occitanista . Cèrtas, es benlèu pas estrictament le catalan rosselhonés que i es totjorn ensenhat  mes al mens la mestresa de la lenga resplendís en çò de professors que son d’una exigéncia granda quant a la qualitat e l’autenticitat de la lenga que se transmet. Aquela dobla exigéncia, cal absoludament que siá la nòstra :

-   si volèm pas ensenhar una lenga de farlabica, una lenga qu’existís pas ;

- si volèm per consequent crear o manténer un ligam de compreneson lingüistica e de reconeishença mutuala entre les locutors novèls e les locutors « eretièrs » presents abitualament a l’entorn.

      Fàcia a l’afirmacion d’una tala exigéncia, sèi plan çò que d’unis van replicar : la fòrma de la lenga ensenhada impòrta pauc, çò que compta es que les aprenents sián iniciats a una cultura pel biaish de l’aprendissatge de la lenga . De segur, cap de lenga existís pas en defòra d’una cultura e aprene una lenga es aprene una cultura, l’una va pas sens l’autra . Mes cossí véser pas que la resocializacion de l’occitan pòt sonque passar, per èstre efectiva, per l’aprendissatge d’una lenga-cultura que siá pas destacada del territòri mes, al contrari, tenga compte al maximom de l’inscripcion de l’aprenent dins un contèxte totjorn especific? Salvarem pas la lenga d’Òc sens tornar téisher aquel ligam de compreneson lingüistica e de reconeishença mutuala entre parlaires « ancians » e « novèls », ligam que es tanben un pont entre generacions. Concretament : quin benefici de recuperacion sociala podèm esperar de l’ensenhament d’una lenga artificiala que subreviuriá embarrada ? E finalament qué cercam : l’instauracion d’un idiòma novèl parlat per qualques happy few (fosquèssen qualques milierats), l’establiment arbitrari de la nòvlenga de l’entre-se occitanista, o la revivificacion d’una lenga istorica e populària, que cèrtas malauteja, mes polsa encara? D’autra part, si es vertat que çò que compta es l’iniciacion a la cultura, quina que siá la fòrma de la lenga ensenhada (e ensenhaira), alavetz perqué butar pas aquela logica – absurda – duscas a son extremitat e ensenhar pas en gascon en país lemosin, en lengadocian en Provènça e en provençal en Gasconha ?

      Una de las faiçons de negar le peish, de soscar pas, de respondre pas a-n-aquelas questions, sirà de las declarar excessivas, doncas inexistentas. Pr’aquò, l’experiéncia (la mia mes tanben la de l’occitanisme) pròva – ailàs ! – que l’excès es pas de mon costat : de monde pus illustres que ieu jà metèren en evidéncia que la distància qu’existís , al còr d’una mèma lenga supausada, entre un sistèma lingüistic A e un sistèma lingüistic B, pòt fèr que l’intercompreneson siá pas mès assegurada. N’es atal del Robèrt Lafont quand compara e opausa una frasa d’occitan populari e autentic - « l’ibronha envoièt un còp de solièr al rainal »amb una frasa tipica de l’ipercorrectisme caracteristic d’unis occitanistas : « l’embriac mandèt un còp de sabaton a la volp » . Ara, aquela distància excessiva – produita pel tròp grand alunhament de dus nivèls de lenga entre elis o per una tròp granda diferéncia sintaxica o foneticò-fonologica – si es mortala per l’intercompreneson, l’es per consequent tanben pel sentiment de reconeishença mutuala que se pòt installar entre le neolocutor e le locutor eretièr. Aquí, per exemple, çò qu’un ensenhament fondat sus una tala distància pòt donar concretament : un licean torna dire a son grand çò qu’a aprés en occitan en classa : « Ai sempre fam ». De qué arriba si le parlar del parçan ditz puslèu e unicament : «Èi totjorn talent » ? La reaccion del grand es immediata : « Ce que tu dis toi, c’est de l’occitan, ici on parle le patois, ce n’est pas pareil… ». Le grand se reconeish pas dins çò que parla le felen, le qual pensa sul pic que le patoès de la familha es pas le « vertadièr » occitan o de « bon » occitan, que doncas es efectivament un « patoès », un derivat, una jos-lenga, e que i a clarament una diferéncia d’esséncia entre aquel parlar local e la lenga ensenhada a l’escòla. Comprenèm alavetz las considerablas devastacions, dins l’airal de las representacions e de las practicas socialas, ligadas a una tala « pedagogia ». D’unis trobaràn, plan segur, qu’aquel exemple es tròp polit, tròp « talhat a faiçon », tròp caricatural, o que remanda pas qu’a d’excepcions raras. Creire aquò siriá se tranquillizar a bon prètz e voler véser pas qu’aquela mena d’ensenhament es frequent e totalament contra-productiu : fa pas qu’afortir inconscientament dins la pensada del monde, e amb una totala bona fe, la vièlha opausicion entre « patoès » e « occitan ». L’ironia de l’istòria es que l’occitanisme, e ambe rason, se crebèt pendent d’annadas – e se crèba sovent encara – a explicar que le patoès e l’occitan, « aquò’s parièr, aquò’s la mèma lenga »… Mes perqué le pòble, encara estacat a la lenga, diuriá creire aquel occitanisme vist que, d’un autre costat, a causa de la distància lingüistica, e de còps culturala, manifestada dins fòrça de sos discorses, li demòstra tròp sovent, en practica e en situacion, çò contrari ?

     Ba disi en pesant cada mot : las practicas lingüisticas de qualques unis d’entre nosautris, de segur plens de bonas intencions mes pas pro senats , frenan la (re)socializacion de la lenga e son un espaurugal per un grand nombre de parlaires potencials que serián prèstis a retrobar un usatge social de la lenga. Si no’n gardam pas, aquelas practicas totalament anti-pedagogicas acabaràn per inventar una vertadièra diferéncia entre patoès e occitan, dins la practica coma dins las representacions mentalas e socialas ; en gròs, a las elitas urbanizadas : l’occitan ; a çò que demòra del pòble dels barris o del campèstre : le patoès. Naturalament, aquel apartheid lingüistic e cultural sornarut es pas ni generalizat ni tanpauc irreversible , mes ne cal pas dobtar : es en camin. Tanben, que me siá permés d’èsser solemne : es ara, es a dire dins las qualques annadas que venen, quand se van morir les darrièrs locutors « naturals », quand mès d’un d’entre nosautris sent le besonh d’una etapa novèla dins la formalizacion de la lenga  e s’acampa ambe d’autris en un Congrès de la Lenga o una Academia Occitana, quand le vòte d’una lei decenta per las lengas de França es pas jamès estat tant a posita, es ara, doncas, que tot se jòga…

     Se cal pas enganar : ma presa de pausicion se vòl unicament pedagogica. I véser una ataca anti-intellectualista, o una prusor populista passadissa, siriá una mespresa per çò qu’es de mas intencions e motivacions, una manièra d’ignorar a bon compte le problèma expausat e, malurosament, una faiçon de le perennizar. S’agís pas ací de negar le fenomèn dels nivèls de lenga, practicat – conscientament o pas – per cadun  ; egalament, s’agís pas tanpauc de refusar a qui que siá, entre autris a l’artista, le dreit de parlar e d’escriure coma li agrada (e mès le dreit de ba fèr mal, d’èstre incomprensible, incomprés, pedant, ridicul, etc.). Tanben se’n manca qu’aja ieu l’illusion de presicar l’ensenhament d’un parlar « rural » ; cal pas somiar : les locutors novèls de l’occitan parlaràn pas jamès coma nòstris aujòls païsans . Es simplament (si se pòt dire…) question, çò primièr, de logica e d’eficacitat : voler tornar socializar l’occitan en ensenhant una lenga « fòra sòl », separada del vivièr lingüistic territorial – qu’es pas encara assecat, malgrat çò que disen – es tant inutil e contraproductiu coma voler aprene a nadar en defòra de l’aiga, sens comptar qu’aquò es anar enrè, en deçà de las aquisicions pedagogicas d’un Antonin Perbòsc o d’un Celestin Freinet, que sapièren mostrar tota l’importància e la pertinéncia de la dubertura de l’escòla sul mitan pròche de l’escolan. Se sap que quand le mitan cultural – doncas afectiu – de l’escolan demòra darrèr la pòrta, l’academisme e l’òdi de çò qu’òm es son pas jamès plan luènh. Ara, es que l’occitanisme se pòt permetre, dins l’estat actual de las causas, d’ensenhar e practicar a part una lenga sens assisa dins le territòri real concernit, es a dire sens agafar (lingüisticament, culturalament, istoricament, imaginàriament, afectivament…) las  e  les que i viven  ?

    Mes se tracta tanben, e aquò a una evidenta portada pedagogica, de fidelitat e d’estacament a una istòria, a un pòble, a un país. L’inautenticitat que denóncii ací desdenha – e aquò tanben nos ba podèm permetre? – non solament çò legat per l’istòria, mes tanben la lenga encore viva ençà enlà. Es a dire que i a un mesprètz plan fòrt – desapercebut, cèrtas, mes aquò càmbia pas res a l’afèr – de la realitat diacronica e sincronica que es la nòstra. Quantis occitanistas tolosans, dins la quítia vila de Godolin, utilizan sistematicament l’article istoric « le » (qu’es pas un francisme), o « dínquias » o « lièit » o « seré» ? Se pòden comptar, per demorar optimista, suls dits d’una man. L’immensa majoritat ditz « lo », « duscas » (quand es pas, e de mès en mès, « fins », que fa mès catalan), « lièch » e « serai » . Per ausir l’occitan mondin, cal anar escotar, dins les barris e les campèstres a l’entorn, e quin paradòxe !, d’occitanofònes non-occitanistas. Tot se passa doncas, dins nòstre mondet occitanista, coma si – per çò qu’es de la lenga – i aviá pas res agut d’interessant e de determinant abans nosautris, coma si i aviá pas res d’interessant e de determinant a l’entorn de nosautris. Illusion e pretencion de qui crei que tot comença amb el… Pr’aquò, la majoritat de mos camaradas occitanistas trobarián desconvenent, escandalós e ideologicament dobtós, qu’una persona que voldriá viure al Marròc, per exemple, s’abstenguès d’aprene la lenga de l’endreit – l’arabi populari, le berbèr – e s’adrecès als autoctònes pas qu’en arabi egipcian o en arabi dit « literari », sens parlar de l’arabi coranic . Alavetz cossí se fa qu’una tala practica, jutjada a bon dreit elitista, e al mens inadaptada, semble – als mèmes – impossibla al Marròc mes finalament possibla ací, quitament si se fa inconscientament la maja part del temps  ? E cossí ne sèm arribats aquí ?

    La manca de pedagogia e de reflexion, la manca d’intelligéncia de situacion, per patents que sián, explican pas tot. Al long de las annadas e d’una regulària observacion de las parladuras occitanistas , apareish que l’aveniment progressiu d’aquel occitan de laboratòri, estrangièr al substrat populari, correspond a la pujada progressiva e vigorosa – al còr de l’occitanisme – d’un imaginari sociopolitic plan determinat, quitament si un grand nombre de militants se’n mainan pas, per manca de reculada sufisenta , e tanben perque es pas totjorn evident, malgrat la pus valenta volontat, d’identificar la natura d’aquel famós « aire del temps » que respiram, de bon grat o pas, dins la vida e l’accion ara per ara. « Pro d’actes, mots ! » disiá le filosòfe Merleau-Ponty : i a moments ont d’efèit se cal saber pausar, e sortir de l’activisme, per soscar dialogicament a çò que fèm, a çò que sèm e volèm èsser. Doncas, es temps ara de’n venir a l’examèn dels fondaments ideologics d’aquelas practicas lengatjièras que menaràn le nòstre combat a la catastròfa si sortèm pas  de l’illusion dogmatica que representan :  


II. l’ideologia sosjacenta

    Le concèpte que me sembla poder englobar e acaptar las diferentas modalitats ideologicas que se manifèstan ençà enlà es le de puretat. Una brava part de l’occitanisme actual se replega – e tant mès dangerosament qu’aquel replegament es ni percebut coma tal ni tematizat – sus una autra fòrma d’autenticitat que la qu’èi evocada pus naut. Es de bon comprene : en denonciant l’inautenticitat d’una lenga elaborada in vitro, reivendicavi implicitament l’autenticitat d’una lenga qu’existís in vivo. Mes solament, per mès d’un d’entre nosautris, la lenga reala, encara viva dins le pòble, es pas la lenga vertadièra : per elis  sola compta la lenga tala coma diuriáèstre, es a dire tala coma la Sciéncia lingüistica o la Literatura o l’Istòria la pareishen definir dins sa puretat lingüistica e/o originala. Çò qu’a per consequéncia que s’estiman mès ensenhar çò que se diuriá dire puslèu que çò que se ditz realament. M’escasèt de reculhir le testimoniatge dolorós de locutors eretièrs corregits per de joves missi dominici mandats pel campèstre per i espandir la Bona Paraula lingüistica : « Cal pas dire « la fòrma », cal dire « la forma »… » . Qui vetz pas le caractèr pretenciós e repugnant d’un tal proselitisme ?

    De fèit, tot se passa coma si viviam imaginàriament dins « le monde coma si » , que correspond practicament a la formula dels matematicians : « Supausèm le problèma resolgut »… E, en efècte, tròp sovent l’occitanisme se compòrta coma si le problèma èra resolgut : tot le monde, dins le nòstre país, sap çò qu’es l’occitan, tot le monde a assimilat que l’òc e le patoès aquò’s la mèma lenga, tot le monde coneish l’istòria, denóncia le « genocidi cultural » e demanda la « reparacion istorica », compren l’adopcion de la grafia dels Trobadors modernizada, mestreja la problematica « grafia normalizada/grafia mistralenca », vòl la resocializacion de la lenga, consent a la distincion dialècte/lenga estandard, domina una terminologia occitanista pas totjorn evidenta e rarament neutra , e sustot : cadun/caduna vòl absoludament que La Nòrma li siá impausada, sola e unica, per sortir d’una pluralitat lingüistica aissabla que quita pas d’embestiar tot le monde quand tot le monde se vòl exprimir, a l’oral coma a l’escrit. E puèi, dins aquel « monde coma si », i a una poténcia publica occitanista capabla d’impausar La Nòrma academicament o politicament, aquela Nòrma que tot le monde espèra coma una desliurança…
    Ara, qui que siá que vòlga plan sortir d’aquela pantaishada saurà qu’aquò’s pas vertat : le problèma es pas resolgut, e se’n manca, e nos demòran d’annadas e d’annadas de pedagogia al davant si volèm vertadièrament sortir de las carrièras bòrnias e dels malentendus creats per l’ignorància, l’illusion, la páur e la caricatura de l’autre. E es pas vertat tanpauc que « las gents », entre autras les occitanofònes « naturals », se desiren rassegurar, dignificar e normalizar per l’adopcion d’una nòrma unica fonccionant coma una koinè nacionala occitana : le pòble occitanofòne manifèsta cap de volontat massiva de voler transformar sa realitat lengatgièra viva e fluctuanta en artefact unitari e regde. Perqué ? Perque aquel pòble viu desempuèi sègles la pluralitat lingüistica, e aquela pluralitat – que jamès empachèt pas la transmission ni l’expression, quina que’n siá la modalitat, sabenta o populària  - es   ela qu’es viscuda coma la normalitat e pas le contrari. Vau pus luènh : si aquel pòble – qu’es totjorn d’endacòm, doncas totjorn particulari, jamès omogenèu – demanda pas qu’a parlar l’occitan de l’ostal, per costuma e estacament, vòl pas tanpauc que l’autre, le vesin, le limitròfe, le cantonal o le regional, siá« le mème », l’identic. Tot al contrari : i a, cèrtas, la preséncia inegalada de la lenga mairala mes, a l’encòp, la preséncia reconeguda e acceptada de las autras faiçons de dire, e le quiti gost  d’aquela proximitat dins la diferéncia, d’aquela semblança dins la non-correspondéncia. « Pas de Ieu sens Tu » disiá le Martin Buber, e aquò’s vertat tanben de las practicas lengatgièras e culturalas : pas d’identitat sens alteritat. Sèm aquí al còr del processús dialectic de la pluralitat, al còr d’aquela mosaïca  parlada que manifèsta – dins e per sa quítia practica – l’« equivocitat trantolhanta del monde » cara a l’Hannah Arendt . Es de segur la mès interessanta de las condicions umanas : aquela equivocitat trantolhanta, que quita pas d’interrogar e metre en moviment la lenga mairala e le monde, empacha la promocion imperialista de çò univòc, empacha la transformacion d’una de las parladuras possiblas en Esséncia, es a dire en Vertat una e unica, etèrna e obligatòria. Dins le fons, aquela pluralitat lingüistica animant un mème territòri installa una vertadièra democracia lengatgièra : pas de ierarquia absoluda ni de modèl unitari tot poderós que vendrián varrolhar les discorses en les normalizant , la pluralitat nos garda de « la foliá de l’Un », per fèr nòstra la prigonda formula del Felix Castan.

    Qu’òm s’engane pas : las variacions de parladura son pas le caòs, son en interaccion ambe las recurréncias, ambe las qualas fan sistèma. Le rapòrt de la variacion a la recurréncia es pas le del libre arbitre a l’obligacion : s’agís en realitat de duas compausantas indissociablas del mème sistèma  e tota lenga umana fonciona per aicesta interaccion . La variacion lingüistica, es la vida del lengatge. Noirís, coma fa l’afluent ambe’l riu, una nòrma d’usatge, nòrma que – totjorn practicada implicitament d’en primièr – desconeish l’omogeneïtat e le fixisme (que siá dins las prononciacions, la sintaxi, le vocabulari e tanben la morfologia) e se diu pas confondre ambe çò que s’opausa frontalament a-n-ela, a saber la Nòrma academica, fòrma lingüistica omogenèa e fixa, unica e « pura » (supausada purificada per l’Istòria, o la Literatura, o la Religion , o la Sciéncia, o per tot aquò a l’encòp). Aquela Nòrma academica es, ela, totjorn teoricament explicitada d’en primièr, e çò pus abitual es qu’aquela explicitacion siá a l’encòp una reivindicacion egemonica, e precedisca – al mens dins l’esperit de sos partisans – la temptativa d’una impausicion. Es forçadament a posteriori per rapòrt a la nòrma d’usatge mes la pretend remplaçar, en redusent la multiplicitat a l’Un e l’eterogeneïtat al Mème, es a dire en obrant de manièra totalitària contra la quítia vida del lengatge, contra sa democracia foncièra. Justament, es le moment que sèm a viure dins l’occitanisme ; le fòrça pragmatic e plan pedagogic « Use is meaning » , presat dels anglo-saxons, recula davant la religion de La Nòrma, religion plan continentala e mès particularament, coma se sap, plan francesa  : nos es abondosament repapiat que per la comunicacion extra-locala, l’ensenhament e les mediàs, val mès aver un occitan « estandard » o una « lenga comuna » (gaireben le mème argument que le que servisquèt a justificar l’uniformizacion perpetrada per l’Escòla de la Republica). E per de qué val mès ? Se sap pas tròp, l’argument es rarament desvolopat, sèm acarats a una ideologia de l’evidéncia, ont las vertats ni se questionan ni se contèstan : « avèm besonh d’una koinè», es çò que repetís a tira-qui-pòt la doxa occitanista, alavetz perqué s’interrogar sus la realitat d’aquel besonh (existís vertadièrament ? Si es le cas, es le besonh de qui o de qué ?), sus la sia legitimitat (i cal respondre ? Perqué ? Cossí ?), sus la nòstra capacitat a le contentar, sus las consequéncias eventualas de sa satisfaccion o de son abséncia de satisfaccion, etc.
      Ne demòra pas mens qu’avèm le dreit de nos demandar : cossí fasquèron, les occitanofònes, per se comprene, pendent sègles, abans l’aparicion de La Nòrma ? Cossí posquèrem, les occitanistas, publicar tant de revistas pan-occitanas (Oc, Occitania Nòva, Talvèra, Gai Saber, Vida Nòstra, Per Noste, Reclams, Leberaubre, Jorn, Aquò d’aquí, ne desbrembi  e de las milhoras) en nos passant de La Nòrma ? E sustot : cossí podèm ensenhar e trasmetre, desempuèi qualques generacions ara, sens aquel referent suprème ? Enfin, cossí comprene la crida actuala per l’establiment (artificial) d’una « lenga comuna » ? N’aviam doncas pas de per abans ? Les locutors del lengadocian avián pas una lenga comuna ambe les parlaires del provençal, del gascon, del lemosin, de l’auvernhat, del vivarò-alpin, etc. ? Es que l’abséncia de Nòrma absoluda empachèt un jorn le manten e/o la reapropriacion de la lenga, sa defensa, son illustracion, es qu’empachèt un jorn l’intercompreneson, l’expression, la difusion e la creacion ? En un mot : viviam dins le pecat, dins una espècia de paganisme d’abans la Transcendéncia Unica, mes les prèires grands de la Lenga son venguts per nos salvar de las tenèbras…
 
      D’unis trobaràn sens dobte desplaçat, exagerat, l’adjectiu « totalitari » avançat çai-sus. Les tenents occitanistas de La Nòrma son, plan evidentament, de braves democratas pastats de las milhoras intencions (salvar la lenga-cultura occitana) : luènh d’elis la volontat d’aclimatar  camps de reeducacion lingüistica a nòstras latituds temperadas, luènh de ieu tota velleïtat de les en accusar ! Brembèm-nos çaquelà que l’adjectiu totalitario, nascut al còr del fascisme italian, sèrv d’en primièr a designar le desir de n’acabar ambe’l frammentario, le fragmentari , e a s’opausar al monde que « del quiti fèit de lor mentalitat son dispausats a èsser pas elis mèmes, mes a èsser capables d’aculhir la paraula de l’autre – il verbo altrui. » . Es doncas pas desconvenent de qualificar de totalitària tota volontat de reduire per la fòrça la diferéncia e le desacòrd, d’instaurar per la constrenta le regne de Çò Mème, de l’uniformitat . Mes quina fòrça, me diretz ? Quina constrenta ? L’occitanisme a cap organe de legislacion ni de repression ! Es vertat, e compte tengut de la mentalitat de commissari politic, perdon : linguistic, mostrada per d’unis de nosautris, podèm pas que nos en felicitar… En fèit, las causas se fan, en çò nòstre, a l’amagat e en doçor : ges de violéncia, l’exclusion subreptícia bastarà. E, d’efèit, sufís d’exclure sens ba dire – dels diccionaris, de las divèrsas publicacions, dels discorses radiofonics e televisuals – çò que sirà considerat coma tròp dialectal (mes en qué aquela practica es diferenta, alavetz, de la que fosquèt menada pendent sègles per la tan criticada Academia Francesa ?), tròp allogèna (mes curiosament sols les francismes – o considerats coma tals – patissen d’aquela allergia, òm se formaliza pas dels catalanismes o dels ispanismes de fèit que nos son impausats çai e lai, especialament jol pretèxte d’etimologia ). Per parlar clar e brèu : se cal desfèr de çò qu’es tròp populari. Perque le pòble es pauc fisable, tot contaminat qu’es pel virús del francés, es a dire pel virús francés, tot parasitat qu’es per un condicionament sociopolitic e cultural pluriseculari que le fa defalhent e ignorant (la famosa « alienacion », percebuda coma consubstanciala de las classas trabalhairas e a la quala escapan, evidentament, las elitas instruidas)…

     Aquela vision implicita del pòble e de çò populari confessa le mesprètz ont son tenguts en realitat. Un autre còp, es quicòm de pro classic : le pòble es le « gròs animal » menaçaire, segon la formula de Platon, la bestiassa que cal saber téner d’una man de fèrre (l’Ancian Regime), o l’enfant que sap pas e que conven d’educar (la Republica). Atal, vist coma una matèria plastica que cal, de tot biaish, pastar al grat dels imperatius ideologics e de las necessitats etaticas, le pòble – quantitativament majoritari – es pr’aquò totjorn percebut coma marcat per la minoritat ; naseja ací un pessimisme etic implicit : a la plèba, incapabla d’autonomia e de luciditat, cal tutors, patricians capables de la purgar, quand fa besonh, de sas passions maishantas, umors lengatgièras compresas. Curiosament, les zelaires d’aquela profilaxia lingüistica semblan pas brica geinats pels gallicismes que s’emplègan dins d’autras lengas latinas : que l’ispanofòne diga « chantaje » o « coche », que le catalanofòne diga « xantatge », « croissant », « crupier », que le barcelonés pòsca dire « mèrci » al lòc de « mercès » o de « gràcies », etc., tot aquò lor pareish fèr partida dels escambis interculturals establits per l’Istòria e sirà jutjat « normal », es a dire inevitable, e puslèu positiu (les militants occitanistas son en general e en teoria partisans del mestissatge cultural). Tot parièr s’estonaràn pas qu’una lenga tan prestigiosa e mondialament espandida coma l’espanhòl pòsca coneisse pas La Nòrma, una e unica : d’efèit, òm i pòt dire e escriure « periodo » o « período », per prene pas qu’un exemple demèts plan d’autris, e la question « Y tú, ¿qué haces ? » pòt, dins aquela lenga, variar en « Y vos, ¿qué hacés ? », e recipròcament. En mès d’aquò, diràn que la segonda formulacion es « en espanhòl d’Argentina », jamès lor passarà pas pel cap de parlar de « dialècte argentin ». Que l’espanhòl, o l’italian, siá un e multiple a l’encòp, qu’aquela lenga conesca normalament la variacion, la fluctuacion, es per elis un afèr reglat. Avèm ací una actitud gaireben fenomenologica : se constata e descriu çò qu’es, mès exactament : les fenomènas, las causas talas coma nos apareishen. Mes aquela actitud càmbia tanlèu qu’es question de l’occitan : çò que sembla mès que bon al delà de las frontièras, e pels autris, sembla que valga pas res mès al dedins del país e per nosautris . Es que tocam ací a çò que concernís l’identitat pròpia e l’imatge que nos fèm de nosautris. E aquelis son, a l’evidéncia, pas viscuts positivament : una granda partida de l’occitanisme actual vòl pas mès assumir la fragmentacion inerenta al lengatge, aquela variacion que n’es çaquelà le « fèit nucleari »  e que les mainatges ne son conscients tanlèu que se confrontan a las estructuras essencialas d’una lenga. Del moment qu’abandonam la descripcion fenomenologica per promaure ambe fòrça l’idealisme, la nòrma ideala,  l’academisme – qu’èra pas duscas aquí qu’una temptacion permanenta, presenta, per exemple, dins Alibert  – es a mand de triomfar. Aquel academisme, a l’encòp instrument e simptòma, carreja totis les hipercorrectismes, les etimologismes, les neologismes e les arcaïsmes que, dins l’occitanisme contemporanèu, caracterizan plan d’enonciacions regidas per un indenegable principi de plaser e son autant d’esquivas, de fugidas, per rapòrt a un principi de realitat (lingüistica) actualament aflaquit : la lenga que diuriáèstre tend a s’impausar (ailàs, pas sonque sul mòde imaginari) contra la lenga que es, e çò que duscas ara èra pas que normalizacion grafica se muda en normalizacion lingüistica … Mes siam claris : es normal que la Lingüistica mene sas recèrcas e ne fasca part. Es absoludament pas çò que sometèm a critica aicí ; çò que l’es, al revèrs, es la pretencion d’utilizar le saber aquesit per installar un dirigisme lingüistic cercant le restabliment d’una mitica puretat de la lenga e la consacracion (al mens simbolica) de la minoritat activa qu’a fèit la causida del purisme. Ara, aquel dirigisme es estacat a l’idèa implicita – e vaquí un segond constat de pessimisme etic – que le lengatge populari, ordinari e impur, es sens avenir. Aiceste seriá le grand afèr dels normalizators, del monde que legifèran al nom de la Sciéncia. Mes, noirit de dobte filosofic desempuèi ma prima joinessa, me pòdi pas abstenir de pensar : tot aquel polit monde legifèran, en vertat, solament al nom de la Sciéncia ?

      La desfisança quant a la pluralitat de la lenga-cultura populària, quant a sa capacitat de creacion, a pas res de neutre. Pr’aquò, les fèits son testuts  : de « monsieur », per exemple, le pòble fasquèt « mossur », puèi les derivats « mossuròt », « mossuradas », « mossuralhas », « mossurejar », etc. Per remplaçar aquel afrós gallicisme, La Nòrma nos vòl impausar « Sénher », que le pòble emplega exclusivament per parlar de Diu o a Diu (véser « Nòstre Sénher »). Perqué voler abolir aquela vertat lingüistica e mentala de fèit (la distincion e opausicion « mossur/Sénher »), vertat qu’a le meriti d’existir e de foncionar, al profièit d’una « pura » vertat supausada de dreit (l’unic « sénher »), portaira de confusion (la designacion de l’òme = la designacion de Diu) e que digús comprendriá pas ? Cossí véser pas que designar un èstre uman per un vocable desempuèi longtemps reservat a Diu seriá capvirar una certana vision del mond, una realitat antropologica manifestada pel discors ? Seriá alavetz, pel locutor « natural », eretièr, la mèma lenga, le mème monde mental, le mème imaginari ? E quin efèit li fariá d’èsser apelat atal per un novèl locutor? Aquelas questions son pas d’actualitat pel normalizator ; el, coma es estat dit, se coita de tornar cóser çò que fosquèt esquiçat. E « Sénher », per el, a fòrça meritis, que son tanben d’enjòcs ideologics :
renosa ambe l’Atge d’Aur medieval, trobadorenc, e representa un revenge simbolic sus l’Istòria d’aprèps la catastròfa ;
aparten atal a l’escrit mès nòble (pel normalizator, qu’es un letrat, l’escrit es superior a l’oral) ;
s’abreuja en « En » - çò que l’identifica al catalan, idiòma fraire, nòble, prestigiٕós, quasi estatal, simbòl de seriós e de succès, sòrta de doble ultra-positiu e d’àngel gardian de l’occitan (l’estibatge a la Catalonha modèrna es viscut el tanben coma un revenge simbolic suls trebolaments de l’Istòria);
revèrta  « senyor », « señor », « signore », etc., çò que le sarra d’autras lengas latinas e l’alunha de l’abastardit « mossur », doncas l’alunha del francés…
    Amb aquel exemple, dins le fons, tot es dit : s’agís ben de purificar la lenga en la purgant al maximom d’aquelis efèits malastroses de l’istòria que son les francismes. Ont vesèm que purificar la lenga es tanben purificar l’Istòria, en la tornant escriure, en la jogant contra ela mèma. « Mossur » es un produit de l’Istòria ? Aquò rai, le normalizator anirà cercar dins l’Istòria de qué esfaçar aquela error de l’Istòria  : sufís de remontar a las originas, es a dire a l’epòca mitica d’abans la França. Se tròba aquí, al fons, la puretat : dins la non-França, l’a-França, çò fòra-França, l’anti-França, coma se voldrà dire… Le mot occitan d’origina francesa es pas considerat coma un vertadièr mot occitan mes coma una taca que cal esfaçar. Atal la fòrma « mème » serà regetada, mentre qu’es utilizada dans l’inter-sistèma, es a dire dins la lenga parlada majoritàriament ; òm optarà per « meteis », per l’ideal contra la realitat, per la puretat transcendenta contra l’impuretat immanenta, es a dire : contra la copulacion (istorica) ambe’l francés. Pauretat de l’occitanisme quand crei trobar son identitat dins la ràbia que desencadena contra la França e le francés ! Mediocritat de l’occitanisme quand es pas que reactiu, es a dire quand existís pas que contra, sonque « per rapòrt à… », non pas dins una afirmacion positiva e primièra de çò qu’es, mes dins una reaccion reflèxa e pas soscada, segonda, a l’espavental francimand ! Avuglament de l’occitanisme que s’infèuda alavetz sens se’n mainar al modèl negatiu tant asirat, e viu pas que per un combat que le subordina ! Èrrament de l’occitanisme que crei obrar liurament a l’instant ont renóncia sens ba saber a existir d’esperel e s’enclau dins una relacion mortifèra, de tipe repulsion-fascinacion, ambe çò que diu teoricament regetar (la taca francesa), mes que li  fa besonh, fin finala, per demorar quilhat…
    L’ironia de l’istòria es qu’aquel occitanisme del ressentiment pòt pas viure qu’en mimant inconscientament le poder francés : les países d’Òc fosquèron l’una de las victimas del centralisme (monarquic puèi republican) ? L’occitanisme se vòl donar un occitan « central » (ne podèm doncas deduire que i aurà d’occitans periferics, segondaris) ; sofrisquèron de l’uniformizacion culturala ? Sòmia pas mès que d’un occitan « estandard » (l’estandardizacion, es pas l’uniformizacion e la reduccion a l’Un ?) ; conesquèron le corset de l’academisme ? Cèrca a restancar e calmar la vida del lengatge dins de plan seriosas Academias  ; les países nòstres pòrtan les estigmatas del mesprètz de l’elitisme francés envèrs le pòble ? L’occitanisme va produire d’unas elitas localas e regionalas que, parlant – coma se diu – al nom del pòble, inventaràn le mesprètz sòft (per l’indiferéncia, l’evitament, le contornament) ; patisquèron la ierarquizacion dels parlars e l’essencializacion de La Lenga inerentas a la constitucion de l’Estat-Nacion ? El va reconduire aquela ierarquia e aquela essencializacion al còr de la lenga minorizada que pretend defendre : la pausicion d’aquel occitanisme per çò qu’es de la question dels « dialèctes » me sembla  d’aquel punt de vista totalament simptomatica. La nocion de dialècte fa partida, en çò nòstre, d’aquel matalàs d’evidéncias qu’i repausa una vision de las causas amplament partejada e que fa pas jamès l’objècte del mendre questionament. Pasmens, l’existéncia en se del dialècte es pas una evidéncia. L’occitanisme de las annadas 70 presentava sovent – e ambe rason – la lenga coma « un dialècte qu’a capitat », çò que sos-entendiá que i a pas de diferéncia d’esséncia entre lenga e dialècte mes una distincion circonstanciala e tota relativa – perque politica. Ausissèm ara una cançon plan diferenta quand, emès jos la pluma de lingüistas dels mès eminents, se parla del dialècte coma s’aviá una existéncia objectiva. Pr’aquò aicesta es luènh d’èstre verificada, si ne cresèm le quiti Ferdinand de Saussure: « Il est difficile de dire en quoi consiste la différence entre une langue et un dialecte.  Souvent un dialecte porte le nom de langue parce qu’il a produit une littérature ; c’est le cas du portugais et du hollandais.  ». Òm creiriá ausir parlar un gauchista de l’aprèps 68, de tant desentona le siu dire per rapòrt al dogmatisme que domina en nòstras sasons : « Les idiomes qui ne divergent qu’à un très faible degré sont appelés dialectes ; mais il ne faut pas donner à ce terme un sens rigoureusement exact ; nous verrons (…) qu’il y a entre les dialectes et les langues une différence de quantité, non de nature. ». Las divergéncias que ne parla son simplament las variacions o fluctuacions, geograficas e/o socialas, qu’èi evocadas precedentament  mès d’un còp. Per el, es la diferéncia dins la quantitat de divergéncias que fa la diferéncia entre le dialècte e la lenga. Aquesta es doncas alavetz logicament plan mens marcada per la variacion enonciativa e coneish una unitat formala del còdi : es normada, estandardizada ; per aquò, es considerada coma pus « comuna » e benlèu coma le veïcul, entre autras causas, de la literatura e de l’administracion. Es tanben çò que nos ditz tot diccionnari basic de lingüistica . Mes dins le cas de l’occitan, e coma i a una solidaritat necessària entre la lenga e le dialècte , si le lengadocian, le gascon, le provençal, le lemosin, l’auvernhat, le vivaroalpenc, etc., son dialèctes occitans o dialèctes de l’occitan (coma es costuma de dire), alavetz ont es l’occitan ? Ont es l’occitan pròpiament dit ? Ont es coma lenga qu’existís e foncionna a part de sos dialèctes ? Ont es coma idiòma realament existent e doncas coma referéncia per rapòrt a la quala se destacarián sos dialèctes ?
    En realitat, l’occitan es pas enlòc mès que dins aquela pluralitat lingüistica practicada a l’oral coma a l’escrit sul siu territòri istoric.  Parli lengadocian, gascon, lemosin, provençal, auvernhat, vivaroalpenc, etc., alavetz parli (l’) occitan, es a dire obligatòriament un occitan, e non pas un dialècte (de l’) occitan ; alavetz parli una lenga dins una de sas modalitats geograficas e/o socialas perque, èstre de situacion, pòdi pas parlar qu’una lenga en situacion. En vertat, pòdi pas parlar la Lenga, perque es una abstraccion ; parli una certana lenga, una lenga totjorn particulària, totjorn singulària : la mia. Es aquò que discor e pas quicòm mès. Le dialècte, per parlar clar, es una invencion del lingüista , pel milhor un concèpte operatòri, es a dire una idèa generala que li permet de trabalhar, dins aquel cas : d’analizar (de separar, distinguir) les divèrses compausants d’una sola e mèma lenga. Mes se pòt sortir d’aquel aprochament scientific, es a dire abstrèit (de realitat sonque mentala, destacada del viscut qu’estúdia e totjorn segonda per rapòrt a-n-el), se pòt arrestar de confondre la carta e le territòri. Si causissèm le territòri, renosam amb un apròchi fenomenologic de las causas, ambe l’experiéncia qu’avèm del monde, experiéncia que per èsser familiara es pas mens vertadièra – dins un autre domeni – que l’examèn o l’experimentacion de tipe scientific, e qu’a l’avantatge sus elis d’èsser primièra, es a dire fondamentala e originària. Es aquel apròchament qu’anima l’espiar clarvesent d’un Tomàs d’Aquin, puèi d’un Nicolas de Lyre, que le lor testimoniatge, als sègles XIIIen e XIVen, me pareish rendre compte plan milhor de la realitat lingüistica que fòrça analisis « objectivas » del scientisme contemporanèu  :
« Dins una mèma lenga [lingua] trobam divèrsas faiçons de parlar [diversa locutio], coma apareish en francés [parlar de l’Isla de França], en picard, e en borguinhon ; pr’aquò s’agís d’una mèma lenga [loquela]. »
« Malgrat que la lenga francesa siá una, les que son de Picardia la parlan diferentament de les qu’abitan París ; e per aicesta diversitat [varietas en latin], òm pòt percebre d’ont ven qualqu’un. »
    Quitèm doncas de considerar l’occitan coma una fòrma supra-dialectala, mentre que se ten pas en defòra d’aquelas modalitats qu’arrestam  pas de presentar coma dialèctes, çò que son pas. Son le real mème de la lenga – son ineréncia, sa consisténcia – pas exterioritats o excresséncias. Cal rompre salutàriament amb aquel diagrama plan francés, al sens que nos es legat per l’istòria de la França : le de la ierarquizacion dels idiòmas, donc de las personas e dels pòbles que les parlan. Es que se sap qu’«Es Ronsard qu’emplega le primièr le mot dialècte per designar le parlar del Vendomés, sa region d’origina, sens dobte perque le mot patoès èra tròp pejoratiu. »  ? Aquel mot sabent fonciona doncas, a comptar d’aquel moment, coma un tapapecat : l’organe vergonhós e pudent que cal escondre, es le patoès. Es sus aquel reganh lingüistic, reganh geographic e social, que se bastís al long dels sègles l’elitisme cultural francés…
    Es aquel diagrama que desiram reproduire inconscientament amb aquel fantasma de « l’occitan estandard », de la « lenga comuna », de la koinè salvaira  que vendriá tot a l’encòp bailejar e despassar les « dialèctes » ? Es aquela estructuracion ierarquica, elitista, que volèm contunhar d’enviar coma senhal d’avenidor als locutors eretièrs (e als autris) ? Perque se cal pas contar d’istòrias, le mot « dialècte » - dins la constellacion culturala e politica qu’es la nòstra – es pas jamès neutre, es totjorn connotat pejorativament, e tanben quand es utilizat dins le quadre de la sciéncia : le dialècte es pensat coma exclús d’unas foncions lingüisticas a causa de sa pretenduda portada limitada e d’una inscripcion dins le registre escrit jutjada febla. Doncas es percebut coma rustic, de còps rudimentari, culturalament inferior, restrent, sens estatut envejable. En un mot, le « dialècte » es gaire milhor que le patoès ; e es l’irrespirable, l’insuportable, per qui sòmia de reconeishença, de prestigi, d’ascension sociala e … d’identitat pura. D’efèit, representa l’alteritat al còr de la lenga, es a dire al còr de çò qu’es percebut coma le factor primordial d’identitat. Ara, cossí véser pas, a-n-aquel grau, que la volontat declarada de despassar aquela alteritat (que cèssa pas de se manifestar dins la pluralitat lengatgièra efectiva) amaga mal le desir fantasmatic de se desfèr de la lenga ela-mèma, de la lenga tala coma se viu, tròp impura, per se’n donar una milhora : unida, omogenèa, alavetz objècte d’un pus grand ufan gausiu ?  Ba disiá abans : un sector important de l’occitanisme actual pòt pas mès assumir l’imatge – a son vejaire negatiu – que li sembla remandar la diferéncia intèrna pròpia de nòstra lenga-cultura. Es benlèu çò qu’explica que pòsca « ringardizar » e provincializar un pauc mès le monde que s’obstinan a demorar fidèls a la vièlha que vòl pas crebar , es a dire la lenga reala, en lor fasent saber que se pèrden dins un usatge lingüistic subaltèrne  e que convendriá– per n’acabar amb aquesta condicion vergonhosa – que se pleguessen a un usatge superior, modèrne, le de La Lenga, la sola, la vertadièra.
    Pasmens, les nòstres supausats « dialèctes » fosquèron pas d’idiòmas administratius e/o scientifics, ací o alà, dins un passat alunhat ? Son pas desempuèi d’annadas e d’annadas lengas ensenhadas e ensenhairas ? Sustot : son pas portaires d’una immensa literatura, a l’encòp sabenta e populària, dels Trobadors duscas ara? E si koinè i diu aver, qué es aquela manca de fisança en nosautris, e en la fòrça del lengatge, que nos permet pas de concebre qu’aquela varietat novèla de la lenga pòsca nàisher – non pas de l’artefact – mes de l’escambi d’autras varietats de la mèma lenga entre elas ? Es pr’aquò de la lor combinason dins una situacion de contacte permanent que naisherà eventualament aquela varietat lingüistica novèla. Mes aquela « koinèzacion » se farà pas que si cadun o caduna a la possibilitat de practicar, d’un biais liure e descomplexat, las variantas que n’a la costuma.
    Le moment occitanista que vivèm, le que ja se projècta, per delà l’eterogeneïtat lengatgièra presenta, dins un futur lingüistic omogenèu e confòrme, desbarrassat del pes dialectal, me fa irresistiblament pensar a la fin del sègle XVIIIen e al siu modèl dual de negacion culturala del pòble :
jos l’Ancian Regime d’en primièr, per de rasons de prestigi, de distincion sociala, las elitas francesas van relegar les parlars popularis dins las marges : les comprenen, mes se cometen pus, oficialament, ambe’l  lengatge obrièr o paísan. Es pel naut que s’esfaça e se nèga la diferéncia culturala intèrna al país. Fidèls a Vaugelas, las elitas considèran l’usatge del patoès coma un estigmata social incompatible ambe’l « bon usatge ». L’Estat, qu’aviá pro a fèr ambe l’eterogeneïtat sociala, establisquèt l’omogeneïtat de son administracion. E se concep de mens en mens facilament la nacion coma una entitat impura ;
jos la Revolucion, apuèi, que vòl inventar un monde novèl e una novèla lenga per d’idèas nòvas, mes que finalement cambiarà pas res a-n-aquel mesprètz e a-n-aquela mespresa culturals, al contrari : per las elitas recentas, le patoès deven un obstacle passiu o una resisténcia activa a la libertat que s’es desencadenada. L’Abat Grégoire crei que les patoeses son pas lengas, que lor grossieretat enclina al fanatisme e pòt pas exprimir l’abstraccion, ni l’universal, ni la fraternitat. La Republica confond unitat nacionala e omogeneïtat culturala, egalitat politica e uniformizacion lingüistica, e decennias d’instruccion escolària n’acabaràn ambe la rèsta…
     La doxa ben pensanta considèra que la França republicana se donèt atal la possibilitat d’inventar un demos, es a dire un pòble al sens politic, un còs de ciutadans ; evidentament es pas fals, mes es véser sonque la mitat de las causas, perque l’invencion d’aquel demos s’apièja incontestablament sus l’invencion d’un ethnos, un pòble al sens etnic, un agropament uman caracterizat principalament per una mèma cultura, una mèma lenga. Mes, me diretz, quina relacion entre aquelas elitas francesas del sègle XVIIIen e certanas elitas occitanistas actualas ? Perqué aquel parallèl entre periòdes istorics tan desparièrs, entre practicas en aparéncia tant opausadas ?  L’occitanisme es pas l’autre de l’elitisme francés, son opausat ? Es pas l’antidòt absolut a tota politica uniformizaira egemonica, a tota negacion de l’alteritat, de la pluralitat ?
     La relacion es la que sièc : fau l’ipotèsi que sèm totjorn collectivament e inconscientament temptats de reproduire, a la nòstra escala, dins la nòstra esfèra, e dins las circonstàncias particulàrias que vivèm, le modèl politicò-cultural aplicat pel poder francés a la fin del Sègle de las Luses. Non pas a causa d’un gost demasiat pel sègle XVIIIen, de segur, mes perque aquel modèl – fondator – nos secuta, perque sa logica nos determina, quitament si es sus un mòde negatiu, quitament si es d’una faiçon indirècta ; perque demoram dependents de çò que combatèm e que, coma le colonizat que se coita de mimar son ex-opressor tanlèu recobrada sa libertat, nos podèm pas empachar de repetir implicitament un modèl qu’es finalament le sol que conescam e que nos apareish confusament coma un recors a la crisi : la, proteïfòrma, que viu la nòstra societat ; e la que viu l’occitanisme, confrontat a la disparicion programada dels darrièrs locutors occitanofònes « naturals », al darrièr badalh d’una alteritat païsana que representava un vivièr cultural vertadièr, a la francizacion massiva, al trepejament de l’occitanisme politic, a las dificultats e a las  escasudas mitigadas de l’occitanisme cultural e d’una reconquista dels esperits e dels còrs qu’arriba malaisidament a despassar l’estadi de çò simbolic.
    Aquel doble modèl occitanista actual, le podèm qualificar de nacionalista, sens cap intencion pejorativa . Es le besson del nacionalisme francés, malgrat una dissimetria evidenta. Après le moment d’esquèrra que fosquèron las annadas 70 e 80, s’installa, d’en primièr a passes pichons, puèi a bèlas cambadas, le moment nacionalista que desenant ganha en importància . Ací me cal, per esclairar milhor la seguida de mon prepaus, metre aquelis dus moments – le d’esquèrra, puèi le nacionalista – en perspectiva ; una comparason globala d’aquelis dus moments s’impausa si volèm comprene d’ont ven le doble modèl nacionalista que caracteriza l’epòca que vivèm (e som plan conscient qu’aquela comparason rapida trobarà totjorn las sias excepcions) :
le moment d’esquèrra : qué demanda globalement l’occitanisme de l’aprèps-guèrra, en granda partida sortit de la Resisténcia e/o de son esperit ? Mens de Republica, mès de democracia efectiva. Aquesta passa per las lutas per l’emancipacion, doncas la reabilitacion, del país real e de son pòble : las classas trabalhairas (minaires, viticultors, Larzac, etc.). Le mot d’òrdre es « Autonomia ! » mes l’autonomia que ne somiam, al fons, es l’autogestion generalizada, le principi de subsidiaritat generalizat, un desvolopament economic equilibrat pel país, l’autonomia tala coma Castoriadis la teoriza, pas l’indepéndencia sus basas etnicas (Fontan e son P. N. O. demòran en marge). Una aficheta proclama : « Los borgeses mespresan la lenga del pòble. Parlar occitan es un acte revolucionari ! ». Ne ditz fòrça : l’illusion lirica (si parlar occitan es vertadièrament un acte revolucionari, alavetz le campèstre es claufit de bolchevics dangieroses !), mes sustot la volontat de n’acabar ambe’l mesprètz que la lenga del pòble n’es l’objècte de la part de las elitas. L’occitan es defendut, reivindicat, en qualitat de lenga del pòble. Quand Martí canta « Occitania saluda Cuba », l’Occitania dont parla es le pòble « que parla coma un torrent », sa dignitat, sa libertat. Quand canta sa tèrra, s’agís pas del terrador mitic dels Felibres mes d’un país que patís l’exòdi rural, la desertificacion de regions entièras, le torisme de massa, l’explotacion sens vergonha, la pollucion, la desculturacion, etc. Ges de chovinisme interclassista dins tot aquò, la « nacion » es d’abòrd le pòble dels petits que patissen, òm parla de « socialisme », Jòrdi Blanc revira e publica en occitan Lo Manifèst del Partit Comunista de Marx et Engels , e la « descolonizacion » que desiram sembla mès a un cambavirament de las mentalitats, de las practicas e de las estructuras tradicionalas qu’a un arrancament secessionnista. En soma, coma l’escriu a l’epòca le Pecot, l’Occitania « (…) est le nom que nous donnons, dans ce coin d’Europe, et à partir d’une situation donnée, à l’aventure des hommes pour en finir avec le vieux monde. » . Aquel occitanisme que se voliá« de classa » es de segur criticable dins plan de domenis, en començant per sa retorica tèrç-mondista, mes i a qualque res que li podèm pas enlevar : sa referéncia constanta al pòble coma centralitat de son combat, dins la preocupacion permanenta d’identificar luta per l’occitan e defensa de las classas populàrias. Comprenguèt, malgrat totas las mitificacions e las errors tacticas que posquèt produsir d’un autre costat, que las escasenças de l’Istòria permeten pas a l’occitanisme contemporanèu de se dissociar d’aquelas « gents de pauc »  que pòrtan encara la lenga-cultura d’Òc. Per aquel moment d’esquèrra, le sacrat e le legitime, aquò’s le pòble ;
le moment nacionalista : i sèm, quitament si es pas tematizat coma tal. Vòli pas dire que l’immensa majoritat dels occitanistas actuals s’es afiliada al Partit de la Nacion Occitana o se proclame espontanèament nacionalista en tota consciéncia. Vòli dire que, per aquel occitanisme, le sacrat es pas pus le pòble e que le mot nacion a pas mès la connotacion sociala, de classa, qu’aviá precedentament. Aquel mot a d’ara enlà una valor mès classica : cèrtas, s’agís totjorn d’un agropament uman determinat per un territòri, una lenga, una cultura, una istòria, mes aquel grope es pas pus identificat a las classas trabalhairas, pren una connotacion mès ampla, interclassista o que despasse la problematica classista, e mès denegant l’idèa que la luta de las classas siá determinanta dins la vida dels òmes. Çò qu’es ara metut en avant es la vision d’una comunautat istorica unida a l’entorn de sa lenga, sa cultura, sas tradicions, sos remembres (uroses o traumatics), son patrimòni, son engeni, sas valors especificas : de l’Edat Mejana òm reviscòla les concèptes de jòi, paratge, convivéncia, mercé, etc., per les reciclar segon las necessitats del temps. Montsegur es totjorn un simbòl de libertat, de resisténcia a l’opression, mes tot parièr le d’una civilizacion. Perque es plan d’aquò que s’agís : l’Occitania es abans tot percebuda coma una civilizacion, es a dire una continuitat istorica, una cultura e una espiritualitat durablas e a despart, una nacion potenciala, en devenir permanent . E mès nos identificam a la Catalonha  mès s’agusa aquel sentiment : al « Som una nació ! » catalan respond le resson del nòstre mimetic « Sèm e serem ! ». L’Occitania es pensada ara coma una identitat transistorica constituida de longa data (un ethnos que d’unis fan remontar a l’Antiquitat ) e que li fa besonh una inscripcion culturala, mes tanben politica, dins les fèits. Le transfrontalierisme europèu pareish li donar una possibilitat de s’afirmar en s’escapant del corset exagonal. L’agre de l’afèr, aquò’s le pòble. Per tant que manifèste aquel occitanisme que son nacionalisme es dubèrt, umanista, le contrari d’una crispacion identitària, d’una barradura a l’autre, le pòble es pas vertadièrament al rendètz-vos. Vòl plan èsser occitanofòne, e mès culturalament occitanista, simpatisaire de la causa culturala, mes se reivindica pas massivament occitan. Es pas prèst a escambiar sa carta d’identitat francesa per una carta d’identitat occitana, fosquès simbolica. Es estacat a l’ideal republican mes vòl pas tornar viure la malafèita de l’identitat unica e univòca. Se sembla contentar d’una pluralitat de fèit e, d’un autre costat, a plan d’autris problèmas a reglar. Coma ditz le Claudi Sicre : « Le pòble vòl pas un monde, vòl mondes »…
    Es alavetz perque que le pòble es jutjat desfalhent per rapòrt a-n-aquela Occitaniae perennis, per rapòrt a-n-aquela nacion mès que milenària – culturalament desfalhent (sa lenga es impura) e politicament desfalhent (contunha de se sentir francés, malgrat tot) – que les tenents del nacionalisme soft van optar per duas actituds fondamentalas al siu esgard. Ont retrobam le doble dessenh que caracteriza las elitas francesas de la fin del sègle XVIIIen :
la temptacion pel Çò Mème : es la version « Ancian Regime », le replegament sul domeni reservat de çò literari, de la bèla lenga prestigiosa, del plaser de l’entre-nosautris : cadun escriu per el e pels egals, pas mès pel pòble, dins una lenga d’Òc de laboratòri qu’a pas res mès de populari ni de plural, çò que – justament – satisfà (es pas pus question de se comprometre ambe’l païsan, l’emplegat, l’obrièr, etc., que de tot biaish se’n fot). Aquel elitisme pòt èstre involontari o pas, aquò depend, e permet multiplas distincions : per rapòrt a l’elita francofòna, per rapòrt al militant occitanista de basa, enfin per rapòrt al pòble. Sèm ací dins la puretat de l’omogeneïtat sociologica mes tanben culturala e lingüistica : la lenga es d’ara enlà sens crassas « dialectalas » e le parlar ordinari es proscrit. Le « dialècte » pòt subreviure coma curiositat etnologica, objècte d’una curiositat passadissa. Es fin finala l’aveniment de La Lenga, coma divinitat, reialme immaterial, immaculada concepcion per gausiment privat ;
la temptacion pel Tot-Autre : es la version revolucionària o reformista radicala, l’invencion d’una novèla lenga per dire un monde nau. Malurosament, le pòble es un pes mòrt, son lengatge es pas mès adaptat, tròp passat de mòda, tròp escampilhat, cambiadís, trebolant, pas pro « passa-pertot », unificat, omogenèu, cool, rapide (per « textotar » o navegar sus Internet), seriós (las variacions dialectalas, aquò’s plan rasonable ?), sople, de bon ensenhar… L’occitan es pas mès qu’un pretèxte, una pasta que se pòt modelar a bèl èime, e servís a la creacion d’un Volapük a faiçon. Per la libertat lingüistica futura, per La Lenga pura de deman, sacrifiquèm le patoès grossièr de uèi ! E viva l’Artefact Suprème !
     Dins cada cas, es l’abandon del pòble. Curiós nacionalisme qu’es prèst a se passar de son pòble : es pas confòrme ? Oblidèm-le ! E nosautris les tenents del pluralisme lingüistic, les irreductibles de la diferéncia, nos encaminam tranquilament cap a l’instauracion doça, mes irreversibla, a còps de « normativizacion » lingüistica, d’un unilingüisme intèrne a l’occitan. Polit retorn del reprimit francò-jacobin ! Mes si aquel unilingüisme es un projècte, coma la nòrma e son bon usatge unitari, es  sustot una illusion. La realitat del lengatge es autra ! E qué dire dels parlaires eretièrs ? Son le vertadièr creator collectiu, le motor de l’evolucion lengatgièra ; podèm  reformar la lenga, menar una entrepresa neologica, sens elis o contra elis ? I a un brave paradòxe, pel lingüista, a voler intervenir transitivament sus la lenga mentre que tota sa sciéncia repausa sus l’idèa, metuda en evidéncia per l’istòria de las lengas, qu’aquela evolucion es principalament le fèit de l’accion dels locutors e del temps. Nasquèt l’occitanisme per qu’una minoritat de normalizaires impausès sas causidas a una majoritat de « normalizats » o puslèu per que le pòble prenguès enfin la paraula dins sa lenga? L’impausicion, fosquès simbolica, d’una nòrma autra que la vertadièra, la nòrma d’usatge, es non solament una error pedagogica grava, que torna instaurar pel cap de las gents la funèsta distincion entre patoès e occitan, mes tanben una mespresa d’importància sul sens de l’engatjament occitanista. Per çò qu’es de ieu, l’auretz comprés, participarèi pas a cap entrepresa cercant a fèr del parlaire occitanofòne un « unilingüe del dedins » (per parodiar le Joan Larzac). Quand dintrèri en occitanisme, en 1971, signèri pas per aquò…

EricFraj

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